1L’ouvrage réunit 15 communications d’un colloque tenu à Ploërmel en 2019 à l’occasion du 60^e anniversaire de la loi Debré (Loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés). Le double titre étonne, par son ambition (« L’Église dans l’enseignement secondaire »), et son imprécision (« Les institutions catholiques en France, xix^e-xxi^e siècles »). « Les Institutions catholiques d’enseignement secondaire », évoquées dans l’introduction, serait un titre cernant mieux le contenu de l’ouvrage.

2Les textes abordent l’avant (9) et l’après 1959 (6) ; ce sont des monographies (10) et des synthèses (5). Le tableau de « L’enseignement secondaire catholique en France de 1806 à 1959 » (S. Gicquel) apporte une vue inédite à partir de sources dispersées et diverses, permettant une approche quantitative et géographique. On y découvre « un nuage d’institutions aux orientations éducatives diverses, qui les rendent à la fois complémentaires et rivales », contrastant avec la centralisation napoléonienne de l’Université maintenue par tous les régimes politiques.

3Les monographies composent une mosaïque de situations : l’échec des menaisiens (E. Berthereau), le relatif succès des dominicains créant un tiers ordre enseignant en 1852 (M.-T. Duffeau), mais abandonnant précocement cette branche de l’ordre en 1957 (A. Laffay et N. Viet-Depaule). La communication d’A. Puche sur « L’enseignement secondaire catholique privé à Tours entre 1875 et 1905 » trace un tableau très généralisable à toutes les institutions destinées aux jeunes filles de la bonne société. On peut en rapprocher le texte de Claude Langlois, qui rapproche souvenirs personnels et descriptions d’un établissement (N-D d’Avranches) très représentatif des « micro-mutations » de l’après-guerre (1945-1955) dans bien d’autres établissements masculins. Hapax pour le texte d’Yvon Tranvouez sur le Père Didon à Arcueil, aussi bien en ce qui concerne l’action dans l’établissement et les multiples terrains d’action et d’influence de ce personnage encombrant. Hapax le regard critique du cardinal Grente dans son regard ironique sur ses confrères et les établissements qui l’invitent en raison de son statut (F. Le Moigne). L’obstination des Filles du Saint-Esprit, « les sœurs blanches » bretonnes, à porter leur costume blanc très repérable, malgré leur statut de « sécu » après la disparition des congrégations enseignantes (Anne Jusseaume) ; est-elle une exception, où un comportement plus généralisé : la question est à creuser sur cette « petite guerre » menée par les femmes.

4La synthèse de Bruno Poucet sur l’avant et l’après loi Debré est très utile et fait le point sur les évolutions législatives qui suivent. De même que le texte d’Yves Verneuil qui déroule l’évolution de la mixité et du respect de la différence des sexes des années 1960 à nos jours.

5Les trois dernières communications évoquent la question de la présence du catholicisme dans ces établissements. J. Molinario aborde la question de la catéchèse, d’abord sous un angle apparemment assez restreint, le Guide Pastoral de 1988, puis déborde largement vers d’autres interventions, comme celle de Mgr Dagens (Lettre aux catholiques de France (1997), le rapport Debray sur « L’enseignement du fait religieux à l’école » (2002) et le Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France (2006). Si l’on rapproche de cette communication celle de Y. Raison du Cleuziou sur « la dissidence scolaire des catholiques observants », ses causes et ses conséquences, on a là une description éclatée des pratiques et des débats qui fait regretter l’absence lors de ce colloque d’une synthèse des positions de l’épiscopat français dans la question scolaire, et plus largement sur la laïcité. Les positions des évêques sont-elles ou ont-elles été unanimes sur la présence de l’Église dans l’école ? Il faudrait ici remonter aux origines. Comment les évêques interviennent-ils dans ce domaine tant que l’épiscopat est complètement inorganisé (c’est-à-dire jusqu’à la séparation des Églises et de l’État) ? Quand le Secrétariat général de l’épiscopat pour l’enseignement catholique a-t-il été créé, avec qui et dans quel but ? Comment a-t-il évolué ? Quelle est sa place au sein de l’Église de France, avant et après la création de la Conférence épiscopale française ? Comment se situent les congrégations, généralement propriétaires des locaux ? Quel est le statut du personnel laïc ? Quel est le rôle des Directions diocésaines, des CODIEC ? Quel est le poids des associations de parents d’élèves (APEL) et de l’UNAPEL ? Par ailleurs, l’article 1 de la loi Debré affirme simultanément : « L’État proclame et respecte la liberté de l’enseignement et en garantit l’exercice aux établissements privés régulièrement ouverts. Il prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse ». Le développement des aumôneries des lycées et collèges (publics) est spectaculaire après la mise en place de la loi Debré. Des parents catholiques y voient une forme satisfaisante de la proposition religieuse. Une partie du clergé impliqué dans l’Action catholique voit même l’« école libre » comme obstacle à l’évangélisation. En 1969, l’épiscopat reconnaît la valeur de la laïcité vécue dans l’école publique. Il y a dans ces faits nationaux une histoire à écrire qui dépasse largement l’histoire des établissements.

6La communication de G. Dupuy, sociologue, est présentée discrètement comme une monographie départementale (le département étudié n’est pas nommé). Mais elle en dit beaucoup plus. Croisant attractivité des établissements et « place du religieux », l’auteur aboutit à des conclusions impressionnantes. Avec des nuances, mais sans hésitation sur le fond, il démontre que moins un établissement est attractif démographiquement et sociologiquement, moins il affirme son caractère religieux. Plus il est attractif, plus il peut proposer et même parfois imposer formation et pratiques religieuses.

7Comme dans tout colloque, il y a des absences. La plus étonnante, d’autant que le colloque se tenait à Ploërmel où se trouve la maison-mère des Frères de l’instruction chrétienne, c’est l’absence des frères enseignants (qui ne sont pas canoniquement des religieux), Lassalliens, Saint-Gabriel, Maristes, etc. Leur importance historique, leur pédagogie, leurs manuels, la taille de leurs établissements… et leur quasi-disparition, méritaient analyse.

8Autre absence : le rôle du syndicalisme des enseignant-e-s. La création d’un syndicalisme des maîtres du privé catholique : CFTC, puis FEP-CFDT, SNEC-CFTC, bouleverse les rapports entre la direction des établissements et leur personnel, et entre directions diocésaines et enseignants. Et le paiement direct des professeurs par la puissance publique (qui n’existait ni sous Vichy, ni sous le régime de la loi Barangé) rend très concrète cette non-dépendance. Quelques pages de Bruno Poucet, dans la conclusion, ouvrent des pistes à suivre sur ces sujets sensibles.

9L’épilogue de S. Gicquel et F. Le Moigne revient sur la Bretagne et sur sa relative originalité, en particulier le rôle des établissements catholiques dans la promotion sociale. Ces absences et ces ouvertures mettent en évidence la nécessité de sortir du cadre des établissements pour aborder cette grande structure qu’est l’enseignement privé catholique, soucieux de son « caractère propre », et cependant s’alignant de plus en plus, au cours de ces deux siècles, sur les programmes, l’organisation des études, les diplômes exigés des enseignants et ceux préparés par les élèves de l’enseignement public.