• 2 Il a notamment publié une histoire de L’Inspection générale de l’enseignement technique, 1806-1980, (...)
• 3 Guy Caplat, « Le Service d’histoire de l’éducation, historique et missions », Histoire de l’éducati (...)

4En 1977, le SHE venait d’être organisé en service de l’INRP par un inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale, précédemment sous-directeur de la Carte scolaire au ministère, et passionné d’histoire administrative, Guy Caplat2. Il succédait à un « Haut fonctionnaire chargé de l’histoire de l’Éducation nationale », fonction créée en 1970 et occupée successivement par le recteur Maurice Bayen, physicien et auteur en 1973 d’un « Que sais-je ? » sur l’histoire des universités, puis par Camille Duquenne, ancien directeur de l’Administration générale au ministère3. Ces deux hauts fonctionnaires étaient entourés par une « Commission permanente de l’histoire de l’Éducation nationale », officiellement créée en juillet 1972, et qui tint treize réunions, d’abord informelles puis formelles, entre 1971 et 1974. C’est lors de la tenue de ces réunions qu’apparait le rôle de D. Julia, qui fait lui-même précisément remonter à 1972 son investissement dans l’histoire de l’éducation, sur la sollicitation de la commission.

• 4 Procès-verbaux de la Commission permanente, ronéotés, 20 mars 1972, Archives du SHE, en cours de ve (...)

6Auteur, entre 1947 et 1968, de nombreux articles sur les collèges jésuites, F. de Dainville avait entrepris une cartographie des collèges français à partir des enquêtes de 1791-1792 et de l’An IX. La commission envisagea, en janvier 1972, que D. Julia édite cette carte des collèges à la fin de l’Ancien Régime. Mais D.  Julia objecta que ce qu’avait réuni F. de Dainville demanderait d’importantes recherches complémentaires en amont de la période, pour aller au-delà de la seule cartographie et repérer les nombreuses sources permettant d’aborder « le recrutement scolaire, le personnel enseignant, le rapport avec la vie intellectuelle »4. Il obtint pour cela le concours d’une collaboratrice technique du CNRS affectée à la 4^e section de l’École pratique des hautes études auprès de F. de Dainville. Il s’agit de Marie-Madeleine Compère, qui comptera en 1977 parmi le tout premier personnel scientifique du SHE, jusqu’à son décès, en novembre 2007.

• 5 Pierre Vilar, « Histoire marxiste, histoire en construction », in Jacques Le Goff, Pierre Nora (dir (...)
• 6 « La mémoire vive des historiens. Entretien avec Pierre Vilar », par Jean Boutier, in Jean Boutier, (...)

8Ainsi, c’est D. Julia qui a suggéré mon nom à G. Caplat pour diriger scientifiquement le SHE, ce que je fis pendant plus de trente ans. Je ne connaissais pourtant pas D. Julia personnellement, et n’avais aucune expérience en histoire de l’éducation. Professeur de lycée, je venais de soutenir sous la direction de Pierre Vilar une thèse sur l’évolution du profit dans une entreprise textile suisse de la révolution industrielle ; j’avais aussi publié quelques articles sur la sexualité préconjugale au xviii^e siècle, sur la lutte des classes lors des journées de juin 1848, et sur les ouvriers et ouvrières de l’entreprise objet de ma thèse. Disciple de Pierre Vilar, j’essayais d’atteindre l’objectif dont il donnait une haute idée dans son enseignement et ses séminaires, celui d’une histoire « cohérente, totale et dynamique »5. Or D. Julia avait, comme moi, la plus haute estime pour P. Vilar, auprès duquel il avait lui-même déposé un sujet de thèse sur le recrutement du clergé séculier en Champagne au xviii^e siècle, dans les diocèses de Reims, Châlons-sur-Marne et Troyes. L’ouvrage historiographique et méthodologique qu’il publiera en 1995 avec Jean Boutier inclura un entretien avec ce grand historien marxiste, plus exigeant que médiatique6.

• 7 Les origines et objectifs de ce répertoire ont été présentés conjointement par ses deux auteurs : M (...)
• 8 François de Dainville, L’éducation des Jésuites (xvi^e-xviii^e siècles). Textes réunis et présentés p (...)
• 9 Marie-Madeleine Compère, Du collège au lycée (1500-1850), généalogie de l’enseignement secondaire f (...)
• 10 Marie-Madeleine Compère, Dolorès Pralon-Julia, Performances scolaires de collégiens sous l’Ancien R (...)
• 11 Id., L’Histoire de l’éducation en Europe. Essai comparatif sur la façon dont elle s’écrit, Paris, I (...)
• 12 Marie-Madeleine Compère (dir.), Histoire du temps scolaire en Europe, Paris, INRP et Economica, 199 (...)
• 13 Son œuvre est plus précisément évoquée dans Boris Noguès, Philippe Savoie, « Marie-Madeleine Compèr (...)

11Un cas particulier est celui de M.-M. Compère qui, on l’a vu, avait été sollicitée dès 1972 par la Commission permanente pour travailler sur l’histoire des collèges français, à partir des archives de F. de Dainville. Ce chantier a connu de multiples développements, les uns en collaboration avec D. Julia lui-même7, qu’elle avait épousé en 1974, les autres sous sa seule signature. Ce fut le cas, dès 1978, de l’édition qu’elle fit d’un recueil d’articles de F. de Dainville8, puis d’un ouvrage de la collection « Archives » soutenu comme thèse sous la direction de François Furet en 1985 et édité la même année, qui mettait en évidence les ruptures et continuités de l’enseignement secondaire français, par-delà la Révolution et l’Empire9. S’inscrivant dans l’un des axes promus par le SHE, celui de l’histoire des disciplines scolaires, M.-M. Compère a aussi publié un étude pionnière sur l’enseignement, non pas prescrit, mais restitué par les élèves des anciens collèges au travers de leurs travaux écrits10. Enfin, missionnée par le SHE, le séjour qu’elle fit de 1989 à 1992 à Florence, où D. Julia avait été nommé à l’Institut universitaire européen, explique la dimension internationale inédite de deux ouvrages qu’elle y a préparés. Le premier portait sur l’historiographie de l’éducation en Europe, sa dédicace précisant drôlement ce qu’il devait « à la bibliagoramanie de Dominique Julia, sans laquelle ce livre n’aurait pu s’écrire »11. Le second était un ouvrage collectif abordant, sous différents angles, l’histoire du temps scolaire, prescrit et vécu, depuis le xvi^e siècle, dans une demi-douzaine de pays ouest-européens12; sujet alors très neuf et qui n’a guère été renouvelé ou prolongé depuis, alors que la question reste de toute actualité13.

• 14 Willem Frijhoff, Dominique Julia, École et société dans la France d’Ancien Régime. Quatre exemples  (...)

12Un autre acteur important du SHE débutant a été Willem Frijhoff, auteur dès 1975, avec D. Julia, d’une analyse de la population scolarisée dans quatre collèges situés dans des villes moyennes de l’Ancien Régime14 ; précédemment chargé d’établir un plan de classement de la bibliothèque du Centre d’anthropologie religieuse européenne, qu’Alphonse Dupront avait créé en 1972, il lui revint de concevoir et alimenter la bibliographie d’histoire de l’éducation française, observatoire qui publiera chaque année plus d’un millier de références d’ouvrages, articles et chapitres d’ouvrages traitant de ce domaine de recherches.

• 15 Cette édition monumentale, dont le premier volume, consacré aux leçons de mathématiques, sous la di (...)
• 16 Publiée sous le titre : L’Histoire enseignée au Grand siècle. Naissance d’une pédagogie, Paris, Bel (...)

13Dans les années 1980 et 1990 encore, D. Julia a orienté vers le SHE d’autres chercheurs avec lesquels il était en relation de travail et qu’il jugeait pouvoir contribuer utilement à son programme d’activités. C’est le cas d’Isabelle Havelange, dont il dirigea, de 1979 à 1984, la thèse sur « La littérature à l’usage des demoiselles, 1750-1830 » et qui entra au SHE en 1983. Bruno Belhoste, recruté au SHE en 1986, avait soutenu en 1982 une thèse sur Augustin Cauchy et participait au groupe de travail constitué pour la réédition des leçons de l’École normale de l’An III15 ; c’est au cours de ces travaux que D. Julia l’informa que le SHE cherchait quelqu’un pour initier un programme de recherches sur l’histoire des enseignements scientifiques. D. Julia était encore au jury de la thèse sur l’enseignement de l’histoire soutenue par Annie Bruter en 199316; il l’orienta vers le SHE, où elle fut recrutée en 1999.

• 17 Dominique Julia, « Les recherches sur l’histoire de l’éducation en France au siècle des Lumières », (...)
• 18 Ne pouvaient alors lui être comparées que les contributions de Maurice Crubellier, qui portaient su (...)

14D. Julia a enfin participé personnellement aux activités du SHE ou y a contribué de diverses façons. Ainsi, il a été un auteur important de la revue Histoire de l’éducation, durant toute la première décennie de son existence. La revue estimait alors que sa priorité n’était pas de « publier les articles et études qui constituent la substance des revues d’histoire classiques, celles-ci étant déjà suffisamment nombreuses à les accueillir ». En revanche, elle visait à être un outil de réflexion et d’orientation dans son champ de recherche, en publiant des articles-bilans, des synthèses historiographiques et des recensions, ces dernières étant « l’un des lieux où débats et combats trouvent à s’exprimer d’une façon privilégiée ». D. Julia a contribué d’une façon majeure aux différents aspects de cette politique éditoriale. Il a « fait l’ouverture » de la revue en publiant dans son premier numéro un bilan sur l’historiographie de l’éducation au xviii^e siècle, qui préfigura les bilans et états des lieux dont la revue se fera ensuite une spécialité17. Dans les années suivantes, il publiera plus d’une quinzaine de notes critiques portant principalement sur des ouvrages, français ou étrangers, traitant de l’éducation à l’époque moderne18.

• 19 Les Enfants de la patrie. Éducation et enseignement sous la Révolution française, No spécial d’Hist (...)
• 20 D. Julia, « Princes et élèves : les études des princes d’Orléans sous l’autorité de Madame de Genli (...)
• 21 Bernard de Bonnard, Journal de l’éducation des princes d’Orléans, décembre 1777-janvier 1782, édité (...)

15La revue s’étant tardivement dotée d’un comité de rédaction, en 1987, il en fit naturellement partie, avec Serge Chassagne, Willem Frijhoff, Jean-Noël Luc, Françoise Mayeur et Jacques Verger. Deux ans plus tard, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, période dans laquelle il s’était beaucoup et depuis longtemps investi, il dirigea le premier numéro thématique annuel de la revue, consacré à l’enseignement sous la Révolution19. Il a quitté le comité de rédaction au moment de la suppression du SHE, en 2010, mais continue à répondre aux sollicitations dont il fait ponctuellement l’objet ; ainsi un numéro spécial consacré à « une histoire renouvelée des élèves » a récemment accueilli une mise au point étonnamment documentée sur le rôle d’un personnage que D. Julia n’apprécie guère, Madame de Genlis20, au contraire du sous-gouverneur des enfants du duc de Chartres qu’elle a fait licencier, le chevalier Bernard de Bonnard, dont il a édité le journal21.

• 22 Un bilan récent dans Regards sur l’histoire de l’éducation, une perspective internationale, No spéc (...)
• 23 Pierre Caspard, « L’historiographie de l’éducation dans un contexte mémoriel. Réflexion sur quelque (...)

16Aujourd’hui, la revue Histoire de l’éducation continue à trouver matière à publications dans la très abondante production qui couvre son champ22. Le SHE lui-même a été supprimé en 2010. Même s’il s’agissait d’une conséquence collatérale de la suppression par le ministère de l’INRP, on peut y voir un symptôme de l’évolution des paradigmes qui caractérisent le débat public sur l’éducation. Les problèmes liés aujourd’hui à la « massification » d’un enseignement délivré dans une société dite par ailleurs « multiculturelle » sont évalués en termes d’« inégalités » et d’« injustice », scientifiquement irréfutables, pour parler comme Popper, dont la responsabilité est imputée à l’État enseignant, souverain dispensateur du capital scolaire, des brevets de citoyenneté et des passeports pour l’emploi. Ce contexte, inédit, n’appelle plus guère d’éclairage historique, à la différence du processus de démocratisation de l’enseignement qui, s’inscrivant dans une très longue durée, ne dissociait pas le rôle des familles de celui des institutions, la figure de l’enfant de celle de l’élève, la culture anthropologique et religieuse de la culture scolaire, dans des contextes économiques et sociaux aussi finement datés et analysés que possible23. La prise en compte de cette complexité du réel pourrait caractériser l’œuvre de D. Julia dans son ensemble, ainsi que, plus centrées sur l’enseignement et ses acteurs, les publications du SHE, dont j’ai montré comment il avait accompagné les travaux.