• 1 Sandeau, Jules, Mademoiselle de Kérouare, Paris, Les veillées littéraires illustrées, 1831. Jules (...)
• 2 Lebrun, François et Dupuy, Roger, Les résistances à la Révolution, Actes du colloque de Rennes, se (...)

5Sous la plume de Jules Sandeau, Mademoiselle de Kérouare1 est un modèle de vertu noble. La famille de Kérouare, qui habite à 6 lieues de Nantes, a été ruinée par la Révolution. Le père « rentra pauvre dans son château ruiné, sans songer à demander des comptes de son sang et de sa fortune. Il s’oubliait, on l’oublia : l’histoire des restaurations est aussi l’histoire des grandes ingratitudes ». Il se consacre à sa fille Marie, dont le visage porte « la fière dignité des Kérouare » ; elle doit épouser Monsieur de Grand-Lieu, mais ce dernier préfère renoncer au mariage en raison de son appauvrissement. Marie lui répond alors : « Votre pauvreté nous est plus chère que votre fortune », et maintient son union. Une fois veuve de son mari officier, Marie se laisse mourir et son père la suit de près. De toute évidence, les personnages nobles des romans de Jules Sandeau véhiculent « un certain nombre de stéréotypes sur la contre-révolution2 » : ils apparaissent « d’une essence supérieure », restent dignes face à l’ingratitude des Bourbons et mènent toujours une existence en accord avec leurs valeurs. La ruine ne rencontre d’autre réaction que le « mépris de l’argent ».

• 3 Courcy, Alfred de, Un nom, Paris, Imprimerie C. Douniol, 1860. Alfred de Courcy (1816-1888) est un (...)

6Dans son roman Un nom3, Alfred de Courcy présente le travail comme l’unique voie de rédemption pour les derniers représentants des familles de noblesses appauvries à la fin du xix^e siècle. Ainsi, Raymond de Fresneuse, fils d’un officier démissionnaire de la garde royale sous la monarchie de Juillet, est le seul rejeton d’une famille vendéenne. Pour soutenir sa famille, il se lance dans le commerce ; il abandonne alors son nom pour devenir « Jules Michel ». Sous « ce masque roturier » il débarque à Paris avec un capital de 300 francs et travaille dans une raffinerie, tout en restant « plein de respect pour le nom qu’il voulait reprendre un jour sans tache ». À la fin du récit, Raymond s’est enrichi par le commerce et il habite le faubourg Saint-Honoré ; sa mère et sa sœur s’occupent de bienfaisance. Par son malheur, Raymond s’est adapté aux valeurs de la société moderne.

• 4 Chateaubriand, René de, Mémoires de ma vie, Genève, Droz, 1976, p. 22.
• 5 Chateaubriand, René de, Mémoires d’Outre-Tombe, Paris, Flammarion, 1982, p. 444.
• 6 Ibid., p. 48.

9Ainsi, René de Chateaubriand relate que, issu « d’une des plus anciennes familles de Bretagne4 », il expérimenta dans sa tumultueuse existence la richesse et la pauvreté. Son père, René Auguste, cadet d’une famille aux ascendants illustres, dut pratiquer le métier d’armateur pour restituer à son nom rang et honneurs et acquérir le château de Combourg. Chateaubriand, « le chevalier », est le cadet, ses biens sont modestes ; son mariage avec Céleste Buisson de la Vigne ne lui apporte aucune aisance. C’est lors de son émigration à Londres qu’il rencontre la misère : logé dans un grenier, il partage son sort avec Hingant, un conseiller au parlement de Rennes. Au fil de leurs repas, les deux hommes diminuent leurs rations, jusqu’à boire de l’eau chaude avec un peu de sucre à la place du thé : « la faim me dévorait […]. Je suçais des morceaux de linge que je trempais dans l’eau. Je mâchais de l’herbe et du papier5^. » Revenu en France, Chateaubriand devient célèbre et reconnu, mais les aléas de sa carrière impliqueront parfois pour le couple des problèmes « d’impécuniosité » et Chateaubriand écrit : « Je ne désespère pas de mourir à l’hôpital6^. »

• 7 Mémoires de Madame de Chateaubriand, Paris, Perrin, 1990, p. 32.

10Cette confession est d’autant plus à souligner que son épouse, Céleste, a fondé, en 1819, « l’Infirmerie Marie-Thérèse », un établissement placé sous l’autorité de l’archevêque de Paris pour recueillir les femmes de familles nobles tombées dans l’isolement et la misère. Madame de Chateaubriand explicite ainsi son intention : « avant la Révolution, la charité chrétienne n’avait à s’occuper que de la classe malheureusement toujours indigente de notre société ; mais depuis une Révolution dont les effets se feront longtemps sentir, l’adversité ayant atteint les riches comme les pauvres, une nouvelle classe d’infortunés a réclamé des soins », en particulier « de vieux prêtres malades ou infirmes », « des femmes qui, par leur éducation et les habitudes de vie, ne pouvaient se résoudre à se faire soigner dans les hôpitaux communs7 ».

• 8 Arch. nat., F¹⁵ 2902.
• 9 Les enquêteurs sociaux, aussi dénommés « les visiteurs des pauvres » en référence à l’ouvrage du b (...)

12Toutefois, c’est la sous-série F¹⁵ qui a été la plus instructive dans l’étude des positions sociales en déclin. En effet, les « demandes de secours » sont gérées par le bureau des secours, au ministère de l’Intérieur. Chaque année, est compris dans le budget de ce ministère un fonds destiné à accorder des secours aux personnes qui sont dans le besoin et qui paraissent avoir droit à la bienveillance du roi. Plus précisément, dans le rapport de décembre 1819, une note adressée au directeur général par le chef de bureau explique : « Ce ne sont point des gens du peuple qui sont ordinairement compris dans cette distribution : on a presque toujours soin de n’y comprendre que des personnes qui ont tenu un certain rang dans la société, et qui par les événements de la Révolution et par des malheurs particuliers, se trouvent réduites à la misère. Ces personnes ne sont point secourues par les bureaux de charité. Les secours accordés par le ministère les sauvent ainsi du désespoir8^. » Les dossiers comportent des tableaux détaillant la distribution des sommes, des rapports de police et des enquêteurs sociaux9 sur les pétitionnaires, et surtout des lettres de demande de secours, émanant de personnes autrefois privilégiées.

• 10 Ploquin-Claret, Nathalie, Élites nobiliaires et mobilité descendante (France, 1800-1914) : étude d (...)

13Dans le cadre d’un doctorat10, ont été étudiées plus de 5 000 lettres de demande de secours émanant de familles nobles ruinées par les « événements » de la fin du xviii^e siècle et du début du xix^e siècle, et qui adressent ces missives au ministère de l’Intérieur dans l’espoir d’obtenir une pension sur la liste civile, ou au moins un secours financier.

• 11 En complément des ouvrages de Jean Meyer et de Michel Nassiet cités ci-dessous : Baury, Roger, Sen (...)

14On retrouve, parmi les demandes de secours, une forte représentation des régions de l’Ouest et du Sud-Ouest, territoires où l’appauvrissement des familles nobles est un phénomène déjà connu en ce qui concerne l’Ancien Régime11. Particulièrement, parmi ces lettres, une quarantaine émane de familles de la noblesse bretonne, dont il a été possible de retrouver de multiples traces dans les archives départementales d’Ille-et-Vilaine, du Finistère, du Morbihan et des Côtes-d’Armor : leur capitation sous l’Ancien Régime, les ventes de leurs biens pendant la Révolution, leurs dossiers dans le cadre de « l’Indemnité du milliard des émigrés », des adresses, des testaments, des rapports d’enquêtes… D’emblée, il apparaît que parmi les familles bretonnes identifiées : 23 sont de noblesse d’extraction, 6 furent anoblies sous l’Ancien Régime, 5 sous l’Empire et enfin 5 se révèlent de la haute bourgeoisie ; les autres familles sont confirmées par les nobiliaires, qui, pour autant, ne donnent pas exactement les mêmes renseignements.

• 12 Nassiet, Michel, Noblesse et pauvreté. La petite noblesse de Bretagne (xv^e-xviii^e siècle), Bannale (...)

17Il apparaît qu’aucun pétitionnaire n’appartient à des lignages étudiés par Michel Nassiet, ce qui n’est guère étonnant puisque, selon cet historien, l’extinction des lignages pauvres est très rapide12. De même, des choix tels que celui de la fécondité élevée, ou des mariages tardifs, ne sont plus de mise et le célibat semble largement préféré par les pétitionnaires au xix^e siècle. Par contre, comme sous l’Ancien Régime, on observe une mobilité géographique des familles appauvries, désormais en direction de Paris.

• 13 Meyer, Jean, La noblesse bretonne au xviii^e siècle, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études e (...)

18Comme l’a décrit Jean Meyer pour le xviii^e siècle, la noblesse pauvre se concentre toujours dans la partie nord de la haute Bretagne, en particulier autour de Saint-Brieuc, Saint-Malo, mais aussi de Rennes. Quant aux professions exercées par les plus appauvris, elles diffèrent peu de celles de l’Ancien Régime. Jean Meyer a recensé une petite noblesse s’employant dans l’Église, l’armée, la marine, l’administration, s’essayant quelquefois à des métiers manuels13. Les professions mentionnées dans l’Enregistrement au xix^e siècle présentent une certaine continuité : on y dénombre dans l’ordre décroissant, des officiers, des prêtres, des hommes de loi et des employés. De même, le déclassement social apparaît comme plus rapide en ce qui concerne les femmes.

• 14 Arch. nat., O⁴ 112.
• 15 Arch. nat., F¹⁵ 4235. Séréville, Étienne de (dir.), Dictionnaire de la noblesse française, Paris, (...)
• 16 Arch. dép. de l’Ille-et-Vilaine, C4266. Capitation Saint-Brieuc.
• 17 Arch. dép. de l’Ille-et-Vilaine, C4271. Capitation Saint-Brieuc.
• 18 Arch. dép. de l’Ille-et-Vilaine, C4266. Capitation Saint-Brieuc.
• 19 Arch. dép. de l’Ille-et-Vilaine, C4271. Capitation Saint-Brieuc.

19Autre interrogation : les familles nobles qui demandent des secours financiers au xix^e siècle étaient-elles déjà appauvries avant la Révolution ? Bien évidemment, les pétitionnaires n’évoquent jamais cette explication dans leurs lettres de demande de secours. Pour exemple, en 1836, Léopold de Geslin est secouru de 200 francs, il se présente comme le fils d’un aide de cérémonies de la couronne de France. Il désire ne plus être à la charge de sa famille qui est « indigente » et s’est rendu à Paris afin de trouver un emploi14. À la fin du xix^e siècle, en 1892, Alexandre Amédée de Geslin, père de 7 enfants, rappelle ses longs services comme employé de sous-préfecture et demande des secours15. Sur les rôles de la capitation en 1789, la famille de Geslin apparaît effectivement : le chevalier de Geslin s’acquittait de 24 livres16, Madame de Geslin et ses enfants de 22 livres17, Monsieur de Geslin de 18 livres18 et Mademoiselle de Geslin de 3 livres19. Ainsi, de modestes capitations pour certains de ses membres peuvent faire douter de l’aisance financière de cette famille à la veille de la Révolution.

• 20 Soient : la marquise de Bréhan, le marquis de Saint-Brice, plusieurs membres de la famille de Bois (...)
• 21 Soit des membres des familles de Trogoff, Le Chauff, de Tanouarn, de Geslin et de la Bintinaye.
• 22 Soit des membres des familles de la Goublaye, de Geslin, de Valory, de la Villebaud et Dufou de Ke (...)
• 23 Le Clerc, Jean-Yves, La noblesse dans l’évêché de Saint-Brieuc, dans la seconde moitié du xviii^e s (...)

20Au total, le montant payé au titre de la capitation a pu être retrouvé pour 23 familles, soit 43 personnes. Parmi elles, 11 personnes s’acquittaient de plus de 100 livres de capitation20 ; 9 versaient une capitation comprise entre 20 et 100 livres21. Plus révélateur : 5 personnes ne payaient que 10 à 19 livres22, et surtout, 17 personnes se trouvaient déjà dans une situation d’appauvrissement, payant moins de 10 livres de capitation : ce sont Mesdemoiselles de Tanouarn, de Trogoff, de Saint-Aubin, de La Bourdonnaye, de Geslin, de Bigarré, de Fabrony, de la Marche, le couple de Villard, Madame de Vallory, le chevalier de Boisgelin, Messieurs de Lemiere, de Julienne, de Fabrony, de la Villebaud (père et fils). On peut supposer que les pétitionnaires non retrouvés ne pouvaient pas payer la capitation à la veille de la Révolution, en raison de leur trop grande pauvreté. En effet, selon Jean-Yves Le Clerc, au xviii^e siècle, 40 % de la noblesse locale de Saint-Brieuc disparaît des registres de capitation, sans laisser de trace, en raison de son extinction, de son indigence, ou d’une fuite face au déshonneur23.

• 24 Nassiet, Michel, Noblesse et pauvreté…, op. cit.

21Vingt-deux personnes appartenant à la noblesse apparaissent déjà pauvres, payant moins de 20 livres de capitation, situation qui concernait les deux tiers des 4 600 familles nobles en 1700, d’après Michel Nassiet24. La moitié des capités retrouvés apparaissent donc pauvres, et la Révolution a sans doute accentué cet état de fait. Dans le même temps, la moyenne des capitations payées par les 23 familles est de 67 livres en 1789, ce qui semble convenable eu égard aux chiffres de 1789 : d’après Jean-Yves Le Clerc, le montant moyen des capitations est de 40 livres en 1789 à Saint-Brieuc, ce qui oriente donc aussi les recherches vers des appauvrissements liés aux évènements révolutionnaires.

• 25 Arch. nat., O⁴ 140. Izarny-Gargas, Louis de (dir.), Nouveau nobiliaire de France, Versailles, Mémo (...)
• 26 Arch. nat., F¹⁵ 2896. Il reçoit un secours de 50 francs. Son père fut président du comité royalist (...)

26Sans surprise, des ecclésiastiques isolés demandent des secours, tel que Monsieur Jocet du Fort-Neuf, gentilhomme breton, ancien bénédictin, âgé de 36 ans. Il se dit atteint de paralysie depuis 1832, époque où sa communauté fut dissoute ; en 1840, il est recommandé par Monsieur Masson, commissaire de charité du xi^e arrondissement de Paris25. De même, de nombreux émigrés se retrouvent démunis. Le chevalier de Jusienne relate qu’il fut emprisonné en 1791 à la citadelle de Port-Louis ; libéré, il a fait ensuite la campagne de 1792 sous les ordres des Princes, puis il est passé en Angleterre. En 1793, il est sous les ordres du duc d’York, jusqu’en 1797. En 1815, un enquêteur le juge « réduit à la plus grande misère26 ».

• 27 Arch. nat., O⁴ 150. Ils sont secourus de 2 000 francs. Saulnier, Frédéric, Le Parlement de Bretagn (...)
• 28 Arch. nat., O⁴ 104. Il reçoit un secours de 60 francs.
• 29 Kerviller, René, Bio-bibliographie bretonne, Mayenne, Joseph Floch Imprimeur, 1985.
• 30 Arch. dép. des Côtes-d’Armor. Table des ventes. Biens nationaux de seconde origine, 1790-1811. Des (...)
• 31 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1Q 335.
• 32 Arch. dép. du Finistère (dépôt de Brest), 4M 34. Renseignements sur les émigrés, An IX.

27Des familles se sont retrouvées ruinées par la Révolution, à l’exemple du couple Le Douarain de Trévélec, qui vit en 1814 à Paris, chargé de 9 enfants ; en 1842, selon l’enquêteur, en raison de leur émigration, « ils ont perdu dans la Révolution la totalité d’une belle fortune27 ». De même, Monsieur Lagoublaye de Ménorval demande un secours en 1834 ; lieutenant de gendarmerie en activité en 1830, il n’a pas été compris dans la réorganisation de ce corps et il a trop peu d’années de service pour obtenir une pension ; il souligne que sa position est d’autant plus malheureuse que sa famille vient de s’accroître d’un enfant28. La famille Lagoublaye de Ménorval est d’origine bretonne et d’extraction (elle prouve sa filiation depuis 1557), elle compte de nombreux officiers ainsi qu’un publiciste et historien, Eugène, mort à Paris en 183729. Les archives départementales des Côtes-d’Armor conservent des documents concernant des séquestres opérés sur les biens de cette famille. En 1793, sont vendus : une prairie, une pièce de terre, une maison dans la commune de Lamballe, en plus des métairies30 ; la même année sont aussi saisis les effets mobiliers de Joseph Lagoublaye de Ménorval, émigré, dans sa maison sise petite rue Saint-Jean à Lamballe. La plupart des objets laissés dans sa fuite sont de peu de valeur : « une couverture de laine blanche assez mauvaise, une mauvaise paire de draps », le tout est évalué 8 324,17 livres31. Une note du préfet, datée de l’An IX, confirme la ruine de cette famille : selon lui, l’émigré Joseph Lagoublaye de Ménorval, officier de marine à Plourin, est à Morlaix avec sa femme et ses enfants, « sa famille est en détresse32 ». Le pétitionnaire serait-il son fils ?

• 33 Arch. nat., F¹⁵ 2671. Arnaud, Étienne, Répertoire de généalogies françaises imprimées, Paris, Berg (...)
• 34 Arch. nat., F¹⁵ 2718. Arnaud, Étienne, Répertoire…, op. cit,, famille noble du Poitou.
• 35 Arch. nat., O⁴ 108. Elle reçoit un secours de 100 francs. Saint-Allais, Nicolas, Nobiliaire univer (...)
• 36 Arch. nat., O⁴ 121. Elle reçoit un secours de 50 francs.

28Toutefois, ce sont le plus souvent des femmes seules qui réclament des secours, à l’exemple de Mademoiselle Durocher de Goyon. Selon le rapport d’enquête, elle fut religieuse bénédictine ; en 1812, elle gagne sa vie à Paris par des travaux d’aiguille, et reçoit du pain du bureau de bienfaisance33. De même, en 1822, la veuve de La Mégerie expose que son mari, gentilhomme vendéen et colon de Saint-Domingue, a perdu plusieurs millions dans cette île et plus de 300 000 livres de rentes en Vendée. Son époux a été « dénoncé comme royaliste » en 1791 et emprisonné lors de son retour en France34. En 1835, Mademoiselle de la Chabeaussière, infirme et âgée, rappelle que son père fut inspecteur des mines et membre de plusieurs sociétés savantes. Le seul parent qui l’assistait a perdu la place qu’il occupait dans la Maison de Charles X par suite des « évènements de Juillet35 » ; en 1837, il est mentionné par un enquêteur qu’elle est devenue « femme de charge »36.

• 37 Arch. nat., O⁴ 111-116. Elle reçoit 250 francs de secours.
• 38 Révérend, Albert, Les familles titrées et anoblies au xix^e siècle, Paris, Librairie Honoré Champio (...)
• 39 Levot, Prosper, Biographie bretonne, recueil des notices sur tous les bretons qui se sont fait un (...)
• 40 Arch. dép. du Finistère, 3Q 572-578. Table des testaments de Brest, 1825-1872. Acte du 9 mars 1829

30Pour exemple, en 1835 et 1836, Mademoiselle Edme de Roujoux demande des secours37. Selon Albert Révérend38, Louis Julien de Roujoux (1753- Brest 1829), baron d’Empire, fut maire de Landerneau en 1780, député aux États Généraux, député du Finistère en 1791, accusateur public auprès du tribunal criminel du Finistère en 1792, député aux Anciens en 1796, préfet de 1802 à 1814. Il est le père de Prudence Guillaume (né à Dol en 1806), baron de Roujoux, et d’Alexandre. L’ouvrage de Prosper Levot39 est plus précis quant à la situation financière de Louis Julien de Roujoux : sous la Restauration, il perdit tout emploi et sa pension fut suspendue jusqu’en 1820. Lors de son décès, il laissa par testament à sa fille (non nommée) une rente de 150 francs tous les 6 mois40. La pétitionnaire existe donc bien, et si ses frères ne lui viennent pas en aide, elle vit effectivement modestement. Pourtant, cette demoiselle n’est citée dans aucun nobiliaire, et elle garde un quasi anonymat dans l’Enregistrement puisque son prénom n’est pas indiqué.

• 41 Arch. nat., O⁴ 123. Elle reçoit un secours de 150 francs.
• 42 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1P25. Pensions civiles et ecclésiastiques, secours An IX-1926.

31Des femmes appauvries demandent aussi une compensation face à la perte d’une pension sur la liste civile. En 1837, Madame Ernault de Landeneuf, veuve d’un lieutenant-colonel résidant à Dinan, est venue à Paris dans l’espoir d’obtenir une audience du roi, mais elle n’a pas été accueillie41. D’après un enquêteur, elle se nomme Angélique Louise Botherel de Moyon (rameau de la famille de Botherel, connue en Bretagne depuis le xi^e siècle) ; elle recevait une pension de 600 francs de l’ancienne liste civile. Déjà en 1830, elle avait demandé à bénéficier de la répartition d’un secours sur le fonds de 530 000 francs destiné aux pensionnaires de l’ancienne liste civile. Selon l’enquête, elle dispose « de peu de fortune42 ».

• 43 Arch. nat. O⁴ 106. Elle reçoit un secours de 150 francs.
• 44 Saulnier, Frédéric, Le Parlement de Bretagne…, op. cit. Cette famille a compté dans ses rangs un a (...)
• 45 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1P 25. Pensions civiles et ecclésiastiques, secours An IX-1926.

32C’est aussi la situation de Madame Mahé de Kérouant, qui s’est rendue en 1835 à Paris afin de solliciter la réintégration de son mari dans un « petit emploi » qui était le seul revenu de sa nombreuse famille. Mais les frais du voyage et du séjour prolongé à Paris ont épuisé toutes ses ressources et elle demande un secours pour retourner en Bretagne43. Cette requête est appuyée par Monsieur Legrand, directeur général des Ponts et Chaussées. La famille Mahé de Kérouant, originaire de l’évêché de Léon, est de noblesse de simple extraction44. Aux Archives départementales des Côtes-d’Armor, des dossiers renferment des rapports effectués sous la monarchie de Juillet à propos des anciens pensionnaires de la liste civile : en effet, l’article 3 de la loi du 28 juin 1833 permettait à ces derniers de bénéficier de la répartition d’un secours sur un fond de 530 000 francs. Une enquête confirme les dires de la pétitionnaire : F. L. Mahé de Kérouant, né le 7 février 1789, habitant Rostremer, sollicite un secours sur ce fonds car il a perdu une pension de 180 francs. C’est un ancien marin et, employé des Ponts et Chaussées, il est déclaré « sans fortune »45.

• 46 Arch. nat., O⁴ 105.
• 47 Arch. dép. du Morbihan, 6E 1527. Fonds Leclaire. Séréville, Étienne de (dir.), Dictionnaire de la (...)

33Des épouses se retrouvent face à des situations d’endettement. En 1834, la baronne de Valori, résidant à Rennes, reçoit un secours de 300 francs. Veuve du général « décédé en 1817 des suites de ses blessures », elle a attendu pendant 5 ans sa pension de veuvage, « la législation sur les pensions n’étant pas encore entièrement fixée », et elle affirme avoir épuisé ses dernières ressources46. Selon Étienne de Séréville, cette famille d’extraction chevaleresque, implantée en Anjou et en Normandie, s’est éteinte en 1898. François Laurent, comte de Valori (1763-1822), fut l’un des défenseurs de la famille royale et escorta la voiture de Louis XVI durant la fuite dite de Varennes. Une lettre datée du 13 décembre 1813, écrite par le notaire Leclaire à Vannes, éclaire la situation de la pétitionnaire : « j’ai enfin trouvé la caserne de Monsieur de Valori », le général a une dette de 706 francs. Madame de Valori, qui vit à Paris « avait donné sa parole qu’elle solderait cette somme dès les premiers fonds qu’elle recevrait de son mari », mais elle ne l’a pas fait47.

• 48 Arch. nat., O⁴ 110/111-138. Izarny-Gargas, Louis de (dir.), Nouveau nobiliaire de France, op. cit.(...)
• 49 Arch. nat., F¹⁵ 2702.
• 50 Arch. dép. du Morbihan, U1418. Testaments 1811-1862.

34Madame de Livenne, veuve d’un capitaine de frégate, demande un secours en 1833 et en 1840 depuis Vannes48. Auparavant, en 1818, son époux avait reçu un « secours particulier » de 500 francs. Un rapport « confidentiel » expose sa situation : J. L. C., né en 1769, commandant de frégate, chevalier de Saint-Louis et de l’ordre de Malte, émigré, de retour en 1800, a été ruiné par la Révolution. Il entre en 1805 dans les Droits réunis avec 3 000 francs de revenus, mais il perd cette place lors des Cent-Jours. Selon la police, il aurait dû reprendre ce poste à la Restauration, mais il a préféré se représenter comme officier de la Marine et est resté 14 mois en attente, sans traitement. Il a repris ses activités comme capitaine de frégate, en 1816, au port de Lorient avec 2 200 francs d’appointements. En 1818, en raison de son attente et de ses déplacements, il a contracté 6 000 francs de dettes ; il reste « sans relations ni parents pour le soutenir49 ». C’est à Vannes que se trouve le testament de la pétitionnaire : madame de Livenne, Françoise Rose, épouse de J. L. C., décède le 27 septembre 1858. Sa légataire universelle est Mademoiselle Suzanne Guimarha, fille majeure « ménagère » ; cette veuve ne laisse aucun autre héritier50.

• 51 Arch. dép. de la Loire-Inférieure, série B. Dossier.
• 52 Arch. nat., O⁴ 106. Elle reçoit un secours de 300 francs.

36Il apparaît à ce sujet que, parmi les pétitionnaires, une famille était déjà secourue avant la Révolution. En effet, en 1784, les États de Bretagne ont accordé des secours aux gentilshommes pauvres de Saint-Brieuc et les enfants de Gourlay ont alors reçu 24 livres51. La famille de Gourlay est d’extraction bretonne, elle a été maintenue en noblesse en 1669. En 1835, Madame de Gourlay demande un secours ; elle affirme que sa famille se retrouve dans le dénuement le plus absolu puisqu’ils ont vendu leurs effets52.

• 53 Arch. nat., DX 1 Pensions accordées dans le département des finances sous le ministère de Calonne. (...)
• 54 Arch. nat., O⁴ 152.

37Sous l’Ancien Régime, les souverains se montraient sensibles au problème de l’éducation des enfants de la noblesse pauvre ; parmi maints exemples, Louis XVI accordait annuellement au comte de Boisgelin la somme de 600 livres « destinée à l’établissement fait en Bretagne pour y recevoir les enfants des pauvres gentilshommes de cette province53 ». Au xix^e siècle, les souverains perpétuent la tradition de veiller au maintien des anciennes familles appauvries en prenant en charge, partiellement ou totalement, l’éducation de leurs enfants. Dans toute la France, il existe plusieurs œuvres destinées à l’éducation des enfants issus d’une certaine élite, que les parents ne sont plus en mesure d’assurer : la fondation de l’Impératrice Joséphine, l’Association paternelle des chevaliers de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis et du mérite militaire, les Maisons des orphelines de la Légion d’Honneur… Ainsi, le roi et la reine, car le souci de l’éducation des enfants est une préoccupation partagée, interviennent financièrement en payant tout ou partie des trousseaux et des pensions des enfants, quel que soit leur établissement. En 1842, des documents récapitulent les frais que les souverains prennent en charge chaque trimestre : Anatole de Coëtlogon à Saint-Cyr (425 francs), le jeune Cormier du Médic à l’Institution de M. Bigot (600 francs), jeunes nobles bretons, font partie des privilégiés54.

• 55 Arch. nat., O⁴ 111. Elle reçoit un secours de 200 francs. Izarny-Gargas, Louis de (dir.), Nouveau (...)
• 56 Arch. nat., O⁴ 154. Elle reçoit un secours de 60 francs.

38Autre exemple, selon un rapport, Mademoiselle Péan de la Rochejaigu est « une jeune personne qui paraît douée de grande disposition pour la composition musicale, venue à Paris pour s’y perfectionner. Or, elle ne peut suivre les cours de composition du conservatoire où les femmes sont exclues, elle est donc obligée de payer des leçons particulières qui lui coûtent plus de 100 francs par mois. Ses parents, dont la seule fortune est l’emploi de son père à l’administration de la marine de Brest, se sont imposés, pour la maintenir à Paris, des sacrifices au-delà de leurs facultés55 » ; l’enquêteur précise aussi en 1835 que le conseil municipal de Brest lui a accordé un secours de 600 francs. En 1842, elle est de nouveau secourue ; travaillant comme compositeur de musique, elle se dit seule, sans famille ni fortune56.

• 57 Arch. nat., F¹⁵ 2718.
• 58 Arch. nat., F¹⁵ 2651^A.

39En général, les pétitionnaires reçoivent une réponse favorable à leurs lettres, le plus souvent sous la forme de l’octroi d’une certaine somme. Toutefois il existe, rarement, des pétitionnaires qui n’ont obtenu aucun secours en dépit de leur nom, en raison de leur conduite jugée répréhensible par les enquêteurs. Pour exemple, le comte de Glais est recommandé en 1822 par le baron de la Boussardière : « dans le plus pressans besoin, il est impossible d’être plus malheureux, n’ayans ni fortune, ni pension, et ne trouvant de moyens d’existence que dans les secours qui lui sont accordés57^. » En 1828, le comte se présente lui-même comme un chevalier de Saint-Louis émigré, âgé et infirme, « malheureux par suite de son attachement à la famille royale », « persécuté et incarcéré comme agent des Princes » ; selon un rapport de police, le comte est en réalité « victime de son alcoolisme et de ses dettes criardes58 ».

• 59 Arch. nat., F¹⁵ 2899 et F¹⁵ 2902. Elle reçoit un secours de 60 francs. Izarny-Gargas, Louis de (di (...)
• 60 Arch. nat., F¹⁵ 2899.
• 61 Archevêché de Paris, 9.D.1.b. Registre d’admissions 1819-1838.

41Madame de Chalupt-Micault relate dans une lettre datée du 21 novembre 1816 : « née fille noble, mon père, mes oncles, mes frères, mon mari, major des villes et châteaux de Saint-Malo, lieutenant de vaisseau de la marine royale, tous furent victimes de la Révolution soit à l’armée de Vendée, soit dans les prisons de Robespierre, où j’ai été incarcérée depuis trois ans, pendant lesquelles ma mère m’y est morte entre mes bras, j’ai tout perdu. » Elle affirme en 1819 que ses biens familiaux ont été vendus et le reste a été dévasté par le passage des troupes alliées59. La même année, elle écrit de nouveau : « j’ai été obligée de m’éloigner de mon pays pour chercher à élever mon fils et lui donner une éducation qui répondit à celle de ses parens60^. » En 1821, M.-C. de Chalupt-Micault, âgée de 52 ans, est admise à l’Infirmerie Marie-Thérèse sous la recommandation du curé de sa paroisse61.

• 62 Arch. nat., F¹⁵ 2901. Ils reçoivent un secours de 50 francs.
• 63 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1P25.
• 64 Archevêché de Paris, 9.D.1.b. Registre d’admissions 1819-1838.

42De même, Madame Dumangouer de Tremoret envoie une lettre de demande de secours en 1818, et cette demande fait l’objet d’une enquête. Le rapport indique qu’elle est issue « d’une ancienne et bonne famille », qui « a été ruinée par la Révolution ». Son époux, écuyer, a émigré en Angleterre jusqu’en 1814, et « n’est revenu en France que pour endurer toutes les rigueurs du besoin, sa fortune ayant été vendue pendant son absence » ; son père et ses deux frères ont péri sur l’échafaud. Le couple espère obtenir une pension, d’autant plus qu’« un séjour aussi long que frayeux (sic) à Paris a absorbé et même infiniment au delà les dernières ressources ». Ils veulent retourner rapidement « dans leur patrie, à Saint-Brieuc »62. Auparavant, en 1817, J. F. J. Dumangouer de Tremoret avait sollicité, auprès du maire de Pordic, des secours sur les fonds affectés aux royalistes. Selon l’enquêteur chargé de son dossier, le pétitionnaire est un gentilhomme breton, marin dès l’âge de 12 ans, émigré, il a suivi le roi à Gand. Son père a été guillotiné à Saint-Brieuc et ses biens vendus. Il a été placé à son retour comme sergent de la garde royale63. En 1824 Madame F. Dumangouer de Tremoret entre à l’Infirmerie Marie-Thérèse64.

• 65 Mémoires de Madame de Chateaubriand…, op. cit., p. 33.
• 66 Duprat, Catherine, Usages et pratiques de la philanthropie. Pauvreté, action sociale et lien socia (...)

43L’Infirmerie Marie-Thérèse, « l’asile des misères supérieures65 », est bien sûr un hospice privilégié. L’article 6 du règlement de l’Infirmerie précise : « les personnes admises, accoutumées à des temps plus heureux, y sont traitées de manière à leur faire regretter le moins possible leurs meilleurs jours : la nourriture est saine et abondante et le linge approprié à la délicatesse de leur position. » Les femmes disposent de chambres ou d’appartements pour une ou deux personnes ; au rez-de-chaussée ont été aménagés : deux salons communs, une salle à manger, une salle de bains, une bibliothèque et trois chapelles. Le tout est parqueté, tapissé et meublé avec élégance. La dépense moyenne par pensionnaire est de 1 072 francs par tête en 1833. Par ailleurs, pour financer son établissement, Madame de Chateaubriand a établi une fabrique de chocolat, qui produit et vend à son profit. Elle bénéficie aussi à plusieurs reprises des générosités royales, de dons libres, de quêtes, et de subventions municipales (soit 277 francs par tête en 1843)66.

• 67 Arch. nat., F¹⁵ 2165. Arnaud, Étienne, Répertoire de généalogies françaises…, op. cit. : famille n (...)
• 68 Arch. nat., F¹⁵ 2897. En 1815, il reçoit un secours de 60 francs.
• 69 Levot, Prosper, Biographie bretonne…, op. cit., vol. I, p. 485.

44D’autres hospices de la capitale, plus modestes, vont aussi recueillir des membres de la noblesse bretonne. Monsieur Carrouge de Marigny, ancien sous-préfet, avec son épouse, sur la recommandation du préfet de l’Eure-et-Loir et du comte de Marcellus, pair de France67, ont été admis en 1829 à l’hospice des ménages (situé rue de Sèvres, il est ainsi nommé car il admet les couples). Monsieur Daillant de la Touche, homme de lettres, demeurant à Paris, se présente en 1815 comme « un ancien gentilhomme ruiné par la Révolution ». Il demande à entrer à Bicêtre « l’asyle des Bons pauvres » et décrit sa situation : « l’excès de mon malheur me forcent de vous demander secours. Je suis né en Basse-Bretagne de parens pauvres, mais très anciens nobles. J’ai servi, et le métier des armes ne m’a pas empêché de cultiver les lettres. » Engagé dans l’armée royale pendant la Révolution, il a ensuite été emprisonné 5 mois68. Né en 1744, fils d’un chirurgien de Quintin, François-Jean Daillant de la Touche était à Paris un collaborateur de « l’Année littéraire », et est l’auteur de nombreux ouvrages. Toutefois, il vit sous la protection de Monsieur de Keratry, qui lui obtient en 1816 l’entrée à Bicêtre « où l’infortuné littérateur fut trop heureux de trouver un asile » ; il y meurt le 7 janvier 182769.

• 70 Arch. nat., O⁴ 83-108. Il reçoit des secours s’élevant au total à 280 francs.
• 71 Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C4297. Capitation du parlement de Bretagne.
• 72 Saulnier, Frédéric, Le Parlement de Bretagne…, op. cit.
• 73 Arch. dép. du Calvados. Table des contrats de mariage de Bayeux 1812-1864.

47Abordons d’emblée le sujet de la mésalliance, ou un trop modeste mariage, qui est un facteur connu d’appauvrissement pour les familles. Le comte Blanchard de la Musse résidant à Montfort (Ille-et-Vilaine) demande des secours de 1831 à 183570. Cet octogénaire, ancien conseiller au parlement de Bretagne et homme de lettres, affirme avoir été ruiné par la Révolution ; un enquêteur le juge « dans une position indigente ». La famille Blanchard de la Musse, qui appartenait à la haute bourgeoisie de Nantes, a été anoblie en 1611 et maintenue dans la noblesse en 1669. Le comte F. G. U. Blanchard, seigneur de la Musse, né à Nantes le 16 décembre 1752, était dans une position aisée puisqu’il s’acquittait de 226 livres de capitation en 178971. Il n’a pas émigré ; il fut arrêté et incarcéré à Nantes. Au lendemain de la Révolution, il obtient un emploi dans le service des subsistances puis devient juge d’instruction ; il sollicite sa retraite pour cause de surdité. Homme de lettres, il a publié des poésies et des petites pièces de théâtre, et était membre de la Société royale académique de Nantes. Il était marié à Mademoiselle Ourmeau (décédée en 1821) ; Frédéric Saulnier affirme : « on ignore la destinée de leurs enfants72^. » Il apparaît cependant que Alphonsine Pauline Blanchard de la Musse « couturière de son état » s’est mariée à Monsieur Tual à Bayeux en 186173.

• 74 Arch. nat., O⁴ 107. Valette, Régis, Catalogue de la noblesse française, Paris, Éditions Laffont, 1 (...)
• 75 Arch. nat., F¹⁵ 4232.
• 76 Arch. nat., F¹⁵ 4232.
• 77 Circulaire du vicomte de Kermel, en date du 14 novembre 1872, reproduisant un extrait de la lettre (...)

48Grâce à des lettres de demande de secours émanant des femmes, il s’est avéré possible de retrouver des métiers exercés par les hommes au cours du xix^e siècle. C’est le cas de la famille de Kermel, dont deux des épouses se sont retrouvées en difficulté, l’une sous la monarchie de Juillet, l’autre sous la III^e République. En effet, en 1835, Madame de Kermel, qui se présente alors comme une mère de famille ayant subi des revers de fortune, reçoit un secours de 100 francs74. En 1879, Madame de Kermel (épouse de Bréban), veuve d’un officier et maire du Finistère, mère de fils servant dans l’armée, reçoit un secours de 150 francs75 ; en 1880, elle reçoit de nouveau un secours de 150 francs76. En ce qui concerne cette famille, il existe un document à propos du vicomte de Kermel, qui mentionne les professions exercées par ses membres, certains sont officiers et d’autres au service de l’État. Mis à part le vicomte, officier retraité qui a reçu la Légion d’honneur, il est fait mention de : Louis (qui a reçu la Légion d’honneur) capitaine dans la Marine, François (qui a reçu la Légion d’honneur) capitaine dans l’armée de terre ; Charles a suivi l’École polytechnique et est devenu ingénieur en chef, Urbain est percepteur, Henri et Alexandre sont dans l’administration des Postes, et Victor (qui a reçu la Légion d’honneur) est inspecteur dans l’administration des forêts77. Dans cette famille, les hommes ont su préserver leur respectabilité : ils perpétuent la tradition du service de l’État et se placent dans l’armée. Particulièrement, la position d’officier est garante de la préservation d’un digne statut social, bien que cette profession soit notoirement peu lucrative.

• 78 Arch. nat., F¹⁵ 2898 et F¹⁵ 2700.
• 79 Valette, Régis, Catalogue de la noblesse…, op. cit. : famille d’extraction chevaleresque (1370), e (...)

49Autre exemple de continuité familiale, découverte grâce à une lettre d’une veuve : la famille Ducouëdic de Kergoalen, qui s’est perpétuée au xix^e siècle. Madame Ducouëdic de Kergoalen, qui demeure à Paris rue Jacob, se présente comme la veuve d’un ancien conseiller au parlement de Bretagne, grand maître des Eaux et Forêts et grand veneur de cette province, dont les charges n’ont pas été remboursées. Elle réclame des secours à deux reprises, en 1816 et en 181878. Rappelant qu’elle a été « ruinée par la Révolution », elle affirme que tous les hommes de la famille ont combattu dans l’armée de Condé, ce qui a anéanti sa fortune. Cette famille d’extraction chevaleresque de l’évêché de Cornouailles a connu les honneurs de la Cour79.

• 80 Charles Louis du Couëdic de Kergoalen, commandant de « La Surveillante » pendant la guerre d’Indép (...)
• 81 Saulnier, Frédéric, Le Parlement de Bretagne…, op. cit., p 275.

50Toutefois, concernant l’époux de Madame Ducouëdic de Kergoalen, les nobiliaires révèlent des faits peu glorieux. Le comte Armand du Couëdic, seigneur de Kergoalen, est né à Hennebont le 23 mars 1755 ; neveu du célèbre commandant de « La Surveillante »80, capitaine d’infanterie, chevalier de Saint-Louis, il a servi comme officier au régiment royal de la Marine. Selon Frédéric Saulnier81, il se qualifie de grand maître des Eaux et Forêts et grand veneur de la Bretagne pour toucher l’indemnité du milliard ; or c’était la charge de son père, dont il n’a jamais été revêtu. Réfugié à Londres, il rentre en France en 1793 et est arrêté. Relâché, « il vécut très obscurément jusqu’à sa mort » ; il décède à Paris le 18 janvier 1836. Il s’était uni à Mademoiselle Berteleau le 16 mai 1795, qui meurt à Paris le 7 septembre 1822 ; ils n’eurent pas d’enfants, c’est le vicomte du Couëdic de Kergoalen qui perpétua la descendance.

• 82 Levot, Prosper, Biographie bretonne…, op. cit., p. 589.
• 83 Discours prononcé par M. Portier sur la tombe de M. le capitaine de corvette Raoul du Couëdic. Nan (...)

51Prosper Levot a des mots plus durs encore envers le comte : « cerveau brûlé, il était, à l’excentricité près, un très galant homme mais sans suite dans les idées » ; il est mort « après avoir mangé son patrimoine82 ». Malgré cette situation, la famille du Couëdic de Kergoalen s’est honorablement perpétuée. L’oraison funèbre du capitaine de corvette Raoul du Couëdic de Kergoalen rend hommage au petit-fils du héros de « La Surveillante », qui a su « perpétuer le prestige de cette famille » dont le nom « appartient à l’Histoire », les « grandes âmes héréditaires » se transmettant « de génération en génération83 ».

• 84 Les religieuses hospitalières de Besançon, Mère Du Couëdic. Besançon, Imprimerie de l’Est, 1956. E (...)
• 85 Arch. dép. du. Finistère, Société archéologique du Finistère, 1976, Tome civ, p. 449-450.

52Marie-Jeanne Françoise Élisabeth, fille du vicomte Charles Raoul du Couëdic de Kergoalen, marin descendant du commandant de « La Surveillante » (et de Mathilde de Wesdhelen, d’origine hongroise) fut la supérieure générale des religieuses hospitalières de Besançon84. Son frère, jeune aspirant à la marine, est décédé à Brest en 1895. Enfin, en 1976, André du Couëdic de Kergoalen a écrit une étude sur les familles nobles du Finistère d’origine authentique toujours subsistantes85.

• 86 Arch. nat., F¹⁵ 4236.

53Toutefois, cette famille qui a su préserver le prestige de son nom et occuper des charges honorables, est-elle à l’aise financièrement ? La situation de cette veuve semble fragile : en 1886, Marie-Fanny Adélaïde Luzeide du Couëdic de Kergoalen, veuve du sous-préfet Monsieur Pellu du Champ Renou, est secourue par le ministère de l’Intérieur. Née en 1818 à l’île Maurice, elle habite la maison de retraite de Quimper, où elle paye 750 francs de pension. Une enquête de la préfecture de la Loire-Inférieure retrace le parcours de sa famille. Son grand-père fut maire de Nantes, son père était receveur des finances, son grand-oncle était commandant, et « presque tous les Couëdic ont été marins ». Son époux fut sous-préfet de Ruffec (en Charente) de 1849 à 1854 ; un de ses fils est vérificateur des douanes à Nantes, un autre est décédé officier en Cochinchine. Sa demande de secours en 1886 est appuyée par le préfet : « Je n’ai recueilli sur son compte que d’excellents témoignages […] elle passe pour se trouver dans une position peu fortunée. Sa contribution personnelle et mobilière est de 8,51 francs c., elle n’est imposée à aucune autre contribution […] son mari a perdu leur fortune en 1848 à Nantes ; elle s’est retirée dans un couvent à Quimper afin de faire moins de dépenses86^. »

• 87 Annexes n^o 1 et n^o 2.

54Reconstituer des généalogies sociales retraçant la mobilité des individus selon les critères de la qualité, de la fortune, de la profession, le tout sur un siècle et en comparant les destinées des frères et sœurs, voire des cousins, se révèle une tâche ardue et très frustrante. Deux obstacles majeurs, inhérents aux caractéristiques du déclassement social, se dressent : la forte mobilité géographique des individus, qui ne permet pas de retrouver leur succession, et l’extinction des lignages. Toutefois, une étude longitudinale a été esquissée pour deux familles bretonnes87.

• 88 Arch. nat., O⁴ 140 et 151. Elle reçoit un secours de 300 francs.

55En 1840, Mademoiselle Cormier du Médic adresse deux lettres au ministère de l’Intérieur88. Sa première requête porte sur une aide pour constituer son trousseau pour Saint-Denis. Elle souligne que son père, après de longs services militaires, a été administrateur de la Caisse d’épargne, inspecteur des écoles gratuites et administrateur du bureau de bienfaisance, mais « il s’est ruiné dans une entreprise où il avait placé toute sa fortune ». Décédé, il a laissé une veuve et trois enfants. Sa seconde requête porte sur une aide pour l’éducation de son jeune frère.

• 89 Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1Q 940. Partage non évalué.
• 90 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1Q 233.

56La famille Cormier du Médic est enracinée en Bretagne, dans la région de Guingamp. Deux de ses membres ont émigré : Jean-F., propriétaire et juge à Rennes, et Fidèle Rolland, mort à l’armée de Condé en juillet 1794 ; tous deux sont les fils de Rose Cormier du Médic, qui effectue un partage de pré-succession89. Le 31 mai 1792, à Guingamp, l’inventaire de l’appartement de l’émigré Jean Cormier du Médic révèle des biens modestes : « une mauvaise fourrure, une vieille malle, des mauvaises chaises », une chambre sans cheminée où l’on trouve « un mauvais pot de chambre, une mauvaise paire de gans de chamois », mais toutefois un gobelet en cristal. Le tout est évalué 2 858 livres. De plus, on retrouve au grenier, « dans une vieille malle et une grande armoire » 94 livres et des cartes de géographie estimées90. D’autres documents concernent cet émigré : un avis aux créanciers de sa succession (car il fut déclaré mort en prairial An III, pendant son exil), la liquidation d’un de ses fermages pour la somme de 214 livres, et une réclamation de sa sœur Rose Jeanne, épouse Kespertz, à propos d’une rente de 158 livres qu’elle avait sur la succession de son frère.

• 91 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1P 23-24.

59Ce sont les femmes de ce lignage qui vont oser réclamer des secours. Dans une lettre datée du 8 novembre 1818, Rose Cormier du Médic demande une pension sur la liste civile au nom des services de son père : officier, il a servi dans les guerres du Hanovre, puis dans l’armée de Condé lors de son émigration. Elle rappelle la vente des biens de son père et l’exclusion de la succession de son aïeul et oncle paternel. Enfin, elle confie se livrer avec sa sœur « à des travaux pénibles ». Toutefois, cette pension lui est refusée par le ministère de la Maison du Roi, en raison du manque de fonds disponibles91.

• 92 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 1P 25.

60En 1830, deux demoiselles Cormier du Médic sollicitent des secours, afin de bénéficier de la répartition d’un fonds de 530 000 francs destiné aux pensionnaires de l’ancienne liste civile ; ces demandes s’accompagnent de petits dossiers. Ainsi, on apprend que Rose Paul et M.-H. Zoé, nées respectivement le 24 avril 1770 et le 11 septembre 1784, célibataires, demeurant à Guingamp, recevaient toutes les deux un secours de 90 francs, justifié par la mort de leur père à Quiberon. Pour chacune, leur fortune est estimée à 500 francs, avec un revenu annuel de 360 francs ; leur activité est « tricoteuse »92.

• 93 Arch. dép. des Côtes-d’Armor, 3Q 1673.
• 94 Discours prononcé sur la tombe de M. le Comte Cormier du Médic, administrateur du Bureau de charit (...)
• 95 Arch. dép. de la Seine, DQ8 904.

61Qu’est devenu leur frère Jean ? Il est vivant en 1837 puisque cette année Rose Cormier du Médic lui lègue une portion de la métairie du Médic ; il est désigné comme « propriétaire à Paris93 ». Les recherches nous conduisent donc sans surprise vers la capitale. En 1840, année de l’envoi de deux pétitions, décède un certain comte Cormier du Médic (son prénom n’est jamais mentionné), dont la carrière correspond à la description donnée. Une oraison funèbre écrite par le chevalier de Beauterne a été imprimée à cette occasion94 : Cormier du Médic est décrit comme un militaire breton (de la marine), à qui Napoléon a décerné la croix d’honneur, et qui fut officier supérieur dans la garde de Louis XVIII. Malheureusement, sa succession n’a pas été retrouvée. Toutefois, en 1840, le 4 avril, Jean Cormier du Médic, soldat, âgé de 23 ans, décède à l’hôpital militaire sans laisser de biens95 ; son âge et son prénom (présent à chaque génération de son lignage) peuvent laisser penser qu’il s’agit de son fils, c’est-à-dire le frère de la pétitionnaire qui réclamait pour lui des secours.

• 96 Arch. nat., O⁴ 81. Elle reçoit un secours de 80 francs.
• 97 Arch. nat., O⁴ 152.

63Autre situation : en 1831, Madame Dufou de Kerdaniel, résidant à Vannes, déplore la perte de ses pensions sur la liste civile et sur la cassette du roi ; selon un enquêteur, « le bruit de leurs embarras étant parvenu à leurs fournisseurs, ceux-ci ne veulent plus faire crédit » ; de ce fait cette famille « éprouve les plus cruelles privations96 ». En 1840, Madame Dufou de Kerdaniel, résidant à Nantes, reçoit un secours de 200 francs97.

• 98 Arch. dép. du Finistère, 1Q 2733.

64La famille Dufou de Kerdaniel, originaire de Bretagne, est de noblesse d’extraction, prouvant sa filiation depuis 1426. Pendant la Révolution, cinq frères émigrèrent. En 1825, le seul frère survivant, Jérôme Bonaventure, se voit attribuer une indemnité de 5 341 francs98. En 1829, dans une lettre datée du 26 mai, F. M. J. Dufou de Kerdaniel, employé à la Compagnie de Belfort, demande l’indemnité du milliard en tant qu’héritier de F. J. Dufou de Kerdaniel son oncle, pour deux maisons et une métairie.

• 99 Obsèques de M. le vicomte Dufou de Kerdaniel, discours et articles nécrologiques, Saint-Brieuc, Im (...)

67L’Enregistrement, et d’autres sources complémentaires, permettent de suivre les membres de deux branches de cette lignée. La première branche, issue du premier mariage du vicomte P. C. M. Bonnaventure Dufou de Kerdaniel s’est maintenue, puisque son fils (décédé en 1865) fut commandant, et son petit-fils, le vicomte Henri François Marie, fut maire d’Hillion et possédait avec son épouse le château de Bonabry. Lors de son décès en son hôtel en 1910 à l’âge de 76 ans, son oraison funèbre le dépeint comme un royaliste, élevé au petit séminaire de Saint-Méen, et docteur en droit à l’Université de Rennes99. Par ailleurs, cette branche se perpétue au xx^e siècle.

• 100 Arch. dép. du Morbihan, P1928.
• 101 Arch. dép. du Morbihan, 3Q 2749-2761.

68Quatre des sept enfants issus du second mariage de P. C. M. Bonnaventure Dufou de Kerdaniel n’ont laissé que quelques traces. Joseph est capitaine au port de Lorient en 1820 ; il acquitte un impôt mobilier de 12 francs100. Anne Catherine Gabrielle, célibataire, décède à 26 ans le 26 mars 1819 ; la rubrique mentionnant les successions indique « sans biens ». Alexandre Paul, commis, décède à 34 ans, le 18 février 1833 ; veuf, il laisse 292 francs de meubles. La pétitionnaire, Caroline Françoise, propriétaire, meurt le 3 juin 1840 à Vannes, à l’âge de 33 ans ; son héritier est son époux, notaire à Nantes101.

• 102 En particulier, l’étude des lettres a exigé une analyse de la stratégie discursive. En effet, l’as (...)

74Les archives utilisées dans cette étude comportent de nombreux écueils102. Les demandes de secours collectées aux Archives nationales ont permis de saisir des milliers de témoignages de souffrances relatifs au déclin social. Toutefois, ces lettres ne révèlent en définitive qu’une partie de ce phénomène social. Reconnus par le ministère de l’Intérieur, ces individus décrivent une pauvreté admise, qui peut être secourue, mais qu’en est-il de tous les déclassés trop honteux pour oser se manifester, incapables d’avouer leur triste sort, même au bienveillant souverain ? Les recherches aux archives départementales ont permis de croiser de nombreux cas de familles nobles appauvries qui n’ont émis aucune demande de secours. Le recours au traditionnel rôle protecteur du souverain caractérise des personnes qui, malgré leur dénuement, s’affirment encore comme des membres privilégiés de la société, exercent la prérogative d’être écoutées et protégées par le gouvernement. En définitive, il faut avoir conservé sa dignité pour réclamer un secours.