Le voyage de Pénélope. Des Trois couleurs du tableau noir à la revue Administration & Éducation (1978-2023)
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- 1 Guy Lemarchand, « À propos des révoltes et révolutions de la fin du xviiie siècle. Essai d’un bilan (...)
- 2 Michel Vovelle, La Bataille du Bicentenaire de la Révolution française, Paris, La Découverte, 2017, (...)
1Celles et ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ont passé l’agrégation d’histoire en 1983-1984, se souviennent de l’atmosphère, déjà un peu fébrile à l’approche du Bicentenaire, qui entoura la préparation de la question d’histoire moderne ainsi libellée : « L’Europe à la fin du xviiie siècle (Russie, pays scandinaves, Empire ottoman exclus), 1789-1802 ». On ne l’aurait certes pas alors qualifiée de « disruptive ». Mais elle l’était, au moins pour deux raisons. C’était la première fois que la période révolutionnaire passait, dans le programme, du côté de l’histoire moderne. Et la Révolution elle-même n’était pas nommée. Elle semblait comme absorbée dans une réflexion plus vaste – très vaste, pour des candidats à un concours de recrutement de l’enseignement secondaire – où elle perdait sa place de « modèle unique de développement historique vers la démocratie politique et sociale1 ». Ce n’était peut-être pas assez pour y déceler la marque d’un « solide esprit réactionnaire2 », comme Michel Vovelle l’a écrit par la suite, avec une colère que le temps n’avait pas apaisée. Mais avant même de lire et d’entendre leurs professeurs, les étudiants chez qui le goût de la science n’était pas incompatible avec celui de l’engagement en déduisaient que, si la Révolution française était terminée, on ne pouvait en dire autant du débat sur son histoire et sur son héritage.
Révolution et éducation : le présent d’une érudition
- 3 Le premier tome des Lieux de mémoire, intitulé La République, est, faut-il le rappeler ?, de 1984 e (...)
2Parmi ces étudiants, celui qui avait déjà fait assez de pas sur les chemins de l’histoire de l’éducation et de l’histoire de la politisation pour apprécier leurs intersections, durant la période révolutionnaire et au xixe siècle, celui-là avait toutes chances de voir dans les conférences d’agrégation que Dominique Julia a faites rue d’Ulm en 1983 un prolongement naturel du travail sur les sociétés populaires auquel Philippe Boutry et Jean Boutier l’avait initié. Aussi y a-t-il trouvé ce qu’une conférence d’agrégation peut offrir de plus nourricier : le lien entre l’appétit pour la recherche en cours et le goût d’enseigner. Le contexte, aussi bien, ne se résumait pas à l’approche du Bicentenaire. Les lois scolaires de Jules Ferry, qui venaient d’avoir cent ans, n’avaient pas échappé à la fièvre commémorative dont Pierre Nora avait commencé de se faire l’analyste et dont Maurice Agulhon devait être bientôt au Collège de France un commentateur malicieux3.
- 4 Cent ans d’école, par le Groupe de travail de la maison d’école à Montceau-les-Mines, textes de Pie (...)
- 5 Dominique Julia, Les trois couleurs du tableau noir. La Révolution, Paris, Belin, 1981, p. 5-6.
- 6 Serge Bonin et Claude Langlois (éds), Atlas historique de la Révolution française, Paris, Éd. de l’ (...)
- 7 Roger Thabault, Mon village. Ses hommes, ses routes, son école, préface d’André Siegfried, 1943, Pa (...)
3S’il n’avait pas contribué en 1981 à l’ouvrage Cent ans d’école4, Dominique Julia avait publié la même année Les trois couleurs du tableau noir. La Révolution, un recueil de textes qu’il commentait et où d’emblée il soulignait « la filiation idéologique – consciente – qui unit les grands débats parlementaires des années 1880 autour de la laïcité républicaine à ceux de la Révolution française5 ». Il était aussi le directeur scientifique du volume de l’Atlas de la Révolution française consacré à L’enseignement, le deuxième de la collection6. Peut-être n’a-t-on pas oublié que le premier était dédié aux Routes et communications, ce qui faisait entendre comme un écho du livre de Roger Thabault, Mon village. Ses hommes, ses routes, son école, réédité précisément en 1982 après avoir reçu d’outre-Atlantique l’hommage d’Eugen Weber7.
4Au moment où la promotion d’agrégatifs à laquelle il a déjà été fait allusion passait ses oraux, dans la chaleur qui ajoutait à l’épreuve sans contribuer encore à l’inquiétude générale, culminait, le 24 juin 1984, la mobilisation des opposants au projet de loi du ministre Alain Savary visant à intégrer l’enseignement privé sous contrat à un « grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale », conformément à la quatre-vingt-dixième des cent dix propositions que François Mitterrand avait faites aux Français qui l’avaient élu président de la République. On connaît la suite. Elle fait concevoir la portée, pour ces apprentis historiens, de la conclusion que Dominique Julia a donnée à sa contribution, intitulée « L’école : un gigantesque effort pédagogique », à l’ouvrage dirigé par Michel Vovelle L’état de la France pendant la Révolution (1789-1799) :
- 8 Dominique Julia, « L’école : un gigantesque effort pédagogique », in Michel Vovelle (dir.), L’état (...)
« les débats qui ont traversé les assemblées révolutionnaires autour de l’éducation sont ceux-là mêmes qui aujourd’hui fondent nos propres discussions : quel rôle doit tenir l’État dans l’éducation des enfants ? Quelle délégation les familles concèdent-elles à l’instituteur ou au professeur ? Doit-il éduquer et instruire ou seulement instruire ? Quelle place faut-il réserver à l’instruction morale et civique ? Nous sommes loin d’avoir répondu à ces questions8. »
L’école du désenchantement ?
- 9 Id., « Conclusions », in René Grevet et Philippe Marchand (dir.), Les Débuts de l’École républicain (...)
- 10 Ce 44e colloque s’est tenu du 24 au 26 mars 2023 au campus Grands Moulins de l’université Paris Cit (...)
- 11 Charles Toussaint, inspecteur général et deuxième président de l’AFAE (1982-1987), actes du colloqu (...)
5Encore Dominique Julia devait-il ajouter en 1995, dans ses conclusions au colloque de Lille sur « les débuts de l’École républicaine », cette remarque qui n’a rien perdu de sa pertinence : « La différence de notre temps avec celui de Condorcet est que nous ne partageons plus cet optimisme et ne croyons plus à un avènement9. » En hommage à une lucidité qui n’a réussi à entamer ni sa persévérance de chercheur ni sa foi en la pédagogie, il n’est peut-être pas illégitime de chercher ce à quoi nous voulons croire encore dans la revue Administration & Éducation, que publie depuis 1978 l’Association française des administrateurs de l’éducation (AFAE). Roger Thabault y aurait eu sa place naturelle, lui qui, normalien de Saint-Cloud, inspecteur d’académie à Bordeaux à la Libération, a fini sa carrière comme inspecteur général. Au cours de son 44e colloque, qui avait pour thème « Temps et contretemps à l’École », vient d’avoir lieu, entre Catherine Moisan et William Marois, une passation des pouvoirs présidentiels des plus conniventes qu’on ait vues10. Ce changement dans la continuité n’est pas de nature à réduire l’intérêt d’un bref parcours parmi les analyses et propositions qui, entre la mise en place du « collège unique » et le remplacement des « séries » par des « spécialités » dans nos lycées, ont été suscitées ou accueillies dans un espace associatif dont le premier trait distinctif est de réunir, depuis 1978, des administrateurs de toutes catégories du système éducatif français, mais « hors de l’institution, donc hors de tout rapport hiérarchique11 ».
- 12 Dominique Julia, « Conclusions », Les débuts de l’École républicaine…, op. cit., p. 1023.
6Choisir cet observatoire est à la fois « évident et risqué12 », comme l’était, selon Dominique Julia, le pari de consacrer aux « débuts de l’École républicaine » l’un des colloques qui ont jalonné le bicentenaire de la Révolution française. Évident, car il y a là un miroir fidèle de ce que furent, au long du dernier demi-siècle, les positions et propositions d’un ensemble représentatif d’acteurs et actrices du monde éducatif et universitaire français. Risqué, parce que le retour périodique des mêmes objets, des mêmes questions, des mêmes insatisfactions aussi, éclaire à sa manière la difficulté d’accorder entre elles diverses temporalités.
- 13 De l’Essai sur l’accélération de l’histoire de Daniel Halévy (1948, rééd. par Jean-Pierre Halévy, É (...)
- 14 Jean Jaurès, compte rendu des Dieux ont soif d’Anatole France (1912), Œuvres, t. 16, Critique litté (...)
- 15 Administration & Éducation, n°95, 3e trimestre 2002, p. 29.
7Ce tournant du xxe au xxie siècle illustre en effet, mieux que toute autre période antérieure sans doute, non pas tant l’inquiétude devant la supposée « accélération de l’histoire13 » que la tension entre un agenda politique aux échéances courtes et l’inertie induite par la massification du système éducatif. Or cette massification même, comme l’a souligné Dominique Julia, n’a pas sensiblement changé la nature des questions que soulève ce système et auxquelles il doit répondre depuis qu’il a été conçu comme tel par les révolutionnaires. Aussi, à parcourir les sommaires de la revue depuis sa naissance, se remémore-t-on parfois, malgré soi, le regret exprimé par Jean Jaurès de voir Anatole France incliner, dans sa conclusion de L’Île des pingouins, « à la désolante pensée d’un “retour éternel” qui ramènerait en cercle, indéfiniment, les mêmes tentatives, les mêmes déceptions et la monotonie insipide des recommencements14 ». Antoine Prost le suggérait à sa façon en mars 2002, au cours de la discussion qui a suivi sa conférence au XXIVe colloque national de l’AFAE, où l’on revenait sur la question « Administrer l’enseignement ? » : « L’Éducation nationale, c’est Pénélope15. »
- 16 Alain Peyrefitte, Le mythe de Pénélope, Paris, Gallimard, 1949.
- 17 Dominique Julia, « L’école : un gigantesque effort pédagogique », op. cit., p. 205.
- 18 Alain Boissinot, « Les contenus d’enseignement », Administration & Éducation, n°93, 1er trimestre 2 (...)
- 19 Gilbert De Landsheere, « Peut-on évaluer une école ? », ibid., n°1, 1978, p. 33-49, article repris (...)
8On peut, il est vrai, en tirer argument en sa faveur. Entre toutes les figures mythiques, Pénélope n’incarne-t-elle pas la confiance de principe, la confiance inébranlable dont notre système éducatif a besoin16 ? Le constat réitéré des difficultés de toute nature n’amoindrit pas la persévérance dans la recherche des progrès ; celle-ci y gagne même en lucidité, ou en réalisme. Telle est en effet la seconde impression qui domine à la lecture de ces sommaires : la conscience, commune chez les révolutionnaires, de « la lutte prométhéenne qu’ils avaient à mener contre le temps17 » a fait place au souci de l’approche pragmatique et nuancée, de l’expérience probante, de l’évaluation – même si nous employons ce mot « pour désigner des opérations totalement différentes par la méthode comme par les objectifs », soulignait Alain Boissinot, il y a vingt ans déjà18. Dès son premier numéro, la revue Administration & Éducation accueillait ainsi l’article du professeur belge Gilbert De Landsheere intitulé « Peut-on évaluer une école19 ? ».
- 20 Agnès Florin, « L’école maternelle aujourd’hui et demain », ibid., n°125, février 2010, p. 89-93.
- 21 Voir par exemple Yannick Tenne, « L’IEN en circonscription : un DRH de terrain ? », ibid., n°89, 1e (...)
9On n’en déduira pas que le mot « école » désigne avant tout, dans cette revue, une école élémentaire, moins encore une école maternelle. La maternelle n’y est guère représentée avant l’article où Agnès Florin, en 2010, souligne un constat important de la DEPP : l’inégalité des chances d’accéder au CE2 sans redoublement selon que l’enfant est scolarisé avant ou après l’âge de trois ans20. Cet article figure dans le seul numéro dédié tout entier au premier degré, abordé sous l’angle de son « pilotage ». Cet angle d’approche renvoie au titre même de la revue, où chaque mot compte et donc, autant que les deux substantifs, la conjonction qui les relie. Aussi l’école élémentaire est-elle plutôt l’objet d’observations et réflexions relatives aux inspecteurs de l’éducation nationale qu’aux directeurs et directrices d’école21.
- 22 Lucien Febvre, « Vue d’ensemble. Cinquante ans d’enseignement français », in Célestin Bouglè (dir.) (...)
- 23 Pierre Zachary et Marie-Claude Chabert, « Le GRETA : un témoignage », Administration & Éducation, n (...)
10S’il parcourait les tables de la revue, Lucien Febvre y retrouverait-il pour autant l’enseignement secondaire à la place qu’il lui a attribuée en 1939 : « notre tout puissant Empire du milieu22 » ? Le succès de la formule ne doit pas nous égarer. Au moment où naît l’AFAE, quarante ans après, le collège vient de faire l’objet de la réforme Haby et, du lycée, il n’est plus possible de parler au singulier que dans un sens générique – comme de « l’école ». Et s’il faut attendre 1984 pour que le sixième colloque de l’AFAE traite de « l’éducation des choix et l’insertion professionnelle » et inclue un témoignage sur les groupements d’établissements publics locaux d’enseignement (GRETA), conçus pour assurer des formations pour adultes et dont les plus anciens n’avaient guère alors que dix ans d’âge23, l’enseignement technologique et professionnel fait, à partir du n°34, d’avril 1987, l’objet d’une attention toujours soutenue.
- 24 Marguerite Gentzbittel, « Historique de la fonction de proviseur », ibid., n°16, décembre 1982, « D (...)
- 25 « Zones d’Éducation Prioritaire », ibid., n°17, janvier 1983, « Au service de l’éducation nationale (...)
11L’AFAE a plus vite encore souhaité prendre la mesure des changements introduits par la loi du 22 juillet 1983 portant répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État et créant l’établissement public local d’enseignement. Elle a même anticipé en réunissant dans le n°16 de décembre 1982 un ensemble de textes officiels sous un titre qui conserve une pertinence qu’on est tenté de dire volontariste, « Décentralisation et gestion tripartite ». Il n’est pas indifférent que le dernier article de ce numéro soit un « Historique de la fonction de proviseur » par la Belfortaine Marguerite Gentzbittel, femme d’exception et, à cette époque encore, exception féminine parmi les rédacteurs de la revue24. Les zones d’éducation prioritaire comptent aussi parmi les premiers centres d’intérêt inspirés à l’AFAE par la politique d’Alain Savary. Entre leur apparition dans un numéro dédié à la présentation de l’académie de Lille en janvier 1983 et l’article de Richard Descoings dressant, en mai 2010, un bilan des dix premières années des conventions d’éducation prioritaire créées à son initiative25, la revue Administration & Éducation est un bon poste d’observation du chemin parcouru.
Acteurs et sujets
- 26 Jean-Michel Blanquer, « Pilotage et gestion académique », ibid., n°122, juin 2009, « La performance (...)
12Si les chefs d’établissement, proviseurs de lycée plus que principaux de collège, sont bien représentés dès le début, si, de Robert Mallet à William Marois, les recteurs ont été régulièrement sollicités – y compris Jean-Michel Blanquer, qui présentait en juin 2009 dans la revue le projet académique de Créteil26 –, les inspecteurs généraux occupent la première place. En témoigne éloquemment la liste des six présidents d’honneur publiée dans l’ours des numéros de 2010, six inspecteurs généraux de l’éducation nationale honoraires, une femme, Jane Fortunel, et cinq hommes, André Lafond, Paul Ricaud-Dussarget, Alain Michel, Bernard Toulemonde et Alain Warzée.
- 27 Cf. notamment Guy Caplat, IGAENR, « Les inspections générales : thèmes de réflexion pour la science (...)
- 28 La revue publie régulièrement des notes relatives aux activités du Forum européen d’administration (...)
- 29 Jean-Richard Cytermann, « Le processus de Lisbonne et la convergence des systèmes éducatifs europée (...)
13L’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) n’est pas en position aussi prééminente, mais, tout de même, maint contributeur en est membre27. Entre 2005 et 2009, Jean-Richard Cytermann, dernier chef du service avant la création de l’inspection générale de l’Éducation, du sport et de la recherche (IGESR), a donné quatre articles illustrant quatre traits distinctifs de la revue, perceptibles dès sa naissance, plus nets avec le temps : la volonté de ne pas négliger un enseignement supérieur sur lequel le pouvoir ministériel s’est exercé tour à tour depuis la rue Descartes ou la rue de Grenelle ; l’attention portée aux questions financières quand leurs liens sont étroits avec l’organisation administrative et même le pilotage pédagogique, comme dans le cas de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ; la conscience de notre interdépendance croissante avec nos voisins au sein de l’Union européenne, dans un processus global où les mobilités planétaires ajoutent aux défis que doit relever notre école28 ; enfin le souci du lien entre la décision politique et la recherche scientifique29.
- 30 Cf. en particulier le n°118, juin 2008, « La GRH à l’Éducation nationale, entre contraintes et poss (...)
- 31 Philippe Bezès, « Le tournant néomanagérial de l’administration française », in Olivier Borraz et V (...)
- 32 Administration & Éducation, n°51, 3e trimestre 1991, « L’élève, partenaire oublié », et n°175, acte (...)
14La liste des thèmes abordés, réabordés au fil du temps sous des angles différents ou proches, atteste l’intention de maintenir un équilibre et une alternance entre l’éthique et la technique, les valeurs et les outils. Quant à la montée en puissance de la gestion des ressources humaines30, en lieu et place de la hiérarchie héritée d’un régime antérieur à la démocratisation du système éducatif, la revue permet d’en prendre une vue panoramique. Elle en analyse les fondements, en éclaire les ressorts, sans cesser de faire entendre la voix de celles et ceux que laissent insatisfaits ou dubitatifs les relations nouvelles que les logiques managériales ont établies entre autonomie, formation et encadrement des acteurs. La revue Administration & Éducation fait ainsi mesurer la distance que « le tournant néomanagérial31 » qui s’annonçait dès la fin de la décennie 1980 a creusée entre les enseignants et les cadres – et que le récent « Grenelle de l’éducation » ne semble guère avoir réduite. L’AFAE, enfin, manifeste à intervalles réguliers la conscience du risque que ces acteurs soient ceux d’un « Hamlet without the Prince » : de « l’élève, partenaire oublié ? », thème de son XIIIe colloque, à celui de l’avant-dernier, tenu à Besançon en mars 2022, « Parlons des élèves… et si on les écoutait ? »32, ces interrogations reviennent stimuler les appréciations des réformes successives et de leurs effets.
- 33 Primo Levi, Le Système périodique, récit, 1975, traduit de l’italien par André Maugé, Œuvres, Paris (...)
- 34 Code Soleil. Le Livre des Instituteurs. Morale professionnelle, administration et législation scola (...)
- 35 Dominique Julia, « Conclusions », Les débuts de l’École républicaine…, op. cit., p. 1040.
15En somme, à parcourir ce demi-siècle dans la vie de notre école, on se prend à songer à Primo Levi découvrant les propriétés du zinc, dont la résistance aux acides dépend de son degré de pureté, et en tirant « deux conséquences philosophiques opposées : l’éloge de la pureté, qui protège du mal comme une cuirasse ; l’éloge de l’impureté, qui ouvre la voie aux métamorphoses, c’est-à-dire à la vie33 ». On comprend mieux à la lecture de la revue Administration & Éducation pourquoi notre école n’a pas à opter pour l’une à l’exclusion de l’autre. Formés par des maîtres qui ne devaient pas permettre « que le choc des opinions et des croyances vînt troubler la paix studieuse de l’école publique34 », ses rédacteurs et rédactrices ont, au long des années, dressé le constat d’une impossibilité – comment empêcher que s’introduise « entre les murs » l’hétérogénéité du dehors ? – et inlassablement cherché comment en tirer un meilleur parti pour faire réussir chaque élève, et le ou la faire accéder à la plénitude consciente de la citoyenneté. Il est en tout cas un reproche qu’on ne peut leur faire sans injustice, celui de n’avoir pas cherché « les moyens concrets de redonner sens à la représentation d’une école tout à la fois respectueuse des individus et de leurs convictions et libératrice parce qu’elle ouvre la voie à un apprentissage de la démocratie35 », comme le demandait en 1995 Dominique Julia.
Notes
1 Guy Lemarchand, « À propos des révoltes et révolutions de la fin du xviiie siècle. Essai d’un bilan historiographique », Annales historiques de la Révolution française, n°340, avril-juin 2005, p. 145-174 (https://doi.org/10.4000/ahrf.2236)
2 Michel Vovelle, La Bataille du Bicentenaire de la Révolution française, Paris, La Découverte, 2017, p. 106.
3 Le premier tome des Lieux de mémoire, intitulé La République, est, faut-il le rappeler ?, de 1984 et la leçon inaugurale de Maurice Agulhon au Collège de France a été faite le 11 avril 1986. Le texte, publié sous le titre « Conflits en contradictions dans la France contemporaine », en a été repris dans Histoire vagabonde, II, Idéologies et politique dans la France du xixe siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1988, p. 283-306.
4 Cent ans d’école, par le Groupe de travail de la maison d’école à Montceau-les-Mines, textes de Pierre Caspard, Serge Chassagne, Jacques Ozouf, Antoine Prost, Yves Lequin, Guy Vincent, préface de Georges Duby, Seyssel, Champ Vallon, 1981.
5 Dominique Julia, Les trois couleurs du tableau noir. La Révolution, Paris, Belin, 1981, p. 5-6.
6 Serge Bonin et Claude Langlois (éds), Atlas historique de la Révolution française, Paris, Éd. de l’EHESS, Guy Arbellot et Bernard Lepetit (dir.), 1. Routes et communications, 1987 ; Dominique Julia (dir.), 2. L’enseignement, 1760-1815, 1987.
7 Roger Thabault, Mon village. Ses hommes, ses routes, son école, préface d’André Siegfried, 1943, Paris, Presses de la FNSP, coll. « Références », 1982. Eugen Weber en fait la source des réflexions qui l’ont conduit à écrire son livre Peasants into Frenchmen, Stanford, Stanford University Press, 1976, p. xi, traduit en français par Antoine Berman et Bernard Géniès, La Fin des terroirs. La modernisation de la France rurale (1870-1914), Paris, Fayard, 1983, p. 9.
8 Dominique Julia, « L’école : un gigantesque effort pédagogique », in Michel Vovelle (dir.), L’état de la France pendant la Révolution (1789-1799), Paris, La Découverte, 1988, p. 208.
9 Id., « Conclusions », in René Grevet et Philippe Marchand (dir.), Les Débuts de l’École républicaine (1792-1802), Revue du Nord, t. LXXVIII, n°317, octobre-décembre 1996, p. 1040.
10 Ce 44e colloque s’est tenu du 24 au 26 mars 2023 au campus Grands Moulins de l’université Paris Cité. William Marois, recteur de 1992 à 2022, a succédé à Catherine Moisan, ancienne directrice de la DEPP, membre du cabinet d’Alain Savary en 1983-1984, qui présidait l’association depuis le 18 mai 2016.
11 Charles Toussaint, inspecteur général et deuxième président de l’AFAE (1982-1987), actes du colloque de Paris, février 1979, Administration et éducation, 1979, n°3, p. 13.
12 Dominique Julia, « Conclusions », Les débuts de l’École républicaine…, op. cit., p. 1023.
13 De l’Essai sur l’accélération de l’histoire de Daniel Halévy (1948, rééd. par Jean-Pierre Halévy, Éd. de Fallois, 2001) à celui, tout récent, du philosophe Christophe Bouton (L’Accélération de l’histoire. Des Lumières à l’anthropocène, Le Seuil, 2022), l’idée d’un lien intrinsèque entre modernité et mouvement a été beaucoup discutée. Cf. Jean-Noël Jeanneney, L’Histoire va-t-elle plus vite ? Variations sur un vertige, Paris, Gallimard, 2001.
14 Jean Jaurès, compte rendu des Dieux ont soif d’Anatole France (1912), Œuvres, t. 16, Critique littéraire et critique d’art, éd. par Michel Launay, Camille Grousselas et Françoise Laurent-Prigent, Paris, Fayard, 2000, p. 509.
15 Administration & Éducation, n°95, 3e trimestre 2002, p. 29.
16 Alain Peyrefitte, Le mythe de Pénélope, Paris, Gallimard, 1949.
17 Dominique Julia, « L’école : un gigantesque effort pédagogique », op. cit., p. 205.
18 Alain Boissinot, « Les contenus d’enseignement », Administration & Éducation, n°93, 1er trimestre 2002, p. 10.
19 Gilbert De Landsheere, « Peut-on évaluer une école ? », ibid., n°1, 1978, p. 33-49, article repris dans le n°177, 2023/1, p. 145-154.
20 Agnès Florin, « L’école maternelle aujourd’hui et demain », ibid., n°125, février 2010, p. 89-93.
21 Voir par exemple Yannick Tenne, « L’IEN en circonscription : un DRH de terrain ? », ibid., n°89, 1er trimestre 2001, introduction au XXIIIe colloque, « L’exercice de l’autorité au sein du système éducatif. Nouveaux contextes et perspectives ».
22 Lucien Febvre, « Vue d’ensemble. Cinquante ans d’enseignement français », in Célestin Bouglè (dir.), Encyclopédie française, t. XV, Éducation et instruction, Paris, L’Encyclopédie française, 1939.
23 Pierre Zachary et Marie-Claude Chabert, « Le GRETA : un témoignage », Administration & Éducation, n°23, août 1984.
24 Marguerite Gentzbittel, « Historique de la fonction de proviseur », ibid., n°16, décembre 1982, « Décentralisation et gestion tripartite ». Cette ancienne élève de l’école normale de Besançon puis de l’école normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, titulaire de l’agrégation d’anglais, dont le dernier poste a été celui de proviseur du lycée Fénelon, a connu un grand succès public pour son livre Madame le proviseur, écrit avec Hervé Hamon, Paris, Seuil, 1988, succès prolongé par celui de la série télévisée qu’il a inspirée (vingt-quatre épisodes répartis en onze saisons, entre octobre 1994 et avril 2006).
25 « Zones d’Éducation Prioritaire », ibid., n°17, janvier 1983, « Au service de l’éducation nationale d’une région : le rectorat de Lille » ; Richard Descoings, « Confiance en soi, construction de “réseaux” et (in)égalité des chances : de la ZEP à Sciences Po », ibid., n°126, mai 2010, « Comment apprennent les élèves ? », p. 105-108.
26 Jean-Michel Blanquer, « Pilotage et gestion académique », ibid., n°122, juin 2009, « La performance, sa mesure. Enjeux éthiques », p. 95-100.
27 Cf. notamment Guy Caplat, IGAENR, « Les inspections générales : thèmes de réflexion pour la science administrative », ibid., n°19, juillet 1983.
28 La revue publie régulièrement des notes relatives aux activités du Forum européen d’administration de l’éducation où l’AFAE est représentée, depuis le n°6, janvier 1980. Cf. aussi Jean-Paul de Gaudemar, « L’École face à la globalisation : entre universalité et localité », ibid., n°123, octobre 2009, « De l’orientation à l’insertion, la formation face à la mondialisation », p. 113-128.
29 Jean-Richard Cytermann, « Le processus de Lisbonne et la convergence des systèmes éducatifs européens », ibid., n°106, 2e trimestre 2005, « Vers une Europe de l’éducation et de la formation ? », p. 17-28 ; id., « Introduction » et « Les grands choix ministériels autour de la LOLF », ibid., n°113, février 2007, « Regards sur la LOLF », p. 9-11 et p. 19-32 ; id., « Vers un classement européen des universités », ibid., n°121, mars 2009, « Le système éducatif français à l’heure européenne », p. 113-118 ; id., « La recherche en éducation et les décideurs : un rendez-vous manqué », ibid., n°124, décembre 2009, « Éducation et recherche : des liens à construire », p. 29-36. Rappelons que l’auteur était alors professeur associé à l’EHESS.
30 Cf. en particulier le n°118, juin 2008, « La GRH à l’Éducation nationale, entre contraintes et possibles ».
31 Philippe Bezès, « Le tournant néomanagérial de l’administration française », in Olivier Borraz et Virginie Guiraudon (dir.), Politiques publiques, 1, La France dans la gouvernance européenne, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 215-254.
32 Administration & Éducation, n°51, 3e trimestre 1991, « L’élève, partenaire oublié », et n°175, actes du colloque de 2022. Cf. aussi Jean-Pierre Berland, proviseur, « Quatorze millions et demi d’élèves : le corps le plus vaste de contrôleurs pédagogiques ? », ibid., n°74, 2e trimestre 1997.
33 Primo Levi, Le Système périodique, récit, 1975, traduit de l’italien par André Maugé, Œuvres, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2005, p. 332.
34 Code Soleil. Le Livre des Instituteurs. Morale professionnelle, administration et législation scolaires, organisation générale de l’enseignement, Paris, SUDEL, 29e éd., 1959, p. 35.
35 Dominique Julia, « Conclusions », Les débuts de l’École républicaine…, op. cit., p. 1040.
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Jean-François Chanet, « Le voyage de Pénélope. Des Trois couleurs du tableau noir à la revue Administration & Éducation (1978-2023) », L’Atelier du Centre de recherches historiques [En ligne], 28 Bis | 2024, mis en ligne le 10 janvier 2024, consulté le 25 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/acrh/28791 ; DOI : https://doi.org/10.4000/acrh.28791
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