1L’étude du mémoire pour le duc de Bourgogne sur l’intendance de La Rochelle, réalisée par Pascal Even, comprend trois parties : une présentation du mémoire, de la carrière de l’intendant Michel Bégon, et de la situation économique et religieuse de l’Aunis et de la Saintonge à la fin du xvii^e siècle (dans l’introduction [p. 9-50] et dans le chapitre intitulé « Le manuscrit » [p. 51-71]) ; une édition annotée du « Mémoire sur la généralité de La Rochelle » (p. 73-145) et de l’« État des paroisses de la généralité de La Rochelle avec l’imposition de l’année 1698, le nom des seigneurs et la qualité du terroir » (p. 147-269) ; les indispensables outils de travail et de lecture que sont la bibliographie (p. 271-281) et l’index des noms de lieux et de personnes (p. 283-333).

2Pascal Even rappelle d’abord la carrière de Michel Bégon (1638-1710), un juriste qui exerça à partir de 1677 de hautes responsabilités dans l’administration de la marine et des colonies des Antilles, avant d’être nommé en septembre 1688 intendant de la marine à Rochefort, puis en 1694 intendant de la généralité de La Rochelle que la monarchie venait de créer. Il arriva dans des provinces où, depuis la Révocation de l’édit de Nantes, vivaient de nombreux « nouveaux convertis ». L’un des enjeux de sa mission consistait à favoriser leur intégration dans l’Église catholique. Comme Pierre Arnoul, intendant de la marine à Rochefort de 1683 à 1688, il veilla donc à les ménager car il voulait leur éviter la misère afin d’empêcher le départ massif des marins de la Seudre ou de l’île de Ré, et celui des armateurs et négociants de La Rochelle dont les capitaux étaient indispensables au développement de la région.

3P. Even évoque ensuite le découpage administratif et le contexte économique de l’Aunis et de la Saintonge dans les quatre dernières décennies du xvii^e siècle. La nouvelle intendance regroupait les cinq élections de La Rochelle, Saint-Jean-d’Angély, Marennes, Saintes et Cognac, et la plupart des fidèles dépendaient des diocèses de La Rochelle et de Saintes, un très petit nombre de paroisses relevant des diocèses d’Angoulême, de Poitiers ou de Périgueux. La Rochelle était alors redevenu un port prospère qui commerçait avec le Canada et les Antilles, importait des fourrures, du sucre et de l’indigo, et qui multiplia par trois le volume de sa flotte entre 1664 et 1682. Cet enrichissement reposait notamment sur la traite négrière à laquelle les Rochelais participèrent à partir des années 1670. L’Aunis et la Saintonge vivaient aussi de la production de sel et de vins vendus sous forme d’eaux-de-vie : la région de Saint-Jean-d’Angély devint alors, après Cognac, le deuxième centre de distillation et de collecte des eaux-de-vie de la généralité de la Rochelle.

4Comparé à ceux d’autres généralités, le mémoire que M. Bégon a consacré à l’intendance de La Rochelle est peu épais, mais il peut être complété par les mémoires de l’ingénieur Claude Masse, qui était chargé de procéder au relevé des côtes. Il existe plusieurs exemplaires du mémoire de M. Bégon sur la généralité grâce aux copies réalisées pour les services administratifs de la monarchie, pour certaines personnalités ou pour des particuliers érudits et collectionneurs. P. Even a recensé 48 manuscrits, dont 39 à Paris et dans la région parisienne (18 à la Bibliothèque nationale de France) et 9 en province dont 3 à la Médiathèque Michel-Crépeau à La Rochelle. Pour réaliser l’édition critique du mémoire, il s’est appuyé sur le manuscrit 8148 de la BnF, déjà utilisé par Georges Musset en 1875, et l’a complété avec le manuscrit 4185 de la bibliothèque de l’Arsenal et des mémoires dont les variantes sont indiquées en notes pour les plus importantes d’entre elles. Le mémoire est divisé en deux parties : une description générale des deux provinces composant la nouvelle généralité, et une liste des paroisses classées par élection et qui, pour chacune d’entre elles, précise le montant de l’imposition de l’année 1698, ainsi que le nom du ou des seigneurs, et, de façon non systématique, des appréciations sur « la qualité du terroir ».

5Le mémoire est un texte administratif et descriptif qui développe plus particulièrement trois thèmes. M. Bégon porte d’abord un regard critique sur la politique menée contre les protestants et sur le clergé, séculier et régulier : il condamne les conversions forcées, entachées d’hypocrisie, les exactions commises par les soldats, et il fustige l’ignorance, le manque de charité, la mauvaise conduite, l’avarice et l’indiscipline des prêtres d’Aunis et de Saintonge. Il estime que les ecclésiastiques ne sont pas toujours à la hauteur des responsabilités qui leur ont été confiées dans des provinces où il convenait de ménager les hommes et les femmes de la R.P.R. et de soulager les misères des plus nécessiteux. Il donna l’exemple en s’efforçant d’accroître les revenus des hôpitaux, en créant un hôpital général à Saint-Jean-d’Angély et en confiant à sa femme le soin de créer à Rochefort un hôpital destiné aux femmes des marins de la flotte et des ouvriers de l’arsenal.

6Le phare de Cordouan lui inspire une description soignée (p. 135-137). Il s’attarde sur son architecture, son ornementation et l’aménagement intérieur de ses deux étages, visiblement impressionné par ce bâtiment « artistement travaillé et […] fait d’une très belle pierre ». C’est cependant la ville de Rochefort qui fait l’objet de la description la plus longue et suscite le plus de commentaires (p. 102-112), alors que La Rochelle est évoquée brièvement (p. 99-102). M. Bégon brosse un tableau enthousiaste de Rochefort dont il admire l’arsenal, les magasins et les entrepôts, la fonderie, les forges. Il multiplie les superlatifs : « une des plus belles villes du royaume » (p. 103), « son arsenal est le plus grand, le plus achevé et le plus magnifique du royaume » (p. 104), « la fonderie qui est une des plus belles de l’univers » (p. 106). En célébrant ainsi les qualités et les avantages de Rochefort, il glorifie Louis XIV tout en exaltant l’œuvre accomplie dans cette ville nouvelle par les serviteurs du roi, dont lui-même. Lucide, il reconnaît cependant que Rochefort est le lieu le plus malsain de Saintonge, particulièrement entre août et novembre, où de nombreux habitants tombent malades. Il impute cette situation déplorable aux maisons trop petites et malsaines, à la consommation d’eaux non potables et à la fréquence des pluies provoquées par les vents de sud-est. La liste des paroisses avec le montant de leur imposition en 1698 permet de mesurer l’arbitraire de la répartition de l’impôt en Aunis et en Saintonge : alors que La Rochelle est abonnée pour 6 000 livres et que Rochefort paie 2 000 livres, des agglomérations plus petites comme Marans, Pons et Saint-Fort sont taxées respectivement à hauteur de 17 200, 10 000 et 5 500 livres.

7Une solide bibliographie est divisée en trois thèmes : ouvrages généraux, l’intendant Michel Bégon, Charente-Maritime et Charente. On y retrouve les titres mentionnés dans les 1925 notes de bas de page du mémoire et de l’« État des paroisses ». Les notes rédigées par P. Even révèlent une érudition sans faille. Elles répondent à trois objectifs : situer les paroisses, les villages et les bâtiments, identifier les personnages mentionnés par M. Bégon, et préciser et compléter le texte avec des informations tirées d’une autre version que le manuscrit 8148 de la BnF ou de documents rédigés par des contemporains de Louis XIV, comme les écrits de Claude Masse, dont le Mémoire géographique, par exemple. Elles donnent de nombreux renseignements sur l’histoire des lieux et des individus évoqués, sur la toponymie et la diversité des productions locales.

8La reproduction d’un plan de la généralité de La Rochelle, d’un plan de Saint-Martin-de-Ré et d’un plan type de marais salants de la fin du xvii^e siècle permettent au lecteur de visualiser des agglomérations et un espace plusieurs fois évoqué dans le texte de M. Bégon et dans les notes.