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1 « Le commerce de l’histoire a ceci de commun avec le commerce des détergents que l’on y fait volontiers passer la nouveauté pour l’innovation. Il a ceci de différents que les marques y sont très mal protégées. N’importe qui peut se dire historien. N’importe qui peut y ajouter marxiste. N’importe qui peut qualifier de marxiste n’importe quoi. Pourtant rien n’est plus difficile et rare que d’être historien, si ce n’est d’être historien marxiste. Car ce mot devrait impliquer la stricte application d’un mode d’analyse théoriquement élaboré à la plus complexe qui soit des matières de science : les rapports sociaux entre les hommes et les modalités de leurs changements ». Pierre Vilar, « Histoire marxiste, histoire en construction. Essai de dialogue avec Althusser », Annales E.S.C., 28^e année, n° 1, 1973, p. 165-198 (p. 165). Voir aussi : Pierre Vilar, « Marxisme et Histoire dans le développement des Sciences Humaines : pour un débat méthodologique », Studi Storici, vol. 1, n. 5, 1960, p. 1008-1043.

2 « L’idée reçue de l’hégémonie d’une histoire marxiste entre les années 1950 et les années 1970 n’a, jusqu’à présent, jamais été sérieusement examinée par la recherche. […] En outre, on peut remarquer que Marx et son œuvre sont comme une illustration de la figure de l’historien, caractérisé par l’érudition confinant à l’exhaustivité, le goût de la polémique et du sarcasme avec ses amis et bien sûr ses ennemis, la volonté de traquer les ressorts des actions humaines, l’ambition de proposer un système explicatif, le double questionnement du passé à partir du présent et du présent à partir du passé… voire de la figure très moderne de l’historien du temps présent, tant est fondamentale son œuvre de journaliste. […] Enfin, on peut penser que l’histoire marxiste demeure une histoire en construction, tant il est vrai que l’étonnante absence de Marx, sinon sous la forme d’un spectre desséché et caricaturé, dans le débat historiographique français est véritablement une exception française ». Thierry Aprile, « Marxisme et histoire » in Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia, Nicolas Offenstadt (dir.), Historiographies. Concept, débats, Paris, Gallimard, 2010, t. I, p. 503-517 (p. 504, p. 506 et p. 516).

3 Geoff Eley, « Marxist Historiography » in Stefan Berger, Heiko Feldner, Kevin Passmore (eds.), Writing History: Theory and Practice, London, Bloomsbury Academic, 2010, p. 61-75 ; Georg G. Iggers, « The Marxist Tradition of Historical Writing in the West: A Retrospect from the Beginning to the Twenty First Century », Storia della storiografia, LXII, p. 63-77 ; Guy Lemarchand, « Marxisme et histoire en France depuis la Deuxième Guerre Mondiale (Partie I) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, CXX, 2013, p. 171-180 ; François Dosse, « Marx et les historiens français » in Jean-Numa Ducange, Antony Burlaud (dir.), Marx une passion française, Paris, La Découverte, 2018, p. 189-201.

4 Agnès Callu (dir.), Le Mai 68 des historiens, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2010, p. 135.

5 « Et je ne crois pas que Mai 68 de ce point de vue ait été pour moi un changement Je crois que les changements dans le domaine de la médiévistique, ont été plusieurs : d’abord, on aurait pu penser que Mai 68 renforce l’emprise marxiste, l’explication marxiste un petit peu totale des choses, n’est-ce pas, bon par le mode de production etc. Eh bien finalement cette dimension, elle a survécu, songez à Guy Bois, crise du féodalisme, etc., à Alain Guerreau, mais elle n’est peut-être pas prédominante, n’est-ce pas ? Et donc on a abouti finalement avec la micro-histoire, avec l’histoire des mentalités, avec l’émiettement de l’histoire on a abouti à quelque chose de parcellaire. Les grandes explications finalement ont pris du plomb dans l’aile. Et en un sens je le regrette, parce que je crois que je suis entré dans l’histoire à une époque où il s’agissait de voir des structures dominantes et de voir jusqu’où on pouvait aller dans l’explication du fonctionnement du dynamisme d’une société, de la cohérence ou de l’incohérence d’une société à partir de ses structures dominantes. […] ». Agnès Callu (dir.), Le Mai 68 des historiens, op. cit., p. 252-253.

6 Agnès Callu (dir.), Le Mai 68 des historiens, op. cit., p. 135

7 Blaise Dufal, « L’émoi des mots. Propos liminaires sur le féodal* », dans ce volume.

8 Joseph Proudhon, La Révolution sociale démontrée par le coup d’État, Paris, Garnier Frères, 1852, p. 24 ; id., Lettre à M. Blanqui sur la propriété, Paris, Librairie de Prévot, 1841.

9 « Ainsi naquit le socialisme féodal ou se mêlaient jérémiades et libelles, échos du passé et grondements sourds de l’avenir […] En guise de drapeau, ces messieurs arboraient la besace de prolétaire afin de rassembler le peuple derrière eux ; mais dès que le peuple accourait, il apercevait les vieux blasons féodaux dont s’ornait leur derrière, et il se dispersait avec de grands éclats de rire irrévérencieux […] Quand les féodaux démontrent que le mode d'exploitation féodal était autre chose que celui de la bourgeoisie, ils n’oublient qu'une chose : c'est qu’ils exploitaient dans des circonstances et des conditions tout à fait différentes et aujourd’hui périmées. Quand ils démontrent que, sous le régime féodal, le prolétariat moderne n’existait pas, ils n’oublient qu’une chose : c’est que la bourgeoisie moderne précisément devait nécessairement jaillir de leur organisation sociale ». Friedrich Engels, Karl Marx, Manifeste du Parti communiste, traduction française de Laura Lafargue, Paris, Éditions Sociales, 1962 [1893], p. 26.

10 « Der Feudalismus im weitesten Sinne ist das geistige Tierreich, die Welt der geschiedenen Menschheit im Gegensatz zur Welt der sich unterscheidenden Menschheit, deren Ungleichheit nichts anders ist als die Farbenbrechung der Gleichheit. […] Ebenso zehrt im Feudalismus die eine Rasse an der andern bis zu der Rasse herab, welche, ein Polyp, an die Erdscholle gewachsen, nur die vielen Arme besitzt, um den oberen Rassen die Früchte der Erde zu pflücken, während sie selbst Staub zehrt ». Karl Marx, « Debatten über das Holzdiebstahlsgesetz », Rheinische Zeitung, 298, 25 octobre 1842, p. 115-116.

11 Hans-Peter Harstick, Karl Marx über Formen vorkapitalistischer Produktion. Vergleichende Studien zur Geschichte des Grundeigentums 1879-1880, Frankfurt/New York, Campus Verlag, 1977, p. 230-263 ; Rudolf Eifler, « Vorkapitalistische Klassengesellschaft und aufsteigende Folge von Gesellschaftsformationen in den Werken von Karl Marx », Zeitschrift für Geschichtswissenshaft, 20/5, 1972, p. 577-596, republié dans Heide Wunder (ed.), Feudalismus, München, Nymphenburger Verlagshandlung, 1974, p. 275-298, puis dans Urs Jaeggi, Axel Honneth (dir.), Theorien des Historischen Materialismus, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1977, p. 119-144.

12 Friedrich Engels, « Über den Verfall des Feudalismus und das Aufkommen der Bourgeoisie » [1884], Marx-Engels Werke, Berlin, Dietz Verlag, vol. 21, 1962, p. 392-401.

13 Friedrich Engels, La Guerre des paysans, La révolution démocratique bourgeoise en Allemagne, Paris, Éditions sociales, 1951, p. 38.

14 Anita Liepert, « Der Übergang vom feudalen zum bürgerlichen Staat in Marx’ Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie », Deutsche Zeitschrift für Philosophie, vol. 31/2, 1983, p. 200-212.

15 Pour une analyse complète et exhaustive voir : Ludolf Kuchenbuch, « Karl Marx, Feudale Gesellschaft, Feudalistischer Sozialismus » in Hans-Joachim Lieber (Hg.), Marx -Lexikon. Zentrale Begriffe der politischen Philosophie von Karl Marx, Darmstadt, 1988, p. 240-265 ; id., « Zur Entwicklung des Feudalismuskonzepts im Werk von Karl Marx », Philosophische Gespräche, 24, 2012, p. 5-72, traduction française id., « Marx et le féodalisme. Sur le développement du concept de féodalisme dans l’œuvre de Karl Marx », Atelier du CRH, n° 27, 2023 ; id., « À propos du développement du concept de féodalisme dans l’œuvre de Karl Marx », Zur Problem des Feudalismus in Europa, Conférence de Trèves 7-10 mai 1981, Atelier du CRH, n° 27, 2023 ; id., « Postskript : Karl Marx und die Feudalismusdiskurse », Philosophische Gespräche, 25, 2012, p. 37-64.

16 John H. Pryor, « Karl Marx and the Medieval Economy », Arts: The Journal of the Sydney University Arts Association, vol. 18, 1996, p. 68-86 ; Stephen H. Rigby, « Historical Materialism: Social Structure and Social Change in the Middle Ages », Journal of Medieval and Early Modern Studies 34, n° 3, 2004, p. 473-522, republié sous un autre titre : « Marx, Engels, and the Middle Ages » in Nathalie Fryde, Pierre Monnet, Otto Gerhard Oexle, Leszek Zygner (eds.), Die Deutung der mittelalterlichen Gesellschaft in der Moderne, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2006, p. 147-180 ; Alain Guerreau, « Marx und das Mittelalter. Zur Frage seiner Quellen », Philosophische Gespräche, 25, 2012, p. 5-36 ; Michael A. Barg, « Das Problem des Feudaleigentums im Kapital von Karl Marx », Zur Problem des Feudalismus in Europa, Conférence de Trèves 7-10 mai 1981, Atelier du CRH, n° 27, 2023 .

17 « Jusqu’au début des années 1930, en effet, dans les milieux intellectuels français même de gauche, l’interprétation dominante du marxisme demeure celle d’une théorie déterministe et fataliste du mouvement historique ». Isabelle Gouarné, L’Introduction du marxisme en France. Philosoviétisme et sciences humaines, 1920-1939, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 14.

18 Jacqueline Cahen, « La réception de l’œuvre de Karl Marx par les économistes français (1871-1883) », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle (Cahiers Georges Sorel), vol. 12, n° 1, 1994, p. 19-50.

19 « Toute société nous apparait donc de plus en plus comme un système de forces Que ces forces s’harmonisent, se dissolvent dans un mouvement continu, qu’elles soient, alternativement, à l’état instable ou en équilibre, et que de leurs rapports toujours variables dépende l’évolution de l’organisme, cela semble évident. Qu’elles ramènent toutes à une seule : le facteur économique, voilà qui est moins sûr. Cette théorie a été formulé par Karl Marx ; elle est chère à une certaine école. On nous affirme qu’elle suffit à expliquer l’histoire comme la société, que tout, dans cette longue série de nos agitations, se ramène à cette question ‘de la faim’, à cette lutte pour la vie, qui domine l’humanité comme la nature […] Mais si important que soit le fait économique dans le devenir social, est-ce à dire qu’il doit le seul ? N’est-il pas d’autres forces qui mènent le monde ? Et cette vue très juste des conditions matérielles qui pèsent sur toute vie et agissent sur le milieu doit-elle nous faire oublier le rôle de la conscience ? ». Pierre Imbart de La Tour, Questions d’histoire sociale et religieuse. Époque féodale, Paris, Librairie Hachette, 1907, p. XI-XII.

20 Prosper Boissonade, Le Socialisme d’État. L’industrie et les classes industrielles en France pendant les deux premiers siècles de l’ère moderne (1453-1661), Poitiers, Honoré Champion, 1927.

21 « Le matérialisme historique, ou, si l’on aime mieux l’interprétation économique de l’histoire a rendu à la science historique de grands services, et il en rend toujours ». Henri Sée, Matérialisme historique et interprétation économique de l’histoire, Paris, Marcel Giard, 1927, p. 121.

22 « Henri Sée était également persuadé que le facteur économique n’explique pas tout et que l’on ne saurait ériger en loi l’interprétation économique de l’histoire. Il nous a justement donné de la doctrine marxiste du matérialisme historique une brève et pénétrante critique, fondée sur son expérience d’historien. Il aboutit à cette conclusion que, si le matérialisme historique a été une doctrine féconde, s’il a provoqué un remarquable essor des études d’histoire économique et contient, au reste, une large part de vérité, tandis que, ‘l’idéalisme ou plutôt l’idéologisme historique’ donne ‘une vue bien plus étroite des choses’, le premier a cependant le grand défaut d’être ‘unilatéral’. Son exclusivisme aprioritique est inacceptable pour un historien averti de la complexité des faits. Cette critique prend une valeur particulière sous la plume d’un homme reste fidèle toute sa vie à l’idéal socialiste ». Armand Rebillon, « Préface » in Henri Sée, Histoire économique de la France. Le Moyen-Âge et l’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 1939, p. V. 

23 Henri Sée, Science et philosophie de l’histoire, Paris, Alcan, 1928 ; id., Évolution et Révolution, Paris, Flammarion, 1929.

24 « La tentative de Karl Marx était vouée à un échec partiel. Elle dénotait une grande puissance d’esprit. Mais on peut, d’abord, lui reprocher de n’être pas le pur produit d’une science désintéressée : son fondateur a vu en elle (il n’est pas de meilleure prévue que le ‘Manifeste communiste’) une arme de guerre politique et sociale. Puis, et c’est sans doute son principal défaut, elle repose moins sur l’étude des faits que sur une conception a priori dont Marx et Engels ont essayé de trouver ensuite la confirmation par l’observation des faits du passé et du présent, non d’ailleurs sans plier quelque peu ces faits à leurs idées ». Henri Sée Matérialisme historique et interprétation économique de l’histoire, op. cit., p. 123.

25 Ibid., p. 129.

26 Henri Sée, Esquisse d’une histoire du régime agraire en Europe aux xviii^e et xix^e siècle, Paris, Marcel Giard, 1921 ; id., « L’évolution du capitalisme en Angleterre du xv^e siècle au commencement du xix^e siècle », Revue de Synthèse historique, XL, 1925, p. 31-49.

27 « Ils ont moins bien saisi à cet égard, le sens de l’évolution que ne le feront d’autres théoriciens, postérieurs, il est vrai, pour la plupart, et notamment que Karl Marx. Le Capital aura, par ce fait même, une influence plus directe et plus profonde sur la formation du socialisme scientifique ». Henri Sée, La Notion de classes sociales chez les Saint-Simoniens, Paris, p. 6 ; id., La Vie économique et les classes sociales en France au xviii^e siècle, Paris, Alcan, 1924. Voir aussi Henri Sée, Les classes rurales en Bretagne du xvi^e à la Révolution, Paris, Giard, 1906.

28 En 1934, l’historien danois Johan Plesner (1896-1938), parle de lutte des classes à propos de la Florence médiévale : Johan Frederik Plesner, L'Émigration de la campagne à la ville libre de Florence au xiii^e siècle, Copenhague, Gyldendalske Bochandel-Nordisk, 1934. L’approche marxiste du cas florentin avait déjà fait l’objet d’importants travaux dans la génération précédente, notamment de la part d’historiens majeurs italiens : Niccolò Rodolico, Il Popolo minuto. Note di storia fiorentina 1343-1378, Bologna, Zanichelli, 1899 ; id., La Democrazia fiorentina nel suo tramonto 1378-1382, Bologna, Zanichelli, 1905 ; id., I Ciompi: una pagina di storia del proletariato operaio, Firenze, Sansoni, 1945 ; Gaetano Salvemini, Magnati e popolani in Firenze dal 1280 al 1295, Torino, Einaudi, 1960 [1899].

29 Henri Sée, Les Classes rurales et le régime domanial en France au Moyen Âge, Paris, Giard et Brière, 1901, p. 22, p. 308 et 434.

30 Jean-François Bergier, « Henri Hauser et l’histoire économique de l’Europe préindustrielle » in Séverine-Antigone Marin, Georges-Henri Soutou (dir.), Henri Hauser (1866-1946) : humaniste, historien, républicain, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, p. 129-136 (p. 132).

31 Henri Hauser, Les Débuts du capitalisme, Paris, Alcan, 1927.

32 « J’ai, personnellement, pour l’œuvre de Karl Marx l’admiration la plus vive. L’homme était je le crains, insupportable, le philosophe moins original sans doute que certains n’ont prétendu le dépeindre. Comme analyste social, nul n’eut plus de puissance. Si jamais les historiens, adeptes d’une science renouvelée, décident de se donner une galerie d’ancêtres, le buste barbu du vieux prophète rhénan prendrait place, au premier rang, dans la chapelle de la corporation. Est-ce cependant assez pour que ses leçons servent éternellement de gabarit à toute doctrine ? D’excellents savants qui, dans leurs laboratoires ne croyaient qu’à l’expérience, ont écrit des traités de physiologie ou des chapitres de physique selon le marxisme. Quel droit avaient-ils après cela de moquer la mathématique hitlérienne ? Des partis qui professaient la mutabilité des formes économiques excommuniaient les mal avisés qui refusaient de jurer selon la parole du maitre, comme si – et ceci est important – des théories nées de l’observation des sociétés européennes vers les années 60 du siècle dernier et nourries de connaissances sociologiques d’un savant de ce temps pouvaient continuer à faire la loi en 1940 ». Marc Bloch, L’Étrange défaite, Paris, Éditions Franc-Tireur, 1946, p. 170.

33 « Historien, je sais tout ce que contenait de vérité le cri fameux de Karl Marx : ‘Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !’ », Marc Bloch, L’étrange défaite, op. cit., p. 158.

34 Isabelle Gouarné, « Les Annales et le marxisme : pour une science de l’homme unifiée », L’Introduction du marxisme en France. Philosoviétisme et sciences humaines 1920-1939, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 191-210 ; id., « Marxisme et rationalisme dans les sciences sociales française (1930-1960) » in Jean-Numa Ducange, Antony Burlaud (dir.), Marx une passion française, Paris, La Découverte, 2018, p. 157-167.

35 Marc Bloch, « Classification et choix des faits en histoire économique : réflexion de méthode à propos de quelques ouvrages récents », Annales d’histoire économique et sociale, 1, 1929, p. 252-258 (p. 257).

36 Marc Bloch, « Liberté et servitude personnelles au Moyen Âge particulièrement en France : contribution à une étude des classes », Anuario de Historia del Derecho Español, 10, 1933, p. 19-115, réédité dans Marc Bloch, Mélanges historiques, Paris, SEVPEN, 1963, t. 1, p. 286-355.

37 Marc Bloch, « Les ‘colliberti’. Étude sur la formation de la classe servile », Revue Historique, t. 157, fasc. 1, 1928, p. 1-48, réédité dans Marc Bloch, Mélanges historiques, Paris, SEVPEN, 1963, t. 1, p. 385-451.

38 « L’erreur de beaucoup d’historiens a, semble-t-il, consisté à attribuer aux classes une sorte d’existence en soi ». Marc Bloch, « Féodalité, vassalité, seigneurie : à propos de quelques travaux récents », Annales d’histoire économique et sociale, 3ᵉ année, n° 10, 1931, p. 246-260 (p. 253) ; « Ainsi nous nous trouvons ramenés de toutes parts à la même leçon. Les institutions humaines étant des réalités d’ordre psychologique, une classe n’existe jamais que par l’idée qu’on s’en fait. Écrire l’histoire de la condition servile, c’est, avant tout, retracer, dans la courbe complexe et changeante de son développement, l’histoire d’une notion collective : celle de la privation de liberté ». Marc Bloch, « Liberté et servitude », Mélanges historiques, Paris, SEVPEN, 1963, t. 1, p. 355.

39 « Fustel connaissait-il le nom de Karl Marx ? Peut-être, mais je le crains, seulement comme celui d’un dangereux agitateur ou d’un fallacieux utopiste. De même que le père du matérialisme historique cependant, il appartenait à cette génération qui devant le spectacle, ou clairement perçu ou obscurément ressenti des grandes transformations économiques du xix^e siècle, prit conscience de l’importance des facteurs matériels, et c’est Fustel et non pas Marx qui a écrit – avec quelque exagération je crois, mais tout de même avec un sentiment beaucoup plus juste qu’on ne l’avait eu avant lui de certaines nécessités historiques – que pour expliquer ‘comment se sont édifiés’ et ‘comment sont tombés’ les régimes politiques ‘il faut regarder comment les intérêts se sont groupés ou assis’, ‘se sont transformés ou déplacés’ ». Marc Bloch, « Fustel de Coulanges, historien des origines françaises », Revue internationale de l’enseignement, t. 84, 1930, p. 168-178 (p. 177).

40 Marc Bloch, La Société féodale, tome 2, Les Classes et le gouvernement des hommes, Paris, Albin Michel, 1949.

41  « Un historien qui a connu des commodités sociales grâce auxquelles il est parvenu de très bonne heure à une étonnante maîtrise, il est inévitable qu’il ne connaisse que de l’extérieur certaines réalités sociales profondes, qu’il lui soit très difficile de pénétrer le sens intime et la sourde puissance des luttes pour le pain et la dignité, des luttes de classes ». Charles Parain, « Marc Bloch », La Pensée, n° 6, janvier-février-mars 1946, p. 65-72 (p. 66).

42 « Social history advocated by Bloch is Marxism softened by anthropology ». Norman E. Cantor, Inventing the Middle Ages, New York, William Morrow and Company, 1991, p. 142.

43 « M. Bloch took several ideas from Marxism, but used them for the creation of his own anti-Marxist conception ». Rodney Hilton, « On Historical Scholarship in England », Voprosy Istorii, n° 10, 1953, édité par Aglaia Kasdagli « Medieval History and Marxism in England, 1950-1956 », Past and Present, 242, février 2019, p.2-43 (p. 35).

44 « Pas une ombre de conformisme ni de snobisme : ni Marx ni Freud ». Pierre Toubert, « Préface » in Marc Bloch, Caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, Armand Colin, 1988, p. 25.

45 « La Société féodale mérite d’être lue comme une première et véritable application expérimentale dans les sciences historiques, non pas marxiste, mais post-marxiste. Retour à Marx débarrassé de ses apories subséquentes ». François-Olivier Touati, Marc Bloch et l’Angleterre, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2007, p. 133.

46 Ludolf Kuchenbuch, « Marc Bloch und Karl Marx? Annäherungen an eine fragliche Beziehung », Peter Schöttler (Hg.), Marc Bloch: Historiker und Widerstandkämpfer, Frankfurt/New York, Campus Verlag, 1999, p. 145-170.

47 « Ni Lucien Febvre ni March Bloch, ni moi-même, ni tant de nos collègues, nous ne sommes, sans plus, des ‘historiens bourgeois’, ou des ‘historiens non marxistes’. Le marxisme a profondément imprégné la pensée d’Occident ; les adhésions des uns les violentes oppositions des autres n’y ont pas peu contribué. Seule une indifférence totalement imperméable – mais ce ne fut pas le cas – aurait permis de justifier la qualification d’historiens non marxistes ». Fernand Braudel, « Marc Bloch à l’honneur », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 14ᵉ année, n° 1, 1959, p. 91-92.

48 Olivier Dumoulin, Marc Bloch, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2000, p. 162-181.

49 Lucien Febvre a été associé à la collection « Socialisme et culture » des Éditions sociales internationales, dirigée par le sociologue marxiste George Friedmann, mais son projet éditorial n’a pas abouti. Il a participé à la revue Europe fondée en 1924 par Romain Rolland en compagnie de Georges Friedmann et Georges Lefebvre. En juillet 1934, il préside un débat à la Mutualité qui a pour sujet le « matérialisme historique ». Isabelle Gouarné, « Marxisme et rationalisme dans les sciences sociales française (1930-1960) » in Jean-Numa Ducange, Antony Burlaud (dir.), Marx une passion française, Paris, La Découverte, 2018, p. 157-167 (p. 159).

50 « L’ample, le puissant problème des rapports du capitalisme et de la Réforme… qui l’a posé le premier ? N’hésitons pas à répondre : Karl Marx […] À chaque période de l’histoire, c’est la structure économique de la société qui, en déterminant les formes politiques, commande aussi les mœurs sociales, et même la direction générale de la pensée, et même l’orientation des forces spirituelles […] La Réforme fille du capitalisme, ou bien inversement, le capitalisme fruit de la Réforme : non, mille fois non. Au dogmatisme d’une interprétation aussi simple, substituons : faut-il dire la jeune notion de l’interdépendance des phénomènes ». Lucien Febvre, article publié dans Foi et vie, LVII, 1934, p. 119-138, republié dans Lucien Febvre, Pour une histoire à part entière, Paris, EHESS, 1982, p. 350-366.

51 Georges Friedmann, « Un aspect du mouvement stakhanoviste », Annales d’histoire économique et sociale, t. 8, n° 38, mars 1936, p. 166-169.

52 Jean-René Surrateau, « Les historiens, le marxisme et la naissance des Annales : l’historiographie marxiste vers 1929, un mythe ? » in Charles-Olivier Carbonell, Georges Livet (dir.), Au berceau des Annales. Le milieu strasbourgeois. L’histoire en France au début du xx^e siècle, Toulouse, Presses de l’Institut d’Études politiques de Toulouse, 1983, p. 231-245.

53 Jean-François Bert, Jérôme Lamy, « Marx chez les historiens, des difficultés persistantes », Atelier du CRH, n° 27, 2023 , 2023.

54 Olivier Dumoulin, Le Rôle social de l’historien. De la chaire au prétoire, Paris, Albin Michel, 2003, p. 221.

55 « Il est remarquable de constater qu’un mouvement qui a placé la réflexion méthodologique au centre de ses préoccupations est resté aussi indifférent à son unité théorique. Il faut sans doute voire ici l’héritage d’une vieille méfiance de l’historiographie française (et de l’école ‘positiviste’ avant les Annales) à l’égard des idéologies, et le souci de se démarquer des constructions jugées ambitieuses et vaines de la philosophie allemande de l’histoire au xix^e siècle. Rien n’est plus révélateur sur ce point que la relative indifférence manifestée à l’égard du marxisme en tant que corps de doctrine, malgré le rôle de l’histoire économique et sociale dans les préoccupations du mouvement, et malgré les ralliements individuels (G. Lefebvre, P. Vilar) ». Jacques Revel, Roger Chartier, « Annales » in Jacques Le Goff, Roger Chartier, Jacques Revel (dir.), La Nouvelle Histoire, Paris, C.E.P.L.,1978, p. 26-33 (p. 30).

56 « Marxiste de la stricte observance – du moins de celle qui avait cours en 1938 – M.H. Fagan s’est proposé d’expliquer, selon les dogmes de sa religions révélée, la Révolte des travailleurs de 1381. Le titre même de son livre rappelle intentionnellement celui d’un récit fameux des évènements russes d’octobre 1917 ; dans sa bibliographie, les ouvrages d’Engels, de Lénine, de Staline et de tous les prophètes mineurs prennent nettement le pas sur les sources documentaires et les œuvres d’érudition ; chemin faisant, il établit d’absurdes équivalences avec les événements du jour et vitupère contre les hommes politiques que tout fidèle se devait de haïr (toujours en 1938) […] Mais que tout cela est plein d’arrogante prétention et d’enfantillage ! On nous dispensera, nous l’espérons, d’en entreprendre la critique détaillée. À quoi bon ? Nous ne convaincrions ni M. Fagan, ni ceux pour lesquels il écrit. Laissons-le donc traduire, si cela l’amuse, le sermon de John Ball en termes de ‘socialisme scientifique’ ». Édouard Perroy, « Histoire d’Angleterre. Moyen Âge (Publications des années 1936 à 1939), Revue Historique, 1940, t. 190, fasc. 3, bulletins critiques, p. 149-211 (p. 204). Plus d’une dizaine d’années plus tard Fagan publie un autre livre sur cette question, mais cette fois en compagnie d’un historien professionnel et pas n’importe lequel, Rodney Hilton : The English Rising of 1381, London, Lawrence and Wishart, 1950.

57 Robert Boutruche, Seigneurie et Féodalité, Le premier âge des liens d’homme à homme, Paris, Aubier, [1959] 1968, p. 19.

58 « La féodalité marxiste, à vrai dire, n’est pas entièrement celle de l’histoire. Marx, Engels et leur école, remontent trop haut dans le temps, et descendent aussi trop bas. Ils réduisent à une ‘superstructure’ d’intérêt secondaire la vassalité, le fief et le démembrement de l’autorité publique. ‘Féodalité’, chez eux, signifie l’appropriation par les seigneurs non seulement des terres mais des masses rurales dépendantes et d’une partie de leur travail sous une triple forme : corvées, redevances en nature, taxes en argent. Plus que le régime lui-même, ils mettent en valeur ses assises matérielles. D’où l’extension du terme à des époques et à des pays qui ont connu seulement les subordinations paysannes ». Robert Boutruche, Seigneurie et Féodalité, op. cit., p. 19-20.

59 « Bien que les disciplines du maître n’aient pas tenu compte autant que lui-même de tous les facteurs de la vie historique, la doctrine marxiste a grandement servi l’intelligence du passé. Pourquoi faut-il qu’à la recherche d’une étiquette à effet, collée sur un immense assemblage, elle ait prolongé les sonorités ‘féodales’ jusqu’au fond des campagnes et jusqu’aux modes de production agricole ? ». Robert Boutruche, Seigneurie et Féodalité, op. cit., p. 20.

60 « Au point de départ de toute étude sur les tensions existantes à l’intérieur d’une population git un élément très simple : combien faut-il de producteurs pour entretenir un parasite ? », Jan Dhondt, Le Haut Moyen Âge, viii^e-xi^e siècle, Paris, Bordas, 1976 [1969], p. 21.

61 « Certes, en opposant ainsi schéma pour schéma, nous ne pouvons manquer de mesurer qu’il y a irrévérence presque sacrilège, à prendre de telles libertés avec les dogmes, peut-être les historiens des âges futurs seront-ils surpris de cette valeur de dogme accordée indistinctement à tout ce qui émane de la philosophie allemande : Marx, Nietzsche, Freud et tant d’autres… ». Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Âge, Paris, Seuil, 1977, p. 72.

62 Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Âge, op. cit., p. 136-137.

63 Élisabeth Magnou-Nortier, « La Féodalité en crise. Propos sur Fiefs and Vassals De Susan Reynolds », Revue Historique, vol. 296, n^o 2 (600), 1996, p. 253-348 (p. 255).

64 Dominique Barthelemy, « La théorie féodale à l’épreuve de l’anthropologie (note critique) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 52^e année, n^o 2, mars-avril 1997, p. 321-341 (p. 323).

65 « Le marxisme représente le danger des sciences sociales éprises du modèle à l’état pur, du modèle pour le modèle ». Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Paris, Champs Flammarion, 1969, p. 81.

66 « So-called ‘feudal’ society, the essential pluralism of which has had to be admitted and explained by those Marxist or quasi-Marxist historians and economists who have subjected it to exhaustive definition. May I just say before going any further that I share the allergy of Marc Bloch and Lucien Febvre to the word ‘feudalism’ which is frequently used. This neologism derived from Latin (feodum = fief) should be applied, they said and I agree, only to the fief and things pertaining to it, and to nothing else. It is no more logical to use this word to describe Europe between the eleventh and the fifteenth century than it is to use ‘capitalism’ of the same society between the sixteenth and the twentieth. But let us put aside such scruples and allow for the sake of argument the ‘feudal society’, to use another common formula, can be applied to a broad period in European social history, that this term can serve as a convenient label for what could after all be called ‘Europe A’, the next period being called ‘Europe B’. The shift from A to B would in any case have to be located during that certain distinguished historians have called the true Renaissance, between the tenth and the thirteenth centuries. The best description of ‘feudal society’ is still to my mind Georges Gurvich’s brief sketch […] Shaped by centuries of sedimentation, destruction and germination, ‘feudal’ society was in fact a combination of at least five ‘societies’, five different hierarchies, existing side by side […] The fourth sub-sector was feudalism in the strict sense, a tenacious superstructure which insinuated itself into the upper reaches of society and the gaps vacated by the failure of the state : it united feudal lords in a long hierarchical chain and sought to control and manœuvre all society through this hierarchy […] This was not one society then but several, coexisting, resting on each other to a greater or lesser degree ; not one system but several ; not one hierarchy but several ; not one order but several ; not one mode of production but several, not one culture but several cultures, forms of consciousness, languages, ways of life. We must think of everything in the plural […] Any evolutionary schema, even Marx’s, becomes more intelligible when viewed in this light ». Fernand Braudel, Civilization and Capitalism 15^th-18^th Century, vol. II, The Wheels of Commerce, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1992 [1979], p. 464-466.

67 « Georges Duby is one of the greatest medieval historians of the twentieth century, a man of great knowledge. However, he started his work in the ‘50s and belongs to this generation of French intellectuals who spent their youth under the influence of Marxism. Marxist reasoning is stronger in Duby’s work than the work of other historians. Thus, he connects everything with socio-economic development. I agree that medieval society was rather a system where economy, love, religion, and so forth were connected elements. Therefore, historians need to reach some kind of synthetic view of this society, which is very difficult. Duby chose the Marxist strategy as an ‘organiser’ of disparate elements ». Yelena Mazour-Matusevich, Sean Bledsoe, « On Concepts, History and Autobiography: An Interview with Aron Gurevich », The Medieval History Journal, 7/2, 2004, p. 169-197 (p. 172).

68 « L’emploi que firent les historiens marxistes du mot féodalisme pour définir l’une des phases principales de l’évolution économique et sociale se justifie par le rôle que la féodalité [...] a joué dans l'aménagement des relations nouvelles entre les forces productives et ceux qui en tiraient profit ». Georges Duby, Guerriers et paysans. vii^e-xii^e siècles. Premier essor de l’économie européenne, Paris, Gallimard, 1973, p. 184.

69 Georges Duby, Féodalité, Paris, Gallimard, 1996, p. 614-615.

70 « Et le mot latin potestas, dans les chartes, sert maintenant à designer tout bonnement l’organisme qui s’est substitué au grand domaine pour devenir le cadre majeur des rapports de production : la seigneurie. Un territoire : la forteresse en est le centre ; il est placé sous sa sauvegarde ; tous ceux qui le peuple et ou qui le traversent […] sont assujettis au maitre de la tour, à son ‘ban’, à son pouvoir de contraindre, livrés à ses exigences, exploités sous prétextes de payer la paix qu’il procure […] Ce qui se révèle au lendemain de l’an mil […] c’est une nouvelle forme du ‘mode de production’ comme certains disent. Mieux vaut ne pas l’appeler féodal – le fief n’a rien à voir ici – mais seigneurial. Il se construit en effet sur la seigneurie, la potestas, le droit de prendre dans une aire d’occupation militaire, non plus sur le réseau d’obligations de tenanciers ou d’esclaves d’un grand domaine. Ai-je tort de parler de révolution ? ». Georges Duby, Les Trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978, p. 187-189.

71 Georges Duby, L’Économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval (France, Angleterre, Empire, ix^e-xv^e siècles). Essai de synthèse et perspectives de recherches, Paris, Aubier, 1962.

72 « L’architecture de Guerriers et paysans repose presque entièrement sur les concepts de classe et de rapport de production. J’y use par exemple, d’un modèle, celui de la lutte des classes, que Marx a forgé en observant la société de son temps. Sautant par-dessus les siècles, j’osai le projeter sur un système social tout à fait diffèrent de celui du xix^e siècle. Et cette projection arbitraire se révéla très efficace, mais justement, parce que ce transfert révélait des discordances et l’inadéquation du modèle, il me fit percevoir plus clairement les caractères originaux et les mécanismes de la seigneurie ». Georges Duby, L’Histoire continue, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 106-107.

73 « Durant cette seconde étape de mon itinéraire scientifique, je m’occupai principalement d’histoire économique et ce fut alors que l’influence de la pensée marxiste agit le plus fortement sur ma façon de réfléchir sur le passé. En fait j’étais disposé à l’accueillir ». Georges Duby, L’Histoire continue, Paris, op. cit., p. 102.

74 « Ma dette envers le marxisme est immense. Je me plais à en faire état. Par loyauté. Et pas seulement par malice, comme il m’arriva de le faire dans ce colloque à Venise, où invité par Raymond Aron à dire mon sentiment sur les méthodes d’une histoire des systèmes de valeurs, je m’amusai à me référer exclusivement à Gramsci, à Labriola et même à Lénine […] Toutefois, j’affirme non moins nettement ne pas croire à l’objectivité de l’historien, ni que l’on puisse distinguer ‘en dernière instance’ le plus déterminant des facteurs dont procède l’évolution des sociétés humaines ». Georges Duby, L’Histoire continue, op. cit., p. 107.

75 « Dans mon évolution, l’influence du marxisme a été profonde. Je réagis très violemment contre ceux qui prétendent aujourd’hui, selon une mode parisienne, que le marxisme n’a pas compté pour les historiens de ma génération. Il a compté très fortement pour moi et je tiens à ce qu’on le dise ». Entretien avec Georges Duby, réalisé en janvier 1980, François Dosse, L’Histoire en miettes, des Annales à la ‘nouvelle histoire’, Paris, La Découverte, 1987, p. 223.

76 Rodney H. Hilton, « Feudalism in Europe », New Left Review, 147, 1984, p. 84-93 ; id., Class Conflict and the Crisis of Feudalism, London/New York, Verso, 1990 ; id., « Feudal Society », Tom Bottomore (éd.), A Dictionary of Marxist Thought, Oxford, Blackwell, 1983, p. 191-196 ; Harvey J. Kaye, « Rodney Hilton on Feudalism and the English Peasantry », The British Marxist Historians. An Introductory Analysis, Cambridge, Blackwell, 1984, p. 70-98.

77 « Il suffit de parcourir n’importe lequel des ouvrages que j’ai publiés pour reconnaître de quel côté penche, comme dit l’autre, ma sensibilité. N’ayant jamais été stalinien, je n’éprouve pas le besoin de me racheter en vitupérant les communistes. Et ce ne sont pas seulement des affinités de caractère qui me lient à Rodney Hilton et aux historiens de Past and Present ». Georges Duby, L’Histoire continue, op. cit., p. 103. Hilton d’ailleurs met en avant l’influence marxiste de Duby : Rodney Hilton, « Warriors and Peasants », New Left Review, 83, Janvier-Février 1973, p. 84. Mais Rodney Hilton critique par ailleurs les interprétations de Duby sur les révoltes paysannes qu’il n’envisage pas comme étant structurelles au système féodal : Rodney Hilton, « Introduction à l’édition anglaise de 1976 », Du féodalisme au capitalisme : problème de la transition, vol. I, Paris, Maspero, 1977, p. 37.

78 « Pour ma part, je n’allais pas jusqu’à prendre le marxisme pour une science, comme beaucoup de mes amis, comme Althusser. Mais, dans le cours des années soixante, je lus assidument Althusser. Je fus saisi par la justesse de ses analyses, par leur force décapante. Elles dégageaient enfin la pensée marxienne de la gangue où la pratique politicienne l’avait enfermée. Je restai réticent devant l’abus du déterminisme et je n’acceptai pas de voir les flux de l’histoire enfermés dans un carcan nouveau, guindés dans la rigidité des structures. Mais Althusser me passionnait lorsqu’il désignait l’idéologie comme une illusion inéluctable au sein de toute formation sociale. Je me méfie des théories ». Georges Duby, L’Histoire continue, op. cit., p. 105.

79 Patrick Boucheron, « An mil et féodalisme » in Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia, Nicolas Offenstadt (dir.), Historiographies. Concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, vol. II, p. 952-965 (p. 961).

80 Georges Duby, « Histoire sociale et idéologie des sociétés » in Pierre Nora, Jacques Le Goff (dir.), Faire de l’histoire, tome 1, Nouveaux Problèmes, Paris, Gallimard, 1974, p. 147-168.

81 « Qu’est-ce que la féodalité ? Ce fut d’abord une disposition d’esprit ». Georges Duby, « La féodalité ? Une mentalité médiévale », Hommes et structures du Moyen Âge, Paris, 1973, p. 110.

82 « Ethnologues marxistes […] qui s’apercevaient que les liens du sang, les alliances, les relations de commensalité constituent le cadre de tous les ‘rapports de production’ dans les sociétés primitives ». Georges Duby, Guy Lardreau, Dialogues, Paris, Flammarion, 1980, republié dans Qu’est-ce que la société féodale ?, Paris, Flammarion, 20002, p. 1644.

83 « Pour moi, le marxisme n’a jamais été ni le soutien d’un enthousiasme politique, ni un dogme intangible. C’est pour moi, parmi d’autres, un outil d’analyse, et d’une très exceptionnelle efficacité heuristique ». Georges Duby, Guy Lardreau, Dialogues, op. cit., p. 1646.

84 Georges Duby, « Le point de vue d’un médiéviste », Jacques Maitre (dir.), L’Apport de la théorie et des méthodes marxistes à l’étude des religions, Paris, Société des Amis du Centre d’études sociologiques, 1978, p. 17.

85 « Si le projet d’histoire sociale totale de Duby a utilisé le langage marxiste des instances, dans une volonté d’articulation générale des différents plans de la réalité sociale, il s’est accompli hors de la logique causaliste donnant priorité à l’infrastructure économique » ; « L’historien partage avec bon nombre des anthropologues français un ensemble de questions, via le marxisme, autour de l’articulation des différents plans de la réalité sociale ». Michel Naepels, « Duby et l’anthropologie » in Patrick Boucheron Jacques Dalarun (dir.), Georges Duby, portrait de l’historien en ses archives, Paris, Gallimard, 2015, p. 185-192 (p. 188 et 192). « De fait, Duby n’a cessé de dialoguer avec les historiens marxistes et, au-delà de la discipline, avec les intellectuels de cette mouvance, plus particulièrement les plus novateurs d’entre eux, les philosophes, passés pour la plupart par l’École normal supérieure et la lecture du capital qu’en faisaient alors Althusser et ses jeunes continuateurs convertis à l’anthropologie. Cette proximité intellectuelle, revendiquée bien que discrète mais effective, ne tint pas seulement à des contiguïtés d’objet (parenté, religion, travail, techniques agricole, rapports sociaux dans le monde rural), mais surtout aux manières d’interroger et d’étudier à nouveaux frais les modes de fonctionnement des sociétés précapitalistes ». Rémi Lenoir, « Duby et les sociologues », Patrick Boucheron Jacques Dalarun (dir.), Georges Duby, portrait de l’historien en ses archives, Paris, Gallimard, 2015, p. 193-203 (p. 196).

86 Georges Duby, Féodalité, Paris, Gallimard, 1996 ; id., Qu’est-ce que la société féodale ?, Paris, Flammarion, 20002. Felipe Brandi, « Féodalité, seigneurie, féodalisme. Georges Duby et la tradition des études médiévales », Atelier du CRH, n° 27, 2023 .

87 « Le marxisme a confondu féodalité et seigneurie pour d’autres motifs. La ‘féodalité’ serait bien moins une forme de régime politique qu’un type d’organisation de l’économie et de la société, s’intercalant entre l’esclavagisme antique et le capitalisme. L’essentiel dans ce système, c’est évidemment l’infrastructure dont la masse caractéristique majeure est la subordination des masses rurales aux ‘seigneurs’ qui ont mis la main sur une partie du travail de leurs dépendants en même temps que sur les terres. Mais cela, c’est précisément la seigneurie et non la féodalité, puisque celle-ci n’est en rien un mode de production. Pour les marxistes, la ‘féodalité’ a duré un millénaire alors que la féodalité véritable n’a duré qu’environ trois siècles ». Guy Fourquin, Seigneurie et féodalité au Moyen Âge, Paris, PUF, 1977 [1970], p. 7-8.

88 « Pour les historiens marxistes comme E. Kosminsky, les difficultés seigneuriales ne pourraient pas s’expliquer en faisant intervenir seulement le renversement de la conjoncture qui s’est effectué au début du xiv^e siècle (une phase B de dépression a succédé pour plus d’un siècle a une phase A d’expansion), ou bien même la contraction démographique les guerres les troubles. Pour eux, il n’y aurait pas eu une défaillance générale de l’économie rurale comme beaucoup le croient. Mais on aurait alors assisté à un effondrement de l’économie seigneuriale, de ce que les marxistes nomment avec inexactitude la ‘féodalité’ : un transfert des forces productives se serait effectué au détriment des seigneurs et au profit des rustres, ce qui aurait permis, par la suite, un renouveau rural, celui de la seconde moitié du xv^e siècle. Il est bien difficile de suivre cette vue de l’histoire ». Guy Fourquin, Seigneurie et féodalité au Moyen Âge, op. cit., p. 206.

89 Blaise Dufal, « Gramsci et les âges obscurs de l’intellectuel », Antoine Destemberg (dir.), Les Intellectuels au Moyen Âge. Destin et fécondité d’un anachronisme fondateur, Peter Lang, à paraitre

90 « Tripartition fonctionnelle, qu’est-ce à dire ? Et d’abord, quels rapports entretiennent entre elles les trois fonctions ou plutôt quelle est la vision des rapports entre les classes qui les représentent ? Comme l’apologue de Menenius Agrippa, les membres et l’estomac, c’est un instrument imagé du désamorçage de la lutte des classes et de mystification du peuple. Mais si l’on a bien vu que ce schéma visait à maintenir les travailleurs – la classe économique, les producteurs – dans la soumission aux deux autres ». Jacques Le Goff, La Civilisation de l’Occident médiéval, Paris, Flammarion, 1982 [1964], p. 237.

91 « Le système féodal repose sur l’appropriation par la classe seigneuriale – ecclésiastique et laïque – de tout le surplus de la production rurale assurée par la masse paysanne ». Jacques Le Goff, La Civilisation de l’Occident médiéval, op. cit.

92 « En revanche, j’ai conservé dans cette partie de l’ouvrage une notion marxiste qui me parait, bien qu’elle ait été forgée pour expliquer la société du xix^e siècle, s’appliquer à la société médiévale : c’est la lutte des classes ; et sur ce point, je demeure, si l’on veut marxiste. Mais cette histoire sociale ne peut se réduire à la lutte des classes qui n’existent pas dans toutes les sociétés, même si cette lutte est très importante dans les sociétés à classes, la société médiévale, plus complexe, étant l’ébauche d’une telle société ». Jacques Le Goff, Une vie pour l’histoire. Entretiens avec Marc Heurgon, Paris, La Découverte, 1996, p. 147-148.

93 « L’historien, qui ne doit pas tomber dans l’éclectisme, a pourtant peu de chances de proposer une explication satisfaisante en misant sur une cause unique et dominante. Une triste postérité du marxisme est morte de cette croyance réductrice et aberrante ». Jacques Le Goff, La Bourse et la vie. Économie et religion au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1986.

94 « Pour Marx, toujours selon Norel, le capitalisme est un véritable mode de production Il s’impose historiquement lorsque s’installe l’appropriation privée par la bourgeoisie et la noblesse de modes de production. Pour Marx, si le rapport de production capitaliste voit le jour très progressivement entre le xii^e et le xv^e siècle, il ne s’impose vraiment qu’aux xvi^e et xvii^e siècles. Cette conception a au moins pour moi l’avantage de laisser le Moyen Âge en dehors du capitalisme ». Jacques Le Goff, Le Moyen Âge et l’argent. Essai d’anthropologie historique, Paris, Perrin, 2010, p. 233-234.

95 Le « long Moyen Âge » « s’étendrait du iii^e siècle environ jusqu’au milieu à peu près du xix^e siècle, un millénaire et demi dont le système essentiel est celui du féodalisme ». Jacques Le Goff, La Civilisation de l'Occident médiéval, op. cit., p. 3.

96 Jacques Le Goff, « Pour un long Moyen Âge », L’Imaginaire médiéval, Paris, Gallimard, 1985, p. 7-13.

97 « Sapete, io non sono affatto un marxista ortodosso, né lo sono mai stato. Però ho letto Marx, e ritengo che fosse una delle migliori teste che l'Occidente abbia mai avuto, anche se nei paesi del ʻsocialismo realeʼ il risultato è stato spaventoso... Comunque sia, anche Marx ricorre a lunghe periodizzazioni, e da un certo punto di vista, il mio ‘lungo Medioevo’ è quello che lui chiama ‘feudalesimo’... Intendiamoci, non posso accettare questo termine, perché non è il ‘feudalesimo’ ciò che caratterizza il mio ‘lungo Medioevo’, ma resta comunque la coincidenza cronologica ». Entretien avec Jacques Le Goff réalisé par Serge Cosseron et Bruno Somalvico et diffusé en mars 1986 sur Radio della Svizzera Italiana, retranscription publiée en mars 2008 sur le site http://lungomedioevo.blogspot.it/

98 « Marx est à bien des égards l’un des maîtres d’une nouvelle histoire, problématique, interdisciplinaire, ancrée dans la longue durée et à visée globale. La périodisation (esclavagisme, féodalisme, capitalisme) de Marx et du marxisme, même si elle n’est pas acceptée sous cette forme, est une théorie de la longue durée […] la plus globale et la plus cohérente des visions synthétiques de l’histoire ». Jacques Le Goff, « L’histoire nouvelle » in Jacques Le Goff (dir.), La Nouvelle Histoire, Paris, Editions Complexe., 2006 [1978], p. 35-66 (p. 61-62).

99 Jacques Le Goff, « Une science en marche, une science dans l’enfance », Jacques Le Goff, Roger Chartier, Jacques Revel (dir.), La Nouvelle Histoire, op. cit., p. 11-18 (p. 14).

100 « Le seul débat théorique d’importance qu’ait suscité la nouvelle histoire est celui qui s’est noué avec les historiens marxistes et parmi les historiens marxistes ». Jacques Le Goff, « Une science en marche, une science dans l’enfance », Jacques Le Goff, Roger Chartier, Jacques Revel (dir.), La Nouvelle Histoire, op. cit., p. 11-18 (p. 17).

101 « Les historiens de l’histoire nouvelle, insistant à juste titre sur la multiplicité des approches, n’en ont pas moins délaissé le souci du théorique qui, loin d’être le dogmatique, n’est que l’explicitation des théories implicites que fatalement l’historien, comme tout homme de science, met à la base de son travail et dont il a intérêt à prendre conscience et le devoir de les déclarer à autrui. Je souhaite notamment que l’historien s’il se tient lui-même à l’écart des systèmes rigides d’explications historiques, n’en reconnaisse pas moins l’existence de systèmes historiques dont il lui incombe d’analyser la structure et les transformations ». Jacques Le Goff, « L’histoire nouvelle » in Jacques Le Goff (dir.), La Nouvelle Histoire, op. cit., p. 35-66 (p. 65).

102 « La plus globale et la plus cohérente des visions synthétiques de l’histoire (au double sens du mot), le marxisme, subit l’assaut des nouvelles sciences humaines. L’histoire sociale se prolonge dans l’histoire des représentations sociales, des idéologies, des mentalités. Elle y découvre un jeu complexe d’interactions et de décalages qui rend impossible un recours simpliste aux notions d’infrastructure et de superstructure ». Pierre Nora, Jacques Le Goff, « Présentation » in Pierre Nora, Jacques Le Goff, Faire de l’histoire, Paris, Gallimard, 1974, p. IX-XIII (p. XI).

103 « P. A. : You reject the infrastructure/superstructure J. L.G.: Completely. I in particular- and I must say it is one of my enemies- because I noticed very early, in scholars, that this was a concept that blocked a real formulation of problems and real historical research. Besides, other scholars, not just historians, who are closer than I am to Marxism, like Maurice Godelier in anthropology, have shown that this conception just doesn’t stand up. We saw that we were dealing with a problem of exploitation in rural economy itself. Rural economy had reached, and even surpassed, the limits of what was rationally exploitable within the economic and technological conditions of the Middle Ages. Lands generally unfavorable to agriculture had begun to be exploited; they were rapidly exhausted and needed to be abandoned. There was also a great demographic drop; and here one sees the interaction between the study of two phenomena. Simplistic observers wanted to tie this phenomenon of the great demographic drop to the Black Plague. (Simplistic minds are always happy when there is an ‘event’. It will never be said too often that the Annales have been ‘anti-event’, that they should continue to be ‘anti-event’, particularly because an explanation by way of events is a poor man’s explanation; it is very reductionist and very poor.) We noticed in fact that the demographic drop had been prior to the Hundred Years’ War ». Paul Archambault, Jacques Le Goff, « An Interview with Jacques Le Goff », Historical Reflections, vol. 21, n° 1, 1995, p. 155-185 (p. 162-163).

104 « À ce sujet, nous avons un petit débat avec Georges Duby qui pense que c’est toute la société que décrit le schéma Oratores-Bellatores-Laboratores (ceux qui prient, ceux qui se battent, ceux qui travaillent). Je pense, quant à moi, qu’il décrit seulement trois élites : une élite cléricale, une élite guerrière (les chevaliers) et une certaine couche de travailleurs et de marchands. Bref, vous voyez que je suis loin du schéma marxiste des infrastructures déterminant les superstructures. Ce schéma simpliste ne marche pas, il bloque l’explication historique. Et ce n’est pas pour crier avec les loups que je dis cela, car par ailleurs je crois que les concepts de lutte des classes et de mode de production sont souvent féconds en histoire ». « Pour un long Moyen Âge. Entretien avec Jacques Le Goff. Propos recueillis par Laurent Mucchielli et Jean-Claude Ruano-Borbalan », Sciences Humaines, n° 16, avril 1992 [en ligne].

105 « On m’a parfois reproché une lecture marxisante du purgatoire, une explication directe du mental par le social. Ce que je dis, c’est que l’invention du purgatoire fait partie d’un mouvement général de la pensée chrétienne au xii^e siècle ». « Pour un long Moyen Âge. Entretien avec Jacques Le Goff. Propos recueillis par Laurent Mucchielli et Jean-Claude Ruano-Borbalan », op. cit.

106 « Cette conception, répandue par le marxisme vulgaire, mais qui existe chez Marx lui-même, veut que les phénomènes de l’histoire humaine soient constitués par des structures fondamentales, les infrastructures, dans lesquelles se joue l’essentiel de l’histoire des sociétés. Le reste, sans être à proprement parler ce que les philosophes ont pu appeler des épiphénomènes, dépend étroitement de ces infrastructures. Ce sont les superstructures. Pour ma part, j’ai toujours été tout à fait hostile à cette opposition infrastructures-superstructures, qui m’a paru tout à fait meurtrière pour la compréhension historique. Dans les sociétés, ce n’est pas ainsi que cela s’est passe. Il n’y a pas eu un substratum qui serait d’une nature économique ou autre et des superstructures qui seraient d’une autre nature [...] ce qui a rendu cette conception encore plus néfaste chez les marxistes, c’est qu’on a pratiquement identifié les infrastructures avec les structures matérielles et plus précisément économiques, le reste devenant des superstructures dépendant de ces infrastructures sans être elles-mêmes productrices de ce qui fait marcher l’histoire. Il en va ainsi pour le religieux, le politique, l’idéologique, dans laquelle se trouve mal fondu le culturel, qui n’a guère, dans la conception des marxistes officiels et orthodoxes, d’autonomie. Au fond, il y avait chez Marx un élément insuffisamment exploité par ses disciples, et qui n’avait pas vraiment acquis d’autonomie à son époque mais qui en réalité faisait le lien entre les différents domaines découpés dans le tissu historique, c’était l’histoire sociale. Cette histoire sociale, parce que l’instrument n’en était pas forgé à l’époque – Marx a contribué à le faire et c’est, je crois, un de ses apports les plus importants –, ne pouvait pas être traité comme il le faut, par les post-marxiens ». Jacques Le Goff, Une vie pour l’histoire. Entretiens avec Marc Heurgon, Paris, La Découverte, 1996, p. 146-147.

107 « But the desertion of villages even stronger in England, where there was no Hundred Years’ War! the old answer didn’t work, and it was even the very type short-sighted ‘event-history’ explanation. And so we turned toward whole array of phenomena, and I believe this is very ‘Annales’ in spirit, and this is one of the orientations that will always make the Annales reticent toward Marxism. We do not believe in a sole cause of events. We believe in a plurality of causes, but one shouldn’t speak of an ‘eclectic’ causality. What is important is the combination among these causes […] To a certain extent, ‘mentalities’ played the role that economics had played with the Marxists. Marxist historians – the more narrow ones in any case, for with Marx it was different – had wanted to explain everything away with economic infrastructure; now a whole series of people were explaining everything by ‘mentalities’, which became a sort of deus ex machina of history. But here again mentalities are but one element in our reading of historical evolution ». Paul Archambault, Jacques Le Goff, « An Interview with Jacques Le Goff », Historical Reflections, vol. 21, n° 1, 1995, p. 155-185 (p. 162 et 166-167).

108 « Sur un autre point, j’ai été beaucoup plus nuancé : il s’agit du mode de production. Je pense que c’est une idée importante qui a fait progresser la recherche historique, mais qui a été conçue de façon trop systématique. Les structures sont plus fluides, plus perméables que la notion de mode de production ne le laisse entendre. De même une autre notion marxiste, la périodisation, était énoncée de façon beaucoup trop rigide ». Jacques Le Goff, Une vie pour l’histoire..., op. cit., p. 148.

109 Avec une exception notable et pour le moins étonnante : Marx et le marxisme ne sont jamais évoqués dans Jacques Le Goff, Jean-Pierre Vernant, Dialogue sur l’histoire. Entretiens avec Emmanuel Laurentin, Montrouge, Bayard Éditions, 2014.

110 « Q. : Diriez-vous comme Marx qu’à chaque technique correspond une organisation sociale, et que le moulin, par exemple, symbolise la société féodale ? R. : Il y a du vrai dans cette phrase de Marx et on peut dire que la pensée moderne, même si elle s’est éloignée d'une application systématique et restreignante de la pensée de Marx, a été marquée par sa conception de l’importance de l’économie et de l’histoire. Toutefois, je pense qu’une création, une disparition ou une mutation de civilisation demande du temps. Il faut lier l’histoire et le développement des civilisations au déroulement du temps ». Nicolas Truong, « Interview de Jacques Le Goff », Le Monde, 21 janvier 2014.

111 « Cette année à Prague me fut d’ailleurs d’autant plus profitable que j’y ai vécu avec les Tchèques la première intervention des Soviétiques, le fameux ‘coup de Prague’ en 1948. Cela m’a très tôt détourné de la « foi communiste », et je n’ai pas eu, comme beaucoup dans ma génération, de fascination pour l’URSS. Il convient cependant de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain : l’apport de Marx demeure et mérite réflexion ». « Pour un long Moyen Âge. Entretien avec Jacques Le Goff. Propos recueillis par Laurent Mucchielli et Jean-Claude Ruano-Borbalan », Sciences Humaines, n° 16, avril 1992.

112 « What starting point should we assign to it? It coincides with the arrival of young directors representing a new generation of the Annales, with a general crisis in the social sciences, and with the liquidation, in the West in any case, of communism and, by ricochet of Marxism. I say ‘by ricochet’ because I believe one of the common errors, or at least ‘inexactitudes’, at present, consists in identifying communism and Marxism, and to think that if communism is dead, so is Marxism. Now I, for one, hope that communism is dead, and that it will disappear in places where it still exists. But Marxism is more complicated. I think that Marxism is part of the ‘culture’ of the social sciences ». Paul Archambault, Jacques Le Goff, « An Interview with Jacques Le Goff », Historical Reflections, vol. 21, n° 1, 1995, p. 155-185 (p. 159).

113 Il cosigne avec plusieurs intellectuels n’appartenant pas au PCF, mais habituellement proches de ses positions, une lettre adressée à la direction du PCF pour dire leurs « regrets qu’envers les étudiants dans la présente circonstance, comme en d’autres dont elle découle, la perspicacité et la sympathie aient de votre part laissé à désirer ».  Le Monde, 18 juin 1968.

114 Eric Hobsbawm, « Among the Historians », Interesting times. A twentieth-Century Life, London, Abacus, 2002, p. 282-297 (p. 289).

115 « Never having had any prejudice against Marxism, provided it was open and undogmatic, I was totally able to accept a publication in which there was certainly an element of Marxism but which gave an impression of being subject to a dogma still less to a party ». « If it was a question of renouncing a dogmatic Marxism which set itself up as the only scientific theory, it would be a fortunate abandonment of a dangerous illusion ». Jacques Le Goff, « Past and Present. Later History », Past and Present, n° 100, Aug. 1983, p. 14-28 (p. 14 et 15).

116 Jacques Le Goff est explicitement excusé pour son absence lors de la séance de discussion du 27 avril 1968 au Centre d’Étude et de Recherches Marxistes, ce qui veut dire que sa participation était prévue et qu’il était au courant de ce qui s’y passait. Jacques Berque, Claude Cahen, Guy Besse et Daniel Roche sont également excusés.

117 « La Méditerranée est un livre qui nous a plus ou moins divisés. Sa parution en 1949 […] a causé des troubles de caractère politique et idéologique. En particulier chez les étudiants de gauche. Très rapidement, le verdict est tombé de la part du PCF, très officiellement dans la revue Clarté : c’était de l’histoire bourgeoise qu’il fallait combattre ! Pour beaucoup d’entre nous, les attaques des communistes contre Braudel n’ont pas contribué à nous rapprocher du PCF […] en 1949 La Méditerranée est condamnée par le PCF non seulement comme non marxiste, mais comme anti-marxiste. Et puis les historiens des pays de l’Est, ou mes amis du PCI, de l’Institut Gramsci, considèrent Braudel comme marxiste. Il a effectivement mis Marx dans le panthéon des ancêtres des Annales ; un Marx pluridisciplinaire qui ne séparait pas l’histoire des sciences économiques et sociales. Mais dès qu’on abordait un point précis du marxisme, Braudel développait des réserves, voire de l’hostilité ». Jacques Le Goff, « Le changement dans la continuité », Espaces Temps, 34-35, 1986, p. 20-22.

118 « La tentative réellement marxiste, puissante et originale, de Jacques Le Goff (La Civilisation de l’Occident médiéval, op. cit.) dont la volonté d’articuler toutes les grandes fonctions sociales sur la base d’un mode de production analysé dans toutes ses composantes trace l’axe de la seule voie qui permette de franchir l’obstacle et d’élaborer enfin une théorie marxiste du féodalisme ». Alain Guerreau, « Féodalisme » in Georges Bensussan, Georges Labica (dir.), Dictionnaire critique du marxisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1998 [1982], p. 460-464 (p. 463).

119 Carlos Astarita, « Karl Marx and the Transition from Feudalism to Capitalism », International Critical Thought, 8/2, 2018, p. 249-263 ; id., « Pesant-Based Societies in Christ Wickham’s Thought », Historical Materialism, 19/1, 2011, p. 194-220.

120 « Le Goff se encargó en reiteradas oportunidades de marcar su distancia con lo que llamó el marxismo vulgar. No es difícil disentir con la vulgaridad en cualquiera de sus rótulos, pero no es necesaria esa degradación para notar diferencias entre el estructuralismo que Le Goff expresa y Marx. El tema interesa porque, como dice Bronislaw Geremek, Le Goff y Duby han estado siempre bajo una cierta influencia del marxismo. Un influjo que no dejó de ser un problema para Le Goff y lo persiguió siempre: si en su primer trabajo pretendía que el materialismo histórico fuera su base teórica, en obras posteriores esa influencia aparecía para rápidamente esfumarse, presencia espectral siempre escoltada por proclamas antidogmáticas, excusas y distancias. Por momentos más que un influjo el marxismo parece ser un trastorno psicológico ». Carlos Astarita, « Le Goff. Balance crítico de un legado », Sociedades Precapitalistas, vol. 3, n° 2, 2014 [en ligne].

121 « Mais l’apport de Marx donna tout son relief au débat : en considérant la féodalité, ou ce ‘féodalisme’ qu’on utilise à tort et à travers, comme un type d’organisation économique et sociale propre à une phase de l’aventure humaine et reposant sur l’appropriation des hommes et d’une part de leur travail, il parvient à briser le corset qui cantonnait la recherche soit dans l’étude de la seigneurie, soit dans celle du fief, soit, pis encore, dans celle du pouvoir politique ». Robert Fossier, « Préface », Marc Bloch, La Société féodale, Paris, Albin Michel, 1989, p. I-XII (p. III).

122 Marx « avait parfaitement raison, c’est-à-dire que, comme la philosophie allemande de son temps, Hegel avant lui, il avait conçu que l’histoire était fondée sur l’aliénation de l’homme par l’homme et qu’en conséquence il y avait des tranches dans la marche de l’humanité destinées à aboutir à un moment ou tous les hommes se trouveraient égaux et jouissant des mêmes avantages et des mêmes droits par rapport à tous les autres. Mais il fallait passer par un certain nombre de stades. Le stade, ce qu’il appelait si malencontreusement le féodalisme, c’est-à-dire une dépendance qui était moins rigoureuse mais où l’instrument de travail, comme il disait, en l’occurrence pour le paysan, sa terre et ses outils, étaient encore sous le contrôle du maitre. Ensuite, on s’acheminait vers le capitalisme, c’est-à-dire le contrôle des intérêts privés d’abord, financiers ensuite. Je crois que cette vue est exacte ». Agnès Callu (dir.), Le Mai 68 des historiens, op. cit., p. 136.

123 « Cette structure d’encadrement […] est apparue aux théoriciens des systèmes socio-économiques, qu’il s’agisse de libéraux comme Stuart Mill, ou de matérialistes comme Marx, particulièrement typique du Moyen Age. Reprenant une formulation qui datait des ‘Lumières’ et de la Révolution française, Marx a qualifié de ‘féodalisme’ la nature de ces relations, étendant à toute la société, même urbaine, une notion ‘féodale’, une notion de rapports de fief, qui n’était en réalité propre qu’à la seule aristocratie terrienne. C’est pourquoi je rejetterai cette notion en parlant du travail, car on ne voit pas ce qu’a ou n’a pas de ‘féodal’ le paiement d’un loyer. De ce fait, l’expression de ‘société féodale’ et, à plus forte raison, celle de ‘travail féodal doivent être rejetées ». Robert Fossier, Le Travail au Moyen Âge, Paris, Hachette, 2000, p. 81-82.

124 « C’est un abus de langage, hélas avalisé depuis Marx par d’illustres historiens comme Marc Bloch, que de parler de ‘société féodale’ ; je crois avoir fait justice de cette inutile boursouflure d’un phénomène marginal, minoritaire, superficiel et qu’on doit à la provenance de nos documents, Presque tous aristocratiques ». Robert Fossier, Ces gens du Moyen Âge, Paris, Fayard, 2007, p. 164.

125 « Il est donc difficile d’user sans précaution de l’adjectif ‘féodal’ pour caractériser toute la société ». Robert Fossier, L’Occident médiéval v^e-xiii^e siècle, Paris, Hachette, 2001 [1995], p. 196, pour l’appellation de « seigneuriale » voir p. 112. Il parle aussi de préférence de « société seigneuriale » : Robert Fossier, « Féodalité », Claude Gauvard, Alain de Libera, Michel Zink (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, p. 521.

126 « La société médiévale n’est pas une ‘société féodale’, car le fief n’en est qu’une particularité, mais une ‘société seigneuriale’, expression qu’on préfèrera à celle de ‘féodalisme’ trop ambiguë ». Robert Fossier, L’Occident médiéval v^e-xiii^e siècle, Paris, Hachette, 2001 [1995], p. 180.

127 Robert Fossier, Ces gens du Moyen Âge, Paris, Fayard, 2007, p. 171 et 181.

128 Robert Fossier, Enfance de l’Europe, x^e-xii^e siècles. Aspects économiques et sociaux, Paris, PUF, 1982, vol. II, p. 961.

129 « La féodalité, celle dont l’étude encombre les manuels de droit, ne nous est pas apparue ». « Un élément artificiel dans l’exposé d’une évolution économique ou sociale ». Robert Fossier, La Terre et les hommes en Picardie jusqu’à la fin du xiii^e siècle, Paris, Beatrice-Nauwelaerts, 1968, t. II, p. 546.

130 « L’occident du temps n’a que faire de la ‘féodalité’, que cette dernière est une pellicule infime et discontinue et qu’elle n’incarne pas plus le xi^e ou le xii^e siècle que le font de la France du xx^e les PDG des 20 premières entreprises nationales. Que ces liens existent entre rois, princes, comtes, châtelains et quelques gros clients, ici d’une certaine manière, là d’une autre, je ne pourrais nier cette évidence. Mais ce groupuscule oblitère notre vue, encombre l’avant-scène documentaire ; c’est pour lui, par lui que la littérature s’exprime, que les chartriers enflent. Ne succombons pas au mirage de l’élite carolingienne ». Robert Fossier, Enfance de l’Europe x^e-xii^e siècles Aspects économiques et sociaux, Paris, PUF, 1982, vol. II, p. 953.

131 « Une tranche de temps où l’économie et la société ont certains traits bien marqués, le ‘féodalisme’ de Marx ? mais, vraiment, mange-t-on ‘féodal’ ? ». Robert Fossier, « Avant-propos », Ces gens du Moyen Âge, Paris, Fayard, 2007, p. 5.

132 « L’établissement du régime seigneurial, ou si l’on veut ‘féodal’, caractéristique d’un stade original du développement de sociétés en Occident, n’a pu s’instaurer, entre 950 et 1050, qu’au terme d’une lutte âpre et difficile entre l’aristocratie dominante et les travailleurs ; tandis que s’achève après les temps carolingiens une longue phase de l’histoire de l’Europe, amorcée aux temps antiques, celle qui s’ouvre se fonde sur des rapports plus complexes entre les hommes, ou les relations ne sont plus seulement celles de la famille ou de la soumission absolue, mais celles du travail et de la rivalité sociale ; en d’autres termes, les mouvements populaires du xi^e siècle, en infléchissant la nature de la domination des clercs et des seigneurs, ont contribué à la formation de classes sociales. Les soubresauts du xiv^e siècle et du xv^e siècle contraindront, certes, à une révision complète de ces rapports, et a l’instauration d’un autre type de société ; mais on s’exposerait à mal saisir les causes et les étapes de la défaillance seigneuriale qui permirent cette mutation, si l’on oubliait les conditions qui marquèrent la naissance de la seigneurie ». Robert Fossier, « Les mouvements populaires en Occident au xi^e siècle », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, avril-juin 1971, p. 257-269 réédité dans Hommes et villages d’Occident au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, p. 187-188.

133 « Toutes ces mutations qui formèrent la trame de la période ne furent adoptées qu’au terme d’une gestation difficile, pénible même. Il faut donc que l’historien tourne son attention vers ces champs encore mal connus (toute la bibliographie récente ou même actuelle en témoigne) ; il faut qu’il puisse déceler le rebelle social sous l’habit d’hérétique qui nous le dissimule, le paysan exaspéré parmi les ‘brigands’ que disperse la chevalerie, les femmes qui secouent la tutelle du clan mâle dans les ‘débauchées’ contre lesquelles s’indigne Guibert de Nogent […] Les éléments socio-économiques, enfin, devraient nous retenir plus longtemps que tous autres, puisqu’ils alimentent sans détour verbal notre connaissance des commotions. Mais on soupçonne sans peine leur rareté, si grande que des historiens ne voyant ‘aucune allusion aux instruments de production et à la lutte des classes’ en concluent bravement à un aspect exclusivement religieux de tel ou tel mouvement ». Robert Fossier, « Remarques sur l'étude des ‘commotions’ sociales aux xi^e et xii^e siècles », Cahiers de civilisation médiévale, 16^e année, n° 61, janvier-mars 1973, p. 45-50.

134 « Il faut fortement souligner que l’opposition à l’égard des seigneurs ne prend absolument pas, de 1100-1120 à la deuxième moitié du xiii^e siècle, l’aspect d’une revendication révolutionnaire : il ne s’agit nullement de détruire la seigneurie, cadre somme toute paisible du développement économique ; c’est parmi d’autres, l’erreur d’appréciation de tant d’historiens pour qui ‘lutte des classes’ signifie fortement III^e Internationale, grèves et émeutes avec slogans ». Robert Fossier, « Les communautés villageoises en France du Nord au Moyen Âge », Charles Higounet (dir.), Les Communautés villageoises en Europe occidentale du Moyen Âge aux temps modernes, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 1984, p. 29-54, réédité dans Hommes et villages d’Occident au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, p. 230.

135 Robert Fossier, La Société médiévale, Paris, Armand Colin, 1991, p. 421-427.

136 « Il n’y a pas de statistique démographique médiévale possible. Faut-il pour si peu se croiser les bras, quand tous les historiens, marxistes ou non, conviennent que rien n’a de valeur si on ne sait le nombre des hommes ? ». Robert Fossier, « La démographie médiévale : problème de méthode (x^e-xiii^e siècles) », Annales de démographie historique, 1975, p. 143-165, réédité dans Hommes et villages d’Occident au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, note 3, p. 78.

137 « Enfin, une fois éliminés […] l’agacement que suscite un recours révérenciel et quasi instinctif à tel ou tel vocable discutable ou aux idées – pour le moins dépassées sur ce plan – de F. Engels, enfin, dis-je, la lecture procure l’impression très réconfortante qu’il n’y a pas de divergence fondamentale entre l’optique ‘marxiste’ et celle des historiens ‘bourgeois’ […] Il n’y a guère en Occident aujourd’hui d’historien […] qui n’estime fondamentale, parmi les rouages qui meuvent l’histoire, la nature des rapports ou des systèmes économiques ou sociaux entre les groupes humains, qu’on les appelle ‘classes’ ou autrement, ‘prélèvement seigneurial’ ou ‘exigence des plus riches’, ‘masses laborieuses’ ou ‘tiers ordre’, ‘féodalisme’ ou ‘régime seigneurial’, guère enfin qui n’admette la force des contraintes collectives familiales, juridiques, lignagères, villageoises, tribales, rituelles dans l’affrontement (ou les ‘luttes’) entre ces groupes. Le reste n’est qu’affaire de nuances : que de chemin parcouru depuis vingt ans ! ». Robert Fossier, « Compte rendu de Abramson et Gourevitch. Histoire du Moyen Âge, Moscou, Éditions du Progrès, 1976 », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 135/1, 1977, p. 241-242.

138 Alain Derville, Saint-Omer des origines au début du xiv^e siècle. Essai d’histoire sociale, Paris, 1971 ; Michel Rouche, « Alain Derville, Saint-Omer, Essai d’Histoire Sociale », Revue du Nord, tome 53, n°208, janvier-mars 1971, p. 201.

139 « À l’ENS, j’avais beaucoup de respect pour Althusser, c’est quelqu’un que je continue à penser comme humainement et intellectuellement respectable. Les philosophes étaient des gens qui m’impressionnaient à l’époque ». Nicolas Offenstadt, « Pierre Toubert, L’histoire médiévale des structures », Genèses, vol. 60, n° 3, 2005, p. 138-153 (p. 140).

140 « On était marxistes ! Mais on était marxiste comme ça. Pour nous, il était évident que faire l’histoire de la société, c’était faire l’histoire du pouvoir, faire l’histoire des rapports de production, des rapports de force, intégrer d’une manière logique le travail avec une certaine forme de capital. Et mon idée a toujours été – et elle le demeure, c’est ce que je développe dans L’Europe dans sa première croissance – qu’il y a toujours eu une logique d’esprit capitaliste. C’est-à-dire que les gens ont toujours détenu un pouvoir économique qui n’est pas mécaniquement transféré sous forme de pouvoir idéologique, politique, social, etc. Mais les gens ont toujours eu l’intelligence et la capacité de se demander comment, dans un système de structures donné, on pouvait tirer le maximum du capital qu’on avait. Par conséquent l’idée d’optimiser un système est une idée fondamentale pour comprendre le système lui-même. Ce qui me sépare de certains de mes contemporains comme Pierre Bonnassie, c’est que je n’ai jamais pensé, jamais trouvé une véritable capacité d’innovation ou de résistance dans les communautés rurales. Je les ai toujours vues comme soumises à la fatalité d’un sur-pouvoir seigneurial et c’est, je pense, une idée qui me venait du marxisme ». Nicolas Offenstadt, « Pierre Toubert, L’histoire médiévale des structures », Genèses, vol. 60, n° 3, 2005, p. 138-153 (p. 141-142).

141 « J’étais un peu provo. Cela m’a parfois nuit : j’ai prêté le flanc à des critiques qui tenaient au fait que j’avais donné une expression trop brutale, trop radicale, probablement sous l’influence marxiste, un peu trop dogmatique, à ma théorie » N. Offenstadt, « Pierre Toubert, L’histoire médiévale des structures », op. cit., p. 138-153 (p. 145).

142 « J’établis en effet un rapport entre la démographie et la croissance. C’est un point où je suis à la fois marxiste et dans un marxisme éloigné, dégagé. ». N. Offenstadt, « Pierre Toubert, L’histoire médiévale des structures », op. cit., p. 138-153 (p. 149).

143 « J’étais de gauche, plus que maintenant. J’ai participé à des réunions de la cellule du parti communiste de l’ENS. Je l’ai vu fonctionner. Mais j’étais beaucoup moins intégré que Le Roy Ladurie par exemple. Je n’ai jamais adhéré au parti, j’étais considéré comme un sympathisant sérieux quand je suis rentré à l’ENS. Mais je n’ai jamais transformé l’essai… Dès cette époque-là j’étais mou. C’était une référence beaucoup plus à l’analyse théorique. J’ai participé à des manifs et en particulier celle qui m’a le plus marqué parce que j’ai été légèrement tabassé : c’est celle pour les Rosenberg ; c’était un combat pour la justice… qu’on soit marxiste ou pas, on était contre l’assassinat des Rosenberg. Je n’ai jamais eu le déchirement des types qui, comme Le Roy Ladurie ou François Furet, ont adhéré au Parti communiste et puis s’en sont dégagés après. Je ne me suis jamais engagé au point de souffrir à m’en désengager, et puis je suis parti à Rome donc cela a réglé toutes les questions parce que, de toute façon à Rome, on trouvait un parti communiste intelligent, donc on pouvait mesurer les raisons qui avaient limité votre engagement à Paris. Je n’ai jamais cherché à rentrer dans un appareil ». N. Offenstadt, « Pierre Toubert, L’histoire médiévale des structures », op. cit., p. 138-153 (p. 142).

144 Hélène Débax (dir.), Les Sociétés méridionales à l’âge féodal, Hommage à Pierre Bonnassie, Toulouse, CNRS/Université de Toulouse-Le Mirail, 1999.

145 Pierre Bonnassie, La Catalogne du milieu du x^e à la fin du xi^e siècle. Croissance et mutation d’une société, Paris, Albin Michel, 1990 [1975-1976], p. 355.

146 Il définit les institutions féodo-vassaliques comme « un système plus ou moins complexe de réseaux de dépendance (vassalité) et de gratifications (fiefs) qui assuraient la redistribution du surproduit du travail paysan au sein de la classe dominante », Pierre Bonnassie, Les cinquante mots clefs de l’histoire médiévale, Toulouse, Privat, 1981, p. 86.

147 « La lumière peut-elle venir d’ailleurs, c’est-à-dire des historiens se réclamant du marxisme ? Leur contribution est à examiner avec soin car elle est importante et pose le problème en des termes très différents de ceux examinés jusqu’ici. Il est d’ailleurs normal que les marxistes se soient beaucoup préoccupés de la question car elle est au cœur de la problématique développée par le matérialisme historique. Il ne s’agit de rien moins que de déterminer les causes et les modalités du passage d’un mode de production (l’esclavagisme) à un autre (le féodalisme). C’est donc tout le problème des modèles de transition (du féodalisme au capitalisme, du capitalisme au socialisme) qui est en jeu. Ceci dit, on ne doit pas cacher qu’il est assez artificiel d’opposer globalement historiens marxistes et non marxistes car si les divergences sont grandes chez ceux-ci, elles le sont encore bien plus chez ceux-là au point d’avoir donné lieu à des polémiques féroces. En fait, on peut diviser les historiens marxistes en deux groupes : ceux qui se montrent ponctuellement fidèles à la lettre de ce que Marx et Engels ont écrit sur le sujet (peu de choses en vérité) et ceux qui, sans se soucier outre mesure de ces textes de référence, appliquent au problème les schémas généraux de la méthode historique marxiste ». Pierre Bonnassie, « Survie et extinction du régime esclavagiste dans l’Occident du haut moyen âge (iv^e-xi^e s.) », Cahiers de civilisation médiévale, 28^e année, n° 112, octobre-décembre 1985, p. 307-343 (p. 311-312).

148 Pierre Bonnassie, « Survie et extinction du régime esclavagiste dans l’Occident du haut moyen âge (iv^e-xi^e s.) », op. cit., p. 307-343 (note 169, p. 333).

149 « D’autres historiens marxistes, particulièrement en France, se sont placés dans une perspective différente. Prenant le parti d’oublier quelque peu les pages célèbres de Marx sur la ‘synthèse’ (pages qui ne font que refléter l’état de l’historiographie de l’époque où écrivait Marx), ils ont cherché et cherchent à expliquer tant la fin de l’esclavagisme que l’avènement du féodalisme en s'appuyant sur des concepts véritablement marxistes, à savoir le développement des forces productives et le phénomène des luttes de classes ». Pierre Bonnassie, « Survie et extinction du régime esclavagiste dans l'Occident du haut moyen âge (iv^e-xi^e s.) », op. cit., p. 307-343 (p. 312).

150 Michel Zimmermann, « L’œuvre historique de Pierre Bonnassie (1932-2005) », Le Moyen Âge, t. CXII, 2006/1, p. 135-144.

151 « Even for Marxists such as Bois and Bonnassie, the analysis of slavery proposed by Duby’s school has been political more than economic: Bonnassie discussed economic explanations, but defined slavery above all as a mechanism of exclusion rather than as a mode of production (‘Survie et extinction’); Bois ascribes the end of slavery to a ‘ideological upheaval’ (La Mutation de l’an mil, p. 49) ». Alice Rio, « Introduction », Slavery After Rome, 500-1100, Oxford, Oxford University Press, 2017, note 20, p. 8.

152 Pierre Bonnassie, « Les inconstances de l’an mil », Médiévales, 18/37, 1999, p. 81-90.

153 Pierre Bonnassie, « Réponse à Dominique Barthélemy », Les Origines de la féodalité : Hommage à Claudio Sánchez Albornoz, Madrid, Casa de Velázquez, 2000 [en ligne].

154 André Burguiere, L’École des Annales : une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 139.

155 Monique Bourin, Villages médiévaux en Bas-Languedoc, Paris, L’Harmattan, 1987, id., Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes médiévales (xi^e - xiv^e siècles), tome 1, Réalités et représentations paysannes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, tome 2, Les Mots, les temps, les lieux, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007 ; Monique Bourin, « Un projet d’enquête : ʻla crise de 1300ʼ dans les pays de la Méditerranée occidentale », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série, n° 2, 2008, [En ligne] ; Didier Boisseuil, Pierre Chastang, Laurent Feller, Joseph Morsel (dir.), Écritures de l’espace social : Mélanges d’histoire médiévale offerts à Monique Bourin, Éditions de la Sorbonne, coll. « Histoire ancienne et médiévale », 2010 ; Vincent Challet (dir.), Maîtrise et perception de l’espace dans le Languedoc médiéval. Études offertes à Monique Bourin, Annales du Midi, vol. 119, n° 260, 2007.

156 Monique Bourin, Robert Durand, Vivre au village au Moyen âge : les solidarités paysannes du xi^e au xiii^e siècle, Paris, Messidor/Temps actuels, 1984.

157 Monique Bourin, « Carrière et œuvre de R. Durand : jalons pour une ‘Vita Rotberti’ » in L’Espace rural au Moyen Âge : Portugal, Espagne, France (xii^e-xiv^e siècle). Mélanges en l’honneur de Robert Durand, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002 [en ligne]. Voir aussi : Nantes-Histoire, Chemins d’historiens. Mélanges pour Robert Durand, Rennes, Apogée, 1999.

158 Le groupe éditorial Messidor rassemble les Éditions sociales (Messidor/Éditions sociales), les éditions Vaillant-Miroir Sprint, les éditions Messidor/Temps actuels, anciennement Éditeurs français réunis (EFR) dirigées par Louis Aragon, et Messidor/La Farandole. Fusionné en une maison éditoriale unique, les éditions Messidor, devenue Scandéditions en 1992, le groupe est mis en liquidation le 9 mai 1994. Marie-Cécile Bouju, Lire en communiste, les Maisons d’édition du Parti communiste français 1920-1968, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010 ; Julien Hage, « Une petite maison jeune, novatrice et dynamique : Régine Lilensten, directrice de littérature de jeunesse des Éditions La Farandole de 1971 à 1978 (entretien avec) », Jean-Numa Ducange, Julien Hage, Jean-Yves Mollier (dir.), Le Parti communiste français et le livre : écrire et diffuser le politique en France au xx^e siècle (1920-1992), Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2014, p. 159-183.

159 « Il était critiquable de faire une histoire où les idées et le calculs politiques des princes tenaient lieu de mouvement social, il serait tout aussi absurde de réduire le processus historique à un mécanisme où seul compte ‘le développement des forces productives’, élevé à la hauteur d’une allégorie : ‘idéalisme et matérialisme mécaniste se rejoignent alors dans un culte commun de l’abstraction et dans l’ignorance volontaire de la complexité des relations et des tensions sociales ». Jean-Pierre Poly, Éric Bournazel, La Mutation féodale (x^e-xii^e siècles), op. cit., p. 10.

160 « On fait parfois débuter la féodalité, baptisée pour la circonstance ‘féodalisme’, à la fin du v^e siècle, pour la faire s’achever – et encore avec quelle vitalité ! – lors de la Révolution. Notre champ de vision est plus restreint, ou si l’on veut, plus conventionnel ». Jean-Pierre Poly, Éric Bournazel, La Mutation féodale (x^e-xii^e siècles), op. cit., p. 11.

161 « On ne peut expliquer des rapports institutionnels, juridiques ou politiques sans les référer à une étude plus large des rapports entre les groupes sociaux, à leurs théories quand elles s’expriment […] Les problèmes fondamentaux de la reproduction matérielle de la vie sociale, forces productives et – catégorie plus ambiguë – rapports de production. On n’en trouvera ici qu’une approche sommaire, dans la problématique, destinée à signaler immédiatement quelques-unes des articulations majeures entre l’institutionnel, le social et l’économique […]. La seigneurie banale, phénomène central du xi^e siècle, relève-t-elle de l’Économique, du Juridique, du Politique ? Ou, d’un point de vue aujourd’hui à peine moins académique, est-elle une Infrastructure ou une Superstructure, un Rapport de Production ou un Appareil Idéologique. De telles catégories ne sont pas inutiles, qui permettent de centrer un point de vue, de regrouper des thématiques et des méthodes d’analyses propre aux disciplines ? ». Jean-Pierre Poly, Éric Bournazel, La Mutation féodale (x^e-xii^e siècles), op. cit., p. 11-12 et p. 13-14.

162 « Pouvons-nous véritablement supposer chez tel seigneur laïc le même esprit qu’un entrepreneur moderne ? […] Parce qu’il existe des marchands, y a-t-il nécessairement économie de marché ? » Jean-Pierre Poly, Éric Bournazel, La Mutation féodale (x^e-xii^e siècles), op. cit., p. 13.

163 Jean-Pierre Poly, « La crise de la paysannerie libre et la féodalité » in Éric Bournazel, Jean-Pierre Poly (dir.), Les Féodalités, Maurice Duverger, Jean-Francois Sirinelli (dir.), Histoire générale des systèmes politiques, Paris, PUF, 1998, p. 111-206 (p. 111).

164 « Au moment où la paysannerie est investie par la seigneurie banale et par la ville cède la barrière culturelle qui avait si longtemps contenu la pensée sauvage dans les profondeurs de la société campagnarde. À l’investissement matériel des campagnes répondent la pénétration des structures mentales de la paysannerie et leur utilisation au profit des maîtres de la terre ». Jean-Pierre Poly, Éric Bournazel, La Mutation féodale (x^e-xii^e siècles), op. cit., p. 480.

165 Jean-Pierre Poly et Éric Bournazel dédient le volume collectif qu’ils codirigent à Richard Ladmiral, figure importante du mouvement libertaire parisien qui était un ami de Jean-Pierre Poly depuis leur rencontre au cours des années 1960 à l’Université de Nanterre : Éric Bournazel, Jean-Pierre Poly (dir.) Les Féodalités, op. cit., p. IV.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Blaise Dufal, « Spectres marxistes du féodalisme : le passé d’une interprétation ? - 1^ère partie », L’Atelier du Centre de recherches historiques [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 19 mars 2023, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://journals.openedition.org/acrh/28229 ; DOI : https://doi.org/10.4000/acrh.28229

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