• 1 Andrault-Schmitt, Claude, Limousin gothique, Paris, Picard, coll. « Monuments de la France (...)
• 2 Haute-Vienne romane et gothique, Congrès archéologique de France, session 2014, Paris, Socié (...)
• 3 Citons notamment la publication des deux récents Congrès archéologiques de France, Finistère (...)

2Dans le domaine de l’histoire de l’architecture, il n’est pas jusqu’à l’image globale de la production dans ces deux régions qui ne suscite des questionnements quant à la pertinence de cette étude : le Limousin est davantage perçu comme une terre « romane » alors qu’en Bretagne, on célèbre plutôt les enclos paroissiaux, des réalisations qui, pour l’essentiel, appartiennent à l’époque moderne, même si leur genèse est à rechercher dans l’art de la fin du Moyen Âge. Pourtant, la publication récente du volume consacré par Claude Andrault-Schmitt au Limousin gothique dans la collection des « Monuments de la France gothique1 » et de celui du Congrès archéologique de France sur la Haute-Vienne2, viennent largement tempérer cette vision d’un Limousin réduit à sa seule expression romane. De même, les travaux menés ces dernières années du côté de la Bretagne témoignent du dynamisme de la création architecturale gothique dans la région3.

• 4 Sanfaçon, Roland, L’architecture flamboyante en France, Québec, Presses de l’Université de L (...)

3À la fin du Moyen Âge, les recherches esthétiques de l’art flamboyant se teintent, tant en Bretagne qu’en Limousin, de particularismes locaux, hérités de traditions artistiques solidement implantées, et reflets du contexte historique tout autant que des contraintes locales. Roland Sanfaçon a, le premier, évoqué ces « renaissances régionales » liées aux pratiques de construction locales, constatant que « toutes les régions ont retrouvé à l’époque flamboyante leur passé artistique4 ». Aussi, avant de nous interroger sur les spécificités de cette architecture de la fin du Moyen Âge sur ces deux terres granitiques que sont la Bretagne et le Limousin, il nous a semblé qu’il était peut-être utile de rappeler au préalable de quelle manière l’art gothique y avait été reçu.

• 5 Sur l’architecture gothique en Limousin, voir Andrault-Schmitt, Claude, Limousin go (...)
• 6 Ibidem, p. 354-364, et du même auteur, « Saint-Yrieix, collégiale Saint-Yrieix », dans Con (...)
• 7 Andrault-Schmitt, Claude, Limousin gothique…, op. cit., p. 365-375.

4On connaît assez bien les facteurs qui ont conduit à l’implantation du style gothique, en Limousin comme en Bretagne, dans la seconde moitié du xii^e siècle. En Limousin, les évolutions liturgiques et le rôle croissant des autorités ecclésiastiques ont comme partout joué un rôle essentiel, sous la double influence des cisterciens et de l’appartenance au domaine Plantagenêt5. Les formes du premier art gothique y font leur apparition dans les années 1170-1180. Les partis sont austères plutôt que modestes, avec un recours généralisé au chevet plat et au vaisseau unique. Parmi les exemples les plus représentatifs, citons la collégiale de Saint-Yrieix (fig. 1), reconstruite à partir de 1181, à l’exception d’un clocher-porche de style roman édifié dans le second quart du xii^e siècle : l’ampleur des proportions, la qualité de la construction et du décor plaident pour un chantier ambitieux6. On y remarque que les parties les plus anciennes, à l’est, sont largement influencées par l’architecture Plantagenêt : la présence de coursières au second niveau de l’élévation et la voûte d’ogives bombée soulignée par des liernes se retrouvent dans les constructions angevines des années 1180. La collégiale abrite aussi un important ensemble sculpté en calcaire, d’importation saintongeaise, montrant là encore les relations étroites existant avec des régions situées plus à l’ouest. À La Souterraine, l’abbatiale Notre-Dame, commencée dans le plus pur style roman au milieu du xii^e siècle, s’achève avec un voûtement d’ogives généralisé en deux campagnes successives7 : d’abord les travées orientales de la nef dans le dernier quart du xii^e siècle, puis le transept et le chœur dans les premières années du xiii^e siècle. Le plan, avec son chevet plat et ses bras de transept ouvrant sur des travées orientales à voûtes quadripartites, doit sans doute beaucoup aux constructions cisterciennes. Les voûtes des parties orientales, très bombées, relèvent quant à elles plutôt de l’architecture du gothique de l’Ouest.

• 8 Ibidem, p. 215-239, et Gallet, Yves, « Limoges, cathédrale Saint-Étienne. Le chevet rayonn (...)
• 9 Ardant, Maurice, « Testament d’Aimeric de La Serre, évêque de Limoges », Bulletin (...)
• 10 Elle évoque la pose de la première pierre par le doyen du chapitre, Hélie de Malemort, le 1(...)
• 11 Yves Gallet précise que « le chevet de la cathédrale de Limoges est bien une œuvre conçue d (...)
• 12 Ibidem, note 28.
• 13 Ibid., p. 73 et sq. L’un et l’autre ont aujourd’hui disparu et constituaie (...)
• 14 Sur ce sujet, nous renvoyons de nouveau aux conclusions présentées par Yves Gallet dans le (...)
• 15 Pinacles, balustrades et arcs des rampants appartiennent à une campagne de restauration, ou (...)
• 16 Andrault-Schmitt, Claude, Limousin gothique…, op. cit., p. 50.

5L’introduction du style « français » n’est aujourd’hui documentée en Limousin qu’à partir de la pose de la première pierre du nouveau chœur de la cathédrale de Limoges8, un chantier dont on suit assez bien le déroulement (fig. 2) : on dispose en particulier de la copie du testament d’Aymeric de La Serre, évêque de Limoges de 1245 à 1272, dans lequel il consacre 1 000 livres à la reconstruction du chevet de la cathédrale9. Ce texte est appuyé, entre autres, par une mention dans la Grande chronique de Limoges précisant que les travaux débutèrent en 1273, soit moins d’un an après le décès de l’évêque, dans le respect de ses dispositions testamentaires10. La date de début du chantier est donc bien établie, encore qu’il faille sans doute envisager la mise en place du projet quelques années auparavant11. Dans la première moitié du xiv^e siècle, les sources évoquent un chevet, sinon terminé, du moins en voie d’achèvement : c’est le cas de Bernard Gui, par exemple, qui parle en 1324 de « l’état magnifique » du chœur de la cathédrale12. Le choix de l’opus francigenum va dans le sens d’une attribution du programme architectural à l’évêque Aymeric, connu pour son soutien au roi capétien dans la lutte qui l’oppose alors aux Anglais. C’est aussi, à l’échelle locale, un choix éminemment politique : la reconstruction du chœur de la cathédrale s’inscrit dans un contexte de lutte entre le pouvoir épiscopal et le pouvoir consulaire détenu par les bourgeois de la Cité, que leurs intérêts portent plutôt à soutenir le Plantagenêt. À cela, il faut encore ajouter la concurrence entre le chapitre cathédral et l’abbaye voisine de Saint-Martial, où le réfectoire et le cloître venaient d’être reconstruits dans le nouveau style rayonnant, sans doute avant 124913. On a également évoqué les similitudes entre le chantier limougeaud et ceux des cathédrales de Narbonne, Rodez et surtout Clermont, en avançant un peu vite que le chevet de la cathédrale Saint-Étienne était dû à l’architecte Jean Deschamps14. Mais ces chantiers méridionaux montrent des velléités de gigantisme qu’on ne retrouve pas du tout sur le chevet de Limoges : ici, le triforium reste aveugle, un choix qui n’est pas dicté par des contraintes techniques ; les volumes, équilibrés, sont de hauteur modeste (26 mètres de hauteur sous voûte). À l’extérieur, les arcs-boutants d’origine ont un dessin beaucoup plus sobre15, tandis qu’une profonde terrasse vient tempérer l’élancement de la structure. Malgré la réussite esthétique de ce chevet, son influence sur la construction locale est pour le moins limitée. Comme le rappelle Claude Andrault-Schmitt, « la résistance à l’art rayonnant s’explique par de forts particularismes dans la façon de moulurer baies et portails et de construire les clochers16 ». Par ailleurs, peu de chantiers peuvent prétendre, dans la région, à des développements d’une telle envergure. En raison de cette modestie des partis, ce sont surtout les nouveaux éléments de décor (dessin des remplages des baies, profils des moulures, vocabulaire naturaliste des chapiteaux) qui seront repris et diffuseront en Limousin le vocabulaire rayonnant.

• 17 Ibidem, p. 95-104. Voir aussi, du même auteur, « Les voyages des cardinaux, artistes, œuvr (...)
• 18 Andrault-Schmitt, Claude, Limousin gothique…, op. cit.. L’église Saint-Didier d’Avignon a (...)
• 19 Ibidem, p. 280-286.

6Au xiv^e siècle, l’élection de trois prélats limousins au trône pontifical installé en Avignon, avec la cohorte de cardinaux institués parmi les familiers de ces représentants de saint Pierre, a quelques répercussions sur la création artistique locale. À dire vrai, c’est d’ailleurs plutôt par l’intermédiaire de ces cardinaux que de nouvelles constructions sont entreprises. L’église Notre-Dame de Bellac, par exemple, dont la nef romane du xii^e siècle a été doublée par un vaisseau septentrional dans la seconde moitié du xiii^e siècle, est encore agrandie au siècle suivant par l’ajout d’une chapelle méridionale située au droit de la dernière travée de la nef17. Les armoiries ornées du chapeau à cordons des cardinaux que l’on y observe sont semblables à celles de Pierre Gauvin, originaire de Mortemart. Il semble que celui-ci ait fait don de reliques à l’église de Bellac peu de temps avant sa mort, en 1335. Un procès-verbal de visite épiscopale daté de 1630 y fait encore état de la fondation de plusieurs vicairies par un cardinal, sans donner ni nom, ni date précise : il pourrait s’agir aussi bien de Pierre Gauvin que de son neveu Pierre de Bagnac, proche d’Urbain V et cardinal lui aussi, en 1368-1369. Cette chapelle, initialement élevée sur deux niveaux, reprend des motifs que l’on rencontre dans la cathédrale (les bases des colonnettes) et d’autres dessins fréquents au xiv^e siècle dans l’architecture civile (le profil chanfreiné des arcades). Ajoutons que l’on trouve, plaqué contre le mur sud de la chapelle, un faux retable en calcaire (fig. 3), passablement restauré et déplacé, mais qui contient encore quelques bas-reliefs d’origine, notamment un cortège d’ecclésiastiques et la représentation d’un évêque conduit au ciel par des anges. Cette dernière scène se retrouve pratiquement à l’identique sur le tombeau du cardinal Bertrand du Déaux, mort en 1355, dans l’église Saint-Didier d’Avignon, à tel point qu’on a pu parler de monuments jumeaux, un fait assez exceptionnel s’il se vérifiait18. À Mortemart même, Pierre Gauvin fonde aussi un ensemble architectural complexe, formé de trois couvents reliés entre eux par leurs églises respectives, établies en suivant un plan en U19. Il n’en subsiste aujourd’hui que l’ancienne église des Augustins, de plan rectangulaire, charpentée, mais percée de grandes baies à réseaux rayonnants. Elles illustrent les moyens mis à la disposition du chantier par le cardinal, un proche du roi Charles IV, nommé en 1327 et mort en 1335. Dès 1323, il avait également entrepris de fonder un hôpital avec chapelle dans sa ville natale, chantier poursuivi après sa mort sur ordre du pape Clément VI. Ces différents exemples illustrent bien l’activité édilitaire menée par une partie des cardinaux limousins dans leur région d’origine, à une période où le contexte politique troublé recentre plutôt la commande artistique autour des mécènes issus de la Curie pontificale ou du monde urbain.

• 20 Sur l’art gothique en Bretagne, nous renvoyons aux publications récentes citées plus haut, (...)
• 21 Ornellas, Pierre d’, Chouinard, Hervé, Petout, Philippe (dir.), Saint-Malo, la cathédrale des cors (...)
• 22 Voir dans Bonnet, Philippe et Rioult, Jean-Jacques, Bretagne gothique…, op. cit., p. 34-35, (...)
• 23 Gallet, Yves, « L’abbaye de Beauport », dans Congrès archéologique de France, Côte (...)
• 24 Gallet, Yves, « Pont-Croix, église Notre-Dame-de-Roscudon : réinvention du passé et ambiti (...)

7Au moment où les formes du premier art gothique y font leur apparition, la péninsule bretonne est, comme le Limousin, placée sous obédience des souverains Plantagenêts. On y trouve d’ailleurs quelques exemples de voûtes angevines : la nef de la cathédrale de Saint-Malo d’abord, construite sous l’épiscopat de Jean de Châtillon (1146-1163)21, ou bien encore, non loin de là, l’église Saint-André d’Antrain, dont la croisée, délimitée par quatre piliers à ressauts, est couverte par une voûte domicale22. Ses arcs légèrement brisés forment une des premières apparitions des formes gothiques en Bretagne, peut-être dans le dernier quart du xii^e siècle. À cela viennent s’ajouter des influences normandes, bien visibles à l’abbaye de Beauport, près de Paimpol, construite à partir de 1202 : le style gothique normand domine dans l’ensemble des bâtiments, très homogènes23. Les vestiges de la nef montrent bien, par exemple, les colonnes montant de fond jusqu’au niveau des fenêtres hautes, et leurs chapiteaux à crochets qui reçoivent les retombées des voûtes d’ogives. À Notre-Dame de Roscudon en Pont-Croix (fig. 4), construite quant à elle dans la seconde moitié du xiii^e siècle, la nef, longue de huit travées, est formée d’une enfilade de piles cantonnées aux formes variées, avec des chapiteaux tronconiques presque tous dépourvus de décor, qui reçoivent les multiples rouleaux de grandes arcades en plein cintre24. La construction, en dépit de son apparente modestie, qu’on a pu confondre avec de l’archaïsme, est particulièrement soignée : les assises régulières de certaines arcades témoignent d’une rationalisation de la production qui se met en place dans les années 1220-1230 dans les grands chantiers gothiques du nord de la France. Seul le choix, délibéré, de varier le plan des piles a empêché cette complète standardisation, augmentant par là même le coût de la construction. La modestie n’est donc que de façade. On a voulu expliquer cette originalité par des influences lointaines : l’Angleterre essentiellement, ou bien encore le Poitou pour le dessin des piles. Mais c’est plus probablement à des édifices romans tout proches que la construction de Pont-Croix renvoie : un peu plus à l’est, dans l’actuel département du Morbihan, les églises de Langonnet, Priziac, Ploërdut et Calan présentent des solutions formelles semblables, et la même volonté de mettre en avant les variations décoratives pour compenser la simplicité de la structure en granit. L’absence de voûtement, un mode de couvrement abandonné dès l’époque romane dans la majorité des églises bretonnes, explique sans doute, au moins en partie, les recherches menées à Pont-Croix, qui furent reprises aussitôt pour les chantiers des alentours. C’est donc plutôt à une réinterprétation de traditions locales que l’architecte s’est livré ici, sans pour autant méconnaître les innovations qui caractérisent l’architecture gothique. Comme en Limousin, la rigidité des périodisations traditionnelles privilégiées par les historiens de l’art s’adapte mal à la réalité de certains chantiers.

• 25 Gallet, Yves, « Quimper, cathédrale Saint-Corentin : l’architecture (xiii^e-xv^e siè (...)
• 26 Gallet, Yves, « Pointe Saint-Mathieu, abbaye Saint-Mathieu : les campagnes de construction (...)
• 27 Techer, Pascale, « Saint-Pol-de-Léon, cathédrale Saint-Paul-Aurélien : les campagnes (...)

8Quelques décennies après Pont-Croix, dans les années 1280-1290, la cathédrale romane de Quimper est progressivement remplacée par un nouvel édifice gothique commencé, de manière assez classique, par enveloppement des parties orientales. On a longtemps, et un peu vite, attribué ce nouveau chantier rayonnant, de style « français », avec son plan à déambulatoire et chapelles rayonnantes (fig. 5), à l’évêque Rainaud (1219-1245), d’origine française, ce qui tombait bien, sur la foi d’un acte daté de 1239 par lequel il accordait les annates des églises vacantes du diocèse à la fabrique de la cathédrale25. Outre le fait que ces revenus devaient être par trop réduits pour correspondre au lancement d’un chantier aussi ambitieux, le dessin des bases et des chapiteaux du chœur appartient plutôt à des solutions apparues après 1260, par exemple à Saint-Urbain de Troyes. À Quimper, le contrebutement pourrait avoir été mis en place vers 1330, avant une longue interruption du chantier sans doute liée à la guerre de Succession de Bretagne (1341-1364). Nous voici donc devant un chevet plus tardif que cela n’a longtemps été pensé, édifié au tournant des années 1300, c’est-à-dire à un moment où les formes du gothique d’Ile-de-France sont déjà connues depuis un certain temps dans la région : citons notamment les premières travées de la nef de l’abbatiale Saint-Mathieu à la pointe du Finistère26, vers 1200 ou, environ un siècle plus tard, le triforium dans la nef de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon où l’on observe même des arcs à pénétration qui annoncent les formes du gothique flamboyant27.

• 28 Pérouse de Montclos, Jean-Marie (dir.), Bretagne : dictionnaire-guide du patrimoin (...)
• 29 Gallet, Yves, « Pont-l’Abbé, église des Carmes : l’architecture mendiante en Cornouaille a (...)
• 30 Ibidem, p. 233.

9L’instabilité politique que connaît le duché au xiv^e siècle ne favorise pas la poursuite des chantiers de construction après 1330-1340. Néanmoins, les grandes lignes de l’architecture qui se développa par la suite sont déjà définies, en particulier pour les chantiers plus modestes que ceux des cathédrales. Dans ces édifices dominent les chevets plats percés de grandes baies à réseaux rayonnants, des silhouettes simples auxquelles sont accolés une tour et un porche, souvent placé au sud, et souvent aussi, désormais, occupé par de grandes statues d’apôtres (le premier exemple pourrait être au porche – nord – de Saint-Suliac, élevé à la fin du xiii^e siècle)28. Contrairement à ce qui se passe au même moment en Limousin, où l’esthétique rayonnante se développe surtout sur les voûtes, en Bretagne, c’est davantage pour la modénature des baies et des portails que ce vocabulaire est retenu par les constructeurs. On peut s’interroger sur les influences qui ont conduit à ces choix : Normandie, Angleterre, mais aussi présence des ordres mendiants, qui s’implantent en Bretagne à partir des années 1230 (dominicains à Morlaix, Quimperlé ou Rennes, cordeliers à Quimper et Dinan, etc.). Citons l’exemple, majeur, de l’église des Carmes de Pont-l’Abbé, dans le Finistère29 : construite tardivement, à partir de 1383, grâce aux libéralités des seigneurs de Pont-l’Abbé et du duc de Bretagne Jean IV, elle s’inscrit dans un contexte de reprise du mécénat artistique au lendemain de la guerre de Succession. De l’austérité mendiante, elle conserve la simplicité d’un plan rectangulaire et la monumentalité de l’espace intérieur, conçu comme une véritable « halle à prêcher30 ». Mais l’esthétique rayonnante y domine dans les tracés des fenêtres, en particulier dans les deux grandes roses orientale et occidentale, ainsi que dans l’emploi des piles fasciculées surmontées de chapiteaux à décor floral.

• 31 Dans sa synthèse sur l’art breton publiée en 1933, Henri Waquet explique cette évolution pa (...)

10Comme on le voit dans cette longue et pourtant très elliptique mise en place des cadres architecturaux, il serait vain de chercher des similitudes entre les édifices de nos deux régions, et partant, des courants d’influence allant de l’une à l’autre, en dépit des liens politiques existant entre elles. L’architecture s’y appuie à la fois sur des traditions locales plus anciennes, et sur des influences extérieures multiples, rarement communes (les voûtes bombées angevines, qui s’expliquent peut-être par une appartenance simultanée au domaine Plantagenêt au xii^e siècle, et plus sûrement par la circulation des artisans et des carnets de modèles, forment peut-être la seule exception). En revanche, on peut remarquer que la connaissance des formes innovantes développées aux xiii^e et xiv^e siècles sur les grands chantiers rayonnants, qu’ils soient d’Île-de-France, de Bourgogne, de Normandie, d’Auvergne ou du Bordelais, y est visible très rapidement, ce qui oblige à considérer avec méfiance la notion d’art retardataire souvent évoquée pour expliquer l’absence de monuments équivalents. Il est aussi intéressant de constater qu’on a très tôt cessé de voûter en pierre en Bretagne, pour se concentrer sur des aspects plus décoratifs, alors que la majorité des édifices limousins continueront à être voûtés d’ogives jusqu’à la fin du Moyen Âge. Cette remarque prend d’autant plus de sens que l’historiographie de l’art breton a longtemps considéré que c’était l’usage du granit qui rendait la chose techniquement trop « difficile », conduisant les constructeurs à privilégier la charpenterie31 : les monuments limousins montrent pourtant bien que la technicité des maîtres maçons médiévaux leur permettait d’envisager des constructions voûtées, même en granit…

• 32 Bonnet, Philippe et Rioult, Jean-Jacques, Bretagne gothique…, op. cit., p. 253-257.

11Au xv^e siècle, la Bretagne jouit d’une période de paix propice à la reprise architecturale, à un moment où le contexte historique est sans nul doute beaucoup plus difficile et conflictuel en Limousin. Le mécénat très politique des nouveaux ducs de la maison Montfort, suivis par leur proche entourage, semble avoir favorisé une apparition précoce des formes flamboyantes : on les aperçoit, encore discrètes, dans le réseau de la maîtresse-vitre de la chapelle Saint-Jacques de Merléac (Côtes-d’Armor). Sa construction est entreprise dans les dernières années du xiv^e siècle sur les terres du vicomte de Rohan, dont les armes sont omniprésentes dans l’édifice32. La grande baie occidentale, datée de 1402 par une inscription dans sa partie basse, présente des dessins en accolades dans son réseau, caractéristiques du vocabulaire flamboyant, et un profil en « flacon » des bases qui se répand tout au long du xv^e siècle dans la région.

• 33 Kerhervé, Jean, « Art, politique et société : les vitraux anciens de la cathédrale », (...)
• 34 Voir notamment Guillouët, Jean-Marie, Les portails de la cathédrale de Nantes : un (...)
• 35 Boccard, Michèle, « Locronan, église Saint-Ronan », dans Congrès archéologique de (...)
• 36 Rioult, Jean-Jacques, « Plonévez-du-Faou, chapelle Saint-Herbot », dans Congrès archéologi (...)

12En 1424, le duc de Bretagne Jean V initie le chantier de la façade occidentale de la cathédrale de Quimper (fig. 6), conçue comme un véritable manifeste de son pouvoir : au-dessus du portail, les armes de Jean V et de sa femme Jeanne de France sont entourées de celles de leurs principaux vassaux33. Entre les deux tours, une statue équestre du mythique roi Gradlon inscrit le nouveau duc dans la descendance directe des grands rois de Bretagne. Ce faisant, le duc rappelle tout à la fois son implication dans le financement du chantier, sa puissance politique et la légitimité de sa lignée. Alors que son installation sur le trône de Bretagne est encore contestée par les héritiers de Charles de Blois, la reprise du chantier de Quimper par la façade avec son programme héraldique n’est pas un hasard. La partie basse de la façade est sans doute achevée vers 1434, moment où Jean V lance un autre grand chantier de son règne, celui de la cathédrale de Nantes34. Le portail des Baptêmes, au nord, est en place avant 1459, signe que la construction se poursuit progressivement, d’ouest en est, par enveloppement de l’ancienne nef romane, pour rallier le chœur rayonnant. Le chantier des parties occidentales de la cathédrale illustre bien l’ambition politique de Jean V : l’unique portail occidental dissimule une nef à cinq vaisseaux, et est appuyé par les deux portails latéraux percés dans les murs gouttereaux nord et sud. Le vocabulaire flamboyant est bien présent : mouchettes, accolades, pinacles hérissés de fleurons sont associés à d’autres motifs porteurs d’avenir, comme les petits arcs en mitre qui ornent le sommet des tours : ils se diffuseront très vite sur les chantiers cornouaillais, comme l’église paroissiale de Locronan35, ou la grande chapelle Saint-Herbot en Plonévez-du-Faou36.

• 37 Sotin, Aziliz, L’église de Kernascléden (Morbihan) et sa place dans l’architecture du xv^e (...)
• 38 Sotin, Aziliz, L’église Notre-Dame du Folgoët, un grand chantier breton de Jean V, (...)

13À Locronan justement, la construction patronnée là encore par Jean V est contemporaine du chantier quimpérois (fig. 7). En 1424, année même où s’ouvre le chantier de la façade de la cathédrale, le duc fait don de 50 écus d’or pour « l’édifice du pignon dudit lieu ». La famille ducale a, jusqu’à la duchesse Anne, toujours manifesté un intérêt particulier pour le sanctuaire de saint Ronan : on l’implorait pour assurer la pérennité de la lignée, une question qui va vite s’avérer cruciale pour les Montfort. Les parties orientales de l’église sont sans doute achevées vers 1479, moment où l’on commence la construction de la chapelle sud, dite du Pénity, qui passe pour avoir été édifiée à l’emplacement de l’oratoire du saint ermite. L’aspect le plus marquant de l’édifice, outre l’usage de retombées en pénétration directe dans les piles, est l’uniformité du voûtement sur croisées d’ogives enrichies de liernes. On l’a dit, le choix d’un voûtement en pierre a très tôt été mis de côté en Bretagne, où on le réserve aux chantiers les plus importants. Son utilisation à Locronan témoigne à lui seul du prestige que les ducs ont voulu imprimer à l’édifice, un prestige passant par le soin accordé à la qualité de la construction plus que par les dimensions, modestes, ou par l’originalité du parti architectural. C’est la même démarche que l’on retrouve à la chapelle de Kernascléden, dans l’actuel Morbihan, construite entre 1430 et 1464 environ : on y observe le même type de piles rondes cantonnées qu’à Locronan, le même emploi d’arcades à pénétration directe ou de voûtes d’ogives agrémentées de nervures transversales37. Ici, le chantier doit à la fois aux libéralités du duc et à celles des vicomtes de Rohan, sur les terres desquels la chapelle était édifiée. L’impulsion donnée par les ducs Montfort, à Quimper, Nantes, Locronan ou bien encore au Folgoët38, dans le nord du Finistère, se répercute donc très vite sur l’ensemble des chantiers patronnés par la haute aristocratie bretonne, suivie de près par la petite noblesse rurale et la bourgeoisie urbaine.

• 39 Arch. dép. du Finistère, 150 G et 151 G.
• 40 Boccard, Michèle L’architecture religieuse de la fin du Moyen Âge entre Léon et Trégor. Ét (...)
• 41 Sur l’art flamboyant en France, nous renvoyons à Hamon, Étienne, « L’architecture flamboyan (...)

14En effet, la Bretagne, et en particulier la Basse Bretagne, c’est-à-dire sa partie occidentale, se couvre d’une multitude d’églises paroissiales et de chapelles dans le dernier tiers du xv^e siècle. Les destructions liées à la guerre de Succession ont laissé des séquelles, mais cette fièvre constructrice va sans doute bien au-delà des simples besoins de remise en état du patrimoine existant. Si les églises paroissiales sont rarement des constructions ex nihilo, de nombreuses chapelles voient le jour, qu’il s’agisse de fondations votives, d’oratoires implantés par des familles nobles sur leurs terres, ou de chapelles dites « tréviales », organisées comme des succursales de l’église quand le territoire paroissial est trop vaste. Le rôle des paroissiens prend d’ailleurs, dans la seconde moitié du xv^e siècle, une ampleur tout à fait nouvelle. Les comptes de fabrique des églises de Saint-Melaine et Saint-Mathieu de Morlaix en fournissent un témoignage éclatant39 : dans ces deux églises paroissiales, prieurés, l’une comme l’autre, de Saint-Melaine de Rennes pour la première et de Saint-Mathieu de Fineterre pour la seconde, ni l’abbé, ni le duc, ni le capitaine de ville, ni aucun seigneur noble ne peut prétendre à prendre des décisions concernant les édifices40. À Saint-Melaine, la décision de reconstruire l’ancien sanctuaire, vétuste et trop étroit, est prise en 1490 par la « plus saine et maire part des paroissiens » pour reprendre la formule consacrée, qui n’est d’ailleurs pas propre à la Bretagne. Ce sont les paroissiens, parfois nobles, mais plus souvent riches marchands ou artisans, qui décident seuls, par le biais des procureurs élus de la fabrique, de la marche des travaux. Pour assurer leur financement, les nouvelles chapelles latérales sont cédées aux plus offrants, avec obligation de respecter le tracé des fondations préalablement réalisé. Elles s’inscrivent donc dans un plan d’ensemble décidé par la communauté paroissiale. La prépondérance de la paroisse dans les zones occidentales de la péninsule s’explique en partie par l’éloignement du pouvoir central : les ducs ont rapidement fait le choix d’installer leur cour à Nantes, et la plupart des organes de gouvernement sont rassemblés dans la partie orientale du duché. L’essor économique est un autre facteur essentiel : la fabrication et le commerce des toiles, qu’il s’agisse des créées de Morlaix ou des olonnes de Locronan, contribuent largement à l’enrichissement des centres urbains, comme à celui de leur arrière-pays. C’est dans ce contexte favorable que vont éclore, à la charnière entre Moyen Âge et Renaissance, les enclos paroissiaux comme celui de Guimiliau, sans doute entrepris autour de 1500 sur la base d’une église plus ancienne, ou celui plus tardif (à partir de 1530) de Pleyben. Il est remarquable qu’en l’absence de recherches sur les voûtes en pierre, ce soit sur le décor que s’est reporté l’emploi du nouveau vocabulaire flamboyant : en effet, le granit est un matériau qui se prête mal à la taille fine et à la réalisation des dentelles de pierre que l’on observe sur les monuments les plus caractéristiques de ce style (Saint-Maclou de Rouen, Notre-Dame de Louviers, Saint-Séverin à Paris, pour ne citer que ces exemples emblématiques)41. En Bretagne, et plus particulièrement dans la partie bretonnante, on adapte au matériau les éléments essentiels du flamboyant, en multipliant les jeux de courbes et de contre-courbes dans les réseaux des baies – et les grandes maîtresses-vitres s’y prêtent particulièrement bien – et en enrichissant de fleurons et de choux frisés les accolades des ouvertures à l’extérieur des édifices. On est loin, tout de même, de l’exubérance décorative, et c’est plutôt un parti pris de sobriété et de simplicité qui domine dans l’architecture. N’oublions pas, d’ailleurs, que la disparition du mobilier et d’une grande part du décor intérieur nous prive aujourd’hui de l’esthétique médiévale des édifices.

• 42 Hamon, Étienne, « Limoges, cathédrale Saint-Étienne : la façade nord du transept », (...)
• 43 Cette surenchère emblématique se développe au xv^e siècle au sud de la Loire et en Bretagne, (...)
• 44 Ajoutons que certains éléments des parties hautes de la façade du bras nord appartiennent a (...)

15En Limousin, il est frappant de constater que le vocabulaire flamboyant s’exprime, au contraire, essentiellement sur les voûtes des édifices, prolongeant ainsi de manière logique les recherches entreprises dans les siècles précédents. Emploi de liernes et de tiercerons, recours aux clefs pendantes s’ajoutent à la pénétration directe des nervures dans les piles et aux réseaux à mouchettes et soufflets qui caractérisent, sur le plan décoratif, ce nouveau courant. Mais, alors qu’il fait très tôt son apparition en Bretagne, dès le début du xv^e siècle, il faut attendre les années 1450 pour le voir apparaître en Limousin. Le principal chantier de la période est celui qui s’ouvre à la cathédrale de Limoges vers 1473, en particulier pour la construction de la façade septentrionale du transept42. Les campagnes flamboyantes y concernent les deux travées orientales de la nef (les autres appartiennent à une campagne néo-gothique du xix^e siècle), et la reprise des bras du transept, en particulier celui du nord, dont la façade, dite portail Saint-Jean, est tournée vers la ville (fig. 8). Dans la nef, on remarque une volonté d’assurer une continuité visuelle avec le chantier rayonnant du chœur : le nouveau vocabulaire ne s’exprime qu’au travers de l’usage des courbes et contre-courbes des réseaux des baies, ou des bases prismatiques des meneaux. Rien n’y annonce l’exubérance de la façade septentrionale, dont la composition est d’une grande subtilité. On sait que la décision de prolonger l’œuvre gothique vers l’ouest, et donc de remplacer la nef romane, est prise vers le milieu du xv^e siècle. Les travées orientales de la nef sont datées par les blasons des évêques de la famille Barton de Montbas, entre 1457 et 151043. Financées essentiellement par le chapitre et par la création de nouvelles confréries, leur construction est achevée peu avant 1500. Quant au portail Saint-Jean, il porte les armoiries de Philippe de Montmorency (évêque de 1516 à 1519) et Charles Villiers de l’Isle-Adam (1522-1530). Les angles sont striés de lignes verticales, créant un effet de harpe, appuyé à l’ouest par la présence d’une tourelle d’escalier en encorbellement. Aujourd’hui, les niches sont vidées de leurs sculptures, ce qui modifie considérablement l’aspect de cette façade, où ne subsistent plus que les jeux des lignes architecturales : le gâble du portail est traité sous la forme d’une fine accolade dont la pointe, très aiguë, monte jusqu’à la rose. Ce faisant, il passe devant un niveau aveugle de niches et un passage mural dont les arcs surbaissés sont coiffés de leur propre petite accolade et reliés au motif central. Les différents plans, bien hiérarchisés, se rejoignent de façon très subtile et font oublier l’épaisseur du mur. Au-dessus, un niveau de petites lancettes sert de base à la rose, inscrite dans un losange, en raison de l’étroitesse du transept. Cette rose est elle-même installée au fond d’une profonde arcade qui sert de soutien à la galerie de circulation passant devant le pignon. La finesse des sculptures et des moulures, la maîtrise des jeux graphiques qui tendant à dissimuler la structure pourtant massive de cette façade l’inscrivent parmi les grandes créations flamboyantes françaises. L’appartenance des deux évêques à des grandes familles de l’entourage royal n’est peut-être pas étrangère à l’introduction de ces formes flamboyantes sur l’étroite façade nord du transept, tournée vers la ville et utilisée comme entrée principale de la cathédrale pour les fidèles. Pourtant, la documentation laisse entendre que le chantier est interrompu dès les années 1540 : les travées orientales sont alors fermées par un mur, laissant la vieille nef romane en partie debout. Elle ne fut remplacée qu’à partir de 1876 par l’actuelle construction néo-gothique44.

• 45 Andrault-Schmitt, Claude, Limousin gothique…, op. cit., p. 395-400, et du même auteur, (...)

16La plupart des autres chantiers flamboyants de la région ne montrent pas le même degré de raffinement, et témoignent plutôt d’un attachement aux formules éprouvées des siècles précédents. Eu égard au contexte politique troublé, les grands chantiers sont d’ailleurs relativement peu nombreux à être lancés. À Saint-Martin d’Ussel, église paroissiale, dont le chevet plat et le transept appartiennent au xiii^e siècle, l’édifice est agrandi à la demande des paroissiens à partir de 1498 par l’adjonction de bas-côtés45. Mais le comte de Ventadour, seigneur du lieu, qui n’a visiblement pas été consulté, s’oppose au chantier et obtient son interruption. Seul le collatéral sud est alors construit, entre 1498 et 1500, et montre une fidélité aux formes rayonnantes du siècle précédent. Au nord, une clef de voûte portant un mi-parti Ventadour-Beaufort montre qu’un accord a été trouvé et que le chantier a repris, entre 1500 et 1506, cette fois avec l’appui comtal : le recours aux voûtes à liernes et tiercerons montre l’intervention d’artistes mieux formés et donc de moyens financiers plus importants. Ce faisant, le chantier s’oriente vers le vocabulaire ornemental en vogue, avec, par exemple, la présence de courbes et de contre-courbes dans les réseaux des baies.

• 46 Andrault-Schmitt, Claude, Limousin gothique…, op. cit., p. 187-192.
• 47 Ibidem, p. 180-186.
• 48 Un acte daté d’avril 1477 évoque la destruction du clocher et des parties occidentales de l (...)

17À Felletin, deux chantiers illustrent l’aisance économique de la ville, liée à la production de tapisseries. Notre-Dame-du-Château, succursale de paroisse, est une création ex nihilo lancée à partir de 147846. Le parti architectural renvoie aux édifices méridionaux : ample nef unique, chapelles latérales entre les contreforts et chevet à pans. L’homogénéité de la construction illustre bien un chantier rapidement mené, bénéficiant de gros moyens financiers. À la différence de ce qui se pratique en Bretagne à la même époque (où l’on opte pour des chapelles latérales bien lisibles depuis l’extérieur grâce à des files de pignons et des toitures indépendantes), à Felletin, les volumes sont largement intégrés les uns aux autres : les toitures des chapelles sont réunies à celle du vaisseau central. L’église du Moutier, quant à elle, appartient pour partie à un ancien monastère fondé vers 112047. Le chœur et le bras sud du transept appartiennent encore au xii^e siècle. En revanche, la nef, le clocher et le bras nord témoignent d’une campagne flamboyante ouverte dans la seconde moitié du xv^e siècle 48. Le clocher (fig. 9) est particulièrement intéressant, surtout pour qui est habitué aux grandes tours bretonnes : les trois niveaux principaux se superposent sans retrait, et sont couronnés par une balustrade à réseau formé de motifs trilobés allongés, très différents des mouchettes que l’on rencontre sur les balustrades bretonnes.

• 49 Rapin, Thomas, « Saint-Junien, chapelle Notre-Dame-du-Pont : le mécénat royal au s (...)

18Évoquons pour finir la chapelle Notre-Dame-du-Pont en Saint-Junien, chapelle votive dont le chœur est reconstruit en 1451, et la nef dans les années 1460, probablement grâce aux libéralités du roi Louis XI qui s’y rend par deux fois, en 1463 et 1465, et y fait un don important en 147049. Suivi par les seigneurs locaux et soutenu par le chapitre de Saint-Junien, le chantier se poursuivit jusque vers 1490. L’extérieur laisse peu présager de l’organisation intérieure, avec ses trois vaisseaux de même hauteur, un parti d’église-halle recouvert d’un voûtement quadripartite généralisé que l’on observe quelques décennies plus tôt à l’église paroissiale Saint-Michel-des-Lions, à Limoges, et qui a connu un réel succès en Limousin durant toute la période gothique. L’implantation régulière des piles, leur stéréotomie raffinée, trahissent l’origine prestigieuse de la commande. Ces piles, pourvues de chapiteaux réduits à un discret bandeau feuillagé, reçoivent les nervures en faisceau des voûtes, dont les clefs sont particulièrement ouvragées dans le vaisseau central et portent pour certaines les armoiries de la famille royale. L’élément le plus flamboyant de l’édifice est finalement son portail occidental (fig. 10), encadré par deux contreforts droits sommés de niches qui accueillaient les statues du roi et de la reine sous des dais en calcaire, selon un schéma iconographique bien connu du milieu royal depuis le règne de Charles V. On y observe le même vocabulaire de choux frisés et de fleurons ornant l’archivolte en accolade que l’on retrouve aussi en Bretagne à la même époque. Surtout, il apparaît que les choix formels effectués sur ce chantier ne relèvent probablement pas de la volonté royale : l’intervention de Louis XI s’est limitée à faire œuvre de piété par le biais de dons plusieurs fois répétés. Seul le programme iconographique (statues de la façade et clefs de voûte à l’intérieur) vient rappeler son intérêt pour le sanctuaire.