La Société d’étude du féodalisme : documents, témoignages, perspectives
Résumés
La Société d’étude du féodalisme, fondée en 1975, fut, sinon juridiquement dissoute, au moins définitivement mise en sommeil sans doute au plus tard au cours de l’année 1983. Guère citée dans la littérature scientifique contemporaine, peu évoquée ultérieurement par celles et ceux qui l’ont fréquentée et par conséquent quasiment oubliée aujourd’hui, elle a pourtant constitué l’un des lieux d’échange intellectuels les plus féconds de son époque en attirant plusieurs dizaines de participants réguliers, médiévistes et modernistes pour la plupart. En s’appuyant sur les documents produits en son sein et désormais constitués en archives ainsi que sur une série de témoignages rétrospectifs de cinq de ses principaux membres, le présent article se propose de poser les jalons de l’histoire de la société qui les a produits et d’ouvrir quelques pistes de réflexion à partir des pratiques de recherche dont elle témoigne.
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Mots-clés :
Mai 68, militantisme, marxisme, féodalisme, historiographie, médiévistique, pratique collective de la recherche, Société d’étude du féodalismeKeywords:
May 68, activism, Marxism, feudalism, historiography, medievalism, collective research practice, Société d’étude du féodalisme.Plan
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Le dimanche de Trèves
- 1 « Programme général », Zur Problem des Feudalismus in Europa, Conférence de Trèves 7-10 mai 1981
- 2 Entretien avec Jean-Philippe Genet : « Le colloque de Trêves a coïncidé très exactement avec l’élec (...)
- 3 Entretien avec Alain Guerreau : « Les séances se terminaient le samedi, le dimanche on a batifolé à (...)
- 4 Entretien avec Daniel Tollet : « Je me souviens que nous sommes rentrés tous en train, et il y avai (...)
1L’année 1981, le 10 mai tombait un dimanche. C’était jour d’élection en France – celle, en l’occurrence, de François Mitterrand à la présidence de la République. Mais c’était aussi, pour un petit groupe d’historiennes et d’historiens français, le dernier jour d’un colloque dans la ville natale de Karl Marx, Trèves, où ils avaient pu longuement échanger « zur Problem des Feudalismus in Europa » avec des collègues d’Allemagne de l’Ouest et surtout d’Allemagne de l’Est et d’autres pays membres du bloc soviétique. Le programme dactylographié du colloque indique en effet que l’ensemble des participants étaient conviés à participer à une longue « Schlussdiskussion » de 9h30 à 13h1. Les témoignages recueillis quelque trente-cinq ans plus tard sont quant à eux plus flous, et même contradictoires : Jean-Philippe Genet se souvient être rentré le jour même en Citroën Dyane à Paris, juste à temps pour aller fêter l’élection à la Bastille2, tandis qu’Alain Guerreau se revoit installé avec le même Genet dans le canapé d’un collègue au Luxembourg, découvrant en direct le visage du nouveau président3, et que Daniel Tollet indique que tous étaient déjà revenus en France le matin par un train de nuit4…
2Jean-Philippe Genet, Alain Guerreau, Daniel Tollet : au-delà de leurs divergences mémorielles, ces trois historiens ont en commun d’avoir été parmi les fers de lance d’une entreprise de recherche originale, la Société d’étude du féodalisme, qui fut à l’instigation du colloque de Trèves, lequel en marqua à la fois l’aboutissement et le début de la fin : ladite société, fondée en 1975, fut, sinon juridiquement dissoute, au moins définitivement mise en sommeil sans doute au plus tard au cours de l’année 1983. Guère citée dans la littérature scientifique contemporaine, peu évoquée ultérieurement par celles et ceux qui l’ont fréquentée et par conséquent quasiment oubliée aujourd’hui, elle a pourtant constitué l’un des lieux d’échange intellectuels les plus féconds de son époque en attirant en son sein plusieurs dizaines de participants réguliers, médiévistes et modernistes pour la plupart. Comme pour le colloque de Trèves, ses membres les plus actifs en ont conservé à la fois des archives et des souvenirs, qu’ils ont accepté de nous transmettre. Ainsi constitué, le corpus comprend trois types de document : écrits et enregistrements sonores scientifiques destinés à la publication mais restés inédits ou ayant fait l’objet d’une circulation relativement confidentielle ; écrits pratiques produits en amont dans un but organisationnel ; témoignages rétrospectifs de certains des principaux membres de la Société. À défaut d’en faire une étude exhaustive, le présent article se propose plus modestement de poser les jalons de l’histoire de la société qui les a produits et d’ouvrir quelques pistes de réflexion à partir des pratiques de recherche dont elle témoigne.
- 5 Entre crochets sont indiqués les initiales des témoins qui nous transmis les différentes archives ( (...)
3Liste détaillée du corpus documentaire de la Société d’étude du féodalisme5
- 6 Elles seront désormais désignées comme suit : Conv. 1 = convocation du 20 novembre 1975 pour la séa (...)
- 7 Une version retravaillée de la contribution de Ludolf Kuchenbuch a été publiée en allemand en 2012 (...)
- 8 Il faut ici préciser que l’identité des témoins interrogés ne relève pas d’un choix restrictif de n (...)
Un « projet de texte d’appel » issu d’une réunion préparatoire tenue le 31 mai 1975, qui expose les objectifs et les modalités d’organisation de la Société [JPG, JCS]. Cinq fascicules dactylographiés intitulés « Compte-rendu des séances de la Société d’étude du féodalisme », composés de la retranscription d’enregistrements audio des discussions menées dans le cadre de chacune des séances de la Société ainsi que, dans les deux premiers fascicules, de documents annexes (statuts, liste de membres cotisants, procès-verbal d’une réunion du conseil d’administration) [JPG, JCS]. Trois documents relatifs à des projets inaboutis (création d’une revue et d’une Recherche coopérative sur programme, « RCP ») [JCS]. Neuf convocations à des séances, incluant pour certaines d’entre elles des documents préparatoires [JCS]6. Dix-sept listes manuscrites (pour certaines recto verso) de présents aux séances dont douze comportent une datation précise [JPG]. Neuf cassettes (munies de notices manuscrites sommaires) d’enregistrements audios de séances dont nous n’avons trouvé aucune autre trace [AG, JCS]. Cinq lettres manuscrites envoyées par des collègues étrangers ou français [JPG, JCS]. Quarante-trois contributions dactylographiées qui furent discutées au colloque de Trèves [JPG]7. Sept documents dactylographiés annexes au colloque (une lettre d’invitation à participer avec présentation des attendus du colloque ; trois versions du programme détaillé, un programme général, une liste des participants comprenant leurs coordonnées postales et une liste d’informations pratiques destinée aux participants) [JPG ; JCS]. Quatre retranscriptions dactylographiées d’entretiens oraux réalisés entre 2017 et 2021 avec Jean-Philippe Genet, Alain Guerreau, Jean-Claude Schmitt et Daniel Tollet et les notes issues d’un entretien oral réalisé avec Marie-Louise Pelus8. |
Genèse
- 9 « Projet de texte d’appel »
- 10 « Projet de texte d’appel », p. 1-2 : « La première raison justifiant cette initiative est un diagn (...)
- 11 « Projet de texte d’appel », p. 2 : « Dans la définition de la future “société”, trois points ont é (...)
4Le tout premier document produit par et pour la future Société, du moins le plus ancien parmi ceux qui ont été conservés et transmis, est un texte dactylographié de quatre pages, intitulé « projet de texte d’appel » et issu d’une réunion tenue le 31 mai 19759. Un premier niveau de lecture de ce texte permet de saisir les raisons explicites de la formation de la Société. Celle-ci naît de la volonté de « quelques historiens » de remédier à deux problèmes qui constituent autant d’entraves au progrès de la connaissance historique : le manque de réflexion théorique et le cloisonnement étanche des travaux entre périodes, espaces et disciplines10. Pour ce faire, les rédacteurs, anonymes, du texte proposent de créer un groupe de travail constitué en « association 1901 » qui aura pour objet d’étude le féodalisme, entendu comme un « concept opératoire », qui désigne « un système caractérisé par un rapport de production original comportant la propriété du seigneur sur la terre et l’exercice par ce seigneur d’un pouvoir de contrainte sur les producteurs ». C’est bien, il faut le souligner d’emblée, le caractère systémique qui est ici décisif dans le choix de l’objet d’étude de la société : parce qu’il ne peut s’étudier qu’en tant que système, le féodalisme constitue un champ de recherches qui répond bien à « l’exigence globalisante » des fondateurs de la société. Il permet en effet de contrer le double problème heuristique évoqué au préalable puisqu’il offre la possibilité d’une prise en compte comparative de plusieurs espaces et de plusieurs périodes et d’une approche multidisciplinaire, répondant ainsi à la fois au désir de décloisonnement et à la volonté de « renouvellement méthodologique » et conceptuel qui justifient la rédaction dactylographiée d’un « projet de texte d’appel »11.
- 12 « Projet de texte d’appel », p. 4 : « La société sera constituée dans les plus brefs délais en asso (...)
- 13 Jean-Philippe Genet et Alain Guerreau au Snesup ; Hélène Antoniadis-Bibicou, Guy Bois, Claude Mazau (...)
5Cet intitulé un peu sibyllin mérite pour cela même que l’on s’y arrête. « Texte d’appel » mais appel à qui, d’abord ? À un spectre très large, si l’on en croit le paragraphe consacré au « recrutement », qui indique que « tous les chercheurs qui le désireront seront admis » avant d’ajouter, en une subtile distinction, que la Société sera également « ouverte aux chercheurs de toutes disciplines, aux étudiants de 3e cycle, aux enseignants du second degré etc. ». Les uns, c’est-à-dire les historiens professionnels, et les autres sont conviés à participer à une « réunion mensuelle » et à un « colloque annuel », qui serviront à la fois à prendre connaissance des travaux les plus récents menés en France et surtout à l’étranger, « le caractère collectif de l’entreprise permettant de surmonter les nombreux obstacles linguistiques » et « naturellement » de mener ensemble une activité régulière de recherche. « Texte d’appel » mais appel de qui, ensuite ? Si, on l’a dit en passant, l’identité du ou des auteurs n’est pas précisée, le texte se clôt cependant par une liste où sont consignés le nom et l’appartenance institutionnelle d’un « “premier noyau” » chargé d’assurer la direction provisoire de la Société12. Les 16 individus mentionnés forment un groupe où les hommes sont fortement majoritaires (11, soit plus des deux tiers), mais qui présente par ailleurs une nette homogénéité, et ce, dans au moins quatre domaines : générationnel, institutionnel, disciplinaire et politique. Tous, à l’exception d’Hélène Antoniadis-Bibicou (1923-2017) et de Jean-Claude Perrot (1928-2021) ont moins de 45 ans et la moitié moins de 40 ans ; tous, à l’exception d’Alain Guerreau (né en 1948), benjamin de la cohorte et professeur dans l’enseignement secondaire, sont titulaires dans l’enseignement supérieur (à l’Université ou, pour deux d’entre eux, Hélène Antoniadis-Bibicou et Jean-Claude Schmitt (né en 1946), à l’École pratique des hautes études (EPHE)), à Paris pour une forte majorité (9 sur 15, dont 4 à l’université Paris I) mais aucun, hormis Michel Vovelle (né en 1933), n’a atteint le grade de professeur ; tous sont médiévistes (10) ou modernistes (6) ; tous enfin sont politiquement marqués à gauche avec pour plus de la moitié un engagement militant syndical ou politique, passé, présent ou futur13.
- 14 Guy Bois, Crise du féodalisme, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 19 (...)
6Au-delà de ce premier niveau de lecture, qui offre la possibilité de saisir aussi bien les mobiles et les ambitions explicitement mentionnés pour justifier la création de la Société que l’identité socio-professionnelle de ses destinataires et de ses fondateurs, le document fournit aussi, bien que plus discrètement, des informations quant au contexte politique et intellectuel de sa rédaction et donc de la genèse de la Société. Sont ainsi évoqués un « moment propice », puis un peu plus loin « des conditions plus favorables au succès de cette entreprise, laquelle eût été inconcevable il y a seulement cinq ans », sans que ces conditions ne soient réellement précisées, à l’exception de la mention « du développement rapide de diverses sciences humaines (et notamment de l’anthropologie) ». L’emploi de certaines expressions – « rapports de production » (à deux reprises), « système d’exploitation de l’homme », « pouvoir de contrainte », « aspects économiques » mis en regard avec « manifestations politiques, mentales ou idéologiques » – permettent cependant d’inscrire l’initiative dans le champ du marxisme, tandis que, si l’on creuse encore un peu, la critique de « l’empirisme » et du « cloisonnement » laissent entrevoir l’ombre d’un historien dont on retrouve une phraséologie très similaire dans les premières pages de son grand livre, publié quelques mois plus tard : « Trop de jeunes chercheurs ont eu le sentiment d’errer dans des horizons limités par l’empirisme ou par les dogmes, et d’être condamnés au défrichement consciencieux et timide de domaines cloisonnés, pour ne pas s’engouffrer à leur tour dans la brèche.14 » Cette citation, extraite de l’introduction de Crise du féodalisme de Guy Bois (1934-2019), fait suffisamment écho aux formulations du « projet de texte d’appel » pour que l’on puisse postuler l’influence décisive du premier sur le second.
7Résumons les informations directes ou indirectes fournies par le document princeps de la Société : le 31 mai 1975, des historiennes et des historiens déjà établis dans l’enseignement supérieur sans y occuper encore une position dominante et dont la majorité a une pratique du militantisme politique ou syndical, se réunissent à Paris, lieu de travail de la majorité d’entre eux. Lors de cette réunion, ils définissent les contours d’une future association dont les membres, chercheurs et/ou enseignants en histoire ou en sciences humaines et sociales se retrouveront régulièrement pour animer une activité collective de recherche autour du féodalisme, afin de contribuer à une meilleure connaissance du fonctionnement global des sociétés passées ou lointaines à partir d’une grille d’analyse marxiste, dans des circonstances politiquement et intellectuellement favorables et sous la houlette, pour l’instant hypothétique, de Guy Bois. Si l’on confronte maintenant le « projet de texte d’appel » aux témoignages recueillis près de quarante ans plus tard auprès de certains des principaux membres de la Société, on retrouve bien tous ces éléments mais dans un ordre d’importance symétriquement inversé. Interrogés sur les débuts de la Société, Jean-Philippe Genet (né en 1944), Alain Guerreau, Jean-Claude Schmitt et Daniel Tollet (né en 1945) ne mentionnent en effet qu’en passant la critique de l’empirisme méthodologique et l’ambition systémique explicitement invoqués par le « projet de texte d’appel » mais insistent tous en revanche sur les deux éléments qui n’apparaissent qu’implicitement dans le document : une conjoncture à la fois politique, intellectuelle et générationnelle spécifique caractérisée par l’impact des événements de Mai 68 et l’intérêt d’un certain nombre d’historiens en début de carrière pour la théorie marxiste – autrement dit « le moment propice » évoqué par le « projet de texte d’appel » – et le rôle moteur parmi eux de Guy Bois.
- 15 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Ce qui a posteriori me semble clair, c’est qu’au moment où je (...)
- 16 « Entretien avec Daniel Tollet » : « J’ai étudié en propédeutique en 1964, et je me souviens la séa (...)
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- 18 Une étude spécifiquement dédiée au CERM fait à notre connaissance toujours défaut. Voir pour une pr (...)
- 19 « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Le renouvellement du débat et de la pensée théorique dan (...)
8L’importance de Mai 68 est systématiquement soulignée, moins d’ailleurs comme événement politique circonscrit que comme le moment de référence, éventuellement le catalyseur, d’une période d’émancipation et d’effervescence intellectuelles plus étirée dans le temps et particulièrement sensible dans l’enseignement supérieur15, où les conséquences se font également sentir sur le plan matériel et symbolique16. C’est dans ce climat particulier que les témoins interrogés sont recrutés dans l’enseignement supérieur et manifestent en parallèle leur intérêt pour la théorie marxiste17, qui fait à l’époque l’objet d’intenses discussions. Celles-ci sont alors encore très largement structurées par le PCF à travers des institutions qui gravitent autour, comme l’Institut Maurice Thorez et surtout le Centre d’étude et de recherche marxiste (CERM), fondé en 1960 afin d’encourager et de canaliser la production de travaux d’intellectuels membres ou proches du parti18. Si certains des témoins interrogés ne se souviennent que de la situation topographique du CERM – situé au 84 boulevard Blanqui dans le XIIIe arrondissement – sans en retrouver le nom, tous affirment l’avoir fréquenté plus ou moins assidument au tournant des années 1960-197019.
- 20 Le Féodalisme, Recherches internationales à la Lumière du marxisme, n° 37, mai-juin 1963 ; Charles (...)
- 21 Voir dans le présent volume Blaise Dufal, « Spectres marxistes du féodalisme : le passé d’une inter (...)
- 22 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Bois avait des raisons pour cela [la création de la Soci (...)
9De fait, malgré ses liens très étroits avec le PCF, le CERM est bien durant cette période l’un des principaux lieux de production d’une pensée marxiste renouvelée, notamment pour les sciences humaines. L’un de ses principaux champs d’investigation est précisément alors celui des différents stades de production antérieurs au capitalisme, thème autour duquel se concentre une série de travaux réalisés par ses membres au tournant des années 1960 et 197020. Le stade du féodalisme, parce qu’il est pensé comme décisif dans la transition ultérieure vers le capitalisme fait dans ce cadre l’objet d’une attention particulière : un premier volume y est consacré dès 1963, suivi d’un second en 1971. Paradoxalement, les médiévistes y sont fort minoritaires, puisque, parmi la vingtaine de participants aux deux ouvrages, on compte seulement un spécialiste du Moyen Âge occidental, Guy Bois, auquel s’ajoutent Hélène Antoniadis-Bibicou et Claude Cahen (1909-1991), dont les recherches se concentrent respectivement sur l’histoire de Byzance et du monde musulman21. Leur rôle dans les échanges du CERM, s’il est loin d’être négligeable, reste cependant un peu éclipsé par celui de la figure « qui avait alors la haute main sur les études historiques marxistes », l’ethnologue et historien Charles Parain (1893-1984). À en croire Jean-Philippe Genet, la position dominante de Parain aurait fini par susciter l’opposition de Guy Bois, alors maître de conférences à Besançon et surtout militant actif au PCF, qui pour des raisons à la fois idéologiques et politiques décide au début des années 1970 de rompre avec le CERM et cherche dans la foulée à créer un autre espace de réflexion, emmenant avec lui d’autres historiens qui fréquentaient le Centre22.
- 23 Grand équipement documentaire du Campus Condorcet, Fonds Jean-Claude Schmitt (EHESS 260 EHE), carto (...)
- 24 Les « Formen », abréviation de « Formen die der kapitalistischen Produktion vorhergehen » désignent (...)
- 25 Guy Bois, « Quelques remarques sur les Formen », Grand équipement documentaire du Campus Condorcet, (...)
- 26 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « L’idée [de la création de la Société] appartient à Guy B (...)
- 27 « Entretien avec Daniel Tollet » : « C’était des gens [les participants à la Société], qui pour un (...)
10Un ensemble de documents nuance cette interprétation, en même temps qu’elle confirme le télescopage matriciel entre le CERM et la Société : au sein des archives personnelles déposées par Jean-Claude Schmitt à l’EHESS23, se trouve un carton rassemblant les papiers relatifs à la Société parmi lesquels ont été conservés quatre rapports dactylographiés présentés dans le cadre d’une réunion du CERM tenue le 14 juin 1975 autour du principal texte de Karl Marx sur les modes de production précapitaliste, les « Formen »24 ; l’un d’entre eux est justement l’œuvre de Guy Bois25. Ce document, produit deux semaines exactement après la constitution de la Société confirme ainsi le lien originel de celle-ci avec le CERM, tout en relativisant ou du moins en repoussant dans le temps l’hypothétique rupture de Guy Bois d’avec celui-ci. Les autres témoins n’évoquent d’ailleurs pas ou peu la naissance de la Société comme conséquence d’une scission d’une partie des historiens du CERM, mais tous s’accordent en revanche à faire de Guy Bois la figure fondatrice de la Société26, qu’ils présentent également comme un produit direct de Mai 68, notamment en tant que caisse de résonnance des débats théoriques que les événements avaient radicalisés au sein même du PCF27.
- 28 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Il y a cette idée qu’il faut aborder l’histoire avec l’envie (...)
- 29 « Entretien avec Daniel Tollet » : « On discutait et ce qu’il y a eu de nouveau, s’il y a eu quelqu (...)
- 30 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Dans le même temps, j’avais réussi à faire accepter l’in (...)
- 31 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Chiva, qui était le bras droit de [Claude] Lévi-Strauss [1908 (...)
11Tandis donc que les éléments de la genèse de la Société présents de manière implicite dans le « projet de texte d’appel » – poids du contexte politique et intellectuel, attrait pour un renouvellement de la théorie marxiste, rôle de Guy Bois – sont abondamment mis en avant par les témoins interrogés, les principaux mobiles exposés explicitement dans le texte s’avèrent à l’inverse moins relevés dans les témoignages rétrospectifs. Ainsi de la critique de l’empirisme méthodologique, uniquement évoquée par Alain Guerreau au sujet de la formation proposée par l’École des chartes28, ou de la volonté de mener une analyse systémique, que Jean-Claude Schmitt et Daniel Tollet associent bien à la Société mais sans s’y appesantir vraiment29. En fin de compte, parmi les mobiles explicites que l’on a relevés dans le « projet de texte d’appel », seule l’ambition de « décloisonnement » est réellement présente dans les témoignages rétrospectifs comme raison de la fondation de la Société, en étant toutefois réinscrite dans d’autres tentatives parallèles d’ouverture aux sciences humaines et sociales et notamment à l’anthropologie, qu’elles soient mises en place au sein de l’université Paris I par Jean-Philippe Genet en tant qu’enseignant30, ou relèvent d’un choix de formation dans le cas de la Formation à la recherche anthropologique (FRA) suivie par Alain Guerreau et Jean-Claude Schmitt à la VIe section de l’École pratique des Hautes études31.
12La confrontation du contenu du « projet de texte d’appel » avec les souvenirs des témoins interrogés dessine par conséquent un faisceau complémentaire d’éléments qui éclairent la genèse de la fondation de la Société. Dans l’effet de souffle de Mai 68, des historiens médiévistes et modernistes en début de carrière et désireux de se saisir d’une théorie marxiste alors en plein renouvellement ont manifesté la volonté de mener une activité collective de recherche autour d’un thème, le féodalisme, suffisamment large pour mettre sérieusement en œuvre une analyse systémique fondée sur une pratique poussée du comparatisme. Ce désir s’est cristallisé autour de la figure d’un historien légèrement plus âgé, Guy Bois, qui avait déjà fait une expérience similaire dans un cadre plus directement militant, le CERM, mais en était insatisfait pour des raisons propres aux tensions idéologiques et stratégiques internes au PCF et était par conséquent disponible pour fonder un nouveau groupe de travail désormais détaché de tout lien avec le Parti.
Fonctionnement
- 32 À la dernière page dans les volumes 1-3 et à la première dans les volumes 4-5.
- 33 Dans les volumes 4 et 5, « étude » est au singulier.
- 34 Les volumes 1-3 renvoient chacun à une unique année civile (1976, 1977 et 1978) tandis que les volu (...)
- 35 Sauf pour le volume 1. Pour les autres, le lieu de publication est systématiquement Paris ; tandis (...)
- 36 Volume 1 : Jean-Philippe Genet et Jean-Claude Schmitt ; volume 2 : Jean-Philippe Genet, Daniel Toll (...)
- 37 L’adresse est systématiquement celle de Jean-Philippe Genet : 98 bd Beaumarchais, 75011 Paris (volu (...)
- 38 Sauf pour le volume 1, où il n’est pas indiqué, le prix de la cotisation est précédé de la mention (...)
- 39 Sauf pour le volume 1. Il est ensuite identique pour les volumes 2-5.
- 40 « Les statuts de la société figurent aux pages 43 à 48 du compte-rendu des séances de la société po (...)
- 41 « Pour des raisons techniques, le compte rendu des séances du 14 juin (Nurul ASAN [sic]) et du 20 n (...)
- 42 Le titre et la date ne sont pas indiqués pour la dernière séance retranscrite dans le volume 1, tan (...)
13La première séance de la Société a lieu le 13 décembre 1975, moins de six mois donc après la réunion du 31 mai 1975, à l’issue de laquelle avait été rédigé le « projet de texte d’appel ». La principale trace qui permet de prendre connaissance de son existence est celle qui désormais constituera pour nous un fil conducteur : la retranscription des échanges oraux menés dans le cadre des séances et rassemblée ultérieurement sous la forme de fascicules ronéotypés. Ces fascicules sont une source précieuse, non seulement parce qu’ils donnent accès au contenu des recherches entreprises au sein de la Société, mais aussi par leurs caractéristiques matérielles qui offrent un certain nombre d’informations sur les modalités concrètes de production de ces recherches en même temps qu’elles suscitent, de manière dialectique, un questionnement. Commençons par les présenter en précisant d’emblée que ceux dont on dispose ont été conservés chez lui par Jean-Philippe Genet, qui nous les a transmis en mains propres. Il s’agit de cinq cahiers (désormais désignés volumes 1, 2, 3, 4, 5) au format A4 (210 x 297 mm), composés de feuillets numérotés (au nombre respectif de 66, 69, 66, 75, 40) dactylographiés sur le recto à la machine à écrire puis agrafés (volumes 1-2) ou thermocollés (volumes 3-5), munis d’un sommaire32 et systématiquement encadrés par une couverture de carton coloré (successivement rose pale, bleu pastel, vert anis, bleu roi et turquoise) sur le recto de laquelle sont inscrites les informations d’ordre pratique suivantes : le titre « compte rendu des séances de la société d’étude[s] du féodalisme » en majuscules33 ; l’année des séances dont le contenu a été retranscrit34 ; le lieu et l’année de publication35 ; les responsables de la publication36 ; l’adresse du siège de la Société37 ; le prix de la cotisation à verser pour les recevoir avec les coordonnées du compte vers lequel elle doit être transmise38 ; un code ISSN d’identification éditoriale39 ; une référence à la publication des statuts40 ; la mention de deux séances non retranscrites (volume 4)41. En sus de la retranscription de chaque séance, généralement précédée du titre, de la date et d’une numérotation ordinale de celle-ci42, on trouve également quatre documents annexes dans les volumes 1-2 : la retranscription d’une discussion autour des futurs statuts de la Société qui ouvre la séance du 22 mai 1976 (volume 1, p. 34) ; lesdits statuts (volume 1, p. 43-48) ; le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de la Société tenue le 11 décembre 1976 à l’occasion de la dernière séance de l’année (volume 1, p. 49-50) ; une liste nominative des « membres cotisants de la Société » non datée (volume 2, s.p. [entre la couverture et la p. 1]).
- 43 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « On n’a jamais eu d’aide de qui que ce soit pour quoi que (...)
- 44 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « C’était destiné à circuler et à être envoyé aux membres (...)
- 45 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « J’en ai pris beaucoup. Daniel Tollet et moi prenions les (...)
- 46 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Il y avait Daniel Tollet, qui était trésorier, et qui était c (...)
14L’existence de ces volumes de compte rendu pose la même question que celle du « projet de texte d’appel » : par et pour qui ont-ils été produits ? Si l’on n’est pas en mesure d’évaluer précisément l’ampleur numérique de leur tirage, celui-ci, dont la seule source de financement résidait dans les cotisations43, approchait sans doute de la centaine d’exemplaires puisqu’ils « étaient destiné[s] à circuler et à être envoyé[s] aux membres de la société »44, et que la liste des membres cotisants dressée au plus tard en 1978 contient soixante-dix-huit noms de personnes à jour de cotisation et réceptionnaires à ce titre d’au moins un volume. Ce document est cependant plus problématique qu’il n’y paraît car, on y reviendra, il comprend vingt et un noms de personnes dont aucune autre trace n’atteste la présence à la moindre séance tandis qu’inversement, au moins huit présents à cinq séances ou plus, dont on peut par conséquent présumer qu’ils constituaient autant de récipiendaires des volumes de compte rendu, n’y figurent pas. Les informations concernant d’autre part l’identité de celles et/ou ceux qui les produisaient à partir d’enregistrements sonores et de notes manuscrites sont encore plus ténues. Au sein des volumes, seul le dernier contient la mention d’une transcriptrice et uniquement pour la séance du 10 janvier 1981 : Jacqueline Hocquet, l’épouse du médiéviste Jean-Claude Hocquet, qui est justement le co-responsable de la publication de ce volume. Que ce rôle ait été dévolu à des femmes semble confirmé par Jean-Philippe Genet, qui évoque le travail de Jeannine Fontenay, elle aussi épouse d’un participant, Michel Fontenay45, mais est infirmé par Alain Guerreau qui attribue les transcriptions à Daniel Tollet, lequel ne confirme qu’à demi-mot46.
- 47 Consacrées respectivement à une communication de Bernard Cerquiligni sur « Histoire et linguistique (...)
- 48 Consacrées respectivement à des communications de Pierre Guichard sur les communautés rurales en Al (...)
- 49 La liste manuscrite de présents contient en haut les mentions doublement soulignées « Fernand Braud (...)
15Les différents volumes de compte rendu témoignent de la tenue de vingt-deux séances, dont deux n’ont pas fait l’objet d’une retranscription mais seulement d’une mention sur la couverture du volume 4. Ce nombre est cependant inférieur au total des séances, qui atteint en fait le seuil minimal de vingt-neuf séances puisque l’examen d’autres archives indique qu’au moins sept séances, toutes postérieures à 1980, n’ont pas donné lieu à une retranscription ni même à un simple référencement dans les volumes de compte rendu. La seule trace dont on en dispose consiste en des enregistrements sur bandes magnétiques (séances du 12 juin et du 27 novembre 198247) et sur cassettes audio (séances du 28 mars et du 19 décembre 1981, du 19 décembre 1982 et possiblement de la fin de l’année 198348), ainsi qu’en une liste de présents qui se rapporte à la séance du 21 février 1981, consacrée à une communication de Fernand Braudel49.
Tableau : Numéro, date et trace des séances
- 50 La date est celle inscrite dans le volume 5 (au sommaire puis à la p. 14). Cependant notée sur la l (...)
N°séance |
Date |
Compte-rendu |
Enregistrement audio |
Liste présents |
1 |
10/01/1976 |
X |
- |
X |
2 |
31/01/1976 |
X |
- |
- |
3 |
22/05/1976 |
X |
- |
- |
4 |
11/12/1976 |
X |
- |
- |
5 |
05/03/1977 |
X |
- |
- |
6 |
19/03/1977 |
X |
- |
X |
7 |
04/06/1977 |
X |
- |
- |
8 |
10/12/1977 |
X |
- |
X |
9 |
11/02/1978 |
X |
- |
X |
10 |
20/05/1978 |
X |
- |
X |
11 |
02/12/1978 |
X |
- |
X |
12 |
24/02/1979 |
X |
- |
- |
13 |
14/06/1979 |
Simple mention |
- |
- |
14 |
20/10/1979 |
Simple mention |
- |
X |
15 |
01/12/1979 |
X |
- |
X |
16 |
01/03/1980 |
X |
- |
X |
17 |
02/06/1980 |
X |
- |
- |
18 |
11/10/1980 |
X |
- |
- |
19 |
29/11/1980 |
X |
- |
- |
20 |
10/01/1981 |
X |
- |
X |
21 |
21/02/1981 |
- |
- |
X |
22 |
28/03/1981 |
- |
X |
- |
23 |
30/05/198150 |
X |
- |
X |
24 |
19/12/1981 |
- |
X |
- |
25 |
15/03/1982 |
X |
- |
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26 |
12/06/1982 |
- |
X |
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27 |
27/11/1982 |
- |
X |
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28 |
18/12/1982 |
- |
X |
- |
29 |
1983 ? |
- |
X |
- |
- 51 « Entretien avec Alain Guerreau » : « C’était le samedi après-midi. Ce qui fait qu’Anita ne pouvait (...)
- 52 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Autant que je m’en souvienne c’était toujours dans la sa (...)
- 53 Où l’on remarque d’ailleurs que la salle Marc Bloch prend ce nom avant la fin de l’année 1979 (elle (...)
- 54 Conv. 1.
- 55 Conv. 2.
- 56 Conv. 3 (suivie de rapports préparatoires produits par Guy Bois et Jean-Claude Perrot), 4 (suivie d (...)
- 57 Conv. 7, 8 et 9.
16Les dates précises des séances indiquent que, comme prévu dans le « projet de texte d’appel », elles se tenaient bien le samedi (entre deux et cinq fois par an et non mensuellement cependant), ce qui est corroboré par certains des témoins interrogés51, lesquels se souviennent aussi avec plus ou moins de certitude qu’elles avaient lieu en Sorbonne dans la salle Marc Bloch52, ce que confirment à leur tour les neuf convocations aux séances conservées53. Celles-ci étaient envoyées quelques semaines à l’avance et témoignent d’un soin particulier accordé à la préparation en amont, aussi bien de la part des organisateurs que des participants. Ainsi, la première convocation suggère fortement la lecture préalable d’un ouvrage de Witold Kula54, la deuxième liste une série de trois questions qui serviront de base à la discussion55, tandis que des rapports introductifs sont fournis en annexe pour les trois séances suivantes, précédé dans le premier cas d’un résumé précis des questions qui seront abordées56. L’effort de préparation semble toutefois s’estomper ensuite puisque les trois dernières convocations conservées contiennent une brève présentation de la séance dans le premier cas puis seulement une annonce du thème57. Les séances à proprement parler sont alors consacrées à des échanges structurés autour des rapports préparatoires envoyés au préalable (et systématiquement reproduits tels quels dans les volumes de compte rendu) ou d’une présentation inaugurale d’un intervenant.
- 58 Journal Officiel de la République française. Numéro complémentaire, 29 décembre 1976, n° 113, p. 70 (...)
- 59 Conv. 1 : « le projet des statuts de la future société sera examinée [lors de la séance] » ; Conv. (...)
- 60 Volume 1, p. 34 : « PH. GENET [sic] rappelle […] que ce texte [les statuts] s’inspire des statuts d (...)
- 61 Filippi Bruna, « Le “Groupe de a Bussière”, quelques étapes d’un parcours collectif », Revue d’hist (...)
- 62 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Le Groupe de La Bussière ? je n’ai jamais su trop ce que c’ét (...)
- 63 Il est ainsi, après Guy Bois, et avec Jean-Philippe Genet et Jean-Claude Schmitt l’intervenant dont (...)
17Née, on l’a vu, le 31 mai 1975 de la réunion initiale de « quelques historiens », la Société est officiellement constituée comme association déclarée en décembre 197658, soit un peu plus d’un an et demi plus tard. Cette institutionnalisation requiert l’adoption de statuts et la désignation d’un conseil d’administration de vingt membres et d’un bureau de direction de sept membres, l’un et l’autre préparés de manière ouverte et inclusive ainsi qu’en témoignent les quatre premières convocations59. On trouve d’ailleurs dans le volume 1 de compte rendu la transcription d’une brève discussion autour des statuts puis de leur contenu intégral, qui apporte un éclairage supplémentaire sur les modèles d’inspiration de la jeune Société. Si l’évocation par Jean-Philippe Genet et Lucette Valensi (née en 1936) des statuts de la Société d’Histoire Moderne et Contemporaine (SHMS) et de la Société des Études Robespierristes (SER) fondées l’une et l’autre au début du xxe siècle par l’une des principales figures pionnières d’historien marxiste, Albert Mathiez, ne surprend guère, celle, par Marc Venard (1929-2014), des statuts de la Société d’histoire ecclésiastique de la France (fondée en 1914 et renommé depuis 1985 Société d’histoire religieuse de la France, SHRF) est en revanche moins attendue60. La référence dans ce contexte à la SHRF ne relève sans doute certes que d’une influence purement juridique, mais la présence même de Marc Venard, historien ouvertement catholique des pratiques religieuses à l’époque moderne, laisse cependant planer l’ombre d’un autre cercle d’historiens actif à la même époque, celui du Groupe de La Bussière, dont Venard fut en 1958 l’un des cinq cofondateurs61. Bien qu’Alain Guerreau et Jean-Claude Schmitt (qui a par ailleurs participé aux activités du Groupe) récusent tout rapprochement62, et que le Groupe de La Bussière se distingue par sa longévité et son statut plus informel (l’association n’a jamais été déclarée à la Préfecture) on peut à certains égards considérer celui-ci, dont l’existence reposait aussi sur une volonté de renouvellement épistémologique et sur une pratique collective et para-académique de la recherche, comme une sorte de pendant catholique de la Société. La participation de Marc Venard, notable pendant la première année d’activité de celle-ci63, invite en tout cas à nuancer l’image d’une association exclusivement et explicitement marxiste et à examiner plus finement l’identité de l’ensemble des participants.
Participants et thèmes abordés
- 64 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [Nous étions] très nombreux, surtout au début, ça attira (...)
- 65 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Venaient régulièrement quinze ou vingt personnes, je ne sais (...)
- 66 Soit (pour treize d’entre elles) parce qu’elles contiennent des informations (date, thème ou numéro (...)
18Interrogés sur leur nombre, les témoins ont une nouvelle fois des souvenirs quelque peu différents : Daniel Tollet souligne la taille imposante de la salle Marc Bloch, qu’il associe à l’affluence importante des participants que relève aussi Jean-Philippe Genet64, tandis qu’Alain Guerreau évoque plus modestement la présence d’une vingtaine de personnes65. Ici encore les archives fournissent des indices qui viennent en partie expliquer la divergence des témoignages. Si les volumes de compte rendu ne permettent que de dénombrer celles et ceux dont a été enregistrée la prise de parole (entre cinq et douze selon les séances), les listes manuscrites remplies au moment de chaque séance avec les prénom, nom et adresse des présents s’avèrent sur ce point précieuses – parmi les dix-sept transmises par Jean-Philippe Genet, seize ont pu être associées de manière certaine à une séance précise66. Combinées, les mentions de présents tirées des volumes de compte rendu et des listes de présents attestent la participation d’au moins 217 individus, auxquels on peut ajouter le nombre déjà évoqué de vingt et un membres cotisants dont aucune présence physique n’est prouvée, soit donc un total de 238 personnes impliquées par une fréquentation physique aux séances et/ou le versement d’une cotisation. Un tel nombre, assez impressionnant dans l’absolu, doit néanmoins être relativisé à deux niveaux. Le premier est celui de la distribution chronologique de l’affluence : on observe d’une part une nette évolution à la baisse à partir de l’année 1979 et d’autre part une fréquentation exceptionnellement massive lors de trois séances, qui s’explique soit par la curiosité suscitée par la nouvelle Société (la première séance), soit par la notoriété des intervenants (Maurice Godelier et Étienne Balibar lors de la séance 10, Fernand Braudel lors de la séance 21). Le second est celui du nombre total de présences des participants – on peut en fait distinguer quatre groupes selon la fréquence de présences attestées : les furtifs (une seule – 162 individus), les occasionnels (entre deux et quatre – 46), les réguliers (entre cinq et neuf – 20) et les piliers (dix présences ou plus – 10).
- 67 Ces données agrègent le nombre de personnes inscrites sur les listes de présents avec le nombre de (...)
Tableau 2 : Nombre minimal de participants par séance67
- 68 La date est celle inscrite dans le volume 5 (au sommaire puis à la p. 14). Cependant, sur la liste (...)
N° séance |
Date |
Nombre de participants |
1 |
10/01/1976 |
45 |
6 |
19/03/1977 |
25 |
8 |
10/12/1977 |
35 |
9 |
11/02/1978 |
33 |
10 |
20/05/1978 |
49 |
11 |
02/12/1978 |
39 |
14 |
20/10/1979 |
22 |
15 |
01/12/1979 |
17 |
16 |
01/03/1980 |
18 |
18 |
11/10/1980 |
16 |
19 |
29/11/1980 |
19 |
20 |
10/01/1981 |
17 |
21 |
21/02/1981 |
57 |
22 |
28/03/1981 |
14 |
23 |
30/05/198168 |
15 |
- 69 Sont en italique les noms des participants à la réunion matricielle du 31 mai 1975. Les données son (...)
Tableau 3 : Liste des 30 individus présents à cinq séances ou plus69
Nom |
Année de naissance |
Spécialité |
Nombre de présences |
Bornes chronologiques d’apparition documentaire |
Alain Guerreau |
1948 |
Histoire médiévale |
18 |
1975-1982 |
Daniel Tollet |
1945 |
Histoire moderne |
17 |
1975-1981 |
Guy Bois |
1934-2019 |
Histoire médiévale |
16 |
1975-1982 |
Jean-Philippe Genet |
1944 |
Histoire médiévale |
16 |
1975-1982 |
Hélène Antoniadis-Bibicou |
1923-2017 |
Histoire médiévale (Byzance) |
15 |
1975-1981 |
John Day |
1924-2003 |
Histoire médiévale |
15 |
1975-1981 |
Michel Cartier |
1934-2019 |
Sinologue |
14 |
1975-1981 |
Jean-Claude Schmitt |
1946 |
Histoire médiévale |
11 |
1975-1980 |
Maurice Aymard |
1936 |
Histoire moderne |
10 |
1977-1982 |
Marie-Louise Pelus |
1945 |
Histoire moderne |
10 |
1977-1981 |
Pierre Vilar |
1906-2003 |
Histoire moderne |
9 |
1977-1982 |
Martine Boiteux |
? |
Histoire moderne |
7 |
1977-1981 |
Mireille Corbier |
1943 |
Histoire ancienne (Rome) |
7 |
1979-1981 |
Jean-Claude Hocquet |
1936 |
Histoire médiévale |
7 |
1975-1981 |
Jacqueline Guiral |
? |
Histoire médiévale |
6 |
1975-1981 |
Jochen Hoock |
1939-2009 |
Histoire moderne |
6 |
1975-1981 |
Jean-Pierre Molénat |
1940 |
Histoire médiévale |
6 |
1975-1979 |
Jean-Claude Perrot |
1928 |
Histoire moderne |
6 |
1975-1978 |
Lucette Valensi |
1936 |
Histoire moderne |
6 |
1975-1981 |
Jacques Verger |
1943 |
Histoire médiévale |
6 |
1975-1979 |
Claude Cahen |
1909-1991 |
Histoire médiévale (Islam) |
5 |
1975-1979 |
Joël Cornette |
1949 |
Histoire moderne |
5 |
1975-1981 |
Bernard Cottret |
1951-2020 |
Histoire moderne |
5 |
1977-1981 |
Michèle Delacourt |
1945 |
Histoire médiévale |
5 |
1975-1981 |
Maurice Godelier |
1934 |
Anthropologie |
5 |
1976-1978 |
Einar Már Jónsson |
? |
Histoire médiévale |
5 |
1980-1981 |
Évelyne Patlagean |
1932-2008 |
Histoire médiévale (Byzance) |
5 |
1975-1979 |
Jacques Revel |
1942 |
Histoire moderne |
5 |
1975-1978 |
Marc Venard |
1929-2014 |
Histoire moderne |
5 |
1975-1978 |
Charles Vulliez |
1938-2001 |
Histoire médiévale |
5 |
1975-1981 |
- 70 Le nom de quatre des membres de ce noyau disparaît ainsi définitivement des documents avant même la (...)
- 71 « Projet de texte d’appel », p. 3.
- 72 Claude Cahen, Maurice Godelier, Évelyne Patlagean et Pierre Vilar disposent déjà de ce statut au mo (...)
- 73 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [La fondation de la Société fut à l’initiative] de gens (...)
- 74 « Entretien avec Daniel Tollet » : « Il y avait de fait plusieurs générations […], ça n’empêchait p (...)
- 75 Hélène Antoniadis-Bibicou, Guy Bois, Claude Cahen, Maurice Godelier, Jean-Claude Perrot et Pierre V (...)
- 76 Hélène Ahrweiler, Pierre Bonnassié, Fernand Braudel, François Chevalier, Robert Delort, Georges Dub (...)
- 77 Chandra Prakash Bhambhri, Thomas S. Bisson, Eric Hobsbawm, Nikki Keddie, Witold Kula, Carlo Poni, R (...)
19Si l’on met de côté les participants furtifs ou occasionnels et que l’on se concentre sur les réguliers et les piliers, on peut d’emblée relever que la composition de ce groupe ne coïncide que partiellement avec celles du « noyau » de seize membres mentionné comme tel lors de la réunion matricielle du 31 mai 1975, puisque parmi les trente membres ayant assisté à cinq séances ou plus, seuls huit faisaient déjà partie dudit « noyau »70. L’analyse de la composition du groupe des membres les plus présents permet en outre de confronter la base sociologique et les intentions initiales de la Société à la mise en pratique concrète de celle-ci durant sa période d’activité et de repérer ainsi à la fois des constantes et des inflexions. Tandis que se confirme la nette prédominance numérique des hommes (22) sur les femmes (8) et celle, plus relative, des médiévistes (15) sur les modernistes (12), le centralisme parisien (26 membres sont rattachés à un laboratoire situé dans la capitale) est encore plus éclatant, à rebours du souhait exprimé à l’origine de voir se constituer des « groupes de travail régionaux, à partir de plusieurs universités voisines » et de réunir « un colloque annuel […] dans une université de province »71. Les données concernant l’année de naissance et la position institutionnelle des trente membres viennent par ailleurs nuancer le tableau esquissé par la composition du « noyau » d’une entreprise portée principalement par des chercheurs en début de carrière : onze des réguliers et des piliers, tous nés avant 1937, disposent du statut de professeur ou de directeur de recherches72. Elles dessinent en fait bien l’image d’un lieu d’échanges intergénérationnel, qui correspond précisément au souvenir qu’en ont les témoins. Jean-Philippe Genet et Jean-Claude Schmitt soulignent ainsi tous deux que si la création de la Société relevait de la volonté d’un petit groupe de jeunes chercheurs, son fonctionnement concret constitua l’occasion de nouer un dialogue avec des chercheurs plus anciens73, dans un cadre plus libre que ce qu’offrait à l’époque l’Université, comme le relèvent Daniel Tollet et Marie-Louise Pelus74. De fait, à la présence régulière des onze membres au statut institutionnel déjà bien établis, qui s’explique pour plus de la moitié par un lien fort avec le marxisme75, il faut ajouter celle, furtive ou occasionnelle, de 48 individus nés avant 1937, dont beaucoup avaient ou étaient en passe d’atteindre le sommet du champ académique français – au Collège de France ou à l’Université76 – ou étranger77.
- 78 Hélène Antoniadis-Bibicou en Grèce, John Day aux États-Unis, Einar Már Jónsson en Islande. Seul Joc (...)
- 79 Lettres adressées respectivement par Hannes Krieser (de Berlin-ouest le 12 février 1979), Aaron Gur (...)
- 80 La participation de non-historiens, déjà relativement faible en proportion du nombre total de membr (...)
20Le dépassement du cadre national, justement, constitue l’une des caractéristiques les plus frappantes de la Société, qu’atteste moins l’origine des trente membres les plus actifs (seuls quatre sont nés à l’étranger, dont trois travaillent de manière pérenne en France78), que la proportion de plus d’un quart d’étrangers sur le total des 206 participants dont la nationalité a été identifiée, ainsi que la demande d’adhésion ou la manifestation d’intérêt exprimées dans quatre lettres envoyées par des collègues d’Allemagne, d’URSS, de Suisse alémanique et d’Australie79. Cette ouverture est également sensible en ce qui concerne la période de spécialité, moins là aussi dans le groupe des 30 que dans l’ensemble des 193 participants pour lesquels le domaine d’étude est identifiable, où l’on trouve, en sus de 74 médiévistes (38,5%), 59 modernistes (30,5%), 22 contemporanéistes (11,5%), 5 antiquistes (2,5%) et 3 historiennes de l’art (1,5%). Elle reste en revanche plus timide à l’endroit des autres sciences humaines et sociales, dont sont spécialistes les 33 autres membres de la cohorte (15,5%), parmi lesquels on compte 9 anthropologues, 6 économistes et 4 sociologues80.
- 81 Sont pris en compte tous les individus présents à au moins une séance et/ou cotisants avant 1979 (2 (...)
Tableau 4 : Nationalité81
- 82 Dont une franco-allemande (Marianne Hoock).
- 83 Dont deux franco-grecques (Hélène Antoniadis-Bibicou et Hélène Ahrweiler).
Pays (18) |
Nombre |
% |
Pays (16) |
Nombre |
% |
France |
145 |
70,4 |
France |
127 |
75,1 |
Allemagne82 |
11 |
5,3 |
Allemagne79 |
9 |
5,3 |
Italie |
10 |
4,9 |
Italie |
6 |
3,6 |
Grèce83 |
9 |
4,4 |
États-Unis |
5 |
3,0 |
États-Unis |
6 |
2,9 |
Japon |
4 |
2,4 |
Japon |
4 |
1,9 |
Pologne |
4 |
2,4 |
Pologne |
4 |
1,9 |
Inde |
3 |
1,8 |
Inde |
4 |
1,9 |
Angleterre |
2 |
1,2 |
Brésil |
2 |
1,0 |
Grèce80 |
2 |
1,2 |
Angleterre |
2 |
1,0 |
Argentine |
1 |
0,6 |
Luxembourg |
2 |
1,0 |
Islande |
1 |
0,6 |
Argentine |
1 |
0,5 |
Luxembourg |
1 |
0,6 |
Espagne |
1 |
0,5 |
Norvège |
1 |
0,6 |
Islande |
1 |
0,5 |
Pays-Bas |
1 |
0,6 |
Norvège |
1 |
0,5 |
Suisse |
1 |
0,6 |
Pays-Bas |
1 |
0,5 |
Turquie |
1 |
0,6 |
Suisse |
1 |
0,5 |
|||
Turquie |
1 |
0,5 |
Tableau 5 : Domaine de spécialité des 193 participants pour lesquels il a pu être identifié
Domaine |
Nombre |
% |
Histoire ancienne |
5 |
2,5 |
Histoire médiévale |
74 |
38,5 |
Histoire moderne |
59 |
30,5 |
Histoire contemporaine |
22 |
11,5 |
Histoire de l’art |
3 |
1,5 |
Total Histoire |
163 |
84,5 |
Anthropologie |
9 |
5 |
Sociologie |
4 |
2 |
Économie |
6 |
3 |
Géographie |
1 |
0,5 |
Agronomie |
2 |
1 |
Philosophie |
3 |
1,5 |
Littérature |
1 |
0,5 |
Sciences politiques |
1 |
0,5 |
Linguistique |
1 |
0,5 |
Sinologie |
1 |
0,5 |
Archivistique |
1 |
0,5 |
Total autres |
30 |
15,5 |
- 84 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Quand on parle de la transition vers le capitalisme c’es (...)
21Explicitement issu de la volonté de mieux comprendre la transition vers le capitalisme84, le décloisonnement spatial, chronologique et dans une moindre mesure disciplinaire dont témoigne la sociologie des participants est par ailleurs nettement perceptible dans les thèmes abordés lors des différentes séances. Ceux-ci confirment que l’objectif comparatiste assigné dans le « projet d’appel » – « le champ d’application du concept de féodalisme ne pourrait être limité, a priori, à la seule société de l’Europe médiévale » – fut très largement mis en œuvre. Parmi les vingt-neuf séances dont on a conservé une trace, seules deux concernent exclusivement la Chrétienté occidentale médiévale, les autres relevant au moins pour partie d’un élargissement aussi bien dans le temps – en amont vers l’Antiquité tardive et surtout en aval vers l’époque moderne – que dans l’espace – en incluant non seulement des zones extraeuropéennes (deux séances sur Byzance, la Chine et l’Inde, une sur l’Amérique latine, l’Afrique, le Japon) mais également européennes (six séances sur l’Europe centrale, dont cinq sur la Pologne uniquement, une sur Al-Andalus).
- 85 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Guy Bois a également attiré la participation de Daniel T (...)
- 86 « Entretien avec Daniel Tollet » : « Moi je représentais plutôt les modernistes mais avec une visio (...)
- 87 À commencer par sa belle-famille, « grande famille d’historiens polonais » selon Daniel Tollet. Le (...)
22Ce tropisme relatif de l’Europe centrale – impulsé par Guy Bois et rendu possible par la présence active d’un de ses anciens étudiants, Daniel Tollet, qui cultivait déjà des liens étroits avec une historiographie alors assez dynamique85 au moins en Pologne, où le développement d’un système féodal repérable seulement à l’époque moderne offrait un contre-point singulièrement pertinent au cas de la Chrétienté occidentale médiévale86 – mérite d’être souligné pour au moins deux raisons. D’une part parce qu’il met en évidence une singulière absence au sein de la Société, celle de Jacques Le Goff, dont la participation aurait pu être supposée en raison à la fois de son poids dans l’historiographie française de l’époque, de sa proximité avec certains des piliers de la Société, à commencer par Jean-Claude Schmitt et Alain Guerreau, et, justement, de son rapport intime avec les historiens polonais87. D’autre part parce qu’il trouve son prolongement dans la seule manifestation de la Société hors de la Sorbonne, avec le colloque de Trèves déjà évoqué, sur lequel on peut maintenant revenir plus en détail.
- 88 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [Le colloque de Trèves], c’est une idée qu’on avait eue (...)
- 89 « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Bielefeld était une université nouvelle – les Allemands (...)
- 90 Parmi eux, seize fournirent une contribution : Hélène Antoniadis-Bibicou, Maurice Aymard, Jean-Loui (...)
- 91 Après deux exposés introductifs prononcés par Guy Bois (« Qu’est-ce que le féodalisme ? ») et le Ho (...)
23L’initiative de ce colloque revint, selon Jean-Philippe Genet, à Franz Irsigler, Neithard Bulst et Jochen Hoock88, soit les trois membres allemands les plus présents aux séances de la Société, tous passés par l’université de Bielefeld, qui constituait alors en Allemagne un pôle récent et important de diffusion des préceptes interdisciplinaires issus notamment de l’école des Annales89. Des trois, c’est sans nul doute Irsigler, spécialiste d’histoire économique et sociale de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne, qui fut le principal organisateur du colloque, puisqu’il est le seul signataire d’une lettre dactylographiée datée du 24 septembre 1980 par laquelle il indique à ses « chèr(e)s collegues [sic] » son intention d’organiser du 7 au 10 mai 1981 à Trèves « en collaboration avec la Société d’étude du féodalisme […] un colloque international “À propos du féodalisme en Europe – Theories, modèles recherches” [sic] », dont le « but principal serait l’inventaire des recherches théoriques et empiriques des historiens européens pendant ces dernières années, [étant entendu que] la discussion internationale […] a profité d’une manière décisive du travail de la Société. » Les destinataires intéressés sont par conséquent invités à transmettre « une version détaillée de 15 à 20 pages dactylographiées (avec résumé sur 1 à 2 pages) avant le 15 février 1981 […], afin d’en envoyer au préalable les copies aux participants. » Les autres documents annexes au colloque qui ont été conservés indiquent que celui-ci se tint bien à l’université de Trèves, où Irsigler avait obtenu un poste de professeur en 1977 et où la tradition marxiste demeurait par ailleurs très forte, et non à celle de Bielefeld, malgré les liens plus anciens noués entre des membres de cette dernière et la Société. Parmi ces documents, une liste de noms ainsi que trois versions d’un programme détaillé indiquent la participation au moins pressentie de 91 individus, dont 27 étaient membres actifs et/ou cotisants de la Société90. S’il est impossible de déterminer la présence effective de tous ces individus, 44 d’entre eux soumirent bien une contribution écrite pensée comme une base préalable à un échange général, confirmant ainsi la structuration originale du colloque : plutôt qu’à des présentations orales préparées à l’avance, les différentes contributions écrites en amont furent regroupées en six thèmes91, chacun d’entre eux étant introduit par un rapporteur chargé de résumer les contributions concernées et d’ouvrir la discussion.
Délitements, prolongements, perspectives
- 92 Dix des 44 contributions sont produites par des historiens issus respectivement de la RDA (3), de l (...)
- 93 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Irsigler n’a pas eu les moyens d’aller jusqu’au bout. Le (...)
24Si le colloque de Trèves permit indubitablement de prolonger l’ouverture portée par la Société vers l’historiographie est-européenne en offrant l’occasion, encore très rare à l’époque, d’une rencontre physique avec plusieurs historiens issus de pays membres du bloc soviétique92, et si l’ensemble des contributions envoyées au préalable ont été conservées jusqu’à aujourd’hui par deux des témoins (Jean-Philippe Genet et Alain Guerreau), la publication qui devait en être tirée ne fut jamais menée à bien. Interrogés sur les raisons de cet inachèvement, l’un et l’autre l’articulent tous deux au délitement de la Société93. Ce délitement est de fait perceptible dans les archives, où les traces des séances deviennent nettement plus ténues précisément à partir de 1981 : alors que dix séances se sont tenues entre le mois de janvier de cette année et 1983, seules trois ont fait l’objet d’une transcription dans le cinquième et dernier fascicule, publié d’ailleurs seulement en 1985, les sept autres ne nous étant connues que par des enregistrements audio et/ou des listes de présents, dont seules trois également ont été conservées pour cette période.
- 94 « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « souvent je me suis demandé, “mais dans le fond pourquoi (...)
- 95 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [Avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir] je pense que c (...)
- 96 Selon la notice qui lui est consacrée dans le Maitron (https://maitron.fr/spip.php?article17058, no (...)
- 97 « Entretien avec Alain Guerreau » : « En 1981, Bois s’est imaginé pouvoir devenir directeur général (...)
- 98 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « C’était des visions théoriques complètement différentes. (...)
- 99 Alain Guerreau, « Lournand au xe siècle. Histoire et fiction », Le Moyen Âge, 96, 1990, p. 519-531 (...)
- 100 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [Guy Bois] a cherché à se recentrer sur le Mâconnais où (...)
- 101 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « À la fin, les discussions sont devenues de véritables pa (...)
- 102 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « La Société d’étude du féodalisme n’est pas dissoute ! On (...)
- 103 Une première recherche menée sur Google Books nous a permis d’identifier quatorze citations de la S (...)
25En sus d’une « certaine lassitude »94, deux causes principales sont invoquées par les témoins pour expliquer l’essoufflement. Tous s’accordent d’abord à souligner l’évolution du contexte politique et intellectuel provoquée par l’élection de François Mitterrand, dont les conséquences peuvent aujourd’hui sembler paradoxales. Car à en croire les différents témoignages rétrospectifs, plutôt que d’encourager la pensée critique, l’arrivée au pouvoir de la gauche socialiste, corrélée à la « déliquescence du Parti communiste et de ses institutions culturelles », l’aurait au contraire neutralisée95. À un niveau plus personnel, ce tournant politique marqua une rupture dans la carrière de Guy Bois qui, malgré son rôle prépondérant dans les tentatives d’union de la gauche préalables à la victoire de Mitterrand96, n’obtint pas en retour la promotion de carrière qu’il espérait et se replia alors sur sa « réflexion théorique »97. Or, parce que celle-ci maintenait une interprétation marxiste traditionnelle, c’est-à-dire centrée sur une approche très économiste, Guy Bois se heurta de plus en plus violemment à l’opposition d’Alain Guerreau, qui promouvait un biais davantage anthropologique et idéologique98 : publicisées postérieurement par un compte rendu assassin du second au sujet du livre du premier sur le village mâconnais de Lournand99, épisode dont Jean Philippe Genet et Jean-Claude Schmitt soulignent à l’unisson la violence100, c’est bien par conséquent ces tensions croissantes entre deux des piliers de la Société qui en constituèrent la seconde cause du délitement101. En dépit de cette fin amère, qui ne dit d’ailleurs jamais vraiment son nom puisque la Société cessa progressivement de fonctionner sans toutefois être officiellement dissoute102 ; en dépit également du faible nombre de citations des travaux édités dans les fascicules dans la littérature scientifique contemporaine ou postérieure103, il nous semble en définitive que l’expérience menée au sein de ce groupe de travail mérite doublement d’être réévaluée, à la fois pour l’étude de l’évolution de l’historiographie sur le Moyen Âge et pour celle des pratiques historiennes des années 1970.
- 104 « Avec [Guy Bois], nous avons créé la Société d’étude du féodalisme dont les travaux, de 1976 à 198 (...)
- 105 Les ouvrages parus dans cette collection sont les suivants : Barbara Obrist, Les Débuts de l’imager (...)
- 106 Voir par exemple Alain Guerreau, « Féodalité », dans Jacques Le Goff, Jean-Claude Schmitt (dir.), D (...)
- 107 « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Je conçois très bien [que la continuité avec la Société (...)
- 108 Volume 1, p. 56-63.
- 109 C’est l’auteur qui souligne.
- 110 Ainsi des réactions circonspectes de Guy Bois, Jean-Louis Billoret, Jacques Revel et Jean-Philippe (...)
26Sur le premier plan, l’histoire de la Société d’étude du féodalisme est fort instructive, en ce qu’elle informe la production postérieure de certains de ses principaux membres, à commencer par les médiévistes interrogés. L’exemple le plus évident demeure celui de Jean-Philippe Genet, avec son vaste programme sur la Genèse de l’État moderne, initié en 1984, donc précisément dans la foulée des derniers travaux de la Société. Ce programme s’inscrivit en effet dans la continuité théorique – comprendre la transition entre le féodalisme et le capitalisme, ici par le biais de l’étude du développement des formes étatiques du pouvoir – et pratique – promouvoir une pratique collective et comparatiste de la recherche. Son promoteur le rappelle lui-même explicitement quinze ans plus tard : « sans la Société d’étude du féodalisme, il n’y aurait pas eu de Genèse de l’État moderne.104 » Bien que non revendiqué de manière aussi transparente, le lien est également très nettement repérable dans les travaux d’Alain Guerreau : en sus de son Horizon théorique du féodalisme, paru durant la période d’activité de la Société, celui-ci dirigea immédiatement ensuite la collection « Féodalisme » aux éditions Sycomore105, et continue depuis à publier sur ce thème106. Reste le cas de Jean-Claude Schmitt, pour la production duquel l’héritage semble à première vue plus ténu, même si cet historien revendique une filiation au moins intellectuelle et théorique107. À regarder de plus près cependant ses différentes interventions durant les séances de la Société, on ne peut être que frappé par le caractère précurseur de ses propositions. Son rapport intitulé « Religion, économie et société féodale », à la discussion duquel la séance du 11 décembre 1976 est consacrée108, est à cet égard révélateur. Il y propose notamment d’étudier le rapport entre « le développement des forces productives et un type spécifique de représentations et d’actions symboliques » afin de « montrer que ces représentations et ces actions symboliques, que nous nommons “religion” doivent être prises en compte dans l’étude du fonctionnement et du processus de reproduction des rapports sociaux », et de postuler ainsi que l’originalité de la « société féodale européenne, […] réside […] dans l’introduction et l’essor d’une religion, le christianisme, et d’une institution non moins spécifique, l’Église, […] le même outil permettant d’esquisser une périodisation de l’histoire du système féodal européen, entre le Haut Moyen Âge et la fin de l’Ancien Régime.109 » L’Église, institution dominante de la société d’un Moyen Âge allant jusqu’à la Révolution industrielle ? L’hypothèse, aujourd’hui largement reprise par les médiévistes, était loin alors d’être évidente, comme en témoigne les débats qu’elle suscita lors de la séance110. Sa formulation dès 1976 invite en tout cas à réévaluer la place de Jean-Claude Schmitt dans la mise en germe du paradigme interprétatif ecclésial de la société médiévale et indique surtout l’intérêt d’une étude approfondie des archives de la Société d’étude du féodalisme, qui pourrait confirmer que celle-ci constitue bel et bien un chaînon souterrain mais essentiel de certains des principaux développements de l’historiographie du Moyen Âge que l’on observe dans le dernier tiers du xxe siècle.
- 111 Sur ces collectifs, voir les travaux de Vincent Chambarlhac, notamment « “Nous aurons la philosophi (...)
- 112 Pascal Ory, L’Entre-deux-mai. Histoire culturelle de la France, mai 1968-mai 1981, Seuil, 1983.
27Ces archives sont également à notre sens fructueuses à un autre niveau, en ce qu’elles donnent à voir une des déclinaisons possibles du renouvellement des pratiques d’historiens dans les années 1970. Au-delà de sa filiation marxiste avec la Société d’Histoire Moderne et Contemporaine (SHMS) et la Société des études Robespierristes (SER), explicitement évoquée dans les documents, la Société d’étude du féodalisme peut en effet être inscrite dans une forme de cousinage avec d’autres pratiques contemporaines de l’histoire et plus généralement des sciences humaines et sociales, toutes développées dans le sillage de l’émancipation qui porta le mouvement de Mai 68 autant qu’elle fut portée par celui-ci. Au cas déjà évoqué du Centre d’étude et de recherche marxiste (CERM), on peut ajouter à l’autre bout du spectre marxisant celui des collectifs post-gauchistes Forum Histoire et Révoltes logiques, fondés respectivement à l’université Paris VII par Jean Chesnaux (1922-2007) et à celle de Vincennes par Jacques Rancière (né en 1940), Jean Borreil (1938-1992) et Geneviève Fraisse (née en 1948)111. Le parallèle, jamais évoqué par les témoins interrogés, serait sans doute aussitôt récusés par eux, tant les objectifs de ces collectifs, qui appelaient ouvertement à une rupture pratique et épistémologique radicale fondée sur une pratique politique active de l’histoire, semblent différer de ceux de la Société. La chronologie de leur existence, 1975-1978 pour le premier, 1975-1981 pour le second, laisse pourtant entrevoir un champ commun, celui du bouillonnement intellectuel et militant de « l’entre-deux-mai » français112, dans lequel la Société d’étude du féodalisme s’inscrit pleinement, et dont la présente publication des archives permettra, espérons-le, de contribuer à écrire une histoire qui reste encore largement à faire.
Notes
1 « Programme général », Zur Problem des Feudalismus in Europa, Conférence de Trèves 7-10 mai 1981
2 Entretien avec Jean-Philippe Genet : « Le colloque de Trêves a coïncidé très exactement avec l’élection de Mitterand. Je suis rentré en voiture avec quelques collègues dans ma Dyane qui n’avait évidemment pas de radio et, comme j’habitais à l’époque boulevard Beaumarchais, j’ai voulu me garer comme à l’habitude rue Amelot. Arrivé place la République, les flics, barrage “non, impossible, vous ne pouvez pas passer”, mais je dis : “j’habite là, il faut bien que je me débarrasse de la voiture et des bagages”, donc après discussion ils m’ont autorisé à rentrer dans la rue Amelot … Elle était noire de monde : c’était le soir de l’élection de Mitterrand, les gens allaient à la fête à la Bastille. C’est absolument daté ! »
3 Entretien avec Alain Guerreau : « Les séances se terminaient le samedi, le dimanche on a batifolé à Luxembourg et le dimanche soir, on était devant la télé, chez Lehners, Genet, Anita et moi, et on a vu apparaître Mitterrand en vainqueur des élections. »
4 Entretien avec Daniel Tollet : « Je me souviens que nous sommes rentrés tous en train, et il y avait Adeline Rucquoi [née en 1949], qui est une collègue spécialiste du Moyen Âge espagnol, très drôle et qui nous a fait rire pendant tout le voyage... Je ne me souviens pas d’avoir voté mais je ne me suis jamais abstenu de toute ma vie, quitte à voter blanc. Donc je pense que je devais être en France… On a voyagé de nuit, puisqu’on avait des trains couchettes. »
5 Entre crochets sont indiqués les initiales des témoins qui nous transmis les différentes archives (JPG pour Jean-Philippe Genet ; AG pour Alain Guerreau ; JCS pour Jean-Claude Schmitt)
6 Elles seront désormais désignées comme suit : Conv. 1 = convocation du 20 novembre 1975 pour la séance du 13 décembre 1975 ; Conv. 2 = convocation du 17 janvier 1976 pour la séance du 31 janvier 1976 ; Conv. 3 = convocation du 15 avril 1976 pour la séance du 22 mai 1976 ; Conv. 4 = convocation du 16 novembre 1976 pour la séance du 11 décembre 1976 ; Conv. 5 = Convocation du 7 février 1977 pour la séance du 5 mars 1977 ; Conv. 6 = convocation du 3 mars 1977 pour la séance du 19 mars 1977 ; Conv. 7 = convocation du 23 novembre 1977 pour la séance du 10 décembre 1977 ; Conv. 8 = convocation du 22 octobre 1979 pour la séance du 1er décembre 1979 ; Conv. 9 = convocation du 6 février 1980 pour la séance du 1er mars 1980.
7 Une version retravaillée de la contribution de Ludolf Kuchenbuch a été publiée en allemand en 2012 et fait dans le présent volume l’objet d’une traduction intégrale en français : Ludolf Kuchenbuch, « Marx et le féodalisme. Sur le développement du concept de féodalisme dans l’œuvre de Karl Marx ».
8 Il faut ici préciser que l’identité des témoins interrogés ne relève pas d’un choix restrictif de notre part. La majorité des participants actifs à la Société encore en vie ont été contactés ; parmi ceux qui ont répondu, les cinq individus cités ont accepté d’être interrogés. Guy Bois avait également donné son accord pour un entretien, qui n’a malheureusement pas pu être réalisé avant son décès.
10 « Projet de texte d’appel », p. 1-2 : « La première raison justifiant cette initiative est un diagnostic d’ordre scientifique : l’entrave majeure aux progrès de notre connaissance des sociétés “médiévales” et “modernes” (“occidentales” ou “orientales”) réside dans l’empirisme de méthode qui demeure l’une des caractéristiques de notre historiographie. Le maintien d’une 1e coupure artificielle entre une époque dite “médiévale” et une époque dite “moderne” est précisément l’un des effets d’une grande faiblesse conceptuelle. » Le cloisonnement entre espaces étudiés et entre disciplines est dénoncé un peu plus loin : « Dispersés par la géographie universitaire, sans doute, mais aussi séparés par les cloisons chronologiques traditionnelles (la Renaissance), par leur spécialisation dans l’espace (Occident, Byzance, Islam, Extrême Orient etc…) ou dans l’étude de telle ou telle instance d’une même société (qu’elle soit économique, politique ou mentale). Sans parler des cloisonnements presque étanches entre des historiens, des économistes, des anthropologues, des juristes, préoccupés cependant par les mêmes problèmes. »
11 « Projet de texte d’appel », p. 2 : « Dans la définition de la future “société”, trois points ont été retenus : 1) Elle est un groupement de chercheurs concernés par l’étude du féodalisme, c’est-à-dire admettant le caractère opératoire de ce concept dans la recherche historique. Elle se définit donc essentiellement par son objet et non par une quelconque référence idéologique. 2) Ces chercheurs qui ont en commun une même exigence globalisante dans 1’analyse des sociétés et qui sont convaincus de l’importance des structures matérielles (spécialement de la manière dont les hommes s’organisent pour assurer la production des biens matériels) voient dans le féodalisme l’un des grands systèmes d’exploitation de l’homme. Un système caractérisé par un rapport de production original comportant la propriété du seigneur sur la terre et l’exercice par ce seigneur d’un pouvoir de contrainte sur les producteurs. 3) Le champ d’application du concept de féodalisme ne pourrait être limité, à priori, à la seule société de l’Europe médiévale. La société d’étude du féodalisme considère donc qu’il lui appartient d’examiner toute société dans laquelle se manifestent des rapports de production de type féodal : Europe moderne, Byzance, monde musulman, Chine, Japon etc… Par ailleurs elle n’entend pas se limiter aux seuls aspects économiques du féodalisme et portera une attention particulière à ses manifestations politiques, mentales ou idéologiques. »
12 « Projet de texte d’appel », p. 4 : « La société sera constituée dans les plus brefs délais en association de 1901 et procèdera à l’occasion de son premier colloque à l’élection d’une direction régulière, conformément à ses statuts. Dans l’immédiat sa direction est assurée par un “premier noyau”, susceptible d’élargissement, comprenant : H[élène] Antoniadis[-Bibicou] (E.P.H.E), P[aul] Benoît (Paris I), G[uy] Bois (Besançon), É[tienne] François (Nancy), C[laude] Gauvard (Paris I), A[lain] Guerreau (Paris), J[ean-]Ph[ilippe] Genet (Paris I), J[ean-]Cl[aude] Hocquet (Lille), M[arie-]Thérèse Lorcin (Lyon), C[laude] Mazauric (Rouen), J[ean-]Cl[aude] Perrot (Paris I), D[aniel] Roche (Paris VIII), S[imone] Roux (Paris X), J[ean-]Cl[aude] Schmitt -E.P.H.E), L[ucette] Valensi (Paris), M[ichel] Vovelle (Aix). »
13 Jean-Philippe Genet et Alain Guerreau au Snesup ; Hélène Antoniadis-Bibicou, Guy Bois, Claude Mazauric, Simone Roux, Lucette Valensi et Michel Vovelle au PCF ; Jean-Claude Schmitt au PSU.
14 Guy Bois, Crise du féodalisme, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1976, p. 12.
15 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Ce qui a posteriori me semble clair, c’est qu’au moment où je suis arrivé à Paris, en 1966, il régnait une conjoncture intellectuelle qui a duré et s’est renforcée d’une certaine façon vers 1970, puis a perduré jusqu’à la fin des années 1970 et qui s’est effondrée ensuite. […] On constatait un échauffement politique, idéologique énorme. La librairie Maspéro était bondée de monde du matin au soir. Mai 68, du point de vue de l’Université, est arrivé dans un mouvement. Ce mouvement, les manifs du mois de mai lui ont considérablement donné du jeu. Les séminaires des années 1969-1975 se déroulaient dans une surexcitation intellectuelle dont on n’a plus idée. On avait vraiment l’impression d’être en train de reconstruire, de rebâtir, d’avancer. […] Cela a peut-être donné une dynamique dans les universités, parce que le mandarinat s’est trouvé très atteint. Un professeur de l’École des chartes a fait une jaunisse, une vraie. Beaucoup de professeurs ont considéré que c’était la mort de l’humanité, en tout cas la mort des universités, qu’il n’y avait plus rien, que c’était la fin du monde. »
16 « Entretien avec Daniel Tollet » : « J’ai étudié en propédeutique en 1964, et je me souviens la séance d’inaugurale ; je ne suis pas près de l’oublier. Le directeur de propédeutique, Victor-Lucien Tapié, appelait : “messieurs les professeurs” [ploff] il s’assoit, “messieurs les maîtres de conférences” [ploff] “messieurs les assistants” [ploff]. C’était comme ça, on ne se mettait pas autour de la table puis chacun s’assoit et enlève la veste. Pas du tout ! dans un jury, un assistant n’aurait jamais enlevé sa veste si le prof ne disait pas qu’il faisait trop chaud aujourd’hui. Donc vous voyez que c’est une véritable révolution ça. C’est ça, 68 » ; « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « En 68, on vous suppliait à genoux pour aller à la fac. Moi quand j’ai été pris à la Sorbonne, Claude Gauvard est allée à Rouen et Jean Favier m’a téléphoné juste après que la Sorbonne m’avait appelé. Ils cherchaient, ils avaient des places à distribuer. Il faut dire qu’on avait des masses d’étudiants, sans commune mesure avec avant, y compris au lycée. Quand ma fille me dit : “Oh j’en ai trente”, moi j’en avais entre cinquante et soixante. C’était à l’époque du fameux plan Fouchet et tout ça, 68 n’est pas né du hasard, il y avait vraiment une situation matérielle qui était terrible et après 68, il y a eu une énorme bouffée d’air, […] donc de juin 1968 à début 1973, qui voulait aller à la fac avait un poste. Et puis évidement après “clac” ça s’est fermé » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « On pourrait dire que de 1968 à 1981 il y a là, intellectuellement, une phase A, avec la question structurelle de l’université, la création des nouvelles universités, la transformation de la VIe section en EHESS. Cette transformation a été extrêmement importante, je ne parle pas que pour les acteurs qui étaient dedans, également pour l’ensemble de la réflexion en sciences humaines et sociales, c’est un renouvellement énorme. Il y a dans ces années une croissance considérable, une montée en puissance des sciences sociales, s’appuyant sur des transformations institutionnelles. Donc tout cela a favorisé une expérience comme celle de la Société d’étude du féodalisme. L’éclatement de l’université a fait aussi qu’on était dans des institutions différentes, pas forcément concurrentes, mais où on avait conscience d’interagir d’une institution à l’autre. »
17 « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « On est quand même dans les années 1970, pas longtemps après Mai 68 aussi et le marxisme est alors très explicitement, je dirais, pas une source d’inspiration, ce ne serait pas le bon terme, mais un des cadres théoriques dans lesquels on pense vraiment l’historiographie. Beaucoup plus qu’aujourd’hui c’est évident. Donc c’est toute une tradition, évidemment ancienne, mais qui dans ces années-là reste très importante et en même temps on a le sentiment que les choses s’étiolent et qu’il faudrait ranimer cette pensée marxiste historienne mais sur des bases nouvelles. »
18 Une étude spécifiquement dédiée au CERM fait à notre connaissance toujours défaut. Voir pour une première approche Marco Di Maggio, « Recherche historique et engagement militant : les Cahiers d’histoire de l’Institut Maurice Thorez dans le dispositif culturel du PCF », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 123, 2014, p. 165-186.
19 « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Le renouvellement du débat et de la pensée théorique dans les sciences sociales et humaines en termes marxistes venait aussi de la branche intellectuelle du parti communiste lui-même au sein de, je ne me souviens plus du nom, cela se passait dans une maison qui je pense n’appartient plus au parti communiste mais qui était fort jolie, à peu près à Corvisart, sur le boulevard Blanqui » ; « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [Il y avait] un institut qui publiait une revue, je dois avoir des numéros ici, qui était dans le XIIIe, on a dû y aller plusieurs fois pour des rencontres » ; « Entretien avec Alain Guerreau » : « Je m’étais rendu au local d’un organisme qui s’appelait le CERM et qui se trouvait boulevard Blanqui. J’étais arrivé, j’étais allé voir le secrétaire, je lui avais posé ma question : “Le féodalisme, c’est quoi”. Parce que, pour moi, le féodalisme, c’est le pourquoi de la transformation de l’Europe. Il m’avait regardé d’un air un peu bizarre, un peu étrange. Il m’a dit : “Oui, il y a une section ici qui s’occupe du féodalisme”. Je lui dis : “Très bien, convoquez-moi, donnez-moi leur contact”. J’ai donc assisté à toute une série de réunions au CERM. » Paradoxalement, Daniel Tollet, le seul témoin qui militait alors au PC croit se souvenir que le CERM n’existait plus mais se rappelle avoir participé à certaines manifestations en fait organisées par le CERM, comme les Journées du livre et de la pensée marxiste : « Ce qui continuait à exister c’était les “Journées de la pensée marxiste”. C’était une ou deux fois par an, je ne me souviens plus exactement. Je me rappelle que c’était Roger Garaudy qui les organisait à l’époque […] et il avait même fait venir, séance très houleuse, des savants soviétiques qui s’étaient mis en demeure d’énumérer toutes les découvertes faites en Union Soviétique, alors au bout d’un certain temps la salle est devenue houleuse parce que c’était d’un intérêt pour le moins limité et en plus un grand nombre de gens savaient que c’était faux. Ou bien il y avait des débats entre marxistes et non marxistes, je me souviens d’un débat sur la science et la religion, par exemple, avec Louis Leprince-Ringuet qui était un physicien catholique. Il y avait vraiment des débats de haute tenue mais dans le domaine des généralités. »
20 Le Féodalisme, Recherches internationales à la Lumière du marxisme, n° 37, mai-juin 1963 ; Charles Parain, Pierre Vilar « Mode de production féodal et classes sociales en système précapitaliste », Cahiers du Centre d’Études et de recherches marxistes, 59, 1968 ; René Galissot, « L’Algérie précoloniale : Classes sociales en système précapitaliste, mise en question du mode de production féodal », Cahiers du Centre d’Études et de recherches marxistes, 60, 1968 Sur le ‘mode de production asiatique’, Paris, Éditions sociales, 1969 ; Sur les sociétés précapitalistes : textes choisis de Marx, Engels Lénine, Paris, Éditions sociales, 1970 ; Le deuxième servage en Europe orientale et centrale, Recherches internationales à la lumière du marxisme, n° 63-64, 1970 ; Sur le féodalisme, Paris, Éditions sociales, 1971 ; Le féodalisme à Byzance : problèmes du mode de production de l’empire byzantin, Recherches Internationales à la lumière du marxisme, n° 79, 1974.
21 Voir dans le présent volume Blaise Dufal, « Spectres marxistes du féodalisme : le passé d’une interprétation ? », Atelier du CRH.
22 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Bois avait des raisons pour cela [la création de la Société] qu’il n’a pas vraiment dites, mais que je crois avoir subodorées, c’est qu’il était dans les cadres du parti communiste, mais déjà en froid avec les instances supérieures. Et une de ses bêtes noires était Charles Parain, un type qui avait la haute main sur les études historiques marxistes, qui est un peu oublié aujourd’hui. Le grand truc de Charles Parain c’était l’outillage, les problèmes de technologie et Bois trouvait que Parain était nul, qu’il racontait toujours la même chose depuis des années... Et du coup il s’était mis à lire Kula, et il avait vu qu’effectivement les choses pouvait être bien différentes et que l’on pouvait faire sur la technologie des réflexions qui allaient beaucoup plus loin. Et donc il avait aussi dans son agenda le fait de vouloir damer le pion aux gens du CERM. D’autres collègues devenus très critiques à l’égard du CERM comme la byzantiniste Hélène Antoniadis-Bibicou. Donc il y a eu un côté un peu scission du groupe des historiens marxistes qui en avaient marre et qui voulaient rompre avec cela. Cela a été sûrement l’origine de beaucoup de gens qui sont venus aux réunions de la Société d’étude du féodalisme. »
23 Grand équipement documentaire du Campus Condorcet, Fonds Jean-Claude Schmitt (EHESS 260 EHE), carton 28.
24 Les « Formen », abréviation de « Formen die der kapitalistischen Produktion vorhergehen » désignent un chapitre tiré des manuscrits rédigés en 1857-1858, donc avant ceux du Capital, par Karl Marx et restés inédits jusqu’à une première édition incomplète en allemand en 1903. Ils ne furent publiés en français qu’en 1967-1968 sous le titre Fondements de la Critique de l’Économie politique, et suscitèrent dans les années successives d’intenses débats.
25 Guy Bois, « Quelques remarques sur les Formen », Grand équipement documentaire du Campus Condorcet, Fonds Jean-Claude Schmitt (EHESS 260 EHE), carton 28.
26 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « L’idée [de la création de la Société] appartient à Guy Bois [1934-2019] et j’ai avant tout aidé à la mettre en pratique» ; « Entretien avec Daniel Tollet » : « Au début, c’était surtout une question d’amitié entre Guy Bois et moi. Guy Bois était à l’époque maître de conférences, ce qui était alors l’équivalent de professeur de rang 1. Il était à la Sorbonne, c’était encore la vieille Sorbonne, et j’ai été son étudiant puis on est resté en relation. L’initiative, j’espère que les autres diront la même chose que moi parce que je peux avoir la mémoire qui flanche, l’initiative de la création de cette société venait de Guy Bois » ; « Entretien avec Alain Guerreau » : « C’est à ce moment-là que Guy Bois intervient. Bois était le secrétaire de la cellule communiste de la Sorbonne dans les années 1960, dans laquelle il faisait régner apparemment une terreur hystérique, stalinienne pure et dure. Il s’était lancé dans une thèse sur la Normandie à la fin du Moyen Âge, qu’il a publiée en 1975. Il a imaginé avoir fait enfin la grande thèse d’histoire médiévale marxiste qui résolvait tous les problèmes. Et il a donc eu envie de créer une tribune pour répandre la “pensée Guy Bois” et c’est pourquoi il a créé, c’est lui qui en a eu l’idée, la Société d’étude du féodalisme, dans cette perspective et uniquement dans cette perspective » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « C’est cette volonté de renouveau de la pensée marxiste, au sein même du parti communiste et de ses élites intellectuelles dont il faut tenir compte pour situer la création de la Société, dont l’initiative revient à Guy Bois, à Alain Guerreau et à quelques autres. »
27 « Entretien avec Daniel Tollet » : « C’était des gens [les participants à la Société], qui pour un certain nombre en 68 était membres du Parti communiste ou en étaient proches tout en n’étant pas tout à fait d’accord avec les positions du Parti qui disait : “il faut terminer maintenant, il est temps d’en finir avec 68” répondant ainsi au désir des Soviétiques » ; « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [Les participants à la Société, c’étaient] ceux de la génération 68 qui essayaient de faire bouger les choses. »
28 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Il y a cette idée qu’il faut aborder l’histoire avec l’envie de comprendre et d’expliquer et pas seulement de reproduire et de décrire. Ce qui change tout. Parce que justement, à l’École des chartes, c’était interdit : à l’École des chartes, on transcrit, on fait des publications de transcriptions propres, on identifie les lieux, les personnes, une date, et là on s’arrête. Ce qui veut dire que l’on n’a rien compris, mais c’est normal, parce qu’il n’y a rien à comprendre. »
29 « Entretien avec Daniel Tollet » : « On discutait et ce qu’il y a eu de nouveau, s’il y a eu quelque chose de nouveau – je me rappelle que j’ai eu une grande discussion avec Lucette Valensi et elle m’a beaucoup appris – c’est qu’on sortait de l’économie. Bien entendu, on était intéressé par l’économie, mais on en sortait pour étudier ce qu’elle appelait “les rapports sociaux” : c’est-à-dire comment s’établissait les rapports entre les gens dans le cadre d’un système économique et politique et finalement comment fonctionnait un système dans sa globalité » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « On réfléchissait en termes de système féodal dans la longue durée, ça c’était évident. »
30 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Dans le même temps, j’avais réussi à faire accepter l’introduction dans le parcours de la Licence d’Histoire d’une UV “sciences humaines”. Les étudiants pouvaient choisir entre quatre U.V., une UV d’anthropologie, une de linguistique, et puis une de mathématiques pour les sciences humaines, en fait de l’analyse des données statistiques. Plus tard, il y a eu aussi une U.V. d’informatique pour l’histoire. »
31 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Chiva, qui était le bras droit de [Claude] Lévi-Strauss [1908-2009], celui qui s’occupait du LAS [Laboratoire d’Anthropologie Sociale], celui qui faisait tourner la boutique, m’a dit ; « C’est parfait, c’est très bien je suis très content de vous voir. On va vous former, on va vous donner une formation à l’ethnologie accélérée, typiquement pour des gens comme vous ». Cela s’appelait la FRA [Formation à la Recherche Anthropologique], il y avait douze heures de cours par semaines, c’était intensif. Il m’a inscrit en dehors de toutes les règles. Godelier m’a reçu à bras ouverts et on a commencé à discuter. J’ai reçu cette formation anthropologique sérieuse, technique, j’ai appris tout ce qu’il faut faire quand on arrive chez les XY, ce qu’il faut regarder, ce qu’il faut demander, quelles sont les grilles de questions, comment il faut se comporter. On m’a même donné la composition de la trousse médicale. D’un seul coup d’un seul, j’ai appris des quantités de choses » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Nous étions plusieurs jeunes historiens à être passionnés par l’anthropologie et nous avons suivi ce qui s’appelait la formation à la recherche en anthropologie, la FRA, à l’École des hautes études VIe section, devenant en 1975 l’École des hautes études en sciences sociales, et c’est là que j’ai rencontré Maurice Godelier, Marc Augé, Françoise Héritier, Françoise Zonabend, Martine Segalen, Emmanuel Terray etc. C’est-à-dire tout le gratin de l’anthropologie et de l’ethnologie européenne et française, de l’anthropologie exotique et théorique. Tous ces gens-là je les ai connus à ce moment-là donc très tôt et j’allais dire que le virus ne m’a pas quitté depuis puisque c’est vraiment ce que j’ai voulu suivre dans ma recherche. »
32 À la dernière page dans les volumes 1-3 et à la première dans les volumes 4-5.
33 Dans les volumes 4 et 5, « étude » est au singulier.
34 Les volumes 1-3 renvoient chacun à une unique année civile (1976, 1977 et 1978) tandis que les volumes 4-5 renvoient chacun à deux années civiles (1979-1980 puis 1981-1982).
35 Sauf pour le volume 1. Pour les autres, le lieu de publication est systématiquement Paris ; tandis que le décalage entre l’année des séances dont le contenu a été retranscrit et l’année de publication est croissant : un an pour les volumes 2-3 (1978 et 1979) ; deux ans pour le volume 4 (1982) ; trois ans pour le volume 5 (1985).
36 Volume 1 : Jean-Philippe Genet et Jean-Claude Schmitt ; volume 2 : Jean-Philippe Genet, Daniel Tollet, Jean-Claude Schmitt ; volume 3 : Jean-Philippe Genet, Marie-Louise Pelus, Daniel Tollet, Françoise Micheau ; volume 4 : Jean-Philippe Genet, Alain Guerreau, Michel Kaplan, Daniel Tollet ; volume 5 : Jean-Claude Hocquet, Marie-Louise Pelus, Daniel Tollet (l’ordre des noms est donné tel qu’il apparaît sur les différentes couvertures).
37 L’adresse est systématiquement celle de Jean-Philippe Genet : 98 bd Beaumarchais, 75011 Paris (volumes 1-3) puis 147 av Parmentier, 75011 Paris (volumes 4-5).
38 Sauf pour le volume 1, où il n’est pas indiqué, le prix de la cotisation est précédé de la mention : « Cotisation donnant droit au compte rendu : » et s’élève successivement à 40 francs (volume 2), 50 francs (volumes 3-4) puis 100 francs (volume 5).
39 Sauf pour le volume 1. Il est ensuite identique pour les volumes 2-5.
40 « Les statuts de la société figurent aux pages 43 à 48 du compte-rendu des séances de la société pour l’année 1976 ». L’indication ne se trouve pas sur la couverture des volumes 1 et 5.
41 « Pour des raisons techniques, le compte rendu des séances du 14 juin (Nurul ASAN [sic]) et du 20 novembre (Immanuel WALLERSTEIN) de l’année 1979 sera publié ultérieurement » (couverture du volume 4).
42 Le titre et la date ne sont pas indiqués pour la dernière séance retranscrite dans le volume 1, tandis que la numérotation ordinale des séances n’est pas indiquée dans le volume 5.
43 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « On n’a jamais eu d’aide de qui que ce soit pour quoi que ce soit. [Les cotisations] permettaient de faire les fascicules. »
44 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « C’était destiné à circuler et à être envoyé aux membres de la société comme un bulletin. »
45 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « J’en ai pris beaucoup. Daniel Tollet et moi prenions les notes et après on les utilisait avec Jean-Claude Schmitt pour relire le travail de Jeanine Fontenay. Michel Fontenay, son époux, était là et faisait aussi ce travail. On donnait à Jeanine soit les bandes, soit les notes, ou les notes et les bandes, et à partir de là elle a fait tout le travail de saisie, en dépit de l’énorme travail qu’elle faisait par ailleurs pour les Éditions Sociales, pour les volumes de la correspondance de Marx ; c’est à elle que l’on doit la survie de la mémoire de la Société. »
46 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Il y avait Daniel Tollet, qui était trésorier, et qui était chargé des transcriptions et du travail manuel » ; « Entretien avec Daniel Tollet » : « Alors je ne me souviens plus si on enregistrait avec un magnétophone parce qu’à l’époque c’étaient des magnétos très lourds, ou bien si on prenait des notes. En tout cas si on prenait des notes c’était probablement Jean-Philippe Genet et moi qui faisions ça et après on devait arriver à établir un texte. Mais il faut dire qu’à cette époque-là on avait de l’expérience, les uns et les autres, parce que c’était une époque à laquelle on avait ce qu’on appelait des polycopiés de cours. […] Donc on était rompu à ce travail, on ne tapotait pas sur un ordinateur à cette époque-là, on prenait tout en notes et après on remettait au propre » ; Jean-Claude Schmitt, quant à lui, est encore plus flou : « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « je crois que c’était Guerreau qui enregistrait. […] Je ne sais pas qui enregistrait, pas moi en tout cas. »
47 Consacrées respectivement à une communication de Bernard Cerquiligni sur « Histoire et linguistique » et à une « présentation du livre de Robert Fossier ». Faute d’appareil adéquat nous n’avons pu écouter ces bandes et reportons seulement ici les notices manuscrites inscrites sur les boitiers.
48 Consacrées respectivement à des communications de Pierre Guichard sur les communautés rurales en Al-Andalus, de Franz Irsigler sur les conséquences économiques et sociales de la Guerre des paysans, de Guy Bois sur le concept d’économie-monde de Fernand Braudel et de Bernhard Töpfer sur les critères caractéristiques du féodalisme et la position de la société féodale dans le contexte des formations précapitalistes. Les dates sont mentionnées de manière manuscrite sur le boitier de chacune des cassettes. On peut cependant douter de mention de la date du 19 décembre 1982 car c’était un dimanche. Or, les séances, comme on le verra ci-après, avaient toujours lieu un samedi : il s’agit sans doute d’une erreur du rédacteur, la séance ayant très certainement eu lieu en fait le samedi 18 décembre 1982. Les boitiers des cassettes de l’enregistrement de la séance consacrée à la communication de Bernhard Töpfer ne sont pas munis de date mais Alain Guerreau nous a indiqué par écrit sa date probable. Les sujets des conférences ne sont par ailleurs pas indiqués mais sont ici déduits de l’écoute des cassettes.
49 La liste manuscrite de présents contient en haut les mentions doublement soulignées « Fernand Braudel » et « séance du 21 février 1981 ».
50 La date est celle inscrite dans le volume 5 (au sommaire puis à la p. 14). Cependant notée sur la liste des présents où la mention « N. Bulst » est encadré en haut de la page, la date indiquée est le 13 juin 1981.
51 « Entretien avec Alain Guerreau » : « C’était le samedi après-midi. Ce qui fait qu’Anita ne pouvait pas venir parce qu’elle gardait notre fille qui à l’époque était à la crèche. Elle a toujours été mécontente, elle m’a toujours reproché d’être allé aux séances du samedi après-midi, alors qu’elle, elle ne pouvait pas y aller » ; « Entretien avec Daniel Tollet » : « je me souviens que nous avons établi le rythme d’une réunion par mois le samedi après-midi. »
52 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Autant que je m’en souvienne c’était toujours dans la salle Marc Bloch de la Sorbonne » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Il me semble que [les séances] étaient à la salle Marc Bloch à la Sorbonne » ; « Entretien avec Daniel Tollet » : « On était, si je ne dis pas de bêtises, dans la salle Perroy, non pardon, dans la salle Marc Bloch, qui contient une centaine de personnes peut-être, soixante à cent personnes. La salle était pleine et les discussions étaient animées. »
53 Où l’on remarque d’ailleurs que la salle Marc Bloch prend ce nom avant la fin de l’année 1979 (elle est désignée comme telle dans la Conv. 8) et après celle de l’année 1977 (elle est indiquée avec la même précision topographique « escalier C 2e étage » mais sous le nom de « salle d’histoire n° 1 dans la Conv. 7).
54 Conv. 1.
55 Conv. 2.
56 Conv. 3 (suivie de rapports préparatoires produits par Guy Bois et Jean-Claude Perrot), 4 (suivie d’un rapport préparatoire produit par Jean-Claude Schmitt) et 5 (suivie d’un rapport préparatoire et d’indications bibliographiques produits par Jerzy Topolski).
57 Conv. 7, 8 et 9.
58 Journal Officiel de la République française. Numéro complémentaire, 29 décembre 1976, n° 113, p. 7065 : « 7 décembre 1976. Déclaration à la préfecture de police. Société d’étude du féodalisme. Objet : conduire une activité d’information et de recherche sur le féodalisme. Siège social : chez M. Jean-Philippe Genet, 98, boulevard Beaumarchais, 75011 Paris. »
59 Conv. 1 : « le projet des statuts de la future société sera examinée [lors de la séance] » ; Conv. 2 (« P.S. : « Tous ceux qui sont intéressés par les institutions qui régiront notre société sont priés de se rendre, ce même samedi 31 [date de la deuxième séance], à 10h30, à la Biblioth. HALPHEN (à la Sorbonne, esc. C, 2ème étage) » ; Conv. 3 : « nous procéderons à l’examen des statuts de la Société, que vous aurez reçus en même temps que cette convocation » ; Conv. 4 (point 2 de l’ordre du jour) : « L’élection des 20 membres du Conseil d’administration : les candidats qui ne pourraient être présents ce samedi sont priés de bien vouloir remplir le bulletin ci-dessous. »
60 Volume 1, p. 34 : « PH. GENET [sic] rappelle […] que ce texte [les statuts] s’inspire des statuts de la Société d’Histoire Moderne et Contemporaine et de la Société des Études Robespierristes. […] L. VALENSI rappelle que la cotisation à la Société d’Histoire Moderne et Contemporaine (avec service de la Revue) est de 70 F » ; « M. VENARD […] cite l’exemple de la Société d’Histoire de l’Église de France. »
61 Filippi Bruna, « Le “Groupe de a Bussière”, quelques étapes d’un parcours collectif », Revue d’histoire de l’Église de France, 86/217, 2000, p. 735-745 ; François Dosse, Michel de Certeau. Le marcheur blessé, Paris, La Découverte, 2007, chap. XV « Le groupe de la Bussière », p. 221-240.
62 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Le Groupe de La Bussière ? je n’ai jamais su trop ce que c’était. Alors, je ne peux pas dire, je ne sais pas qui en était membre et je ne sais pas ce qu’ils ont fait. Franchement, il ne me semble pas que même à l’époque, je l’aie su. C’est possible que rétrospectivement, avec une position informée, je pourrais dire quelque chose. Mais j’ignore tout de ce groupe » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Je peux vous dire que j’étais aussi au Groupe de La Bussière. […] je ne sais pas si c’était une association, c’est possible, je n’étais pas du tout dans les instances dirigeantes mais j’y ai participé. […] [La Société et le Groupe de La Bussière] n’ont rien à voir mais je ne suis pas le seul à avoir été des deux côtés ».
63 Il est ainsi, après Guy Bois, et avec Jean-Philippe Genet et Jean-Claude Schmitt l’intervenant dont le nom est le plus souvent mentionné dans le volume 1 de comptes rendus.
64 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [Nous étions] très nombreux, surtout au début, ça attirait du monde ».
65 « Entretien avec Alain Guerreau » : « Venaient régulièrement quinze ou vingt personnes, je ne sais pas s’ils ont tous signé, s’ils sont tous sur les listes des présents ».
66 Soit (pour treize d’entre elles) parce qu’elles contiennent des informations (date, thème ou numéro de la séance), soit (pour trois d’entre elles) par recoupement avec les intervenants mentionnés dans les volumes. Une seule par conséquent n’a pas pu faire l’objet d’association à une séance précise par manque d’informations. Il faut par ailleurs souligner que les présents ne s’inscrivaient pas systématiquement sur la liste comme l’attestent les mentions d’intervenants dans les transcriptions des séances dont le nom n’apparaît pas sur la liste correspondante.
67 Ces données agrègent le nombre de personnes inscrites sur les listes de présents avec le nombre de personnes dont l’intervention a été retranscrite dans les volumes de compte rendu mais dont le nom n’est pas inscrit sur la liste de la séance correspondante
68 La date est celle inscrite dans le volume 5 (au sommaire puis à la p. 14). Cependant, sur la liste des présents où la mention « N. Bulst » est encadré en haut de la page, la date indiquée est le 13 juin 1981.
69 Sont en italique les noms des participants à la réunion matricielle du 31 mai 1975. Les données sont par ailleurs ici biaisées par l’absence de listes de présents pour l’année 1982 et doivent encore une fois être lues à titre d’indication minimale, en particulier pour la période de fréquentation.
70 Le nom de quatre des membres de ce noyau disparaît ainsi définitivement des documents avant même la première séance (Paul Benoît, Étienne François, Daniel Roche et Michel Vovelle) tandis que celui de quatre autres (Claude Gauvard, Marie-Thérèse Lorcin, Claude Mazauric et Simone Roux) n’est ultérieurement mentionné qu’à une ou deux reprises.
71 « Projet de texte d’appel », p. 3.
72 Claude Cahen, Maurice Godelier, Évelyne Patlagean et Pierre Vilar disposent déjà de ce statut au moment de la fondation de la Société ; Maurice Aymard, Guy Bois, Michel Cartier, John Day, Jean-Claude Hocquet, Jean-Claude Perrot et Marc Venard, l’obtiennent avant 1980.
73 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [La fondation de la Société fut à l’initiative] de gens de la génération 68 qui essayaient de faire bouger les choses. Mais il y avait des gens plus âgés […] qui venaient […] pour garder le contact avec la jeune génération certainement » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « On voulait absolument poser nos principes, de l’anthropologie, du marxisme rénové, etc. mais aussi les soumettre à la génération antérieure et écouter celle-ci. »
74 « Entretien avec Daniel Tollet » : « Il y avait de fait plusieurs générations […], ça n’empêchait pas le respect pour les gens vu les différences d’âge, mais l’ouverture, l’atmosphère de liberté, c’est ça qui m’a marqué […]. C’était un lieu, où encore une fois, on ne se tapait pas sur le ventre, mais où les distances étaient largement diminuées. Ce n’est pas simplement une satisfaction d’ego mais ça permettait de poser des questions beaucoup plus facilement qu’autrement. » Marie-Louise Pelus conserve elle aussi le souvenir d’un mélange de générations très fort (« de tous les âges ») et d’un poids moindre des hiérarchies (« on ne nous traitait pas de haut parce qu’on était maîtres de conférence débutants »).
75 Hélène Antoniadis-Bibicou, Guy Bois, Claude Cahen, Maurice Godelier, Jean-Claude Perrot et Pierre Vilar.
76 Hélène Ahrweiler, Pierre Bonnassié, Fernand Braudel, François Chevalier, Robert Delort, Georges Duby, Françoise Héritier, Pierre Jeannin, Emmanuel Leroy-Ladurie, Pierre Toubert.
77 Chandra Prakash Bhambhri, Thomas S. Bisson, Eric Hobsbawm, Nikki Keddie, Witold Kula, Carlo Poni, Ruggiero Romano, Tomoo Tobari, Jerzy Topolski, Immanuel Wallerstein, Andrzej Wyczanski.
78 Hélène Antoniadis-Bibicou en Grèce, John Day aux États-Unis, Einar Már Jónsson en Islande. Seul Jochen Hoock avait à l’époque un poste de titulaire à l’étranger (à l’université de Bielefeld), tout en entretenant cependant un lien très fort avec la France, où il introduisit l’œuvre de Reinhart Koselleck, et qu’il finit par rejoindre en étant élu professeur à l’université Paris VII en 1992.
79 Lettres adressées respectivement par Hannes Krieser (de Berlin-ouest le 12 février 1979), Aaron Gurevich (de Moscou le 3 octobre 1980), Roger Sablonier (de Zürich le 17 août 1982) et par Sharon Davidson (de Sydney le 1er décembre 1983)
80 La participation de non-historiens, déjà relativement faible en proportion du nombre total de membres actifs de la Société s’avère par ailleurs encore plus ténue si l’on prend en compte le nombre de séances auxquelles ils ont assisté : on n’en trouve que deux parmi le groupe des piliers (le sinologue Michel Cartier) et des réguliers (l’anthropologue Maurice Godelier) et seuls deux autres étaient présents à plus de deux séances (l’économiste Jean-Louis Billoret et l’anthropologue Kurumi Sugita).
81 Sont pris en compte tous les individus présents à au moins une séance et/ou cotisants avant 1979 (206 noms dont la nationalité est identifiée) puis en excluant les séances 10 (Godelier/Balibar) et 21 (Braudel) (169 noms dont la nationalité est identifiée).
82 Dont une franco-allemande (Marianne Hoock).
83 Dont deux franco-grecques (Hélène Antoniadis-Bibicou et Hélène Ahrweiler).
84 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Quand on parle de la transition vers le capitalisme c’est une question qu’il faut évidemment se poser pour toutes les aires considérées : on ne parlait pas encore de “globalisation”, mais on a très vite voulu travailler sur la Chine, sur le Japon, sur l’Inde. »
85 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Guy Bois a également attiré la participation de Daniel Tollet, qui était doublement intéressant pour nous, par sa personne d’abord, mais aussi parce qu’à l’époque, ingénieur universitaire, il était le secrétaire de l’Institut d’Études Polonaises, et par la Pologne, il avait beaucoup de contact avec l’Europe de l’Est, d’où la forte participation polonaise à la société. L’une des raisons pour lesquelles Guy Bois tenait à ce contact était son intérêt pour Witold Kula, l’un des rares historiens marxistes qui trouvaient grâce à ses yeux. »
86 « Entretien avec Daniel Tollet » : « Moi je représentais plutôt les modernistes mais avec une vision de l’Europe centrale qui n’est pas du tout la même que celle de l’Europe occidentale à la même époque ; une vision de ce qu’on appelle la “seconde féodalité”, bien qu’il n’y ait d’ailleurs pas eu de “première féodalité” en Europe centrale. Donc, on essayait de comparer les choses. »
87 À commencer par sa belle-famille, « grande famille d’historiens polonais » selon Daniel Tollet. Le nom de Jacques Le Goff n’apparaît qu’une fois, accolé à celui de Christiane Klapisch-Zuber et précédé de la mention « excusés » dans la liste de présents de la séance 11 (2 décembre 1978) consacrée aux mondes musulmans. On notera qu’il est déjà présent sans l’être de la même manière lors la journée d’études organisée le 27 avril 1968 par le CERM, qui donna lieu au volume Sur le féodalisme, op. cit., puisque son nom y est mentionné exactement de la même manière (p. 221 : « excusé : Jacques Le Goff »), ce qui tend à indiquer un rapport quelque peu spectral aux initiatives collectives de réflexion historiographique autour du marxisme. Sa non-participation à la Société est rétrospectivement interprétée un peu différemment par Alain Guerreau et Jean-Claude Schmitt. Si l’un et l’autre indiquent qu’il se tenait informé des activités (« Entretien avec Alain Guerreau » : « il n’est pas venu, mais il se tenait au courant de ce qu’il s’y passait puisqu’il recevait le bulletin » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Je pense qu’intellectuellement il aurait été tout à fait en phase avec tout ça. Moi je le voyais beaucoup, on en discutait à coup sûr »), le second attribue son absence à une simple question d’emploi du temps (« Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Il était très occupé : à cette époque il était président de l’École, c’est lui qui a fait la transformation de la VIe section en École des hautes études en sciences sociales, cela l’occupait en permanence, il était là-dedans continuellement. Donc je crois que c’est tout simplement une question de temps, sinon on l’aurait fait parler, [mais] il était très pris et il ne pouvait pas vraiment se consacrer à ce genre de choses. Le samedi, je pense qu’il voulait souffler un peu en famille »), tandis que le premier y voit aussi des raisons plus politiques (« Entretien avec Alain Guerreau » : « C’est à l’époque où il était à la présidence de la VIe section, je pense qu’il devait considérer qu’il ne devait pas prendre parti, se mouiller dans une affaire qui était très marquée à gauche. »)
88 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [Le colloque de Trèves], c’est une idée qu’on avait eue quand Irsigler était venu assister à une séance, il avait trouvé cela très bien. Et Neithard Bulst, avec qui nous avions déjà travaillé sur la prosopographie, est aussi beaucoup intervenu dans l’affaire, comme Jochen Hoock. »
89 « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Bielefeld était une université nouvelle – les Allemands ont fait comme nous, ils ont créé des universités dans les années 1960-1970 – qui était à cette époque – elle garde encore un peu aujourd’hui cette réputation même si elle s’est normalisée – marquée par la nouvelle pensée des sciences sociales, interdisciplinaire, très axée sur les Annales. »
90 Parmi eux, seize fournirent une contribution : Hélène Antoniadis-Bibicou, Maurice Aymard, Jean-Louis Billoret, Guy Bois, Henri Bresc, Claudie Duhamel-Amado, Jean-Philippe Genet, Alain Guerreau, Jacqueline Guiral, François Hincker, Jean-Claude Hocquet, Guy Lemarchand, Michel Morineau, Daniel Tollet, Bernhard Töpfer et Pierre Vilar.
91 Après deux exposés introductifs prononcés par Guy Bois (« Qu’est-ce que le féodalisme ? ») et le Hongrois Laszlo Makkai (« Die Ursprünglichen Wesenszüge des Osteuropäischen Feudalismus »), les six thèmes étaient les suivants : « Zum Feudalismusbegriff » ; « Grund- und Gutsherrschaft : Ökonomische und soziale aspekte » ; « Wirtschaftskräfte und Feudalsystem » ; « Staat, Stände, Rechtsproblematik im Feudalismus » ; « Das Problem des Feudalismus in ausgewählten Regionen Europas : Komparativer Ansatz » ; « Vom Feudalismus zum Kapitalismus : Übergangsproblematik ».
92 Dix des 44 contributions sont produites par des historiens issus respectivement de la RDA (3), de la Hongrie (3), de la Pologne (2), de la Tchécoslovaquie (1) et de l’URSS (1).
93 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Irsigler n’a pas eu les moyens d’aller jusqu’au bout. Le travail de préparation du tapuscrit a été entièrement fait par les collègues allemands, mais ils n’ont pas pu aller plus loin. Puis comme la société s’est arrêtée, personne n’a repris le projet » ; « Entretien avec Alain Guerreau » : « Irsigler n’a pas embrayé ultérieurement. Je pense qu’il pouvait avoir raisonnablement l’impression que tout était parti en fumée ».
94 « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « souvent je me suis demandé, “mais dans le fond pourquoi est-ce que ça n’a pas continué ?”. D’abord peut-être une certaine lassitude. Ça faisait quand même plusieurs années déjà, donc pas mal de temps et peut-être y avait-il le sentiment à la fois qu’on avait dit ce qu’on voulait dire et puis que ça devait déboucher après sur des travaux personnels... » ; « Entretien avec Daniel Tollet » : « je crois qu’on était un petit peu arrivé au bout. […] Et puis on a patiné, c’est-à-dire que, c’est bien souvent le cas pour des associations de type scientifique, au bout d’un moment on a fait un peu le tour de la question ».
95 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [Avec l’arrivée de Mitterrand au pouvoir] je pense que certains se sont sentis libérés de l’hypothèque marxiste. C’est-à-dire que sans être vraiment marxistes, ils pensaient que c’était une piste de réflexion sérieuse. Et puis la déliquescence du Parti communiste et de ses institutions culturelles, sa perte d’emprise sur la vie intellectuelle, tout cela a achevé de les détourner. Je le regrette […] mais pour ceux qui avaient une vision peu militante et politique du marxisme, c’est sûr que ce n’est plus paru nécessaire. Cela a même pu paraître vaguement compromettant de se commettre avec des gens qui continuaient d’être marxistes après 1981… » ; « Entretien avec Alain Guerreau » : « On se trouvait précisément au moment d’un renversement de la conjoncture intellectuelle en France […] liée à l’élection de Mitterrand, du point de vue chronologique, c’est incontournable, c’est clair » ; « Entretien avec Daniel Tollet » : « [avec] l’élection de Mitterrand […] il apparaissait que l’urgence était ailleurs » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Quand la gauche est arrivée au pouvoir, on s’est dit qu’il y avait autre chose à faire. C’était peut-être ça le sentiment général. On n’était plus dans une période de conquête. »
96 Selon la notice qui lui est consacrée dans le Maitron (https://maitron.fr/spip.php?article17058, notice BOIS Guy, Marc par Jacques Girault, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 21 août 2021), Guy Bois, « critique par rapport aux analyses de la direction du Parti communiste remettant en cause la logique du Programme commun, fut un des animateurs en 1978 de la pétition lancée par des militants de l’université d’Aix-en-Provence [et], avec le socialiste Stellio Farandjis, l’animateur du mouvement “Union dans les luttes”. La pétition lancée en décembre 1979 recueillit plus de cent mille signatures. Ce mouvement se traduisit par la création de nombreux comités de base unitaires et fut une des premières manifestations publiques de mouvement contestant la ligne de la direction du PCF », dont Guy Bois fut pour cette raison exclu en mars 1981.
97 « Entretien avec Alain Guerreau » : « En 1981, Bois s’est imaginé pouvoir devenir directeur général des Archives, ce qui était complètement irrationnel, mais bon. Il a fait des efforts pour cela et naturellement, il n’y est pas arrivé. Mais c’était sa préoccupation. Et il y avait aussi les affaires au Parti communiste : rénovation, pas rénovation… Il était bloqué dans ses affaires avec les Archives et avec le PC » ; « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « Il avait travaillé en 1981 dans la mission Godelier qui aboutit au gros rapport Les sciences de l’homme et de la société en France : analyses et propositions pour une politique nouvelle. Il a présenté le rapport pour les sciences humaines, critiquant d’ailleurs les options dirigistes de Chevènement. Quand la direction des Sciences de l’homme et de la société au CNRS a été créée, il espérait y jouer un rôle mais Chevènement a fait nommer Godelier qui a coupé complètement avec Bois et s’est accommodé du dirigisme de Chevènement. […] En revanche, Bois, tout en poursuivant son travail d’enseignant dont peuvent témoigner mieux que moi ses élèves, s’est replié sur sa réflexion théorique. »
98 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « C’était des visions théoriques complètement différentes. L’analyse économique de Bois était totalement récusée par Guerreau, qui pour le coup était sur un versant beaucoup plus idéologique du marxisme. […] Bois était encore dans la vieille tradition marxiste presqu’exclusivement matérialiste : même s’il avait beaucoup contesté lui-même l’orthodoxie, cela n’allait pas aussi loin que cela. Pour lui l’économie était la source de tout, du changement de mode de production comme de la crise du mode de production. Mettre de la religion là-dedans était pour lui carrément réactionnaire » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « un côté marxiste plus traditionnel du côté de Bois, très axé sur la question des salaires et des prix, comme dans sa thèse, et puis une réflexion plus globale et anthropologique de la part de Guerreau. »
99 Alain Guerreau, « Lournand au xe siècle. Histoire et fiction », Le Moyen Âge, 96, 1990, p. 519-531 (compte rendu de Guy Bois, La Mutation de l’an Mil. Lournand, village mâconnais, de l’Antiquité au féodalisme, Paris, Fayard, 1989).
100 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « [Guy Bois] a cherché à se recentrer sur le Mâconnais où il avait acheté une maison et a écrit, certes un peu vite, son livre sur Lournand, où il expose beaucoup d’idées intéressantes, mais ne s’embarrasse pas trop de preuves, n’utilisant pratiquement que les chartes de Cluny. En somme, il est allé sur les terres de Guerreau dont le travail d’archive portait précisément sur le Mâconnais où il est né, et qui l’a cloué avec un papier dévastateur. Personne, ou presque, n’a volé au secours de Bois, même si la violence de l’attaque a choqué » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Lorsque Guy Bois a publié son livre sur le village de Lournand, Alain Guerreau a écrit un compte rendu incendiaire, qui proposait une conception autre de la société féodale. […] Qui a raison, ce n’est pas la question ici, mais pour le ton il est sûr que Guerreau n’a pas été tendre. »
101 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « À la fin, les discussions sont devenues de véritables passes d’armes, [Guy Bois et Alain Guerreau] étant animés à la fois d’un même talent intellectuel et d’une même intransigeance. Ayant une profonde amitié et une grande admiration pour les capacités de l’un et de l’autre, j’ai trouvé les séances de plus en plus pénibles. […] Avec Daniel Tollet, on a essayé de tenir les deux bouts, mais c’était impossible. Donc à partir du moment où ils ont voulu aller au clash et ou l’un voulait éliminer l’autre, la Société ne pouvait plus vivre, puisque c’était vraiment les deux personnes qui à la fin était devenues les plus importantes » ; « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Il y a eu aussi des tensions personnelles assez fortes, notamment entre Bois et Guerreau […], et, dans le fond, le meilleur moyen de ne pas s’étriper c’était de se séparer à l’amiable, ou en silence, comme ça arrive dans les couples. »
102 « Entretien avec Jean-Philippe Genet » : « La Société d’étude du féodalisme n’est pas dissoute ! On s’est vus il y a quelques mois avec Daniel Tollet, pour clore le compte CCP. Mais on n’a pas pris la peine de dissoudre la société. Pour dissoudre une société, c’est compliqué, il faut un papier signé, par le secrétaire, le président, mais il n’y a plus de président, ni de secrétaire ni de trésorier, puisqu’à la fin le président était Bois et le secrétaire Guerreau et qu’ils ne pouvaient plus travailler ensemble. Alors on a fait un procès-verbal pour dire que c’était moi le président et Tollet le secrétaire, pour clore le compte... Donc ça a fini dans la confusion la plus totale : simplement on s’est tellement empaillés à une réunion que plus personne n’a eu envie d’en convoquer une autre ; c’est mort comme ça. »
103 Une première recherche menée sur Google Books nous a permis d’identifier quatorze citations de la Société d’étude du féodalisme. Parmi celles-ci, huit le sont par des membres actifs, dont trois durant la période d’activité de la Société, et les six autres par des individus extérieurs, dont deux durant la période d’activité de la société, y compris la brève note rédigée pour la revue Past and Present par Rodney Hilton : « Some English readers may not be aware of the career risks (once?) involved in the French University system if one used the suspect term ‘féodalisme’ with its Marxist overtones, instead of ‘féodalité’. The Société d’étude du féodalisme was therefore, in 1976, a bold and interesting innovation. In its sessions, well-established academics like Georges Duby, E. Le Roy Ladurie, and Claude Cahen have argued informally with their younger colleagues. Papers are given on a wide range of topics connected with the main theme, ranging well outside Europe and drawing in participants from many countries, such as Immanuel Wallerstein from the USA, Harbans Mukhia from India, Jerzy Topolski from Poland. The proceedings are published and may be obtained for a 50 Fr. subscription from J.-Ph. Genet, 147 Avenue Parmentier, 75010 Paris. » (Rodney Howard Hilton, « La societe d’etude du feodalisme », Past and Present, 98, 1983, p. 159).
104 « Avec [Guy Bois], nous avons créé la Société d’étude du féodalisme dont les travaux, de 1976 à 1982, m’ont convaincu de la validité de l’approche comparative (dans le temps comme dans l’espace), en même temps que de la richesse de la réflexion collective. Sans la Société d’étude du féodalisme, il n’y aurait pas eu de Genèse de l’État moderne » : Jean-Philippe Genet, « La genèse de l’État moderne », Actes de la recherche en sciences sociales, 118, 1997, p. 3-18, ici p. 10.
105 Les ouvrages parus dans cette collection sont les suivants : Barbara Obrist, Les Débuts de l’imagerie alchimique (xive et xve siècles), 1982 ; Pierre Vilar, La Catalogne dans l’Espagne moderne, 3 vol., 1982 ; Perrine Mane, Calendriers et techniques agricoles (France, Italie, xiie-xiiie siècles), 1983 ; Jacques Bottin, Seigneurs et paysans dans l’Ouest du Pays de Caux, 1540-1650, 1983 ; Maurice Berthe, Famines et épidémies dans les campagnes navarraises à la fin du Moyen Âge, 2 vol., 1984 ; Jean-Claude Bonne, L’Art roman de face et de profil. Le tympan de Conques, 1985.
106 Voir par exemple Alain Guerreau, « Féodalité », dans Jacques Le Goff, Jean-Claude Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné du Moyen Âge, Paris, Fayard, 1999, p. 387-406 ; id., « Avant le marché, les marchés : en Europe, xiiie-xviiie siècle », Annales. Histoire, Sciences sociales, 56/6, 2001, p. 1129-1175, ainsi que l’analyse proposée par Nicolas Perreaux dans le présent numéro.
107 « Entretien avec Jean-Claude Schmitt » : « Je conçois très bien [que la continuité avec la Société d’étude du féodalisme semble dans mon cas moins évidente]. Mais je peux vous dire que ces problématiques-là m’habitent toujours. Je n’ai pas besoin de l’afficher, mais ce que je garde en moi c’est toujours la référence, au moins implicite, à l’intelligence des structures d’un système social de très grande ampleur et de très longue durée, qu’on peut appeler “féodalisme” si on en a envie. C’est toujours dans ce cadre-là que je réfléchis : si vous prenez par exemple mon livre sur les rythmes, un thème qui peut vous sembler très loin de la Société d’étude du féodalisme, ce dont il est question, c’est bien des rythmes fondamentaux de cette société-là, du système “féodal” entendu en ce sens-là. Et si je m’intéresse beaucoup dans mes travaux à la question du religieux et de l’Église, c’est parce que je situe ces problèmes et cette institution au cœur de ce système social. Pour moi, il n’y a aucune contradiction avec les réflexions que nous avons eues au sein de la Société d’étude du féodalisme. Mon dernier livre, où il est beaucoup question de démons dans un monastère, donne peut-être le sentiment d’être loin du féodalisme, et pourtant je le termine en essayant de définir en anthropologue et en historien l’ontologie propre à cette société et à cette époque. […] Je reste persuadé que Marx a dit l’essentiel, mais qu’il n’y a aucune raison de s’arrêter là. Il faut sans cesse faire évoluer la pensée marxiste, ce qui veut dire notamment la nourrir d’anthropologie et de comparatisme. Je ne vois pas bien quelle théorie aurait pu supplanter le marxisme comme cadre de réflexion globale sur le fonctionnement des sociétés. Ou alors on dit qu’on ne fait pas de théorie, mais à ce moment-là, c’est de l’empirisme, ce n’est plus de la science. Il faut un cadre de pensée pour comprendre la complexité du fonctionnement et de la transformation progressive du monde “féodal” sur lequel nous travaillons en tant que médiévistes. »
108 Volume 1, p. 56-63.
109 C’est l’auteur qui souligne.
110 Ainsi des réactions circonspectes de Guy Bois, Jean-Louis Billoret, Jacques Revel et Jean-Philippe Genet, que contrebalancent celles plus positives de Georges Duby et de Maurice Godelier.
111 Sur ces collectifs, voir les travaux de Vincent Chambarlhac, notamment « “Nous aurons la philosophie féroce”. Les Révoltes logiques (1975-1981) », La Revue des revues, 49, 2013, p. 30-43 et « Du passé faisons table rase ?, un vandalisme épistémologique ? », Histoire@Politique, 2014, 23/2, p. 191-203, ainsi que François Dosse, « Mai 68, les effets de l’histoire sur l’Histoire », Politix, 6, 1989, p. 47-52 et Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, Bruxelles, Complexe, 2005, en particulier p. 120-137.
112 Pascal Ory, L’Entre-deux-mai. Histoire culturelle de la France, mai 1968-mai 1981, Seuil, 1983.
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Référence électronique
Solal Abélès, « La Société d’étude du féodalisme : documents, témoignages, perspectives », L’Atelier du Centre de recherches historiques [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 06 mars 2023, consulté le 09 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/acrh/28109 ; DOI : https://doi.org/10.4000/acrh.28109
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