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Enquêtes, anciennes et nouvelles

Incapacités, libertinage, incroyance. « Psychogrammes » de curés à la veille des Lumières

Albrecht Burkardt

Texte intégral

  • 1 Kévin Saule, Le Curé au prétoire. La délinquance ecclésiastique face à l’officialité au xviie siècl (...)
  • 2 Michele Mancino et Giovanni Romeo, Clero criminale. L’onore della Chiesa e i delitti degli ecclesia (...)
  • 3 Filippo Tamburini, Santi e peccatori. Confessioni e suppliche dai registri della Penitenzieria dell (...)
  • 4 Voir l’article fondateur de Wolfgang Reinhard, « Zwang zur Konfessionalisierung? Prolegomena zu ein (...)

1Ces dernières années, les recherches concernant le clergé ont trouvé un nouveau souffle par le biais de l’histoire judiciaire. Pour la France, on peut penser à la thèse de Kevin Saule sur l’officialité de Beauvais ou encore au travail récent de Myriam Deniel-Ternant sur les Ecclésiastiques en débauche au xviiie siècle1. En Italie, le sujet a été abordé en particulier par Michele Mancino et Giovanni Romeo dans leurs études consacrées au « clergé criminel » (clero criminale)2. Si ces travaux se sont appuyés largement sur les organes de la répression, d’autres recherches ont abordé le sujet à partir des archives des institutions qui géraient le pardon de semblables délits ; on pensera en particulier à celles de la Pénitencerie romaine3. Dans l’ensemble de ces études, le clergé est abordé à travers ses marges déviantes, dans ses conduites paraissant illicites aux yeux des autorités religieuses et/ou civiles, et à partir de la volonté de celles-ci de contrôler les membres subalternes du premier ordre. Bon nombre des délits sanctionnés concernent ainsi la vocation même des clercs – ce qui n’empêche pas que les évolutions en jeu soient volontiers intégrées dans un cadre conceptuel plus large impliquant aussi les laïcs, tels les processus de « disciplinement » social et de civilisation des mœurs qu’ont analysés respectivement Gerhard Oestreich et Norbert Elias. Au cours des dernières décennies, le concept de confessionnalisation s’est établi comme un nouveau paradigme qui, intégrant ces derniers processus, s’est efforcé de lier le plein établissement des différentes confessions à la montée de l’État moderne4.

  • 5 Dominique Julia, « Le prêtre », in Lhomme des Lumières, éd. Michel Vovelle, Paris, Éditions du Seu (...)

2Assez régulièrement, ces travaux constatent qu‘en France, les cas de clercs « criminels » (ou criminalisés) commencent à se multiplier surtout à partir de la deuxième moitié du xviie siècle, pour se poursuivre dans la première moitié du xviiie. Il est tout aussi clair que cette multiplication de cas, si elle se vérifie, n’est pas due à une augmentation « réelle » de ces types de délinquances mais bien plutôt à une activité accrue des acteurs chargés de les poursuivre – à commencer par les évêques, ou pour le moins certains d’entre eux, convaincus de la nécessité de purifier les conduites et les consciences de ces intermédiaires incontournables entre Dieu et les fidèles que sont les clercs – et les prêtres plus particulièrement. En réalité, l’augmentation considérée est le revers d’une évolution qui, dans la même période, promeut, de façon de plus en plus efficace, le modèle du « bon » prêtre, correctement formé selon l’esprit des décrets du concile de Trente et fidèle à ses tâches5. Succès qui, sans nul doute, est dû en grande partie à une fréquentation du séminaire ou d’autres « lieux » de formation par un nombre de plus en en plus important de prétendants à la prêtrise.

  • 6 Alberto Tenenti, « Libertinisme et hérésie », Annales, ESC, 18 (1963), p. 1-19 ; A. Burkardt, « Apo (...)

3Logiquement, bien des délits persécutés dans ces années risquent d’avoir été nettement plus répandus dans les décennies précédentes, ce qui n’exclut pas que le catalogue des péchés réprimés puisse aussi faire apparaître des « nouveautés », ou que les mêmes méfaits connaissent de nouvelles justifications ou soient à l’origine d’autres attitudes à leur encontre (alors que d’autres se perdent sans doute). Le « concubinage » pourrait, à ce propos, en être un exemple significatif. Il est fort probable en effet que ce « vice » a été le plus fortement répandu dans les débuts de la Réforme catholique, alors qu’il est davantage en retrait (ou en tout cas moins ouvertement vécu) – mais d’autant plus persécuté – par la suite, à mesure que la réforme progresse. Cependant, il est possible que, parallèlement, les attitudes des acteurs face à ces méfaits évoluent. Au début de la période, et au-delà certes d’une insensibilité plus fondamentale vis-à-vis des idéaux de la vocation religieuse, les transgressions du célibat peuvent s’inspirer d’idées protestantes ; influence qui par la suite a pu être relayée par des attitudes davantage « libertines ». Il est vrai qu’idées « libertines » et protestantes sont volontiers confondues dans les polémiques catholiques antiprotestantes, et le libertinage même a sans doute été, tout d’abord, une invention des propagateurs d’une Contre-Réforme rigoriste dénonçant ainsi tout ce qui ne correspondait pas, à leurs yeux, aux idéaux moraux et religieux qu’ils soutenaient6. Mais en même temps, on ne peut exclure que l’idéologie ait aussi produit des adeptes.

  • 7 Lucien Febvre, Le Problème de l’incroyance au xvie siècle. La religion de Rabelais, Paris, deuxième (...)
  • 8 Pour un résumé de ces débats historiographiques, Federico Barbierato, The Inquisitor in the Hat Sho (...)
  • 9 Dominique Julia et Denis McKee, « Les confrères de Jean Meslier. Culture et spiritualité du clergé (...)

4Les choses pourraient évoluer selon le modèle qui a été proposé pour les attitudes athées, l’incroyance que Lucien Febvre avait tenue pour impensable aux temps de Rabelais7. Dans les dernières décennies, on a souvent argumenté, en effet, que l’athéisme était né au cours de la deuxième moitié du xvie siècle, dans le cadre des antagonismes confessionnels. D’abord fantasmagorie intellectuelle à usage polémique, il aurait néanmoins fini, grâce aux débats, et, plus fondamentalement, grâce au doute (produit des dissensions religieuses), par engendrer une descendance bien réelle8. Y compris parmi les clercs. Le cas du curé Meslier, croisé par Dominique Julia, n’est sans doute pas le seul de ce genre9. Des traces de telles attitudes se trouvent aussi, nous le verrons, dans les dossiers du « clergé criminel ». Toujours est-il que, en termes quantitatifs, les clercs réellement poursuivis pour les délits en question resteront toujours une exception à la règle, et quiconque s’aventure dans les sources judiciaires, aussi extraordinaires qu’elles puissent parfois paraître pour la richesse des informations qu’elles contiennent, doit nécessairement s’interroger sur leur représentativité. Pour ce faire la voie la plus évidente consiste forcément à chercher à comparer les comportements, les sensibilités et les dispositifs intellectuels « hors norme » aux conduites et attitudes mentales « moyennes » que l’on attendait des profils « normaux ». Pour le clergé séculier, les sources qui pourraient nous en informer existent, grâce aux instruments de contrôle des conduites qu’a mis en place la Contre-Réforme.

  • 10 Répertoire des visites pastorales de la France. Première série. Anciens diocèses jusqu'en 1790, (...)
  • 11 Voir A. Burkardt, « Une ‘dévotion indiscrète’. Privation de reliques et émotion populaire au début (...)

5En tout premier lieu, nous pensons aux visites pastorales mises en place pour rendre compte de l’état matériel et spirituel des paroisses, une tâche dont l’examen des conduites du personnel ecclésiastique employé auprès des fidèles, à commencer par celles du curé, faisait partie intégrante (bien plus que le contrôle des croyances de ces derniers eux-mêmes). Il est vrai que la densité des informations obtenues peut varier beaucoup d’un diocèse à l’autre – en fonction, principalement (au-delà des possibles pertes d’archives), de l’investissement des différents ordinaires. Il reste que pour l’ensemble de la France, les sources renferment des données d’une très grande richesse, et quiconque s’occupe d’histoire religieuse à l’époque moderne s’y voit forcément confronté, à un moment ou à un autre10. J’ai eu l’occasion de les aborder récemment à propos d’une étude consacrée aux querelles concernant, au début du xviiie siècle, les reliques d’un saint vénérées dans le petit bourg de Mont Saint Jean en Bourgogne (dans l’archidiaconé d’Avallon, diocèse d’Autun)11. Les dossiers ouverts à ce propos nourrissent également l’enquête que l’on présente ici.

  • 12 Thérèse-Jean Schmitt, L’Organisation ecclésiastique et la pratique religieuse dans l’archidiaconé d (...)
  • 13 Ibid., p. 33-34.
  • 14 Archives départementales de Saône-et-Loire (ADSL), G 915, f. 107.

6Dans le même diocèse, en effet, l’évêque d’Autun, Gabriel de Roquette, a développé, dès l’année 1690, un « plan général dont les visites devaient être faites à l’avenir » – et dont le premier des trois points principaux (à côté de « l’état de l’église » et de « la situation des habitants ») concernait précisément « la vie et les mœurs du curé »12. Or ce plan a été conçu « à l’imitation de plusieurs autres prélats » et en réaction à des enquêtes qui, conduites de manière certes moins systématiques dans les décennies précédentes, contenaient d’ores et déjà bon nombre d’informations sur le curé (son nom, âge, origine, les revenus de la cure), « le tout assez souvent suivi d’une courte appréciation »13. De même, les visiteurs pouvaient présenter l’ensemble de leurs remarques sous la forme d’un tableau synthétique – une sorte de « psychogramme » – de l’état moral et caractérologique des curés de l’espace visité. C’est le cas, par exemple, de l’archiprêtre de Saulieu qui dresse ainsi le bilan d’une visite de ses paroisses de l’archidiaconé d’Avallon dans le « Mémoire de l’archiprêtre de Saulieu contenant ce qu’il connoist de la conduite et capacité des mrs les Curez de l’Archiprestré dud[it] Saulieu, donné a mr le grand vicaire au Synode de 1672 »14.

  • 15 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », art. cit. ; sur le sujet du clergé séculie (...)
  • 16 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », art. cit., p. 311.

7Le procédé n’a rien d’extraordinaire dans ces décennies. Pour le diocèse de Reims, Dominique Julia a rencontré d’autres formes de travail aux exigences analogues sous la forme des notes rédigées, suite à leurs visites pastorales, par les deux archevêques Maurice le Tellier et François de Mailly, respectivement à la fin du xviie et au début du xviiie siècle15. Il s’agissait « de brosser un croquis rapide de la physionomie morale et psychologique du curé mais aussi de saisir le prêtre dans l’exercice de son ministère, c’est-à-dire dans ses ‘capacités’ dans l’action quotidienne »16. En collaboration avec D. McKee, Julia a tenté une analyse de ce « croquis », et il l’a fait également pour mieux appréhender le cas d’un clerc qui, sans être « criminel », n’en est pas moins « hors norme », celui justement du curé Meslier.

8Notre propos est alors de tenter une analyse analogue. Dans un premier temps, nous chercherons à présenter le « psychogramme » établi en 1672 par l’archiprêtre de Saulieu, en le comparant en particulier aux appréciations des deux évêques rémois. La deuxième partie nous éloignera quelque peu de cet espace et de ce moment historique précis – nous nous dirigerons dans le diocèse voisin de Langres en avançant d’une quinzaine d’années – pour aborder un cas, bien inscrit cette fois dans le registre des clercs « criminels », qui, sorti des archives judiciaires, offre bon nombre de similitudes avec le dossier du curé Meslier. Le personnage a été blâmé, en effet, pour des façons de vivre unissant des traits relevant du libertinage de mœurs autant que du libertinage d’esprit. S’il n’a pas laissé d’écrits, à la différence de son célèbre confrère, les procès entamés contre lui fournissent des informations permettant de reconstruire ses idées (ou pour le moins celles qu’on lui reproche).

9Soulignons d’emblée que les deux parties n’ont pas de lien immédiat : le temps, l’espace, les acteurs diffèrent quelque peu. Le choix des deux dossiers est dû aux aléas de nos recherches précédentes. Les présenter ensemble a donc surtout le sens d’explorer les potentialités d’un terrain de recherche qu’il vaudrait la peine d’étudier davantage.

I

  • 17 ADSL, G 915, f. 107-111. Le mémoire est suivi d’un autre, consacré aux « cimetieres fermez, & non f (...)
  • 18 Pour les visites individuelles, voir ADSL, 2G 10.

10Le mémoire de l’archiprêtre présente un groupe d’une petite trentaine de curés, ceux des paroisses composant l’archiprêtré de Saulieu17. Ce tableau d’ensemble fait la synthèse des visites que l’auteur a rendues à ces mêmes paroisses dans les mois précédents18.

Extrait du « Mémoire de l’archiprêtre de Saulieu » (ADSL, G 915, fol. 109v)

11Comme le titre du mémoire le précise à sa fin, le texte a été destiné « a mr le grand vicaire » qui l’a reçu « au synode de 1672 ». Soulignons d’emblée ce qui sépare le document considéré des notices des deux évêques rémois. Au-delà de la différence des lieux et de l’écart dans le temps, le mémoire ne porte pas sur l’ensemble du diocèse en question, les personnes sont moins nombreuses et leur portrait est fait par un personnage qui ne se trouve pas au sommet de la hiérarchie diocésaine. L’archiprêtre est un intermédiaire entre les curés visités et l’évêque, ce qui inspire sans doute une certaine prudence à ses formulations.

12Toujours est-il que les appréciations elles-mêmes témoignent d’une certaine parenté ; elles s’appuient en tout cas sur un vocabulaire assez semblable, sur toile de fond de jugements de valeur largement identiques. Comme son titre l’indique, le mémoire renseigne principalement sur « la conduite et la capacité » des curés. Dans les portraits individuels, d’autres qualités s’ajoutent à ces deux catégories fondamentales en les différenciant davantage, selon une gamme d’évaluations qui, par degrés (« peu », « suffisamment », « assez bon » …), va de l’absence à la pleine présence d’un vice ou d’une vertu.

  • 19 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », art. cit. p. 64.

13Comme à Reims, la « conduite » du curé est naturellement évaluée avant tout en fonction du « respect du mode de vie sacerdotal fidèle à l’esprit du concile »19. Voilà principalement ce qui commande le jugement du visiteur qui décide s’il s’agit d’un « bon », ou à la limite d’un « assez bon ecclésiastique ». Cette appréciation s’appuie à son tour sur plusieurs autres critères, et tout d’abord sur la vie « morale » du clerc, sur les mœurs dont il fait montre. Celles-ci sont jugées « assez bonnes » par exemple, chez Charles Pans, 41 ans, curé de Liernais (« Lyarnais » dans le manuscrit). Pour des raisons sans doute analogues, Pierre Perret, à Manlay, 44 ans, est un curé « d’assez bonne conduite ». Dans une large mesure, l’idéal de la vie morale se confond ainsi avec celui de l’honnête homme : Pierre Henry, curé à Marey, vit « avec honnêteté », Jean Nicolle, à Joucy « en honnête ecclésiastique » ; Etienne Talleveau « vit assez honnêtement » à Diancey. Les appréciations insistent plus rarement sur la piété du curé : Hugues d’Avignon, prêtre de 72 ans, en charge de sa paroisse d’Arconcey depuis 1627, a « toujours vescu en bon ecclésiastique », « avec bien de la retenue et de la piété ».

14À côté de l’honnêteté des mœurs, la fidélité avec laquelle le curé s’acquitte des devoirs de sa charge – le « soin » qu’il y investit, dans les termes de l’archiprêtre – constitue le deuxième critère principal pour évaluer la conduite du clerc : « prend bien du soing de son devoir », lit-on à propos de Hugues d’Avignon ; « prend soin de l’acquittement de son devoir », note le visiteur pour Jean Nicolle. Naturellement, ce « soin », attesté ici de façon générale, peut aussi être spécifique à des activités particulières. Il peut prendre du coup d’autres appellations, l’archiprêtre insistant, par exemple, sur « l’assiduité » du curé, notamment « au confessionnal », ou encore sur la « propreté de l’église » (précisons toutefois que, le plus souvent, l’archiprêtre constate le manque ou l’absence des deux qualités respectives). À propos des pratiques enseignantes, en revanche, c’est à nouveau le « soin » qui l’emporte, et c’est même là que le terme se trouve le plus couramment employé : « prend soin de l’instruction de son peuple », lit-on à propos d’Antoine Gauché, 30 ans, « assez bon ecclésiastique » à Sussey. À Vianges, Pierre Jacquelin, de l’âge du précédent, « prend assez de soin » dans la même matière ; Philippe Guenot, à Marcheseuil, 55 ans, est « soigneux de l’instruction de son peuple ».

15Logiquement, les mauvaises appréciations se disent tout d’abord par la négation des qualités attendues. Jean Millot, curé à Censerey, « n’instruit pas son peuple ». À Brazey, Denis Cossa, curé de 30 ans, est « malpropre en son église » ; à Mont-Saint-Jean, Prudent Thoulouze « manque d’assiduité au confessionnal ». Bien plus fréquemment, toutefois, les jugements défavorables s’expriment en degrés d’accomplissement : les prestations du curé ne sont plus jugés « bons » ou « assez bons », mais bien plutôt « passables », « médiocres », ou « (assez) peu » présentes. Lazare Vestu à Manlay est de « médiocre vertu ». À Saint-Martin-de-la-Mer, Sébastien Champeau, « s’acquitte passablement » de ses devoirs.

16L’archiprêtre souligne volontiers les effets négatifs que de telles conduites produisent : le curé est « de mauvais exemple » ou « de mauvaise édification ». Naturellement, derrière ces dépréciations peuvent se cacher d’autres fautes morales (outre l’absentéisme) que l’archiprêtre peut s’employer à nommer concrètement : un penchant pour l’alcool ou pour des femmes « suspectes », en premier lieu, mais aussi pour la chasse ou pour le jeu ; un trop grand attachement aux intérêts propres, combiné parfois à un esprit procédurier.

  • 20 Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots françois, 3 vol., La Haye et Amsterdam (...)

17La « capacité » – l’ensemble, d’après Furetière, des « qualitez & dispositions requises dans les personnes pour faire, pour donner, ou pour recevoir quelque chose »20 – concerne, quant à elle, les facultés du curé à exercer sa fonction. Principalement, semblerait visé ici le degré de formation de ce dernier. Pierre Merey, qui ne détient « pas injustement le titre de bachelier », est ainsi doté de « beaucoup de capacité », alors que Jean Nicolle, possédant « bien de la capacité », a « faict son cours [de] theologie ou il a bien employé le temps ». Hugues d’Avignon n’a sans doute pas fait d’études, mais il est « assidu a la lecture de bons livres », d’où probablement le fait que l’archiprêtre le juge « suffisamment » capable.

18Le visiteur est bien conscient du fait qu’une « capacité » peu développée n’est pas nécessairement synonyme d’une charge mal exercée. Lazare de la Troche, curé à Barnay, 35 ans, de « médiocre capacité », est pourtant, selon l’archiprêtre, un « bon ecclésiastique » et « de bon exemple ». Une corrélation plus évidente pourrait se supposer entre « capacités » et « soin » de l’instruction. On le voit bien, par exemple, à Censerey, à propos de Jean Millot qui, on se rappelle, « n’instruit pas son peuple » et est en effet jugé doté de « très peu de capacité ». Toujours est-il que la qualité de la formation ne garantit pas en soi une application sincère du curé à ses taches d’instruction, alors que l’inverse est tout à fait possible. L’on constate en effet que l’archiprêtre voit chez de nombreux curés une « capacité » assez réduite alors qu’il leur fait crédit de s’appliquer fidèlement à l’instruction de leurs ouailles. Ainsi de Pierre Jossinet à La Motte, doté de « peu de capacité », par ailleurs « de mauvaise edification », qui « prend soin toutefois de l’instruction de son peuple ».

  • 21 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », p. 64 et 67.
  • 22 Ibid., p. 64.
  • 23 Ibid., p. 65.
  • 24 Cet usage peut être spécifique au visiteur de Saulieu, un usage positif du terme étant bien attesté (...)

19L’ensemble de ces appréciations/dépréciations ne présente pas d’énormes différences par rapport à ce que notent Maurice Le Tellier et François de Mailly à Reims. Le type de remarques, le lexique même se ressemblent beaucoup. À partir de là, quelques différences sont à signaler. Chez l’archiprêtre, les éloges d’une vie « réglée » ne se retrouvent pas parmi les appréciations, contrairement à ce que l’on constate à Reims21. De même, l’idéal d’honnêteté, que le visiteur partage entièrement, ne se trouve pas précisé et nuancé par des qualités qui en constituent, dirait-on, des facettes – telles la « politesse », de « bonnes façons », une « bonne physionomie » –, termes qui enrichissent le vocabulaire des deux évêques22. Enfin, l’appréciation que ces derniers réservent aux hommes « d’esprit », voire aux « savants » ne trouve pas non plus de place dans les jugements de l’archiprêtre23. Serait-ce le manque d’occasion d’employer ces termes ? On a vu en effet que parmi les curés visités ceux ayant fait des études plus avancées semblent rares. En réalité, le terme « esprit » n’est pas entièrement absent chez l’archiprêtre, mais lorsqu’il apparaît, il désigne des traits négatifs : Denis Cossa, à Brazey, « malpropre en son église », on l’a vu, est aussi un « esprit grossier » ; par ailleurs, il « fréquente chez lui une femme suspecte, ce qui fait murmurer les paroissiens »24.

20Ce dernier jugement nous amène à l’aspect le plus frappant de ce tableau moral et caractérologique. Les jugements de ce type – nettement négatifs – restent en effet peu nombreux chez l’archiprêtre : en règle générale, celui-ci dresse un bilan plutôt positif des curés de sa circonscription, à un moment où la Réforme catholique risque de n’avoir pas encore produit de grands effets dans le diocèse. Parmi les vingt-sept curés dont il esquisse le portrait, dix-neuf sont dits s’acquitter correctement de leurs devoirs, prenant soin de l’instruction de leur peuple etc. Inversement, pour les quelques curés moins appréciés les critiques restent prudentes. « [N]’a pas grande vertu mais il n’a pas aussy des deffauts de mauvaise edification », lit-on, par exemple, à propos de Charles Masteni, 41 ans, à Fontangy.

21Parfois, les critiques sont mêlées à des remarques qui nuancent le propos, ce qui donne une image différenciée : François Poichot, 36 ans, n’est « pas propre en son Eglise », il est « en réputation d’avoir inclination aux procès » ; il reste que, « suffisamment capable », il « prend soin de l’instruction de son peuple ». Le plus souvent, toutefois, le mal se dit seulement « peu » (ou « un peu trop ») articulé. Lazare Vestu « manque un peu d’assiduité » ; Prudent Thoulouse montre « un peu trop d’attache au jeu » : Pierre Perret, à Manlay, est « un peu trop prompt ». Sébastien Champeau à Saint-Martin-de-la-Mer est « un peu adonné aux procès […] parce qu’il a un peu de bien patrimonial ».

  • 25 Dictionnaire universel, op. cit., vol. II, s.p.

22La tendance à la minimisation des maux trouve sa meilleure illustration dans l’emploi, fréquent chez l’archiprêtre, du terme d’« inclination ». Or ce mot pour lequel le visiteur n’emploie pas de synonyme – le terme « penchant », par exemple, n’apparaît pas dans son texte – a beau se définir, chez Furetière, comme « une pente ou disposition naturelle à faire quelque chose. Les uns ont de l’inclination aux armes, les autres à l’estude, les uns à la vertu, les autres à la desbauche, on ne reüssit jamais bien en une chose, quand on force son inclination »25. Chez l’archiprêtre en revanche, l’« inclination » n’indique jamais plus qu’une tendance qui n’a rien de contraignant, les vices considérés n’étant jamais conçus tels qu’il serait impossible d’y échapper. à preuve, dans plusieurs cas, le visiteur voit ses prêtres déjà sur la voie de l’amélioration. Jean Jondot, à Beurey, « médiocrement de capacité », s’est « corrigé d’un peu trop d’inclination qu’il avait au jeu » ; Pierre Jossinet, curé de La Motte, « assez peu » capable, s’est « fort corrigé d’un peu trop d’inclination pour le vin ». À Diancey, Etienne Talleveau, 40 ans, qui « paroit en peu d’affectation à la propreté, et ornement de ses habits », a eu « il y a quelques années une frequentation suspecte avec personne de different sexe » ; mais l’« occasion » a été « ostée » depuis six ou sept ans, et « on a pas apriz qu’il en ayt eu d’autres ». Aussi Talleveau est-il jugé vivre « assez honnêtement ».

  • 26 Th.-J. Schmitt, op. cit., p. 132.

23Comment s’explique l’appréciation somme toute assez favorable, ou pour le moins indulgente que donne le visiteur des curés de son archidiaconé ? L’attitude n’est pas inconnue. Thérèse-Jean Schmitt l’a constatée à propos du « niveau intellectuel des curés », les « appréciations des archiprêtres » paraissant « empreintes d’un certain parti-pris de bienveillance, ou, du moins, d’une volonté de silence à l’égard de l’infériorité certaine de beaucoup de ces prêtres »26. L’observation n’est pas spécifique à un moment particulier de la période étudiée, qui s’étend de 1650 à 1750, et il faut en conclure que l’attitude « laxiste » des archiprêtres est un trait permanent. Elle est probablement liée, comme l’a fait remarquer Dominique Julia dans la discussion qui a suivi la présentation orale de ce texte, à la position d’intermédiaires de ces agents entre le pouvoir épiscopal auquel ils doivent des rapports précis et les curés sur place dans la proximité desquels ils vivent et qui fait qu’ils n’ont pas intérêt à brouiller les rapports qu’ils entretiennent avec eux.

24Toujours est-il que cette relative clémence n’exclut nullement un portrait différencié des curés visités. On a déjà vu que l’archiprêtre peut dresser des portraits individuels tout à fait équilibrés, soulignant les traits positifs du personnage autant que les moins favorables. Cependant, des différenciations possibles résultent aussi de l’ensemble des portraits. Saute aux yeux en particulier un certain décalage entre les appréciations des « capacités » des curés, en moyenne assez médiocres, et celles de leurs prestations morales, évaluées de façon plus positives. Dans ce domaine les deux tiers des curés visités sont jugés favorablement, alors que c’est le cas seulement de la moitié d’entre eux en termes de « capacité » : l’autre moitié est dit de « peu », « assez peu » ou de « médiocre capacité ».

  • 27 Ibid., p. 138.
  • 28 Ainsi à Avrilly et Fontenay, en 1675 et 1689, respectivement. Les notes des archiprêtres sont citée (...)

25De même, pour ce qui est des « conduites », l’indulgence de l’archiprêtre n’exclut pas que des cas excessifs soient tout de même signalés, le visiteur gardant aussi la mémoire de possibles précédents… Naturellement, on ne peut savoir si l’archiprêtre rapporte tout ce qu’il sait, ou s’il est en connivence particulière avec certains de ses confrères. De même, il est possible que sa grille de perception des vertus et des méfaits ait des lacunes. Par exemple, la négligence de la visite des malades et de l’administration des derniers sacrements, souvent blâmée ailleurs27, ne se retrouve pas dans ses notes, et il en va de même pour tout ce qui concerne le domaine des croyances, des pratiques dévotionnelles ou leurs envers, des « superstitions » aux diverses formes de tiédeur ou d’indifférence en termes de foi. Chez l’archiprêtre, les pires péchés auxquels s’adonnent les curés de façon récurrente (encore que, d’habitude, seulement « un peu » et en voie d’amélioration) sont l’excès d’alcool et la fréquentation du sexe féminin. En revanche, il n’en vient jamais à des reproches du genre « n’a aucune marque de religion ni de piété », voire « n’a peut-être jamais dit à ses paroissiens qu’il y a un Dieu », assertions que l’on trouve pourtant, à quelques années d’écart, dans d’autres archidiaconés du diocèse28.

26Il vaudrait donc la peine de multiplier les analyses de ce genre de « psychogrammes » pour mieux comprendre ce qu’étaient – certes, tout d’abord, aux yeux des visiteurs – l’exception et la règle concernant les « capacités », attitudes et conduites des curés visités. C’est seulement par ce biais qu’il sera possible d’« évaluer » des cas plus exceptionnels qui, cependant, mieux documentés et donnant une connaissance beaucoup plus précise des individus en jeu, permettent aussi de mettre à l’épreuve des caractérisations sommaires. Il est assez clair que l’on a le plus de chances de trouver de tels cas dans les archives judiciaires, celles des officialités notamment, et des cours d’appel associées au tribunal de l’évêque, de la cour archiépiscopale aux parlements et aux dicastères romains. Ces archives n’existent pas toujours, mais à l’époque qui nous concerne, elles se multiplient souvent dès qu’un ordinaire arrive à la tête de son diocèse qui prend au sérieux les prescriptions du concile de Trente et cherche à les imposer en faisant montre d’une volonté de contrôle plus stricte.

II

  • 29 Voir l’étude ancienne de Paul Filsjean, Antoine-Pierre Ier de Grammont, archevêque de Besançon, 1 (...)
  • 30 Voir Jules Gauthier, Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, Archiv (...)
  • 31 Trinity College Dublin (TDC), Manuscripts 1224-1277 (Records of the Roman Inquisition and Dataria, (...)
  • 32 Pour la distinction entre libertinage des mœurs et libertinage d’esprit, voir Alain Cabantous, Hist (...)

27Une telle volonté est sans aucun doute à l’œuvre dans l’archidiocèse de Besançon, à l’extrême fin du xviie siècle, sous l’épiscopat d’Antoine-Pierre de Grammont (1614-1698), prélat fort engagé dans la Réforme catholique29. Les archives de l’officialité, en effet, sont pleines de cas de clercs scandaleux, poursuivis par l’évêque pour immoralité manifeste30. Ce reproche vaut également pour Pierre Billaud, curé de Villars-Saint-Marcellin, paroisse près de Bourbon-les-Bains, jusqu’à son arrestation en 1689. Son procès a connu bien des retentissements, ce qui fait que nous avons découvert cette affaire, initialement, dans les archives de l’Inquisition romaine. Billaud, en effet, n’a pas hésité à plaider sa cause devant plusieurs dicastères romains, y compris le Saint-Office (d’où le fait que la plupart des sources que nous citons ci-après sont en italien)31. Les reproches elles-mêmes en revanche concernent bien le temps que Billaud a passé à Villars, en exerçant sa charge de curé. Or ces reproches font de Billaud un libertin de la pire espèce, qui pratique aussi bien le « libertinage des mœurs » que le « libertinage d’esprit », en tirant même profit des raisonnements de ce dernier type pour justifier ses pratiques de moralité licencieuse32.

  • 33 TCD, Ms. 1254, fol. 208r.
  • 34 Ibid. et f. 200v. Le jugement bisontin de 1689, rédigé en latin, cite certaines de ces expressions (...)
  • 35 TCD, Ms. 1254, fol. 201r.
  • 36 Ibid., fol. 201r.

28L’homme représente tout d’abord l’exemple type du mauvais curé dont on vient d’avoir un aperçu – certes sur un ton très modéré – dans l’archidiaconé d’Avallon. On retrouve chez lui les vices qui y étaient les plus courants. Billaud s’adonne à l’alcool et il ne néglige aucun autre plaisir de ce monde – surtout pas les plaisirs de la chair, pratiqués, semble-t-il, sans retenue. Il n’hésite pas à vivre en concubinage, dès que l’occasion s’y prête, sachant même fournir aux femmes tombées enceintes des techniques efficaces pour avorter33. En outre, Billaud semble avoir pratiqué à l’excès jurons et blasphèmes – reniements de Dieu compris34. Cependant, chez lui, ces dérapages, certes accomplis sous le coup de la colère, cohabitent avec une idéologie libertine bien prononcée : Billaud partage, en d’autres termes, des opinions athées, du moins pour certains des éléments-clé les composant – à commencer par une négation ferme du paradis, de l’enfer et de l’immortalité de l’âme. Or contrairement à ce que pratiquait plus ou moins parallèlement le curé Meslier dans sa paroisse du diocèse de Reims, Billaud semble bien avoir transmis ces idées à ses paroissiens : « procurava far credere alli genti semplici che non v’era Paradiso, ne Inferno, e che quando uno era morto, tutto era morto, come una bestia, bove o cavalli »35. Enfin, Billaud n’hésite pas à faire savoir d’où viennent, selon lui, les fantasmagories de l’au-delà : « Paradiso e Inferno sono chimeri introdotti dagli huomini tanto del vecchio che del nuovo testamento », semble-t-il avoir déclaré à diverses occasions, le plus grand malfaiteur du genre étant Moïse – « un vechio matto e delirante […] che haveva inventato come favola tutto quel che haveva scritto36. »

  • 37 Pour quelques occurrences, voir A. Burkardt, « Atheismus als Altlast ? Der Lebensbericht eines jung (...)
  • 38 TCD, Ms. 1254, fol. 208v. Les résumés du procès contenus dans les jugements bisontins ne sont pas a (...)

29Il est vrai que Billaud énonce ses idées non sans un certain intérêt « matériel » propre. Il soutient ainsi la conviction qu’il faut profiter de tout ce que le monde d’ici-bas a à offrir, tant qu’on en a l’occasion, fidèle à la devise Bibe, lude, post mortem nulla voluptas que nous trouvons aussi chez d’autres libre penseurs prédécesseurs ou contemporains du curé (de même que chez leurs détracteurs)37. Mais surtout, et plus concrètement, Billaud semble avoir cherché à tirer profit des convictions athées dans ses relations amoureuses : elles ont la fonction pragmatique de réduire, chez les femmes concernées, les scrupules moraux qu’aurait pu susciter leur liaison avec un prêtre. S’il n’y a ni dieu ni enfer, qui ou quoi peut condamner ces pratiques ? Billaud lui-même ne semble pas avoir caché en tout cas sa conviction – articulée au contraire à plusieurs reprises – qu’avoir des rapports sexuels avec des femmes et des demoiselles (« con donne e donzelle »), n’a rien de plus grave que de mettre son pouce dans un verre de vin : « e dicendo queste parole immiscò suo dito nel bicchiere di vino »38.

  • 39 Pour une présentation plus approfondie, voir A. Burkardt, « Se sauver grâce au Saint-Office ? Un p (...)

30Ce n’est pas le lieu ici d’approfondir davantage ce cas remarquable39. Ce qu’on en sait suffit toutefois pour saisir quelques éléments clé de sa particularité. À bien des égards les vices dont Billaud se trouve accusé ne diffèrent guère de ceux que les visiteurs de l’époque, tel l’archiprêtre de Saulieu, rencontrent couramment en termes de débauche – l’alcool notamment et le non-respect du célibat. Légitimer ces pratiques par des convictions athées est évidemment bien davantage hors du commun. Ce qui n’empêche que cette attitude a tout de même des chances d’être caractéristique de la période qui nous concerne. En effet, comme vu en introduction, c’est à partir de la deuxième moitié du xviie siècle que les convictions athées, longtemps un pur produit des controverses polémiques entre les confessions ennemies commencent peut-être à connaître une certaine diffusion. Cependant, le même moment historique explique aussi la persécution (plus ou moins résolue) des convictions du curé, grâce à une volonté accrue des autorités ecclésiastiques de contrôler les croyances et comportements du clergé subalterne, volonté que l’on voit bien à l’œuvre dans l’archevêché de Besançon.

  • 40 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », art. cit., p. 68.

31Billaud n’a pas échappé à cette même volonté puisque ses convictions constituent une forme d’athéisme qui, dans la façon même de la vivre, est très différente de ce que l’on sait du curé Meslier. Celui-ci a toujours gardé secrètes ses idées. De même, les appréciations que lui a réservées son visiteur épiscopal rémois ne sont sans doute pas entièrement bienveillantes mais ne font en rien deviner l’incroyance qu’il renfermait dans son for intérieur40. Billaud, en revanche, semble avoir vécu ouvertement ses idées. Celles-ci apparaissent comme ancrées dans le quotidien, et pas seulement parce que Billaud sait en tirer profit pour légitimer ses relations licencieuses : les émanations plus théoriques et intellectuelles de son athéisme cohabitent chez lui avec ces formes bien plus populaires d’un « reniement de Dieu », enracinées dans la culture orale, qui s’expriment par jurons et blasphèmes.

  • 41 Billaud signe les actes de baptême, de mariage et d’enterrement entre juillet 1681 et septembre 16 (...)

32Pour la paroisse de Villars-Saint-Marcelin de la période pendant laquelle Billaud en était le curé, des visites pastorales ne semblent malheureusement pas avoir été conservées. Encore moins dispose-t-on de « psychogrammes » sur le mode du mémoire de l’archiprêtre de Saulieu. Nous ignorons donc comment les visiteurs, s’ils ont existé, ont pu évaluer ce prêtre. On se doute, bien sûr, que les jugements ne pouvaient guère lui être favorables, même s’il est vrai que le style de vie et les croyances que l’on reprochait à Billaud n’excluaient pas nécessairement que celui-ci (comme l’aurait formulé l’archiprêtre) ait pris « soin de l’acquittement de son devoir ». L’on sait en tout cas qu’il a soigneusement tenu ses registres paroissiaux41.

  • 42 ADD, G 783, [B] fol. 9v.

33Cela dit, Billaud a très vite été inquiété par la justice ecclésiastique. En charge de la paroisse probablement depuis 1681, il est condamné une première fois le 1er décembre 1683, tout en restant en possession de sa cure. Il en est manifestement éloigné à partir d’octobre 1686 : après cette date, on ne trouve plus en tout cas de registres paroissiaux signés de sa main. On peut supposer que la perte (ou pour le moins la suspension) de sa charge s’est produite dans le contexte d’un deuxième procès dont le jugement final date du 10 novembre 1687. Une troisième procédure, se terminant par un jugement du 21 janvier 1689, conduira Billaud dans les cachots de l’archevêque de Besançon42.

34Bien entendu, le curé n’a pas assisté à ces démêlées sans organiser sa défense, d’autant que, si un « psychogramme » avait été établi à son égard, le blâme d’un esprit procédurier en aurait certainement fait partie intégrante : les procédures juridiques ne sont jamais éloignées dès qu’on entend parler de lui… Dans l’affaire qui nous concerne, Billaud, loin d’avouer ses fautes, n’a donc pas hésité à faire appel au jugement de la justice archiépiscopale. Il le fait auprès du Parlement de Besançon mais aussi auprès de divers tribunaux pontificaux. Selon lui, en effet, les accusations auxquelles il devait faire face sont entièrement fausses, montées contre lui par ses ennemis.

  • 43 TCD, Ms. 1254, fol. 197v-198r.
  • 44 Archives départementales de la Haute-Saône, B 6586 (liasse non paginée).

35S’évadant des prisons archiépiscopales, Billaud se rend en personne à Rome – il y séjourne presque un an, entre l’automne 1689 et l’été de l’année suivante – avant d’affronter de nouveau, armé de quelques papiers qui semblent le disculper, l’official de Besançon. Celui-ci ne cède pas pour autant aux instances du curé, bien au contraire : Billaud se trouve de nouveau enfermé, et cette détention n’est pas de courte durée. En 1695, on le voit s’adresser à nouveau à Rome, demandant que le Saint-Office réexamine définitivement sa cause pour qu’il puisse être libéré des cachots de l’officialité où il est toujours détenu43. Il n’en reste pas moins que le curé a pu finalement survivre à ses démêlés judiciaires avec l’archevêque. Quelques années plus tard, nous le retrouvons sorti de prison. Il n’est plus en possession de sa cure, mais il est sain et sauf, et bien impliqué dans de nouvelles querelles juridiques44.

III

36Nous ignorons combien de cas analogues à l’affaire Billaud peuvent se cacher dans les archives judiciaires, à commencer par celles des officialités. La méthode d’analyse proposée pour s’approcher de tels cas nous semble en revanche probante et mériterait d’être mise à épreuve à plus grande échelle – tout en affinant l’interrogation.

  • 45 D. Julia, « La réforme posttridentine en France d'après les procès-verbaux de visites pastorales (...)

37Quant aux « psychogrammes » établis par les agents des visites pastorales, il vaudrait la peine de les recenser de façon plus systématique afin de mieux comprendre leur diffusion dans l’espace et dans le temps. À partir de là, c’est le vocabulaire des visiteurs qui mériterait une analyse approfondie. Celui-ci, en effet, varie sans doute d’un visiteur à l’autre, et lorsque les mots sont identiques, ils n’ont pas forcément le même sens – chose particulièrement évidente lorsqu’un écart important sépare les différentes occurrences dans le temps. Il faudrait donc établir un inventaire du lexique des visiteurs en saisissant les possibles variations de sens des termes en usage, évolutions sémantiques comprises. Celles-ci peuvent être spécifiques à l’usage des visiteurs, Dominique Julia l’a bien dit : « les mêmes mots peuvent recouvrir des réalités profondément différentes » parce que « entre le xvie et le xviiie siècle […] les exigences des visiteurs ont changé »45. Cependant, les mots peuvent aussi refléter des évolutions plus globales (ce qui n’empêche que les visiteurs puissent y ajouter parfois une touche personnelle).

38Prenons l’exemple de l’« inclination », un terme que nous avons rencontré chez l’archiprêtre de Saulieu. Chez lui, comme chez Furetière, le mot s’emploie pour désigner aussi bien un penchant pour le vice que pour la vertu. Or, il semblerait qu’au cours du xviiie siècle, le mot perde cette double « orientation » pour indiquer exclusivement une disposition envers le bien ; l’inverse serait davantage recouvert désormais par le terme de « penchant ». Si l’impression se vérifie, cette évolution serait déjà pressentie en quelque sorte chez notre visiteur puisque, chez lui, l’« inclination » indique certes, le plus souvent, un « penchant » pour le vice mais, comme l’on a vu, cette tendance comporte quasiment toujours une option de conversion vers le bien, souvent déjà en train de s’opérer.

  • 46 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », art. cit., p. 64.

39L’ensemble de ces analyses invite à comprendre avec plus de précision « les schémas mentaux » des visiteurs – une sorte de grammaire des « psychogrammes » établis par eux – et leur possible évolution. Ce qui devrait permettre à son tour de mieux saisir les rapports que ces derniers entretiennent avec la réalité vécue (en partant malgré tout du principe que « certaines notations correspondant vraisemblablement à une réalité objective perçue »)46. Comportements, sensibilités et dispositifs intellectuels « hors norme » ainsi distingués des conduites et attitudes mentales « moyennes » du même milieu, voilà une base pour affronter par la suite l’étude de certains cas particuliers, sans doute isolés mais beaucoup mieux documentés, livrés par les archives des officialités notamment, rassemblant sans doute les pires des cas jugés hors norme par les visiteurs. Naturellement, là où ces fonds sont importants, l’étude de cas doit être encadrée par une approche plus globale, quantification comprise, de l’ensemble de cette documentation.

40Pour le cas particulier que nous avons présenté, nous sommes loin, pour l’instant, de pouvoir encadrer l’analyse par des recherches du type que nous venons de suggérer. Toujours est-il que la comparaison avec les données livrées par l’archiprêtre de Saulieu, à plus forte raison avec celles dépouillées par D. Julia et D. McKee, inspire déjà un certain nombre de remarques et conclusions partielles ouvrant autant de voies par lesquelles poursuivre l’enquête.

  • 47 Ibid., p. 68.
  • 48 Pour le cas de Charron, je me permets de renvoyer à A. Burkardt, « Le sage - un ʻmystique mondainʼ  (...)

41Ces remarques concernent en particulier l’incroyance dont témoigne le cas de Pierre Billaud. La contemporanéité de ce cas avec celui du curé Meslier fait naturellement soupçonner qu’une telle incroyance n’ait pas été limitée à deux cas isolés. Et encore ceux-ci sont très loin d’être de même type. Le cas de Meslier constitue un véritable défi pour la représentativité des « psychogrammes » établis par les visiteurs, puisque, en apparence, le curé est assez adapté aux exigences de la réforme catholique, et seule correspond à des attitudes dénoncées par les visiteurs, une tendance à cacher les convictions véritables dans le for intérieur du prêtre, comme derrière une façade47. À bien des égards Meslier semble avoir intériorisé les enseignements donnés, un siècle plus tôt, par Pierre Charron, enseignements consistant à se soumettre, dans les attitudes apparentes, aux exigences faisant autorité, « coutumes du pays » compris, tout en se gardant, en son for intérieur, une pleine liberté d’esprit48.

  • 49 Traité des trois imposteurs : manuscrit clandestin du début du xviiie siècle, présenté par Pierre R (...)
  • 50 La thèse de « l’imposteur Moïse » a ainsi laissé des traces dans de nombreux autres textes qui, à l (...)

42Dans le cas de Pierre Billaud, en revanche, on a affaire à une personne qui, apparemment, vit ouvertement ses attitudes athées, attitudes à l’évidence plus proches des blâmes récurrents que les visiteurs peuvent faire au clergé indiscipliné, blasphématoire, adonné à l’alcool et à la conquête des femmes. Et pourtant, les attitudes de Billaud ont aussi une dimension intellectuelle qui étaie l’incroyance. Manifestement celui-ci a lu, ce dont témoigne en particulier sa polémique concernant Moïse. La dénonciation de ce dernier comme un imposteur connaît une longue tradition dans les courants de pensée sceptiques et libertins qui trouve un certain apogée dans le célèbre traité des Trois imposteurs dont la première version publiée date du début du xviiie siècle49. Nous ignorons où, précisément, Billaud a pu former ses idées mais il est assez probable qu’il a dû les forger un jour en lisant des ouvrages de tradition libertine – à moins qu’il ait lu « à rebours » des traités apologétiques, catholiques ou protestantes, qui, parfois, exposaient ce genre d’idées afin de les dénoncer et contredire par la suite50.

43Billaud apparaît ainsi comme un intermédiaire entre deux cultures, orale et écrite, qui lui sont également familières. Cette position correspond très bien à ce que l’on a souvent relevé comme typique du curé de campagne, à la fois proche des traditions villageoises de ses ouailles et à distance de ces dernières parce que participant d’une culture écrite, cléricale et savante. Mais il se trouve que, chez Billaud cette position d’intermédiaire s’articule ironiquement sur le mode de l’incroyance. Naturellement, il serait bien ingrat de réduire la part des traditions orales dans ce domaine aux seules énonciations injurieuses et blasphématoires, et l’un des défis à relever par les recherches à venir serait précisément de mieux comprendre si ou dans quelle mesure certains des propos raisonnés d’un Pierre Billaud ont pu eux aussi relever des traditions d’une culture « populaire » de transmission orale.

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Notes

1 Kévin Saule, Le Curé au prétoire. La délinquance ecclésiastique face à l’officialité au xviie siècle, Bayonne, Institut universitaire Varenne, 2014 ; Myriam Deniel-Ternant, Ecclésiastiques en débauche (1700-1790), Paris, Champ Vallon, 2016 ; voir également Cindy-Sarah Du Mortier, « Du prêtre concubinaire au curé volage (XVIIe-XVIIIe siècle, diocèse de Cambrai) », Revue du Nord, n° 399 (2013), p. 57-69.

2 Michele Mancino et Giovanni Romeo, Clero criminale. L’onore della Chiesa e i delitti degli ecclesiastici nell’Italia della Controriforma, Rome-Bari, Laterza, 2013 ; Id., Clero criminale: L’onore della Chiesa e i delitti degli ecclesiastici nell’Italia della Controriforma, vol. 1, Documenti: il Cinquecento, Naples, FedOA – Federico II University Press, 2014 ; G. Romeo, Amori proibiti. I concubini tra Chiesa e Inquisizione, Napoli 1563-1656, Rome-Bari, Laterza, 2008. Pour l’historiographie allemande, voir les développements dans Gottlosigkeit und Eigensinn. Religiöse Devianz im konfessionellen Zeitalter, éd. Eric Piltz et Gerd Schwerhoff, Zeitschrift für Historische Forschung. Beiheft, 51, Berlin, Duncker & Humblot, 2015, en particulier l’introduction des éditeurs (« Religiöse Devianz im konfessionellen Zeitalter – Dimensionen eines Forschungsfeldes », p. 9-50).

3 Filippo Tamburini, Santi e peccatori. Confessioni e suppliche dai registri della Penitenzieria dell’Archivio Segreto Vaticano, 1451-1586, Milan, Istituto di Propaganda Libraria, 1995 ; Élisabeth Lusset, Crime, châtiment et grâce dans les monastères au Moyen Âge (xiie-xve siècle), Turnhout, Brepols, 2017.

4 Voir l’article fondateur de Wolfgang Reinhard, « Zwang zur Konfessionalisierung? Prolegomena zu einer Theorie des konfessionellen Zeitalters », Zeitschrift für historische Forschung, 10 (1983), p. 257-277.

5 Dominique Julia, « Le prêtre », in Lhomme des Lumières, éd. Michel Vovelle, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 391-429.

6 Alberto Tenenti, « Libertinisme et hérésie », Annales, ESC, 18 (1963), p. 1-19 ; A. Burkardt, « Apologie et propagation du miracle dans les occasionnels français de la fin du xvie siècle et au début du xviie », in Autour du miracle de Faverney, 1608, Faverney, Actes du colloque (9-10 mai 2008), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2010, p. 283-306.

7 Lucien Febvre, Le Problème de l’incroyance au xvie siècle. La religion de Rabelais, Paris, deuxième édition, 1968 ; pour une réévaluation, David Wootton, « Lucien Febvre and the Problem of Unbelief in Early Modern Europe », Journal of Modern History, 60 (1988), p. 695-730 ; Jean-Pierre Cavaillé, « Libertinage, irréligion, incroyance, athéisme dans l’Europe de la première modernité (xvie-xviie siècles). Une approche critique des tendances actuelles de la recherche (1998-2002) », Les Dossiers du Grihl, 1-2, 2007 (en ligne, doi : 10.4000/dossiersgrihl.279).

8 Pour un résumé de ces débats historiographiques, Federico Barbierato, The Inquisitor in the Hat Shop. Inquisition, Forbidden Books and Unbelief in Early Modern Venice, Farnham-Burlington, Ashgate, 2012, p. 84-98.

9 Dominique Julia et Denis McKee, « Les confrères de Jean Meslier. Culture et spiritualité du clergé champenois au XVIIe siècle », Revue dHistoire de l'Eglise de France, 69 (1983), p. 61-86 ; sur Meslier, voir Maurice Dommanget, Le curé Meslier : athée, communiste & révolutionnaire sous Louis XIV, Paris, Coda, Institut français d'histoire sociale, 2008 ; Miguel Bénitez, Les Yeux de la raison. Le matérialisme athée de Jean Meslier, Paris, H. Champion, 2012 ; pour le contexte culturel et religieux : Le curé Meslier et la vie intellectuelle, religieuse et sociale à la fin du 17e et au début du 18e siècle, Actes du colloque international de Reims, 17-19 octobre 1974, 2 vol., Reims, Bibliothèque de l'Université de Reims, 1980.

10 Répertoire des visites pastorales de la France. Première série. Anciens diocèses jusqu'en 1790, 4 vol., Paris, Éditions du CNRS, 1977-1985.

11 Voir A. Burkardt, « Une ‘dévotion indiscrète’. Privation de reliques et émotion populaire au début du xviiie siècle. Le cas de Saint Julien d’Alexandrie », in Les reliques en action, éd. Xavier Perrot, Limoges, PULIM, 2019, p. 85-144.

12 Thérèse-Jean Schmitt, L’Organisation ecclésiastique et la pratique religieuse dans l’archidiaconé d’Autun de1650 à 1750, Autun, Société d'imprimerie L. Marcelin, 1957, p. 34.

13 Ibid., p. 33-34.

14 Archives départementales de Saône-et-Loire (ADSL), G 915, f. 107.

15 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », art. cit. ; sur le sujet du clergé séculier rémois, voir également D. Julia, « Le clergé paroissial dans le diocèse de Reims à la fin du xviiie siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 13 (1966), p. 195-216 ; Id. et D. McKee, « Le clergé paroissial dans le diocèse de Reims sous l’épiscopat de Charles-Maurice Le Tellier. Origine et carrières », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 29 (1982), p. 529-583.

16 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », art. cit., p. 311.

17 ADSL, G 915, f. 107-111. Le mémoire est suivi d’un autre, consacré aux « cimetieres fermez, & non fermez, des paroisses de l’Archiprestrise » (f. 112-114), enfin d’un « Sommaire des choses les plus importantes qui manquent aux Eglises de l’Archiprestrise de Saulieu » (f. 117-127). Pour ne pas multiplier les notes en bas de page, nous n’indiquons pas l’origine précise des citations qui suivent, toutes tirés du premier des trois textes.

18 Pour les visites individuelles, voir ADSL, 2G 10.

19 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », art. cit. p. 64.

20 Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots françois, 3 vol., La Haye et Amsterdam, Arnout & Reinier Leers, 1690, vol. I, s. p.

21 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », p. 64 et 67.

22 Ibid., p. 64.

23 Ibid., p. 65.

24 Cet usage peut être spécifique au visiteur de Saulieu, un usage positif du terme étant bien attesté dans d’autres visites (voir Th.-J. Schmitt, op. cit., p. 132 ; l’auteure, p. 135, remarque toutefois que l’appréciation de l’esprit est avant tout une marque des visites du xviiie siècle).

25 Dictionnaire universel, op. cit., vol. II, s.p.

26 Th.-J. Schmitt, op. cit., p. 132.

27 Ibid., p. 138.

28 Ainsi à Avrilly et Fontenay, en 1675 et 1689, respectivement. Les notes des archiprêtres sont citées par Th.-J. Schmitt, op. cit., p. 138.

29 Voir l’étude ancienne de Paul Filsjean, Antoine-Pierre Ier de Grammont, archevêque de Besançon, 1615-1698, sa vie et son épiscopat, Besançon, P. Jacquin, 1898.

30 Voir Jules Gauthier, Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, Archives ecclésiastiques. – Série G, t. I, Besançon, 1900, n° 780-838 (cas relevés pour la seule période 1674-1750).

31 Trinity College Dublin (TDC), Manuscripts 1224-1277 (Records of the Roman Inquisition and Dataria, serie II, vol. 1-35), Ms. 1254. Les Archives départementales du Doubs (ADD) conservent deux jugements prononcés contre Billaud par la justice archiépiscopale, datant de 1683 et 1689 (ADD, G 783, liasse sans pagination continue). Les renvois à ces documents se réfèrent à la numérotation interne des jugements, en appelant « A » le premier en date, « B » le second.

32 Pour la distinction entre libertinage des mœurs et libertinage d’esprit, voir Alain Cabantous, Histoire du blasphème en Occident : fin xvie-milieu xixe siècle, Paris, Albin Michel, 1998.

33 TCD, Ms. 1254, fol. 208r.

34 Ibid. et f. 200v. Le jugement bisontin de 1689, rédigé en latin, cite certaines de ces expressions en français : blasphemiis per verba Je renie Dieu teste Dieu et similaria tenuerit gravissima (ADD, G 783, [B] fol. 8v).

35 TCD, Ms. 1254, fol. 201r.

36 Ibid., fol. 201r.

37 Pour quelques occurrences, voir A. Burkardt, « Atheismus als Altlast ? Der Lebensbericht eines jungen Konvertiten vor der römischen Inquisition im Jahr 1707 », Verfolgter Unglaube. Atheismus und gesellschaftliche Exklusion in historischer Perspektive, éd. Susan Richter, Francfort, New York, 2018, p. 109-143, en particulier p. 125 ; Corinna Onelli, « Tra letteratura e filosofia: la ricezione libertina del Satyricon di Petronio nel Seicento », Comunicazione Filosofica, 41 (2018), p. 147-158, en particulier p. 151 sq.

38 TCD, Ms. 1254, fol. 208v. Les résumés du procès contenus dans les jugements bisontins ne sont pas aussi détaillés que la documentation romaine, même si les éléments principaux des reproches s’y retrouvent, telle (outre la fréquentation des femmes et les blasphèmes) l’assertion nullum esse infernum […] Moysem delirasse cum exposuit ad libitum praecepta legis, ac tandem quod saepius asserverit nullum esse peccatum aut viro aut mulieri solutis habitare simul et commisceri carnaliter quam digitum immittere in aquam dummodo absit scandalum (ADD, G 783, [B] fol. 8r-9r).

39 Pour une présentation plus approfondie, voir A. Burkardt, « Se sauver grâce au Saint-Office ? Un prêtre libertin athée entre Besançon et Rome (fin xviie siècle) », dans Id. et Jean-Pascal Gay (dir.), L’Inquisition et la France à l’époque moderne. Juridiction, doctrine et pluralité des catholicismes européens à l’« âge tridentin », Rome, Collection de l’école Française de Rome, 2023, p. 141-162.

40 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », art. cit., p. 68.

41 Billaud signe les actes de baptême, de mariage et d’enterrement entre juillet 1681 et septembre 1686 (Archives départementales de la Haute-Marne, Registres paroissiaux et d’état civil-collection communale, V, Villars-Saint-Marcellin, E dépôt 1221, Baptêmes, mariages, sépultures, 1643-1729 [en ligne], images 29-41).

42 ADD, G 783, [B] fol. 9v.

43 TCD, Ms. 1254, fol. 197v-198r.

44 Archives départementales de la Haute-Saône, B 6586 (liasse non paginée).

45 D. Julia, « La réforme posttridentine en France d'après les procès-verbaux de visites pastorales. Ordre et résistances », in La Società religiosa nell' età moderna. Atti del Convegno Studi di Storia Sociale e Religiosa, Capaccio-Paestum, 18-21 maggio 1972, Naples, Liguori, 1973, p. 311-415 ; réédition dans Id., Réforme catholique, religion des prêtres et « foi des simples ». Études d’anthropologie religieuse (xvie-xviiie siècles)

46 D. Julia et D. McKee, « Les confrères de Jean Meslier », art. cit., p. 64.

47 Ibid., p. 68.

48 Pour le cas de Charron, je me permets de renvoyer à A. Burkardt, « Le sage - un ʻmystique mondainʼ ? Refus et maîtrise du monde chez Pierre Charron », Nouvelles de la République des Lettres, (1994-1), p. 15-61.

49 Traité des trois imposteurs : manuscrit clandestin du début du xviiie siècle, présenté par Pierre Retat, Saint-Étienne, Universités de la région Rhône-Alpes, Centre interuniversitaire d'éditions et de rééditions, 1973 ; Le Traité des trois imposteurs et L’Esprit de Spinosa : philosophie clandestine entre 1678 et 1768, éd. Françoise Charles-Daubert, Oxford, Voltaire Foundation, 1999 ; Georges Minois, Le Traité des trois imposteurs : histoire d'un livre blasphématoire qui n'existait pas, Paris, Albin Michel, 2009.

50 La thèse de « l’imposteur Moïse » a ainsi laissé des traces dans de nombreux autres textes qui, à leur tour, ont été bien publiés. Voir Giorgio Spini, Ricerca dei libertini. La teoria dell’impostura delle religioni nel seicento italiano, Florence, La Nuova Italia, 1983, passim ; Gianni Paganini, « Moïse clandestin, Moïse spinoziste », La Lettre Clandestine, 26 (2018), p. 21-32. En réalité, la figure de Moïse et le statut des textes le concernant dans la Bible faisait partie d’un débat plus large à l’époque moderne dont bien des participants craignaient régulièrement les possibles soupçons d’athéisme qu’aurait pu susciter le travail sur ce sujet. « Cet ouvrage estoit composé depuis quelque temps, mais j’hésitois à le publier, dans la crainte que les prétendus esprits forts, qui cherchent à s’étaier de tout, ne pussent en abuser pour diminuer l’autorité du Pentateuque », fait remarquer encore en 1753, par exemple, l’« Avertissement » des Conjectures sur la Genèse, traité publié, en outre, anonymement (Conjectures sur les mémoires originaux dont il paroît que Moyse s'est servi pour composer le livre de la Genèse, A Bruxelles, chez Fricx […], 1753). Pour des jalons de ce débat, voir, entre autres, Jan Assmann, Moses der Ägypter. Entzifferung einer Gedächtnisspur, Munich, Hanser, 1998 ; Jonathan I. Israel, Radical Enlightenment. Philosophy and the making of modernity, 1650-1750, Oxford, Oxford University Press, 2001.

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Table des illustrations

Légende Extrait du « Mémoire de l’archiprêtre de Saulieu » (ADSL, G 915, fol. 109v)
URL http://journals.openedition.org/acrh/docannexe/image/28880/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 178k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Albrecht Burkardt, « Incapacités, libertinage, incroyance. « Psychogrammes » de curés à la veille des Lumières »L’Atelier du Centre de recherches historiques [En ligne], 28 Bis | 2024, mis en ligne le 10 janvier 2024, consulté le 24 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/acrh/28880 ; DOI : https://doi.org/10.4000/acrh.28880

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Auteur

Albrecht Burkardt

Albrecht Burkardt est professeur d’histoire moderne à l’université de Limoges. Spécialiste de l’histoire politico-religieuse et culturelle, il travaille en particulier sur l’Inquisition romaine, le culte des saints, l’histoire du voyage et celle de la perte du pouvoir. Parmi ses publications récentes : L’Inquisition romaine et la France. Juridiction, doctrine et pluralité des catholicismes européens à « l’âge tridentin », Rome, Publications de l’École Française de Rome, 2023 (en collaboration avec J.-P. Gay) ; Crépuscules du pouvoir. Destitutions et abdications en Occident, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Classiques Garnier, 2022 ; Ruines politiques, Rennes, PUR, 2023, 347 p. (avec J. Grévy) ; L’Exception et la Règle. Les pratiques d’entrée et de sortie des couvents, de la fin du Moyen Âge au xixe siècle, Rennes, PUR, 2022, 345 p. (avec A. Roger).

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