Résumés
Les origines du célèbre cardinal Jean de Tolède faisaient encore débat il y a peu : l’historiographie anglaise tendait à le considérer comme l’ancien abbé de l’Épau, abbaye cistercienne du diocèse du Mans, mais le reste de l’historiographie internationale ainsi que l’érudition locale jugeaient les preuves insuffisantes. Deux mentions de la Chronique de Melrose, exhumées pour cette recherche, confirment cependant que l’abbé et le cardinal étaient bien la même personne. À la lumière de cette découverte, cet article propose une relecture de l’ensemble du dossier documentaire concernant le personnage pour comprendre le rôle de son étape mancelle (1230-1240) dans sa trajectoire remarquable qui le conduisit de l’Angleterre à la Curie romaine en passant par l’université de Paris, le monastère cistercien de Clairvaux, les bibliothèques de Tolède et les geôles de l’empereur Frédéric II à Naples. Il obtint sans doute l’abbatiat de l’Épau grâce à ses connexions britanniques et parce qu’il s’était déjà fait remarquer par ses capacités intellectuelles au sein de l’ordre cistercien. Il fut semble-t-il peu présent au sein de son abbaye, où il ne laissa pas un souvenir impérissable. Il s’en servit plutôt comme d’un marchepied pour gagner en influence, notamment grâce à sa participation régulière au Chapitre Général de Cîteaux. C’est ce qui lui permit d’être envoyé à Rome comme l’un des délégués de l’Ordre au concile de 1241. Cette mission l’associa définitivement à la Curie romaine, même s’il ne résigna sa charge d’abbé de l’Épau qu’en 1244, au moment d’être nommé cardinal. Et s’il joua au Sacré Collège le rôle de représentant de l’Ordre cistercien, il perdit dès lors de vue l’abbaye mancelle.
The origin of the famous cardinal Jean de Toledo was still a matter of debate until recently: English historiography tended to regard him as the former abbot of l’Épau, a Cistercian abbey in the diocese of Le Mans, but the rest of international historiography and local scholarship considered the evidence insufficient. Two references in the Melrose Chronicle, unearthed during this research, confirm, however, that the abbot and the cardinal are indeed the same person. In light of this discovery, this paper offers a re-examination of the entire documentary record concerning this character in order to understand the role of his staying in Le Mans (1230-1240) in his remarkable career that took him from England to the Roman Curia via the University of Paris, the Cistercian monastery of Clairvaux, the libraries of Toledo and the jails of Emperor Frederick II in Naples. He probably obtained the abbatiate of l’Épau thanks to his British connections, and because he had already impressed the Cistercian order with his intellectual abilities. It seems he had little involvement with his abbey, where he did not leave a lasting impression. Instead, he used his abbatiate as a platform from which to gain influence, notably through his regular participation in the General Chapter of Cîteaux. As a result, he was sent to Rome as one of the Order’s delegate to the Council of 1241. This mission brought him to settle definitively within the Roman Curia, although he did not resign his position as abbot of l’Épau until 1244, when he was appointed cardinal. And although he played the role of advocate of the Cistercian Order in the Sacred College, he lost sight of the abbey in Le Mans from then on.
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Plan
L’abbé Jean de l’Épau (1230-1240) : un acteur influent dans le monde cistercien
Une commission pontificale en 1231
Les missions d’arbitrage confiées par le Chapitre Général (1235-1240)
Le responsable de la fondation de l’abbaye de la Clarté-Dieu (1238-1239)
L’un des quatre représentants de l’Ordre cistercien au concile en 1240
De l’abbatiat manceau à la pourpre cardinalice (1241-1244) : un concours de circonstances
L’incarcération à l’issue de la bataille de Giglio (25 avril ou 3 mai 1241)
Le rapprochement avec le cardinal cistercien Jacques de Pecoraria (1241-1243)
L’élévation au cardinalat (29 mai 1244)
La trajectoire initiale de Jean de Tolède d’après son activité de cardinal (1244-1275)
Des liens très anciens avec la Curie romaine
Des origines anglaises
Une formation monastique à l’abbaye de Clairvaux
Un cursus universitaire
Des études de médecine et d’alchimie à Tolède ?
Un vœu de sépulture à l’abbaye de l’Épau ?
Aperçu du texte
La trajectoire de Jean de Tolède, un cardinal connu pour son rôle majeur à la curie pontificale au milieu du xiiie siècle, est bien documentée et bénéficie d’une historiographie dense. Il fait l’objet d’entrées nourries dans les collections de notices de cardinaux depuis le xvie siècle. La biographie la plus critique, la plus utile aujourd’hui, est celle que lui a consacrée en 1972 Agostino Paravicini Bagliani. Jean de Tolède fut également un intellectuel réputé à son époque. Les spécialistes actuels de l’histoire des sciences, et notamment de la médecine, le connaissent bien grâce à ses deux œuvres conservées, le Libellus de conservanda sanitate, un traité pionnier dans le genre des régimes de santé qui devint un texte classique au Moyen Âge tardif, et dont nous connaissons une trentaine de copies, ainsi qu’un petit traité d’alchimie, la Littera de toto magisterio.
La période la moins étudiée de sa vie est celle pendant laquelle il dirigea l’abbaye cistercienne de la Piété-Dieu de l...
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Pour citer cet article
Référence papier
Ghislain Baury, « Jean de Tolède, premier abbé de l’Épau (1230-1244) puis cardinal (1244-1275) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 131-4 | 2024, 7-36.
Référence électronique
Ghislain Baury, « Jean de Tolède, premier abbé de l’Épau (1230-1244) puis cardinal (1244-1275) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 131-4 | 2024, mis en ligne le 01 janvier 2028, consulté le 12 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/abpo/9803 ; DOI : https://doi.org/10.4000/136ma
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