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Le pré dans l’économie agraire bas-bretonne au xviiie siècle. Aménagements hydrauliques et spéculations foncières

The meadow in the agrarian economy of Lower Brittany in the 18th century. Hydraulic installations and land speculation
Isabelle Guégan
p. 55-78

Résumés

En Basse-Bretagne, sous l’Ancien Régime, les paysans avaient pour habitude d’irriguer leurs prés. La pratique est attestée dans les documents relatifs au domaine congéable mais aussi dans les dictionnaires breton-français. L’eau était prélevée dans un petit cours d’eau situé en contrebas et amenée sur la parcelle de terre à irriguer par des canaux. De nombreux chenaux creusés dans la parcelle à irriguer permettaient ensuite à l’eau de dévaler la pente lentement. En apportant des éléments nutritifs à la terre, l’eau favorisait une pousse de l’herbe plus rapide et plus drue. Le paysan pouvait ainsi obtenir deux coupes de foin dans l’année et nourrir son bétail pendant la morte saison. Régulièrement les tribunaux bretons étaient confrontés à des conflits entre paysans portant sur des détournements de l’eau permettant d’irriguer les prés. Les ventes à réméré montrent des paysans impécunieux contraints de se séparer de ces prés irrigués pour sortir de leur endettement en faveur de riches domaniers.

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Entrées d’index

Chronologie :

XVIIIe siècle

Noms de lieux :

Basse-Bretagne
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Texte intégral

  • 1 Serres, Olivier de, Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Paris, 1600, rééd. Actes Sud, (...)
  • 2 Ibid., p. 389-401.
  • 3 Antoine, Annie, « Prés, prairies et pâturages dans les systèmes agraires de la France de l’Ouest à (...)
  • 4 Antoine, Annie, « Prés, prairies et pâturage… », op. cit., p. 207.

1En Basse-Bretagne, sous l’Ancien Régime, prés et prairies tenaient une place importante dans l’économie agraire. Fortune, ingéniosité mais aussi malice étaient dans le pré tant celui-ci faisait l’objet d’attention et de soins de la part des paysans soucieux de procurer de l’herbe et du foin à leurs bestiaux. Cette réalité n’était pas propre à la Bretagne car, dans son Théâtre d’agriculture et mesnage des champs publié au tout début du xviie siècle, l’agronome Olivier de Serres affirmait que « parmi les bonnes gens de village, le pré clos est dict la pièce glorieuse du domaine1 ». Il poursuivait en expliquant que le pré ne nécessitait qu’une mise de fond limitée mais qu’il demandait de nombreux travaux. Surtout, Olivier de Serres soulignait que « le pré est toujours prêt à rendre service2 ». En effet, l’herbe et le foin sont les principales subsistances des animaux. Toutefois, en Bretagne, les bovins, chevaux ou moutons trouvaient une partie de leur pitance sur les landes et, comme l’explique Annie Antoine, « les bovins mangent du foin de prairie mais ils mangent quantité d’autres choses » car il existait nombre de fourrages supplétifs, à commencer par l’ajonc broyé3. Le paysan consacrait plusieurs parcelles de terre aux prés et prairies. D’ailleurs, la prairie d’Ancien Régime relevait à la fois de l’inculte et de la terre cultivée car « comme les terres cultivées elle fait l’objet de soins importants, comme l’inculte, elle est peuplée d’espèces spontanées et elle sert à l’alimentation du bétail4 ».

  • 5 Beaulieu, François De, « Les prés irrigués. Un siècle d’agriculture moderne », Ar Men, no 46, octo (...)
  • 6 La longue bibliographie figurant à la fin de l’article de Patrick Fournier en donne les titres pri (...)
  • 7 Young, Arthur, Voyages en France : 1787, 1788, 1789, Paris, Colin, 1976.
  • 8 Ibid.
  • 9 Corps d’observation de la société d’Agriculture du commerce et des arts établie par les États de B (...)
  • 10 Il s’agit dans ce cas d’eau de ruissellement qui pouvaient en effet être chargées des matières liq (...)
  • 11 Cambry, Jacques, Voyage dans le Finistère ou état de ce département en 1794 et 1795, Rennes, Press (...)
  • 12 Limon, Jean-Marie, Usages et règlements locaux en usage dans le Finistère, Quimper, Lion, 1852, p. (...)
  • 13 Sée, Henri, Les classes rurales en Bretagne du xvie siècle à la Révolution, Paris, Giard et Brière (...)

2Peu d’études ont porté sur les prés en Bretagne5 alors que ce thème a donné matière à des colloques et publications dans d’autres régions, surtout situées dans la France du Sud et les pays méditerranéens (Espagne, Portugal, Italie notamment6) où l’eau était un problème plus crucial qu’en Basse-Bretagne. Lors de son périple en France, l’agronome anglais Arthur Young avait été frappé par l’ingéniosité des paysans du Limousin qui irriguaient leurs prés par gravitation à l’aide de petites rigoles7. Il n’avait rien vu de tel en Bretagne et y déplorait la présence de landes à perte de vue8. La Société d’agriculture de Bretagne, créée en 1757, regrettait que les paysans bretons ignorent l’irrigation des prés et préconisait la création de prairies artificielles où l’on sèmerait de la luzerne, du trèfle et du sainfoin9. Parcourant le Finistère au cours de la Révolution, Jacques Cambry ne mentionnait aucun pré irrigué. Pourtant, dans le district de Morlaix, il indiquait que « les prairies y sont bonnes ; il en est qui donnent trois récoltes par an, deux en verd, une en foin ». Il précisait cependant qu’on épandait sur ces prairies l’eau qui s’écoulait des fumiers10, sans donner plus de détails11. Près de 50 ans plus tard, Jean-Marie Limon, pourtant très bon connaisseur des usages locaux dans le Finistère, regrettait que les cultivateurs aient été totalement ignorants des ressources qu’ils pourraient tirer de l’eau pour fertiliser leurs prés12. Même l’historien Henri Sée regrettait que les paysans n’aient pas su tirer profit d’excellentes conditions naturelles : « Les prairies naturelles sont très mal soignées13. » Sans doute aveuglés par le topos qui faisait du paysan bas-breton un homme routinier, voire arriéré, ces hommes n’avaient aucune idée de la manière dont les paysans savaient tirer parti des ressources naturelles mises à leur disposition pour améliorer le rendement de leurs prés.

  • 14 Poncet, Fabrice, Les beurres d’Isigny. Aux origines d’une Normandie laitière (xviie-xixe siècles), (...)
  • 15 Il en était ainsi dans la région de Redon avant l’assèchement des marais (Scuiller, Sklaerenn, « P (...)

3Ce désintérêt pour les prés en Bretagne s’explique notamment par le fait qu’il n’y a pas eu dans la région d’opération de grande envergure comme le couchage en herbe tel que cela s’est produit dans la Normandie voisine au xviiie siècle où d’importantes surfaces de terre autrefois dévolues aux bleds ont été consacrées exclusivement à l’herbe, permettant d’élever des bovins, et notamment des vaches laitières, en plus grand nombre et d’intensifier ainsi la production du beurre vendu sur les marchés parisiens14. Toutefois, lors du colloque de Flaran en 2006, Daniel Pichot et Annie Antoine ont abordé la question des prés et prairies dans les régions de l’Ouest de la France et souligné à la fois leur ancienneté dans les pratiques agraires et la place importante qu’ils tenaient dans une région dite de « petite culture » où prédominait un usage extensif des terres (importance des landes) qui avait cependant l’avantage de permettre à la fois de produire des céréales et d’élever du bétail. Si certaines prairies étaient d’usage collectif15, notamment en bordure des rivières, lorsque des prés étaient insérés dans des tenues appartenant à des particuliers, ils étaient l’objet d’un usage strictement privé.

  • 16 Un bon pré nécessite un sol assez épais et frais.
  • 17 Toutefois, le juriste Limon distingue deux types de prairies en Bretagne ; les prairies hautes son (...)
  • 18 L’année 1785 fut une catastrophe sans égale en Bretagne du fait de la sécheresse et obligea de nom (...)
  • 19 Expression empruntée à Patrick Fournier, « Les leçons d’une hydro-histoire : quelques pistes de ré (...)
  • 20 Guégan, Isabelle, Rapport à la terre, conflits et hiérarchie sociales en Basse-Bretagne au xviiie  (...)
  • 21 Le Calvé, Jacqueline, « Patrimoine rural et vie paysanne en vallée du Scorff », Bulletin de la soc (...)

4Le climat océanique et la pluviométrie abondante de la Bretagne favorisent naturellement la croissance de l’herbe mais il n’en demeure pas moins que les hommes ont su tirer profit à la fois du climat, du terroir16 et d’un savoir-faire transmis de génération en génération pour favoriser la pousse de l’herbe. L’existence des prés en Basse-Bretagne est liée à celle de nombreux petits cours d’eau tant la présence de l’eau constitue la condition sine qua non d’une pousse drue de l’herbe et la garantie de bonnes fenaisons17. Comme le dit l’adage « avec de l’eau on fait du foin ». Ceci explique la situation géographique des prés : ils sont situés en fond de vallée, à proximité d’un cours d’eau, d’un petit ruisseau de préférence. Un simple ru suffit pour irriguer la parcelle située en contrebas. À une époque où l’alimentation des animaux est toujours un problème18, produire du foin permet de nourrir le bétail en hiver quand la pousse de l’herbe est faible. Pour autant, réaliser une « hydro-histoire19 » de la Bretagne n’est pas tâche aisée : les allusions aux pratiques d’irrigation des prés sont dispersées dans de nombreux fonds d’archives, ce qui rend la présence des prés et l’étude de leurs usages difficiles à saisir et fait qu’ils sont passés sous silence dans la plupart des études rurales portant sur la Bretagne. Lors de la préparation d’une thèse sur le domaine congéable dans la subdélégation de Quimperlé au xviiie siècle20, c’est de manière tout à fait incidente que nous avons découvert des allusions aux prés et prairies. Les mentions d’« aqueducs » dans les prés ne manquaient pas de nous surprendre. L’étymologie du mot « aqueduc » signifie conduire l’eau. Pour autant, il peut y avoir deux usages totalement opposés de l’eau. Ces aqueducs désignaient-ils des rigoles ou saignées permettant de drainer des parcelles trop humides et donc de conduire l’eau en dehors des parcelles de terre ? ou, au contraire, servaient-ils à apporter ou faire circuler l’eau dans le pré ? Une partie de la réponse à ces interrogations se trouvait dans un article rédigé par Jacqueline Le Calvé, dans lequel elle expliquait que, à l’initiative du syndicat du bassin du Scorff, les recherches archéologiques menées par Daniel Tanguy et son équipe à Plouay (Morbihan) avaient permis de remettre en état des canaux d’irrigation en bordure du Scorff21.

Figure 1 – Canaux d'irrigation après remise en état

Figure 1 – Canaux d'irrigation après remise en état

Cliché : Daniel Tanguy, 2008

5De fil en aiguille, nous avons compris que les prés tenaient une place particulière dans l’organisation agraire en Basse-Bretagne, notamment parce qu’ils faisaient l’objet d’aménagements hydrauliques. Ces aqueducs et rigoles favorisaient une pousse rapide de l’herbe et entraînaient également une réelle spéculation foncière sur les prés de la part des paysans bas-bretons. Ressource convoitée, l’eau du ru pouvait également engendrer bien des conflits entre paysans, ce dont témoignent maintes procédures judiciaires. Pour le comprendre, nous avons mené un véritable jeu de piste à travers les archives et dictionnaires pour découvrir la réalité et la fonction des prés.

À la recherche du pré irrigué dans les archives et dictionnaires

Du droit à la pratique

  • 22 Les métairies ne laissent pas le même type de sources à la disposition du chercheur et il est donc (...)
  • 23 Il en existe quatre, correspondant à de grandes régions : la Cornouaille, le Trégor-Goëllo, le Bro (...)

6Les sources concernant le domaine congéable permettent une première rencontre avec les prés. Système de location des terres le plus répandu en Basse-Bretagne sous l’Ancien Régime, le domaine congéable concerne la majorité des paysans ayant accès à la terre, qu’ils soient domaniers ou sous-fermiers des tenues, même s’il existe aussi, mais en moins grand nombre, des censives ou métairies22. Ce système d’amodiation des terres se caractérise par une double propriété de la tenue appelée le convenant. Le seigneur foncier, souvent un noble, possède la terre alors que le convenancier (le plus souvent, il s’agit d’un paysan) possède en pleine propriété les édifices et superfices, c’est-à-dire tout ce qui repose au-dessus de la terre ou du fonds et qui résulte de son travail sur la tenue, comme les bâtiments (maisons, granges, crèches), les talus, certains arbres de peu de valeur, les arbres fruitiers mais aussi les aménagements tels que ceux des prairies. Au terme de la baillée (i.e. le bail), le seigneur foncier peut congédier le domanier après lui avoir remboursé la valeur de ses édifices et superfices estimés par experts. Qualifiés de droits réparatoires, ils compensent le préjudice subi par le colon et doivent, en principe, lui permettre de retrouver une nouvelle tenue. Le domaine congéable est défini par des usements locaux qui n’ont jamais été insérés dans la coutume de Bretagne mais qui ont force de loi23. Dans la région de Quimperlé, l’usement de Cornouaille est en vigueur. L’article IX de cet usement précise que les domaniers ne peuvent construire de maison ou granges sans l’accord de leur seigneur foncier afin de ne pas grever le fonds mais « Bien peuvent sans sa permission faire tous autres édifices utiles et nécessaires comme haies, fossés, vergers, jardins et prairies. »

  • 24 Guégan, Isabelle, « Domaine congéable et habitat rural en Cornouaille au xviiie siècle : enjeux et (...)
  • 25 Baudouin de Maison-Blanche, Jean-Marie, Institutions convenantières ou traité raisonné des domaine (...)

7Grever le fonds signifie augmenter de telle façon la valeur des édifices et superfices que le foncier ne pourrait sans de larges débours congédier son domanier, ce qui entraînerait de facto une quasi-inamovibilité du convenancier, qui pourrait à son gré enrichir sa tenue de constructions diverses pour rendre le remboursement trop onéreux au foncier. À cette règle selon laquelle il est interdit de grever le fonds, il a parfois été reproché d’induire une certaine stagnation de l’agriculture bretonne. Il n’en est rien puisque cette règle ne concerne que ce qui est jugé luxueux ou inutile, comme une belle maison ou une grange trop grande24. Les aménagements purement agraires qui accroissent la valeur du fonds sont autorisés, voire encouragés. Comme l’article IX l’indique, il est permis au convenancier d’aménager des prairies et d’y construire des canaux d’irrigation. Dans son commentaire de l’usement de Tréguier, Jean-Marie Baudouin de Maison-Blanche précise que « les améliorations permises sont celles qui tendent à l’entretien ou la restauration de la tenue dans son ancien état ou à la fertilisation25 ».

  • 26 Celles-ci dérogent à l’interdit émis par l’usement.
  • 27 Arch. dép. du Finistère, 5 H, abbaye Sainte-Croix de Quimperlé ; 7 H, abbaye Saint-Maurice à Cloha (...)

8Or, l’irrigation des prés contribue à la fertilisation de la parcelle de terre. Par conséquent, les aménagements tels que les rigoles d’irrigation qui permettent d’améliorer les rendements des prés sont autorisés aux convenanciers, voire encouragés, car l’augmentation des rendements qui en découle permet au foncier de réclamer une rente plus importante. Ces aménagements qui majorent pourtant la valeur du fonds ne sont jamais punis. Les baillées accordées par l’abbaye Sainte-Croix de Quimperlé ou l’abbaye Saint-Maurice de Clohars-Carnoët au xviiie siècle ne portent aucune interdiction portant sur l’aménagement des prés alors qu’il est fait mention de permissions26 accordées aux domaniers pour édifier des fossés (i.e. talus) par exemple27.

  • 28 Évaluation des améliorations apportées au fonds par le domanier.
  • 29 Depuis l’édit de Moulins (1566), les rivières et fleuves relèvent du domaine de la couronne, sauf (...)
  • 30 C’est-à-dire lorsqu’ils sont encore sur pied.
  • 31 Le Guével, Maurice, Commentaire sur l’usement de Rohan, Rennes, Vatar, 1786, p. 89.

9Au terme de la baillée, le seigneur foncier peut congédier son domanier. Le prisage et mesurage des édifices et superfices28 permet de déterminer au denier près quelle somme doit être remboursée au domanier pour le dédommager du préjudice qu’il subit lors de son expulsion. Lors de la prisée, les experts indiquent dans le détail ce qui revient au convenancier congédié et résulte de son travail : bâtiments, talus, engrais, aménagements divers tels que les « aqueducs », mais aussi récoltes, telles que l’herbe. Commentant l’usement de Rohan, Maurice Le Guével précise que peuvent être remboursés au titre des édifices et superfices les fontaines, les cours d’eau29, c’est-à-dire les rigoles et aqueducs : « La superficie des prairies et même les foins s’ils sont encore pendans par racines30, les frais du premier défrichement des terres labourables et ce qu’il a pu coûter pour mettre un pré en valeur31. »

  • 32 Baudouin de Maison-Blanche, Jean-Marie, Institutions convenantières…, op. cit.

10Baudouin de Maison-Blanche affirmait que si le fonds n’entre pas au prisage, tel n’est pas le cas des prés car « le tissu, la superficie durable d’une prairie n’est certainement pas l’ouvrage de la nature seule : outre les canaux et les seignées [sic], il a ordinairement exigé des travaux pour aplanir, mettre en pente la surface du terrain, des frais pour arracher les herbes nuisibles. Je pense que le tissu permanent des prairies doit être estimé en tant qu’il a été amélioré par l’art, de manière que le colon soit remboursé de ses améliorations utiles sur le fond32 ».

  • 33 En Bretagne, sous l’Ancien Régime, le journal équivaut à un demi-hectare ou 80 cordes.
  • 34 Arch. dép. du Finistère, 19 B 106, juridiction de la baronnie de Quimerch. Prisage et mesurage, Ba (...)

11Ainsi, lors de la prisée des édifices d’une tenue située au bourg de Baye (dép. actuel du Finistère) en juin 1751, le greffier a noté la valeur d’un pré : « sur une prée fauchable nommé prat er steo 29 cordes33 d’édifices au cerne fors du midy pris avec les bois enlevables, voye d’eau, acqueduc et herbage, 82 livres 5 sols34. »

  • 35 Expression due à Le Floch, Vincent, « Le régime foncier et son application pratique dans le cadre (...)
  • 36 Guégan, Isabelle, Rapport à la terre, conflits…, op. cit., chapitre ix : Sous-fermage et bail à ch (...)
  • 37 Arch. dép. du Finistère, 4 E 231, art. 70, minutes de maître Benoît Louis Le Rumain, notaire à Que (...)

12Par ailleurs, les domaniers les plus aisés peuvent posséder plusieurs tenues dont l’une est sous-louée à un individu qu’il est d’usage de nommer le sous-fermier35. Lorsqu’il afferme sa tenue, le convenancier fait reposer les contraintes du domaine congéable sur le sous-fermier et lui impose des conditions parfois rigoureuses pour cultiver la terre36. Tous ces arrangements autour de la terre produisent des archives assez explicites en ce qui concerne les prés et leurs usages. Dans les baux signés entre domaniers et sous-fermiers, ces derniers s’engagent à clore leurs prés au début du printemps et à les mettre en eau. Cette clause rituelle permet au convenancier soit de récupérer sa tenue à la fin du bail, soit de trouver un nouveau preneur qui aura, à son entrée dans le convenant, l’assurance d’une récolte de foin pour nourrir son bétail. Il est donc logique de protéger la pousse de l’herbe de la dent des bestiaux et d’empêcher ceux-ci d’entrer dans le pré. Dans le bail de cinq ans signé le 12 avril 1773 entre Alain Le Flécher, bailleur, et Pierre Droualen, preneur pour une tenue située aux villages de Kermeas et Manaty à Querrien, il est précisé que Pierre Droualen : « Fera les foins cette année et sera exempté de faire à la dernière année. [Sera tenu] de clore les prés et y mettra les eaux accoutumées au premier mars de la dernière année sans pouvoir les faire pâturer37. » Si cette clause est imposée aux sous-fermiers, il est évident que les convenanciers eux-mêmes observent cette pratique de mettre les prés en eaux comme l’atteste le proverbe :

  • 38 « À la saint Guénolé (3 mars), on doit retirer les bœufs des prés ». Proverbe cité par : Limon, Je (...)

Da goël sans Guénolé
Stanka ar foennoc euz ar c’holé
38.

  • 39 Ce sont les fossés qui permettent de déterminer la superficie des parcelles de terre.
  • 40 Soit une valeur de 12 livres 10 sols, c’est à dire l’équivalent du prix de deux veaux de l’année o (...)

13La présence de prés est également visible dans les déclarations pour le vingtième, rendues en 1751. Cette imposition portant sur les propriétés foncières concerne à la fois les seigneurs fonciers (pour le fonds) et les domaniers car ces derniers sont propriétaires de leurs édifices et superfices39, dont ils doivent déclarer la contenance et l’utilisation des terres. Jean Nadan, riche convenancier du village de Voennec à Querrien, déclare : « qu’il possède avec ses consorts une portion dudit village consistant en 12 journaux de terre chaude et six journaux de terre froide et en deux journaux et demy sous prés […]. Les deux journaux et demy sous prés peuvent produire par commune année cinq milliers de foin à 50 sols le millier40. »

  • 41 Arch. dép. du Finistère, 3 C 28, déclarations pour le vingtième, Querrien.
  • 42 L’indication du nombre de charretées de foin est claire pour les agents qui contrôlent les déclara (...)

14Le vingtième est également dû par les tenanciers de censives. Lorsqu’elle déclare une censive au village de Coaternin à Querrien, Françoise Le Pérec précise qu’elle se compose d’« une maison et crèches et treize champs terre chaude contenant huit journaux trois prairies contenant deux journaux et quart qui produisent au plus huit chartés communes ou six milliers de foins et trois journaux sous terre froide41 ». La déclaration de Françoise Le Pérec est plus explicite que celle de son voisin Jean Nadan car elle évalue le nombre de charretées de foin que produisent ses prés42. Les rendements sont donc assez faibles mais, comme il s’agit d’une déclaration fiscale, on peut supposer qu’elle sait aussi pratiquer la « dissimulation fiscale » et que sa tenue a un rendement supérieur. Surtout, il convient de prendre en compte le fait qu’un pré irrigué fournit à la fois de l’herbe que les animaux peuvent pâturer et une coupe ou deux de foin.

Le pré vu par les lexicographes bretons

  • 43 Calvez, Ronan, « Les mots et les causes. Du Dictionnaire de Coëtanlem », La Bretagne linguistique, (...)
  • 44 Bibl. mun. de Brest, Ms 200. Dictionnaire de Coëtanlem, tome VI, p. 898.
  • 45 Rostrenen, Grégoire de, Dictionnaire français, celtique ou français breton, Guingamp, Jollivet, 18 (...)
  • 46 Idem, p. 260.
  • 47 Le Gonidec, Jean-François, Dictionnaire de la langue celto-bretonne, Angoulème, Trémeau, 1821.

15Les dictionnaires bretons-français donnent quelques informations supplémentaires sur les prés. Le plus volumineux et complet est celui de Coëtanlem, rédigé par un noble léonard43 à la fin de l’Ancien Régime et au début du xixe siècle, en huit tomes de 8 834 pages. Le lexicographe décrit parfois avec un luxe de détails les pratiques agraires qu’il a pu observer dans la région de Morlaix. Il donne peu d’indications sur la manière dont sont exploités les prés en Basse-Bretagne mais traduit le terme « rigol » par « petit ruisseau pratiqué par les laboureurs pour conduire l’eau dans les terres qui en ont besoin44 » ; le mot prad désigne une prairie ou un pré et le mot peurvan qualifie un pâturage. Son prédécesseur, Grégoire de Rostrenen (1667-1750) n’est guère plus prolixe en matière de prés mais il indique qu’un aqueduc est « un conduit pour mener les eaux45 ». Ce dernier traduit le mot flouren par « petit pré où l’on coupe de l’herbe fine pour les bestiaux46 ». Plus intéressant, il précise que mettre l’eau sur les prés se dit douara ar prageou. Quant à leur successeur, Jean-François Le Gonidec (1775-1838), il reprend la définition de Grégoire de Rostrenen pour le mot flouren et précise que foenneck désigne une prairie ou terre où croît l’herbe dont on fait le foin47. Comme Grégoire, il fait allusion aux pratiques d’irrigation. L’expression Red eo douara ar foenneck se traduit par « il faut mettre de l’eau sur la prairie ». Les paysans bas-bretons n’ont pas laissé d’écrits sur la manière dont ils entretenaient les prés mais les archives et les dictionnaires pallient en partie cette lacune et attestent bien la réalité des prés irrigués.

Les pratiques d’irrigation des prés

  • 48 Les pratiques d’irrigation des prés ont pu être améliorées en Bretagne après que Louis de Kerjégu, (...)

16Dans la revue Ar Men en 1992, François de Beaulieu a finement décrit les pratiques d’irrigation des prés dans les monts d’Arrée mais il se trompe lorsqu’il affirme que celles-ci datent seulement du début du xixe siècle48. Bien avant cette époque, les paysans bretons savaient comment détourner l’eau pour irriguer une prairie et les techniques mises en œuvre montraient bien leur ingéniosité.

17Le principe de base du pré est de tirer profit du relief et de la présence d’un petit cours d’eau à proximité des parcelles que l’on veut irriguer en y creusant des canaux. À l’initiative du Syndicat du bassin du Scorff, en 2007 et 2008, l’archéologue Daniel Tanguy et son équipe ont remis en état des canaux d’irrigation à Plouay (dép. du Morbihan). Désormais, à proximité d’un chemin de randonnée proche du Scorff, un panneau explique comment fonctionnait l’irrigation de plusieurs prés. En même temps que cette pratique était abandonnée par les agriculteurs, que les structures en pierre des canaux s’étaient éboulées et que la végétation avait pris le dessus, il était nécessaire, dans un souci patrimonial, de rappeler aux promeneurs quels pouvaient être par le passé les différents usages de l’eau. Rédigé par Jacqueline Le Calvé et Daniel Tanguy, ce panneau décrit le dispositif :

  • 49 Le Calvé, Jacqueline, Tanguy, Daniel.

Un canal conducteur (goach, en breton) capte l’eau du ruisseau de Koed Krenn et la conduit vers le haut des prairies bordant le Scorff sur plus de 300 mètres avant de la distribuer par un système très soigné de passes. Une pierre disposée de chant à un niveau plus bas permet le débordement de l’eau tout en l’empêchant de dévaler la pente. De petites rigoles courbes épousant le relief facilitent la distribution de l’eau sur l’ensemble de la surface49.

18Sur ce même panneau (fig. 2), à côté du texte, figure un schéma présentant dans le cercle supérieur un homme qui met en place une ardoise ou un morceau de bois qui permet à l’eau de s’écouler d’un côté ou de l’autre suivant que l’on veut irriguer telle ou telle parcelle. Dans le cercle inférieur, est représenté un homme creusant le canal à l’aide d’un outil qui ressemble à une tranche. En effet, il ne suffit pas de creuser puisqu’il faut aussi couper le gazon à l’aide d’un instrument tranchant.

Figure 2 – Reconstitution du système des prés irrigués en bordure du Scorff (Plouay)

Figure 2 – Reconstitution du système des prés irrigués en bordure du Scorff (Plouay)
  • 50 Beaulieu, François de, « Les prés irrigués. Un siècle d’agriculture moderne », Ar Men, 1992, no 46 (...)
  • 51 Ibid., p. 19.
  • 52 Je tiens à remercier ici Anicet Furic qui m’a fait part de son expérience en matière d’irrigation (...)
  • 53 Elle passe par des filtres.
  • 54 Cette pratique avait des conséquences néfastes car elle favorisait la pousse d’herbes nuisibles au (...)
  • 55 Limon, Jean-Marie, Usages et règlements locaux…, op. cit., p. 282.

19Le schéma montre très bien comment ce système fonctionnait puisque l’eau d’un petit ruisseau qui prend sa source dans la partie haute de la colline est canalisée puis distribuée par des passes. De petites rigoles permettent ensuite à l’eau de dévaler lentement la pente pour irriguer la parcelle de prés. Ces rigoles sont elles-mêmes ramifiées mais, dans chacune d’elles, le courant est freiné par des petits monticules (skoilh) et l’eau déborde d’autant plus lentement qu’elles sont bien « niveauyées » explique François de Beaulieu50. Lorsque la pente est faible, situation fréquente en fond de vallée, le système est perfectionné par un bief qui permet d’aller chercher assez loin de l’eau (celle d’une rivière par exemple). Un canal unique conduit ensuite l’eau sur le haut de la planche ou de l’ardoise puis deux rigoles de drainage situées dans les parties basses récupèrent l’eau pour la redistribuer dans les rigoles d’arrosement51. Le système d’irrigation utilisé encore récemment par Anicet Furic52 à Bannalec ressemble beaucoup à celui présenté par François de Beaulieu puisque l’eau est prélevée dans le ruisseau par un bief, puis passe dans différents bassins où elle est filtrée naturellement par décantation et percolation53. Elle est ensuite acheminée par un fossé ou canal et suit le talus situé en haut de la colline suivant une pente qu’Anicet Furic estime à un 1/1 000e jusqu’à l’autre extrémité de la prairie. Des rigoles permettent à l’eau d’irriguer toute l’étendue de la prairie en contrebas. La lente imprégnation de l’eau dans le sol permet aussi d’éviter les débordements des rivières. Jean-Marie Limon regrettait que les paysans bretons inondent les prés « de façon immodérée54 » et préconisait de ne pas recouvrir le pré de plus d’un pouce d’eau (2,54 cm), et cela pendant quinze à vingt jours, puis de laisser un intervalle de 5 à 6 jours qui permette ainsi au sol de se ressuyer et aux herbes de prendre l’air55.

  • 56 À Kergleuden, Anicet Furic estime qu’il lui faut débroussailler environ 10 ha de terres chaque ann (...)
  • 57 C’est probablement l’une des raisons, parmi d’autres, de l’abandon de ces pratiques aujourd’hui, m (...)

20Outre le creusement et la consolidation des canaux d’irrigation en pierre, les paysans devaient les entretenir avec régularité. Sur des parcelles dont les talus étaient souvent boisés, il fallait veiller à ce que le canal ne soit pas obstrué par des feuilles mortes, d’où la nécessité à l’automne d’ôter ces végétaux et de curer le canal dans lequel de la terre avait pu s’accumuler. Il était également nécessaire de renforcer les structures en pierres56. Enfin, il fallait veiller à déplacer les vannes. L’irrigation des prés nécessitait beaucoup de main-d’œuvre et d’énergie déployée de la part du cultivateur, de ses valets ou des journaliers qu’il employait à cet effet57.

  • 58 L’eau souterraine jaillit à environ 10o et, en hiver, elle est donc plus chaude que la température (...)
  • 59 Celles provenant notamment de tas de fumiers animaux ou végétaux qui étaient entreposés dans les c (...)

21L’ingéniosité mise en œuvre par les cultivateurs produisait un résultat intéressant. Si l’utilité de l’irrigation en période de déficit hydrique (fin du printemps et été) semble évidente, elle l’était tout autant en hiver et au début du printemps, d’autant que les effets produits tout au long de l’année étaient cumulatifs. Les prairies irriguées en hiver permettaient à la surface du sol de ne pas être trop froide, favorisant ainsi un redémarrage précoce de la pousse de l’herbe58. Bien que peu chargée en nitrates, potassium, acide phosphorique, le flux continu de l’eau apportait des éléments minéraux à la terre tout comme elle pouvait aussi transporter les eaux de ruissellement59 vers des parcelles qui en avaient besoin, alors que, si aucun système de canaux et passes n’avait été mis en place, ces eaux auraient directement abouti dans le ruisseau. Le ruissellement des eaux par l‘intermédiaire d’un système ingénieux de rigoles et canaux évitait aussi les phénomènes d’eaux stagnantes dans les prairies car le renouvellement continu de l’eau et l’apport en oxygène favorisaient la reprise de la pousse de l’herbe. Ces pratiques entraînaient des temporalités particulières quant à l’exploitation des prés qu’il fallait clore début mars pour éviter que le piétinement des bestiaux ne rende le sol inégal et donc le passage de la faux laborieux. L’irrigation permettait aux paysans d’envisager plusieurs coupes de foin au printemps alors que, sans apport d’eau, ils n’auraient pu effectuer qu’une coupe. Après la dernière coupe de foin, les prés étaient livrés à la dent des bestiaux.

L’eau, un bien convoité

Des voleurs d’eau

  • 60 Fournier, Patrick, « Les leçons d’une hydro-histoire… », art. cité, p. 4.

22Bien commun, l’eau est un bien très convoité par les paysans. Au xviiie siècle, les parcelles de terre étaient souvent assez dispersées à l’intérieur d’une tenue. Un ru ou ruisseau pouvait passer successivement dans plusieurs parcelles relevant de tenues dont les propriétaires souhaitaient disposer d’un accès privatif à l’eau. Il en résultait des tensions entre voisins, voire des conflits ouverts. Selon Patrick Fournier, « les conflits pour la maîtrise de l’eau sont extrêmement fréquents60 ».

23Aujourd’hui encore dans les villages bretons, certaines personnes âgées ont parfois entendu parler de « voleurs d’eau ». Selon François de Beaulieu, dans les Monts d’Arrée, ces paysans-là, peu aimés de leurs voisins, étaient qualifiés de ki-dour, autrement dit de loutres, car ils aimaient tellement l’eau qu’ils passaient leur temps dedans comme… des loutres. En effet, ces paysans passaient beaucoup de temps dans les prés car ils déplaçaient les planches ou ardoises qui permettaient l’irrigation des prés de leurs voisins. Ils détournaient l’eau à leur profit pour que leur pré soit arrosé et que celui de leur voisin ne le soit pas. Il ne semble pas y avoir eu en Basse-Bretagne d’histoire aussi dramatique que celle subie par le héros du roman de Pagnol, Jean de Florette, qu’un voisin malfaisant avait privé de toute ressource en eau, faisant ainsi péricliter sa plantation d’œillets, l’acculant à la ruine et au désespoir.

  • 61 Nous avons notamment eu recours à ceux des archives départementales des Côtes-d’Armor et un hasard (...)
  • 62 Crépin, Marie-Yvonne, « Le recteur breton et la justice au xviiie siècle », Mémoires de la Société (...)

24Cependant, les inventaires de la série B des archives départementales61 signalent l’existence de maintes procédures judiciaires mettant aux prises deux paysans dont l’un a « volé » l’eau permettant d’irriguer le pré de l’autre. Parfois rocambolesques, ces procédures sont souvent incomplètes et nous n’avons souvent aucune connaissance de la sanction prise à l’encontre des « voleurs d’eau ». Il nous faut toutefois souligner d’entrée de jeu que la saisie de la justice est certainement dans bien des cas la conséquence de l’échec d’une tentative d’accommodement. À la campagne, il n’est pas rare que les villageois fassent appel à l’infra-justice : plutôt que d’aller en justice, les parties choisissent un arbitre qui rendra une décision équitable pour l’un et l’autre des litigants. Cette solution évite des frais dispendieux et n’obère pas la réputation des parties au sein de la communauté villageoise puisque le conflit n’est pas mis sur la place publique. Elle a également l’avantage de la rapidité. Pourvus d’une autorité morale, le notaire, le recteur de la paroisse ou le châtelain peuvent être arbitres dans ce type de conflits62. Ces affaires ne donnant pas toujours lieu à la rédaction d’un document écrit, il nous est difficile de les appréhender. Aussi notre étude s’appuie-t-elle sur les conflits portés devant la justice.

25Quelle que soit la juridiction saisie (royale ou seigneuriale), la manière de mener l’enquête sur les forfaits des « loutres » est identique. Une plainte a été déposée dans laquelle le plaignant a indiqué les dommages dont il est victime, ainsi que les noms de quelques personnes pouvant témoigner en sa faveur. L’enquête repose en effet sur le témoignage des voisins, notamment les plus âgés qui peuvent témoigner de pratiques dites immémoriales ou qu’ils peuvent dater avec précision. Dans la procédure menée en juillet 1790 à l’encontre de Joseph Le Queux et Mathurin Guilmoto, accusés d’avoir détourné l’eau des prés d’Yves Joseph Ollitraut à Trévé (Côtes-d’Armor), cinq témoins sont interrogés. Jean Nogues, 60 ans, tisserand demeurant au village de Pourchan à Trévé, est l’un d’eux. Il dépose :

  • 63 Selon Marcel Lachiver, un bardeau désigne en Anjou « un barrage en travers d’un cours d’eau » (Lac (...)
  • 64 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, B 699, juridiction de Rohan, au siège de Loudéac. Procédures civiles (...)

avoir connaissance que dans le courant de 1789 Mathurin Guilmoto en fit un bardeau63 pour empecher l’eau qui descent du pont Calhuan d’aller sur les deux prairies d’Yves Joseph Ollitraut situés dans la lande de Gouardeux de sorte que les deux prairies n’étaient plus fertilisées ny arosées ; qu’il se souvient depuis 42 ans avoir vu l’eau passer par le canal qui la conduisait sur les deux prairies de sorte qu’elle coulait par le même endroit avant que ceste deux prairies eussent été afféagées et que le sieur Ollitraut et son père n’avoient fait qu’élargir le canal et n’a autre connoissance64.

26Jean Nogues reste mesuré dans ses propos et se contente d’avancer des faits connus de tous. Les autres témoins ne disent pas autre chose : Mathurin Guilmoto a fait un bardeau, c’est-à-dire qu’il a mis en place une planche ou ardoise qui empêche l’eau de s’écouler dans les prairies d’Ollitraut.

27Pareille situation s’est produite à Pléneuf. En 1785, la juridiction de Châtelaudren doit connaître d’une affaire qui oppose Jean Auffray, Olive Berthelot et leurs consorts à Jean Allot et sa femme, les seconds ayant détourné l’eau qui arrosait les prés d’Auffray et de ses consorts. Lors de la jurée des témoins, Jacques Pédron, laboureur ménager âgé de 73 ans, dépose que :

  • 65 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, B 268, juridiction de Châtelaudren. Procédures civiles, 1783-1790.

de tous les tems il a vu l’eau aller sur le pré Boissard [propriété des Auffray] ; qu’elle n’y va plus actuellement ; qu’on a bouché le conduit et creusé la douve [fossé] pour empecher l’eau d’y aller et n’avoir connaissance des autres faits ; telle est sa déposition65.

  • 66 C’est là une tactique souvent mise en œuvre par les procureurs ou avocats pour récuser un témoigna (...)

28Ce témoin se contente de relater des éléments factuels et ne met en cause aucune des parties directement (il est seulement question d’eau et de prés), comme les autres. Toutefois, à la fois son âge (73 ans) et l’expression « de tous les tems » qu’il emploie à dessein permettent d’établir une possession quarantenaire du cours du ruisseau pour arroser le pré contre laquelle Jean Allot et sa femme ne peuvent faire valoir leur droit. La suite de la procédure montre qu’une animosité ancienne existait entre les deux familles et que l’eau du pré a constitué un moyen pour les parties de régler leurs comptes, privant ainsi Raffray et ses consorts du foin qu’ils pouvaient espérer récolter dans le pré. À l’audience, le procureur des défendeurs a d’ailleurs mis en cause le témoignage de deux des témoins entendus au motif que le premier, Jacques Pédron, est parent au 3e ou 4e degré d’Olive Berthelot et que Pierre Crochet, autre témoin, était débiteur de la dite Berthelot à qui il avait emprunté 3 livres66.

  • 67 Crémieu-Alcan, Philippe, À l’ombre du Roi. Solidarités, résistance et mentalités à travers les dél (...)

29Étudiant les délits forestiers commis en Guyenne au xviiie siècle, Philippe Crémieu-Alcan décrit fort bien comment se déroule la procédure devant la maîtrise des Eaux et Forêts. Les plaintes en matière de détournement de cours d’eau que nous avons retrouvées reposent sur une même logique : « il y a reprise par le témoin d’éléments de la plainte qui sont insérés dans son compte rendu. L’anecdote racontée va soit corroborer la plainte, soit introduire des éléments qui apparaissent au premier abord comme marginaux parce qu’ils reposent sur des faits qui nous demeurent inconnus67. »

  • 68 Lors du recollement, il arrive que certains témoins fassent volte-face de crainte que leur témoign (...)
  • 69 Dans les deux affaires étudiées, les témoins ont perçu 40 sols, soit deux fois le salaire d’un jou (...)

30De plus, des questions posées par le magistrat découlent les réponses des témoins, d’où des formules souvent stéréotypées de la part de ces derniers et des dépositions qui diffèrent peu d’un témoin à l’autre. À l’échelle d’une paroisse, les faits des uns et des autres sont connus de tous et les liens de parenté et de solidarité sont nombreux, de sorte qu’il s’avère parfois téméraire de prendre parti sans s’aliéner la confiance d’un allié. Il est pourtant aisé de faire le constat qu’un pré autrefois arrosé par un cours d’eau ne l’est plus depuis qu’une rigole a été bouchée et qu’on a déplacé des ardoises. Pour autant, les témoins ne se pressent pas à l’audience68 et, pour délier la langue des récalcitrants, la juridiction rémunère la participation des témoins à l’enquête69. Comme l’a montré Annick Le Douget, il est bien difficile pour les ruraux de prendre position pour l’un ou l’autre dans une enquête civile ou criminelle :

  • 70 Le Douget, Annick, Violence au village. La société rurale finistérienne face à la justice (1815-19 (...)

Les villageois tiennent les rênes de la dénonciation et savent quand et comment composer avec la justice d’État, ne se prêtant parfois au « jeu judiciaire » que par vengeance ou par protection. Et les témoins se retrouvent empêtrés dans le carcan des solidarités villageoises, parfois tenaillés par la crainte des représailles ou encore assaillis par quelque corrupteur70.

  • 71 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, B 268, juridiction de Châtelaudren. Procédure civiles, 1783-1790.
  • 72 Que la première décision du juge les autorisait à demander.
  • 73 Celui-ci ne figure malheureusement pas dans la liasse que nous avons consultée.
  • 74 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, B 268, ibid.

31À Pléneuf, après avoir constaté que « depuis plus de 40 ans eux [Jean Raffray et ses consorts] et leurs prédécesseurs sont en possession de profiter des eaux qui lèvent de la fontaine étant dans l’issue de Malassis dont le ruisseau descend par le pré du même nom et de la arrose le pré Boissard », le procureur fiscal de la juridiction constate que Jean Allot a bien détourné le cours ordinaire du petit ruisseau pour en priver le pré Boissard. Le préjudice représenté par la perte de la récolte de foin pour les années 1785, 1786, 1787, 1788 est estimé à la coquette somme de 150 livres. Le juge décide que : « seront les demandeurs à l’avenir comme au passé maintenus dans la possession et jouissance des eaux dont est cas ; les défendeurs condamnés à rétablir le cours ordinaire sans pouvoir l’interrompre sous peine de tous dommages et intérêt tous autres droits […]71. » Les défendeurs n’ont pas accepté cette décision et ont probablement demandé une nouvelle expertise72. En janvier 1788, après avoir pris connaissance d’un mémoire73 qui met clairement en cause la responsabilité de Jean Allot et sa femme dans le détournement du cours d’eau, le juge condamne les défendeurs au payement de 280 livres de dommages et intérêts, montant estimé du préjudice ainsi qu’au rétablissement du cours d’eau qui arrosait le pré Boissard sous huitaine et « maintenir les dits demandeurs en leur possession paisible notoire et quadragénaire et défense seront faites aux défendeurs de troubler et travestir dans leur possession sous les peines qui échoient et condamner les défendeurs aux dépens de l’instance74 ».

  • 75 Dont nous ignorons le montant.
  • 76 Claverie, Élisabeth, « "L’honneur" : une société de défis au xixe siècle », Annales Économie, Soci (...)
  • 77 Crémieu-Alcan, Philippe, À l’ombre du Roi…, op. cit., p. 173.

32La remise en état du cours d’eau est une sanction logique mais il faut ici souligner la lourdeur de la peine car les 280 livres représentent à la fin du xviiie siècle une somme très importante, qui correspond à plusieurs années de revenu pour une tenue moyenne. De plus, les Allot sont condamnés aux dépens de l’instance75 et ont payé des épices d’un montant de 32 livres aux juges. Enfin, cette décision de justice portée à la connaissance de tous les habitants de la paroisse porte un coup dur à leur honneur puisqu’ils seront désormais connus comme ceux qui ont détourné le cours ordinaire des choses, porté préjudice à un membre de la communauté et donc attenté à l’ordre social76. Une décision de justice a, en principe, pour vocation de sanctionner une infraction et les dommages et intérêts accordés au plaignant permettent de le dédommager du préjudice qu’il a subi. Or, comme le souligne Philippe Crémieu-Alcan, au-delà de la sanction infligée au délinquant et des dommages-intérêts perçus, « le plaignant poursuit des objectifs tournés vers l’avenir et non plus vers le passé ou le présent, attitude incompatible avec le droit formel qui sanctionne toujours un préjudice déjà commis et s’interdit toute anticipation77 ». En l’occurrence, dans les deux procédures évoquées ici, il semble évident que les plaignants attendaient de la justice qu’elle répare le préjudice qu’ils ont subi mais qu’elle leur garantisse aussi à l’avenir une jouissance paisible du cours d’eau et dissuade le délinquant de renouveler ses agissements frauduleux.

Partager les eaux

  • 78 La malveillance du sieur Deslandes est soulignée dans la procédure « pour la satisfaction maligne (...)

33Pour éviter toute tentation aux « loutres » de s’approprier l’eau, n’aurait-il pas été plus judicieux de partager les eaux entre voisins ? Cette hypothèse est au cœur du conflit qui oppose Jacquette Morvan et ses consorts au sieur Deslandes devant la juridiction de la Roche-Moisan, à Pont-Scorff. Depuis trois ans, Jacquette Morvan, domanière de Caudan, est victime de la malveillance78 du sieur Deslandes qui a détourné à son profit un cours d’eau pour arroser un pré de surface réduite (20 cordes) réduisant ainsi à néant les aménagements construits par Jacquette Morvan et sa famille pour irriguer et fertiliser ses propres prairies, d’une superficie de deux journaux. Ce différend a conduit la plaignante à ester en justice.

  • 79 Arch. dép. du Morbihan, B 6213, juridiction de la Roche-Moisan. Procédures civiles, 1757.

De temps immémorial la Morvan a joui de ces eaux descendentes de la prairie du sieur des Landes dans le chemin dans lequel descendent les eaux du grand chemin au nord et du chemin au midy celuy du couchant et celuy au levant et toutes ces eaux alloient naturellement au conduit du pré de la Morvan. Le Gal [métayer du sieur Deslandes] ayant fait par voie de fait, fait un bardeau dans le chemin pour empecher le cours d’eau aux prairies de la Morvan deux ans avant le mois d’aoust mil sept cent cinquante quatre et la Morvan ayant plusieurs fois detruis ce bardeaux reprit les eaux au mois d’aoust 1754 et c’est ce qui a donné lieu à l’instance79

  • 80 Ibid.

34Des experts se sont rendus sur les lieux pour observer de près la situation géographique des prairies en question et déterminer laquelle des deux parties avait un droit sur l’eau. La situation tant géographique que juridique semble complexe car le cours d’eau détourné s’écoule entre deux collines et plusieurs chemins séparent les prés appartenant à Jacquette Morvan et au sieur Deslandes. Comme preuve de ses allégations, la domanière fournit d’ailleurs un plan détaillé qui permet de se rendre compte que l’eau coule bien dans son pré par le moyen de canaux que ses ancêtres ont mis en place. Sans pouvoir déposer de titre, la plaignante soutient avoir joui depuis 40 ans d’une servitude « non équivoque […] pour recevoir les eaux tombantes par une pente naturelle dans le chemin et du chemin dans le conduit80 ». Au cours des trois années précédant sa plainte, à plusieurs reprises, Le Gal, métayer du sieur Deslandes a rompu le bardeau que Jacquette Morvan et ses enfants se sont empressés de remettre en place. Les Morvan se sont d’ailleurs plaints à plusieurs reprises de cette situation conflictuelle auprès de l’homme d’affaires du sieur Deslandes, sans pour autant calmer les velléités de Le Gal quant à la possession de cette eau. Pour mettre un terme à cette situation conflictuelle, elle propose un partage des eaux.

  • 81 Ibid.

Le pré neuf [propriété du sieur Deslandes] contient un quart de journal ; les prés de la Morvan contiennent deux journaux. La Morvan veut bien céder une portion d’eaux par alternative de jours proportionnellement aux besoins de les prées et dudit pré neuf outre les eaux du chemin du nord qui desccendent pendant six cents pas. La Morvan n’est que domanière et n’entend pas préjudicier aux droits du seigneur de Kerorguen seigneur fontier ; mais elle consent que pendant qu’elle possedra la ditte tenue de Manebras que le dit sieur Deslandes jouisse des eaux suivant la proportion qui sera reglé par monsieur le Sénéchal relativement à la consistance du prée neuf du sieur Deslandes et des prairies de la Morvan81.

  • 82 Hévin, Pierre, Consultations et observations sur la coutume de Bretagne, Rennes, Vatar, 1734, p. 3 (...)
  • 83 Archives privées, village de Kergleuden à Bannalec.

35Cette proposition qui semble équitable puisqu’elle tient compte de la superficie et donc du besoin en eau des prés des parties est pourtant rejetée par le sieur Deslandes et nous ignorons quelle a été la sentence prononcée par le sénéchal de la Roche-Moisan. À tout le moins, cette affaire montre que la possession de l’eau pour irriguer une parcelle de prés dans un village bas-breton peut engendrer des conflits sans fin. Pourtant, le partage des eaux semble la solution raisonnable quand la situation géographique des prés, du cours d’eau et des canaux d’irrigation ne décide pas clairement à qui appartient l’eau. La coutume de Bretagne n’est d’ailleurs pas très claire sur ces questions de partage des eaux. Dans la consultation LIII, le jurisconsulte Pierre Hévin affirmait qu’il fallait distinguer entre les eaux et fontaines qui ont leur source dans le terrain qui appartient à un particulier et celles qui ne font qu’y passer. Il concluait qu’il n’existait pas de servitude dans le cas où la rivière ou cours d’eau ne dessert pas un moulin. « Le propriétaire [de la terre] sur laquelle le ruisseau passe en peut disposer comme il luy plait pour son utilité sans que les propriétaires des terres adjacentes ayent droit de s’y opposer82 ». Les différents baux passés par les ancêtres d’Anicet Furic au village de Kergleuden, à Bannalec, stipulaient expressément que ceux-ci disposaient d’un droit à l’eau du dimanche matin 7 heures au jeudi matin 7 heures83, et cela dans les années 1940, ce qui prouve que l’accès à l’eau était strictement réglementé et cela encore en plein xxe siècle.

Le pré : un atout pour le développement de l’élevage et un objet de spéculation foncière

36Le pré constitue un bien foncier de première importance. Les aménagements hydrauliques dont il a fait l’objet rendent la production d’herbe et de foin plus importante et favorisent ainsi l’élevage. Sa relative rareté en fait aussi un bien foncier particulier qui s’échange parfois selon des modalités spécifiques telles que le congément d’une simple parcelle ou la vente à réméré.

37L’irrigation permise par les aménagements hydrauliques dans les prés permettait une pousse plus rapide et plus drue de l’herbe puisque plusieurs coupes étaient possibles au cours d’une même année récolte. Le paysan pouvait même espérer deux récoltes de foin, l’une à partir de fin mai et une autre six semaines plus tard. Le bétail pouvait profiter du regain après la dernière coupe de foin. Herbe ou foin, ces possibilités accrues de nourrir le bétail tout au long de l’année constituaient un cercle vertueux favorable à l’agriculture bretonne.

  • 84 Chez les paysans qui ne disposent pas d’une paire de bœufs, elle peut même servir d’animal de trai (...)

38Les inventaires après décès sont de bons indicateurs pour mesurer la place de l’élevage dans les campagnes bretonnes puisqu’y sont mentionnés tous les biens appartenant au défunt. À Querrien, l’étude des 127 inventaires réalisés sous l’égide de la sénéchaussée de Quimperlé indique que 74 % des défunts possédaient des vaches. Plus d’un quart des défunts (27,5 %) possédaient même un petit troupeau composé de 4 vaches au moins. Cet animal est d’ailleurs celui qui est le plus fréquemment retrouvé dans les inventaires, avant même le cheval ou la paire de bœufs car une vache produit du lait mais aussi un veau chaque année84. Et au bout de sa « carrière », elle fournit même une peau pour la tannerie. La présence d’un ribot et de son bâton dans les inventaires après décès dans lesquels sont mentionnées des vaches, prouve que le lait est transformé en beurre vendu au marché ou consommé par la famille.

Tableau 1 – Nombre de vaches par élevage à Querrien au xviiie siècle

Nombre de vaches mentionnées

0

1

2

3

4

5 et plus

Total

Nombre d’inventaires après décès concernés

33

17

23

19

13

22

127

Pourcentage des inventaires après décès concernés

26 %

13,4 %

18,1 %

15 %

10,2 %

17,3 %

100 %

(Arch. dép. du Finistère, 9 B 441 à 9 B 444, sénéchaussée de Quimperlé. Inventaires après décès, Querrien)

  • 85 Arch. dép. du Finistère, 9 B 443, sénéchaussée de Quimperlé, inventaires après décès, Querrien, 17 (...)
  • 86 Ceux-ci proviennent du voisinage et sont des paysans qui connaissent le prix réel des biens à esti (...)

39L’élevage bovin, notamment celui des vaches laitières, est assez important à Querrien puisque les vaches sont les animaux les plus nombreux dans les exploitations avec les bœufs arants, et cela bien loin devant les moutons, très rares, les porcs, généralement un par an par ferme, ou encore les chevaux même si toute ferme de quelque importance possède un cheval, qui est généralement une jument car elle donne naissance chaque année à un poulain que l’on peut vendre au marché. À Querrien, 26 % des inventaires après décès ne comprennent pas de vaches mais 74 % en signalent au moins une. La plupart des paysans qui ne possèdent qu’une vache ne disposent pas de prés et ils nourrissent leur vache sur les communaux ou les landes, voire sur les bords de chemin. Pour les autres, il semble évident qu’ils ont des prés pour faire pâturer leurs bestiaux. Dans la catégorie des paysans qui détiennent cinq vaches et plus figurent de riches domaniers mais aussi des fermiers de métairies car ces dernières sont souvent très étendues et possèdent des surfaces de prés importantes. L’inventaire effectué en janvier 1781 à la suite du décès de Thomas Ansquer et Marie Le Nadan, fermiers de la métairie du Moguel à Querrien, signale la présence de 6 bœufs d’une valeur de 534 livres, 7 vaches (273 livres), une génisse (18 livres), un taurillon (15 livres), 3 chevaux (114 livres), un veau (3 livres), soit un total de 957 livres, alors que le montant de l’inventaire après décès s’élève à 3 024 livres 9 sols 3 deniers. Cet inventaire précise également que « 40 milliers de foin à 9 livres le millier » sont estimées à la somme de 360 livres85. De nombreux outils relatifs à la coupe et ramassage du foin y sont également énumérés : 4 faux ainsi qu’un marteau et une enclume servant à aiguiser la faux, 4 râteaux ainsi que 4 charrettes ferrées permettant de rapporter le foin du champ à la ferme. Cet exemple, un peu exceptionnel car les Ansquer-Le Nadan figurent au rang des plus riches paroissiens de Querrien, démontre que les paysans bas-bretons ont su tirer parti des prés où ils trouvaient du foin pour nourrir leurs bestiaux. Toutefois, même dans des inventaires plus modestes comme celui réalisé en mars 1766 après le décès de Guillaume Derrien au Menez Bloch, d’un montant de 708 livres 10 sols, les estimateurs86 ont noté la présence de 4 vaches estimées 72 livres, 2 « bauvillons » [taurillons] 36 livres, 2 bauvillons de l’année 9 livres, une cavale [jument] 23 livres, une pouliche, 21 livres, mais aussi d’un beurrier de faïence 2 sols et un passe lait d’airain 15 sols, un ribot et son bâton 12 sols. À l’échelle de la paroisse de Querrien, ce paysan figure déjà parmi les paysans assez aisés qui ont su allier « labourage et pâturage ». Le paysan bas-breton peut ainsi jouer sur deux tableaux à la fois, la production de bleds mais aussi l’élevage.

  • 87 Béaur, Gérard, « Foncier et crédit dans les sociétés préindustrielles. Des liens solides aux chaîn (...)
  • 88 Les cas les plus fréquemment rencontrés dans les paroisses de Querrien et du Trévoux près de Quimp (...)
  • 89 Compte tenu des lacunes dans les registres ce chiffre est certainement plus élevé.
  • 90 Guegan, Isabelle, Rapport à la terre, conflits et hiérarchies sociales…, op. cit. p. 264.
  • 91 Bien qu’il produise une part non négligeable des aliments qu’il consomme, le paysan doit aussi rec (...)

40Du fait de sa rareté et des aménagements hydrauliques dont il fait l’objet, le pré est une pièce de terre recherchée par les paysans. Cela entraîne un comportement assez particulier de certains paysans sur le marché foncier. Il est quasiment impossible à percevoir dans le cas de congéments de tenues entières car la tenue est acquise dans sa totalité avec parcelles de terres chaudes, froides et prés. Par contre, l’attrait de ce type de bien foncier pour les domaniers ou fermiers se laisse mieux deviner dans les cas de ventes à réméré ou faculté de rachat. Cette opération foncière dissimule bien souvent une mesure de crédit87. Le paysan dans la gêne cède contre monnaie sonnante et trébuchante une parcelle de terre à un tiers. Cela permet au vendeur de rembourser une créance. Dans la subdélégation de Quimperlé, la vente à réméré est faite pour un temps déterminé, qui peut aller de un an à neuf ans88. Au terme du réméré, si le vendeur ne parvient pas à rembourser la valeur de sa parcelle, elle est définitivement acquise à l’acheteur. Dans le cas inverse, si le vendeur est revenu à meilleure fortune, il rembourse la parcelle au prix de vente majoré des frais de justice et récupère ainsi son champ. Ces ventes portent sur des parcelles dont il est parfois difficile d’identifier la nature. Mais assez souvent ce sont des prés qui font l’objet de ces ventes à réméré. Ce phénomène s’explique à la fois par la rareté des prés et par leur valeur tant vénale qu’agraire. L’acquéreur n’a en effet aucun intérêt à acheter une pièce de terre de peu d’intérêt s’il dispose déjà de suffisamment de terres chaudes ou froides. Par contre, un pré irrigué lui procure de l’herbe et du foin pour la morte saison. Si les registres du centième denier sont très laconiques et ne nous disent rien des motivations des vendeurs et acheteurs, il est toutefois permis à l’historien d’imaginer que le choix fréquent de prés dans le cas de ventes à réméré résulte d’une spéculation foncière évidente. C’est probablement l’acquéreur qui décide de la parcelle qui fera l’objet du réméré et il porte son choix, non pas sur la plus grande, mais sur celle qui est déjà aménagée et dont il sait qu’il pourra tirer profit rapidement. Ces ventes ne dominent pas le marché foncier puisque, au cours de la période 1730-1789, nous n’en avons relevé que 102 dans les deux paroisses de Querrien et du Trévoux89. L’observation de ces ventes avec faculté de rachat montre que, plus la durée du réméré est longue, et moins le vendeur a de chance de récupérer sa parcelle. Ces ventes sont le signe d’un endettement dont le vendeur parviendra difficilement à sortir. De ce fait, au cours des années 1770-1780, alors que les prix des denrées agricoles mais aussi des terres ont beaucoup augmenté en Bretagne90, le nombre de rémérés s’est accru lui aussi. Cette période est celle d’une augmentation sensible des prix des céréales, due à une mauvaise conjoncture climatique et des rendements faibles qui ont entraîné une hausse généralisée de toutes les denrées agricoles91, laquelle s’est ensuite répercutée sur le marché foncier. Quand il a épuisé toutes les possibilités de crédit dans sa paroisse ou sa famille et face à des achats de première nécessité indispensables, une rente à payer au seigneur foncier, des impositions en retard, le paysan impécunieux n’a parfois que ce moyen pour rembourser une dette. Il se prive ainsi de la pièce et est entraîné dans la spirale infernale de l’endettement sans espoir de pouvoir récupérer son pré. Élément significatif, les vendeurs s’adressent préférentiellement aux domaniers aisés de leur paroisse. Alors que la capacité des vendeurs à rembourser le réméré est assez faible, ces riches convenanciers se constituent peu à peu des domaines où les surfaces de prés sont importantes. Il leur est alors assez facile de se spécialiser dans l’élevage des bovins car la production de lait (et son corolaire la vente du beurre) permet de dégager des surplus.

  • 92 Gallet, Jean, « Le congément des domaniers en Cornouaille au xviiie siècle », Annales de Bretagne (...)

41Il est d’autres cas singulier dans lesquels on voit des prés changer de mains. C’est le cas par exemple de certains congéments de très faible valeur. En règle générale, un congément porte à la fois sur des terres chaudes et des terres froides puisque les secondes sont complémentaires des premières, car elles permettent de fumer les premières. Mais il arrive qu’un pré seul soit l’objet d’une procédure de congément. Et dans ce cas, ce sont parfois des seigneurs fonciers qui congédient leur domanier détenteur d’une unique parcelle de prés. Or, les congéments à l’initiative du foncier sont très rares et ne représentent pas plus de 10 % des cas, et parfois moins selon les paroisses92. Le foncier cible donc une parcelle à forte valeur ajoutée qu’il pourra bailler à un paysan contre une commission importante. La marquise de Pontcallec a agi ainsi à plusieurs reprises au cours du xviiie siècle. Il ne fait pas de doute qu’elle ne récupérait pas ces prés pour son propre usage mais qu’elle spéculait en espérant qu’un acquéreur se présente et accepte une augmentation de la rente pesant sur cette parcelle.

42Réalité méconnue, voire passée sous silence, les prés irrigués étaient en Bretagne l’objet de soins attentifs de la part des paysans. Ceux-ci avaient su tirer parti de la situation géographique de terrains en fond de vallée et de la présence de petits cours d’eau pour irriguer leurs prés, favorisant ainsi une pousse précoce de l’herbe et des fenaisons abondantes. Alors que la Société royale d’agriculture de Bretagne souhaitait promouvoir les prairies artificielles (luzerne et trèfle), condition essentielle à ses yeux d’un essor de l’élevage, les membres éminents de cette société ne se rendaient pas compte que les paysans, jugés pourtant routiniers, avaient un temps d’avance sur eux. Les milliers d’aqueducs bretons traduisaient l’ingéniosité des paysans. Précieuse, l’eau ainsi acheminée par des canaux pouvait être l’objet de convoitises et de conflits et elle entraînait une spéculation sur des parcelles de terre converties en prés. Si cette eau n’était pas miraculeuse, elle avait à tout le moins permis à l’élevage breton de prospérer. Eau, herbe, foin, cette trilogie avait pour corollaire vaches, lait et beurre. Sans être une terre de promission, la Bretagne, avec ses prés irrigués, permettait aux paysans d’élever un bétail assez nombreux et de mener en parallèle la culture des bleds.

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Notes

1 Serres, Olivier de, Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Paris, 1600, rééd. Actes Sud, 1996, p. 393.

2 Ibid., p. 389-401.

3 Antoine, Annie, « Prés, prairies et pâturages dans les systèmes agraires de la France de l’Ouest à l’époque moderne », in Brumont, Francis (dir.), Prés et pâtures en Europe occidentale. Actes des xxviiies Journées internationales d’Histoire de l’Abbaye de Flaran, 15 et 16 octobre 2006, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2008, p. 206. Pour le rôle des landes en Bretagne : Beaulieu, François De, Pouëdras, Lucien, La mémoire des landes en Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2014. Antoine, Annie, « La fabrication de l’inculte. Landes et friches en Bretagne avant la modernisation agricole du xixe siècle », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, tome LXXIX, 2002. Id, « Systèmes agraires de la France de l’Ouest : une rationalité méconnue ? », Histoire, économie et société, 1999, vol. 18, no 1, p. 107-132.

4 Antoine, Annie, « Prés, prairies et pâturage… », op. cit., p. 207.

5 Beaulieu, François De, « Les prés irrigués. Un siècle d’agriculture moderne », Ar Men, no 46, octobre 1992, p. 16-29.

6 La longue bibliographie figurant à la fin de l’article de Patrick Fournier en donne les titres principaux. Fournier, Patrick, « Les leçons d’une hydro-histoire : quelques pistes de réflexion », dans : Zones humides et pouvoirs territoriaux, Siècles, Cahiers du Centre d’histoire « Espaces et Cultures », 2016, no 42, p. 10 à 14.

7 Young, Arthur, Voyages en France : 1787, 1788, 1789, Paris, Colin, 1976.

8 Ibid.

9 Corps d’observation de la société d’Agriculture du commerce et des arts établie par les États de Bretagne, année 1757 et 1758, années 1759 et 1760, Paris, Veuve B. Brunet, 1772.

10 Il s’agit dans ce cas d’eau de ruissellement qui pouvaient en effet être chargées des matières liquides s’écoulant des tas de fumiers, voire des fumiers verts composés d’ajoncs et genêts mis à pourrir dans les chemins creux.

11 Cambry, Jacques, Voyage dans le Finistère ou état de ce département en 1794 et 1795, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 38 et 41. Parcourant à son tour le Finistère une trentaine d’années plus tard, Jean-François Broumische n’a pas été meilleur observateur (Brousmiche, Jean-François, Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831, Quimper, Morvran, 1977).

12 Limon, Jean-Marie, Usages et règlements locaux en usage dans le Finistère, Quimper, Lion, 1852, p. 280.

13 Sée, Henri, Les classes rurales en Bretagne du xvie siècle à la Révolution, Paris, Giard et Brière, 1906, p. 385.

14 Poncet, Fabrice, Les beurres d’Isigny. Aux origines d’une Normandie laitière (xviie-xixe siècles), Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2019.

15 Il en était ainsi dans la région de Redon avant l’assèchement des marais (Scuiller, Sklaerenn, « Propriété et usages collectifs. L’exemple des marais de Redon au xviiie siècle », Histoire et sociétés rurales, 2008-1, vol. 29, p. 41-71).

16 Un bon pré nécessite un sol assez épais et frais.

17 Toutefois, le juriste Limon distingue deux types de prairies en Bretagne ; les prairies hautes sont les plus estimées et l’eau n’y est pas un élément nécessaire à leur « fécondité », alors que les prairies basses, plus nombreuses, nécessitent des apports en eau (Limon, Jean-Marie, Usages et règlements locaux…, op. cit., p. 280).

18 L’année 1785 fut une catastrophe sans égale en Bretagne du fait de la sécheresse et obligea de nombreux paysans à se séparer à vil prix de leurs animaux car ils ne pouvaient plus les nourrir (Lebrun, François, « Mauvaises récoltes et misère en Bretagne à la veille de la Révolution : la sécheresse de 1785 et ses conséquences », in La Bretagne, une province à l’aube de la Révolution, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 1989, p. 249-256).

19 Expression empruntée à Patrick Fournier, « Les leçons d’une hydro-histoire : quelques pistes de réflexion », art. cité, Siècles, 2016, n42, p. 1-14.

20 Guégan, Isabelle, Rapport à la terre, conflits et hiérarchie sociales en Basse-Bretagne au xviiie siècle, doctorat d’histoire moderne, Université de Brest, 2018.

21 Le Calvé, Jacqueline, « Patrimoine rural et vie paysanne en vallée du Scorff », Bulletin de la société d’archéologie du Pays de Lorient, vol. 43, 2014, p. 277-310.

22 Les métairies ne laissent pas le même type de sources à la disposition du chercheur et il est donc difficile à partir de celles-ci d’appréhender certaines réalités agraires.

23 Il en existe quatre, correspondant à de grandes régions : la Cornouaille, le Trégor-Goëllo, le Brouerec ou pays de Vannes et le Rohan qui correspond peu ou prou aux possessions de la famille de Rohan dans ce que nous pouvons appeler aujourd’hui l’intérieur du Morbihan, c’est-à-dire les régions de Pontivy, Rohan, Baud et Corlay (Dép. Côtes-d’Armor).

24 Guégan, Isabelle, « Domaine congéable et habitat rural en Cornouaille au xviiie siècle : enjeux et stratégies autour de l’interdiction d’édifier », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, tome 122, n4, 2015, p. 67-95.

25 Baudouin de Maison-Blanche, Jean-Marie, Institutions convenantières ou traité raisonné des domaines congéables, Rennes, 1776, tome II, p. 24.

26 Celles-ci dérogent à l’interdit émis par l’usement.

27 Arch. dép. du Finistère, 5 H, abbaye Sainte-Croix de Quimperlé ; 7 H, abbaye Saint-Maurice à Clohars-Carnoët.

28 Évaluation des améliorations apportées au fonds par le domanier.

29 Depuis l’édit de Moulins (1566), les rivières et fleuves relèvent du domaine de la couronne, sauf si ces fleuves ne sont pas navigables. Dans ces cas, ils appartiennent aux seigneurs ayant une haute justice. Les simples rus qui permettent d’irriguer les prés ne relèvent d’aucune de ces catégories. En matière de domaine congéable, seuls les aménagements sur ces modestes cours d’eau peuvent donner lieu à une compensation financière.

30 C’est-à-dire lorsqu’ils sont encore sur pied.

31 Le Guével, Maurice, Commentaire sur l’usement de Rohan, Rennes, Vatar, 1786, p. 89.

32 Baudouin de Maison-Blanche, Jean-Marie, Institutions convenantières…, op. cit.

33 En Bretagne, sous l’Ancien Régime, le journal équivaut à un demi-hectare ou 80 cordes.

34 Arch. dép. du Finistère, 19 B 106, juridiction de la baronnie de Quimerch. Prisage et mesurage, Baye, juin 1751.

35 Expression due à Le Floch, Vincent, « Le régime foncier et son application pratique dans le cadre de la paroisse de Plonivel au xviiie siècle », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, vol. 92, 1966, p. 117-206.

36 Guégan, Isabelle, Rapport à la terre, conflits…, op. cit., chapitre ix : Sous-fermage et bail à cheptel, p. 546-612.

37 Arch. dép. du Finistère, 4 E 231, art. 70, minutes de maître Benoît Louis Le Rumain, notaire à Querrien.

38 « À la saint Guénolé (3 mars), on doit retirer les bœufs des prés ». Proverbe cité par : Limon, Jean-Marie, Usages et règlements locaux…, op. cit. p. 280.

39 Ce sont les fossés qui permettent de déterminer la superficie des parcelles de terre.

40 Soit une valeur de 12 livres 10 sols, c’est à dire l’équivalent du prix de deux veaux de l’année ou deux ruches de miel (Arch. dép. du Finistère, 3 C 28, déclarations pour le vingtième, Querrien).

41 Arch. dép. du Finistère, 3 C 28, déclarations pour le vingtième, Querrien.

42 L’indication du nombre de charretées de foin est claire pour les agents qui contrôlent les déclarations pour le vingtième ; elles posent toutefois problème à l’historien qui ne sait pas précisément quelle est la contenance d’une charrette.

43 Calvez, Ronan, « Les mots et les causes. Du Dictionnaire de Coëtanlem », La Bretagne linguistique, 2012, no 17, p. 15-22.

44 Bibl. mun. de Brest, Ms 200. Dictionnaire de Coëtanlem, tome VI, p. 898.

45 Rostrenen, Grégoire de, Dictionnaire français, celtique ou français breton, Guingamp, Jollivet, 1834.

46 Idem, p. 260.

47 Le Gonidec, Jean-François, Dictionnaire de la langue celto-bretonne, Angoulème, Trémeau, 1821.

48 Les pratiques d’irrigation des prés ont pu être améliorées en Bretagne après que Louis de Kerjégu, directeur de l’école d’agriculture de Trévarez (Finistère), ait fait venir sur son domaine un irrigateur des Vosges pour enseigner aux paysans bretons les méthodes qui avaient cours ailleurs en France.

49 Le Calvé, Jacqueline, Tanguy, Daniel.

50 Beaulieu, François de, « Les prés irrigués. Un siècle d’agriculture moderne », Ar Men, 1992, no 46, p. 19.

51 Ibid., p. 19.

52 Je tiens à remercier ici Anicet Furic qui m’a fait part de son expérience en matière d’irrigation des prés, ainsi que Jacqueline Le Calvé qui m’a conduit jusqu’au canal remis en état dans le cadre du Syndicat du bassin du Scorff.

53 Elle passe par des filtres.

54 Cette pratique avait des conséquences néfastes car elle favorisait la pousse d’herbes nuisibles aux animaux telles que bardane, jonc, renoncule, et produisait même une herbe trop tendre qui ne donnait pas un bon fourrage (Antoine, Annie, « Prés, prairies et pâturages… », art. cité, p. 214).

55 Limon, Jean-Marie, Usages et règlements locaux…, op. cit., p. 282.

56 À Kergleuden, Anicet Furic estime qu’il lui faut débroussailler environ 10 ha de terres chaque année et charrier entre 5 à 10 tonnes de terres pour entretenir 650 mètres de canaux d’irrigation. Le mois de novembre est principalement occupé à ces travaux (entretien réalisé en septembre 2018).

57 C’est probablement l’une des raisons, parmi d’autres, de l’abandon de ces pratiques aujourd’hui, même s’il faut souligner aussi que le remembrement parfois anarchique mené dans les années 1960 a souvent emporté canaux et rigoles en même temps qu’il arasait les talus.

58 L’eau souterraine jaillit à environ 10o et, en hiver, elle est donc plus chaude que la température de l’air et de la surface du sol, ce qui permet de faire pousser l’herbe plus rapidement, d’autant que les températures proches ou inférieures à 0o bloquent l’activité biologique du sol. Par ailleurs, en dessous de 4o , cette activité biologique est très réduite et la végétation ne peut tirer parti de l’azote fournie par le sol, ce qui l’empêche de pousser. Je remercie vivement Daniel Hanocq, ingénieur en agronomie, pour ces précieuses explications.

59 Celles provenant notamment de tas de fumiers animaux ou végétaux qui étaient entreposés dans les cours de ferme ou dans les champs.

60 Fournier, Patrick, « Les leçons d’une hydro-histoire… », art. cité, p. 4.

61 Nous avons notamment eu recours à ceux des archives départementales des Côtes-d’Armor et un hasard heureux nous a conduite vers une procédure menée dans le Morbihan.

62 Crépin, Marie-Yvonne, « Le recteur breton et la justice au xviiie siècle », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2018, tome XCVI, p. 273-289 ; Wenzel, Éric, « Des lois du roi au sang du christ. Le clergé paroissial, auxiliaire précieux de la justice d’Ancien Régime », in Dolan, Claire (dir.), Entre justice et justiciables, les auxiliaires de justice du Moyen Âge au xxe siècle, Québec, Presses de l’université Laval, 2005, p. 227-244.

63 Selon Marcel Lachiver, un bardeau désigne en Anjou « un barrage en travers d’un cours d’eau » (Lachiver, Marcel, Dictionnaire du monde rural. Les mots du passé, Paris, Fayard, 2006 [1997], p. 127).

64 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, B 699, juridiction de Rohan, au siège de Loudéac. Procédures civiles et criminelles, 1766-1790.

65 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, B 268, juridiction de Châtelaudren. Procédures civiles, 1783-1790.

66 C’est là une tactique souvent mise en œuvre par les procureurs ou avocats pour récuser un témoignage et mettre dans l’embarras un témoin.

67 Crémieu-Alcan, Philippe, À l’ombre du Roi. Solidarités, résistance et mentalités à travers les délits forestiers en Guyenne au xviiie siècle, Rennes, PUR, 2020, p. 140.

68 Lors du recollement, il arrive que certains témoins fassent volte-face de crainte que leur témoignage ne les entraîne dans des querelles sans fin avec leurs voisins et parents.

69 Dans les deux affaires étudiées, les témoins ont perçu 40 sols, soit deux fois le salaire d’un journalier au xviiie siècle.

70 Le Douget, Annick, Violence au village. La société rurale finistérienne face à la justice (1815-1914), Rennes, PUR, 2014, p. 234.

71 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, B 268, juridiction de Châtelaudren. Procédure civiles, 1783-1790.

72 Que la première décision du juge les autorisait à demander.

73 Celui-ci ne figure malheureusement pas dans la liasse que nous avons consultée.

74 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, B 268, ibid.

75 Dont nous ignorons le montant.

76 Claverie, Élisabeth, « "L’honneur" : une société de défis au xixe siècle », Annales Économie, Sociétés, Civilisations, no 4, juillet-août 1979, p. 744-759.

77 Crémieu-Alcan, Philippe, À l’ombre du Roi…, op. cit., p. 173.

78 La malveillance du sieur Deslandes est soulignée dans la procédure « pour la satisfaction maligne de nuire à la Morvan » (Arch. dép. du Morbihan, B 6213, juridiction de la Roche-Moisan. rocédures civiles, 1757).

79 Arch. dép. du Morbihan, B 6213, juridiction de la Roche-Moisan. Procédures civiles, 1757.

80 Ibid.

81 Ibid.

82 Hévin, Pierre, Consultations et observations sur la coutume de Bretagne, Rennes, Vatar, 1734, p. 313.

83 Archives privées, village de Kergleuden à Bannalec.

84 Chez les paysans qui ne disposent pas d’une paire de bœufs, elle peut même servir d’animal de trait.

85 Arch. dép. du Finistère, 9 B 443, sénéchaussée de Quimperlé, inventaires après décès, Querrien, 1766-1785.

86 Ceux-ci proviennent du voisinage et sont des paysans qui connaissent le prix réel des biens à estimer.

87 Béaur, Gérard, « Foncier et crédit dans les sociétés préindustrielles. Des liens solides aux chaînes fragiles », Annales, histoire, sciences sociales, 1994, vol. 49, no 6, p. 1411-1428.

88 Les cas les plus fréquemment rencontrés dans les paroisses de Querrien et du Trévoux près de Quimperlé sont de 3 à 5 ans au cours de la période 1730-1789 (Arch. dép. du Finistère, 32 C 2, art. 1 à 57. Bureau du contrôle des actes de Quimperlé, centième denier).

89 Compte tenu des lacunes dans les registres ce chiffre est certainement plus élevé.

90 Guegan, Isabelle, Rapport à la terre, conflits et hiérarchies sociales…, op. cit. p. 264.

91 Bien qu’il produise une part non négligeable des aliments qu’il consomme, le paysan doit aussi recourir au marché et payer en numéraire les biens qu’il acquiert ainsi (Ferrand, Guilhem, Petrowiste, Judicaël (dir.), Le nécessaire et le superflu. Le paysan consommateur, Actes des xxxvie Journées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran, 17 et 18 octobre 2014, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2019).

92 Gallet, Jean, « Le congément des domaniers en Cornouaille au xviiie siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, tome 90-3, 1983, p. 451-466.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 – Canaux d'irrigation après remise en état
Crédits Cliché : Daniel Tanguy, 2008
URL http://journals.openedition.org/abpo/docannexe/image/6696/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 5,7M
Titre Figure 2 – Reconstitution du système des prés irrigués en bordure du Scorff (Plouay)
URL http://journals.openedition.org/abpo/docannexe/image/6696/img-2.png
Fichier image/png, 4,9M
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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Guégan, « Le pré dans l’économie agraire bas-bretonne au xviiie siècle. Aménagements hydrauliques et spéculations foncières »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 128-1 | 2021, 55-78.

Référence électronique

Isabelle Guégan, « Le pré dans l’économie agraire bas-bretonne au xviiie siècle. Aménagements hydrauliques et spéculations foncières »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 128-1 | 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/abpo/6696 ; DOI : https://doi.org/10.4000/abpo.6696

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Auteur

Isabelle Guégan

Docteur en histoire moderne, chercheur associé au Centre de recherche bretonne et celtique (Brest)

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