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Commentaires d’ouvrages

Analyse d’ouvrage par Gaëtan Bourmaud

Marc-Éric Bobillier Chaumon (éd.) (2021). Les transformations digitales à l’épreuve de l’activité et du travail (Vol. 3).
Gaëtan Bourmaud
Référence(s) :

Bobillier Chaumon, Marc-Éric (éd.) (2021). Les transformations digitales à l’épreuve de l’activité et du travail : comprendre et accompagner les mutations technologiques émergentes (Vol. 3). ISTE Group.

Texte intégral

1Le monde du travail est aujourd’hui incroyablement concerné, percuté par la digitalisation, et demain toujours plus très certainement. Cet ouvrage collectif, dirigé par Marc-Éric Bobillier Chaumon, Professeur titulaire de la chaire de psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), propose justement un large panorama de ces transformations digitales, et avec elles du travail.

2Regroupant diverses approches disciplinaires – psychologie du travail, ergonomie, sociologie des usages, sciences de gestion, etc., avec les contributions de 37 auteurs et autrices, universitaires comme intervenants et intervenantes –, démonstration est faite, à la lecture de ces presque 300 pages, que les sciences humaines et sociales peuvent éclairer la société sur les effets trop souvent négatifs et même délétères de la digitalisation sur l’activité de travail des personnes et donc sur leur santé, principalement dus aux approches technocentrées dominantes. Elles proposent également diverses contributions à ce que pourrait constituer une autre forme de digitalisation du travail, par des accompagnements pour des technologies comme « potentiels opérateurs de santé et de développement du métier » (p. 9). Ce double objectif, constituant les deux faces d’une même pièce en quelque sorte, et auquel le lectorat de la revue Activités est indéniablement sensible, constitue la ligne directrice commune à l’ensemble des chapitres.

3L’ouvrage est organisé en quatre parties, elles-mêmes composées de plusieurs chapitres (pour un total de 18, et dont la très grande majorité sont des chapitres collectifs), et une introduction proposée par le coordinateur de l’ouvrage, qui signe ou co-signe également six chapitres.

4L’introduction précise d’abord les enjeux sociaux et sociétaux de la digitalisation, et on comprend très tôt que le terme digitalisation renvoie en fait à un ensemble incroyablement divers. Ce sont ainsi : « les technologies émergentes », « les innovations technologiques », « les solutions techniques », « de nouveaux dispositifs », « les TIC (technologies de l’information et de la communication) », aussi « la robotisation, les environnements immersifs, le Big Data, les plateformes collaboratives, l’usine du futur, etc. » (p. 1), ou encore « les robots collaboratifs (cobots, exosquelettes), les technologies communicantes, ambiantes ou ubiquitaires (Internet of Things), l’intelligence artificielle (assistants vocaux, systèmes d’aide à la décision), l’exploitation évaluative et prédictive des données […], les nouvelles modalités d’interaction personnes-machines (haptiques, sensitives, cognitives de type BIM – brain interface machine) » (p. 10), etc. Les lecteurs et lectrices pourraient s’en trouver désorientés… Bien heureusement, dès le premier chapitre, Marc-Éric Bobillier Chaumon s’emploie à « clarifier ce [que les technologies émergentes] recouvrent en matière d’usage et de pratiques » (pp. 10‑11). À noter que, pour notre part, nous utiliserons dans la suite de ce texte le terme « technologies », qui nous semble suffisamment général pour couvrir la diversité dont il est question.

5Parfois incrémentales, d’autres fois disruptives, ces technologies implémentées dans les situations de travail semblent se répartir sur un continuum allant « de simples transferts d’usage ou d’apprentissage » à « une profonde remise en cause de l’expérience utilisateur », modifiant, voire entravant, l’activité des professionnels, et nécessitant potentiellement « de nouveaux modèles organisationnels et sociocognitifs » (p. 1). Si les effets néfastes de cette technologisation du travail constituent un point d’entrée indispensable et d’emblée discuté, une dialectique importante est également avancée, associant étroitement la qualité de ces technologies aux résultats et effets de l’activité médiatisée, qualitativement impactés. Beaucoup moins triviale qu’elle pourrait le paraître, c’est une affirmation forte, et que les travaux présentés à la suite soutiennent très largement.

6En deuxième section de cette introduction sont explicitées les ambitions de l’ouvrage, qui posent finalement son partitionnement.

7La première partie, s’intéressant à la diffusion des technologies dans les organisations de travail, est intitulée « Vers un état des lieux des transformations digitales » et propose six chapitres. Ceux-ci témoignent tous d’une ambiguïté folle : tellement puissantes, ces technologies, quand elles ne sont pas ressources pour l’activité, peuvent faire beaucoup de mal aux humains, auxquels on préférerait qu’elles soient bien mieux adressées ; et ceci expliquant alors cela…

8Le premier chapitre, écrit par Marc-Éric Bobillier Chaumon, intitulé « Technologies émergentes et enjeux pour l’activité et la santé au travail », vise très justement à rendre compte de manière rigoureuse et développée de la diversité de ces technologies, littéralement définies et discutées une à une, ainsi que de leurs interdépendances et de leurs incidences. Cinq paradoxes sont ensuite identifiés : 1) sentiment de perte / accroissement du contrôle, 2) invisibilité / visibilité de l’activité, 3) accroissement des équipes virtuelles isolement des salariés, 4) nomadisme / sédentarité au travail, et 5) distanciation / proximité du travail. La conclusion pourrait alors se lire comme un manifeste pour « des technologies “incarnées” qui ont un sens pour les salariés et qui donnent du sens à l’activité qui se fait » (p. 21).

9Le chapitre 2 (« Les plateformes collaboratives de travail : enjeux sur le développement de l’activité »), co-signé par Nadia Barville-Deromas et Marc-Éric Bobillier Chaumon, aborde « les enjeux psycho-sociaux-organisationnels » que peut poser un RSNE (réseau social numérique d’entreprise), i.e. tout autant les forums, les messageries instantanées, les wikis, etc. qui se diffusent massivement dans les entreprises. Ceux-ci ambitionnent d’optimiser les interactions et les coopérations, et de soutenir des modes de travail distants et asynchrones, mais exigent en fait de « savoir identifier un degré suffisant d’intentionnalité collaborative partagée […] dans ces situations polycontextuelles et multimédiatisées » (p. 33). Notons que les éléments mis en discussion articulent plusieurs travaux de recherche et s’appuient sur le modèle du système d’activité d’Engeström (1998).

10Le chapitre suivant, intitulé « La réalité virtuelle : définitions, caractéristiques et applications dans le travail », s’intéresse aux technologies dites immersives, à base de réalité virtuelle et augmentée. Camille Sagnier, Émilie Loup-Escande et Gérard Valléry proposent de traiter la réalité virtuelle (RV) « sous trois angles : sa finalité, ses fonctionnalités potentielles et ses caractéristiques techniques » (p. 37). Nous retenons quant à nous la définition rappelée ici de la RV (p. 39), comme permettant de « s’extraire de la réalité physique pour changer virtuellement de temps, de lieu et (ou) de type d’interaction (Fuchs et al., 2006) ». Diverses applications sont présentées, dans les domaines professionnel, de la formation et de la vie quotidienne. Le bilan est fait que derrière des approches très majoritairement technocentrées, finalement peu d’études se sont intéressées véritablement aux incidences des technologies sur l’activité, mais qu’à l’évidence une « approche centrée utilisateur et activité (anthropocentrée) doit être déployée pour coconstuire les modalités acceptables du déploiement et de l’adoption de ces nouveaux environnements de travail immersifs » (p. 47).

11Le quatrième chapitre – « La robotisation dans les industries : focus sur les petites et moyennes entreprises » porte sur la robotisation, spécifiquement dans les PME. Sandrine Berger-Douce propose une étude de cas longitudinale menée dans une PME industrielle et, après avoir analysé la mise en place d’un robot d’emballage, cherche à tirer des leçons plus générales de cette expérience singulière. Elle observe notamment la prédominance du volet économique de ce projet au détriment de l’acceptabilité par les professionnels, et repère elle aussi un paradoxe : « les opérateurs de l’atelier […] portent un regard très critique sur [le robot], même s’ils sont paradoxalement convaincus que c’est l’avenir de leur activité et donc en attente de l’installation d’autres robots » (p. 57). Pour finir, elle discute ainsi du programme Robot Start PME lancé en 2013, qui cherche à faire rattraper le retard pris par la France par rapport à ses voisins européens, et souligne « l’importance de l’intégration du facteur humain dans ces réflexions dès l’amont » (p. 63).

12Dans le chapitre 5, intitulé « Le serious game au service de la formation professionnelle : du travail émotionnel au transfert de connaissances », Lydia Martin, Julian Alvarez et Antoine Taly présentent en quoi le serious game – défini comme « tout jeu dont la finalité première est autre que le simple divertissement (Michael & Chen, 2005) » (p. 67) – peut constituer un médiateur pour la formation professionnelle. Dans le cadre d’une recherche-action, c’est même un serious escape game (où les joueurs doivent sortir d’une salle réelle ou virtuelle en un temps limité) qui est étudié, et ceci dans une société d’assurance. Le jeu consiste ici en ce que « les salariés puissent discuter de manière ludique de la charge émotionnelle de la relation client, élément clé de leur activité » (p. 68). Méthodologiquement soutenus par des observations pendant le jeu, des séances de debriefing, des groupes de travail et des questionnaires – et au-delà de la question de l’utilisation du jeu relativement à la charge émotionnelle liée à cette activité –, il est montré que cette technologie seule (le serious game) ne suffit pas pour promouvoir les apprentissages, et que des temps collectifs de réélaboration s’avèrent indispensables.

13Le dernier chapitre de cette première partie questionne le rôle et la place de l’IA dans son interaction avec les humains : « Les anciens enjeux des “nouveaux” systèmes d’IA dans les activités professionnelles ». Tamari Gamkrelidze, Moustafa Zouinar et Flore Barcellini proposent d’abord de définir l’IA – « tâche (non) aisée compte tenu des nombreux points de vue existants » (p. 84) – comme « une discipline et diverses techniques informatiques […] qui s’inspirent de ou visent à imiter des facultés cognitives humaines » (p. 85). Appuyée sur une revue de littérature et un travail de terrain exploratoire, c’est l’affirmation que, derrière ce nouveau technologique, ce sont des enjeux anciens et bien connus qui ressurgissent et s’actualisent, notamment « la substitution de l’humain par la machine et la complémentarité humain-machine » (p. 90). Pour finir, il est aussi porté la conviction que « la démarche ergonomique de conception (Barcellini et al., 2013) ancrée dans l’analyse de l’activité et la simulation de l’activité future (Béguin & Cerf, 2004) » (p. 96) constitue la réponse aux transformations de l’activité par l’IA.

14La deuxième partie traite des « nouvelles modalités et formes de travail » que l’implémentation de ces technologies entraîne, et rassemble quatre chapitres. La dialectique nouvelles technologies / nouvelles organisations du travail est au cœur de cette partie.

15Le chapitre 7 concerne spécifiquement le télétravail. Écrit par Émilie Vayre, et intitulé « Les enjeux du déploiement du télétravail : bénéfices et risques pour les salariés », il rend compte des enjeux du déploiement du télétravail – défini en page 104 comme « un terme générique qui renvoie à une forme régulière et formelle d’organisation et de réalisation des activités professionnelles, se déroulant totalement ou partiellement à distance […] et via l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (Vayre, 2019) » – et des incidences positives et négatives ; trop nombreuses pour pouvoir en rendre compte ici, mais souvent pas inconnues de nous tous et toutes, au titre de nos savoirs expérientiels en quelque sorte. Appuyé principalement sur la littérature scientifique, le projet final de l’autrice est d’identifier les difficultés et risques pour son déploiement.

16Élodie Chambonnière et Jacqueline Vacherand-Revel, autrices du chapitre suivant (« La reconfiguration des pratiques managériales par l’innovation numérique : l’exemple d’une équipe de travail en réhabilitation de chantier »), observent la reconfiguration des pratiques managériales après l’insertion d’une application métier pour le travail de prévention des risques professionnels dans le secteur du bâtiment, en termes de contraintes et ressources. Les autrices décrivent dans un premier temps l’ethnographie de l’activité sur un chantier de réhabilitation, et analysent dans un second temps la réorganisation des pratiques de management liée à l’arrivée de l’application métier. Si de nombreuses transformations s’opèrent, elles apparaissent autant du côté de l’usage des technologies que du côté de l’organisation du travail.

17Le neuvième chapitre est rédigé par Anne-Cécile Lafeuillade, Flore Barcellini, Willy Buchman et Tahar-Hakim Benchekroun, et s’intitule « Intégrer de la robotique collaborative dans les situations du travail : les intentions des dirigeants de PME dans les transformations digitales ». Avec une approche différente que le quatrième chapitre, la question de la robotisation au sein des PME est appréhendée ici sous l’angle de « l’intention de transformation digitale » (p. 133) par les dirigeants, pour « une industrie du futur ». Passant par des entretiens individuels de ces derniers, réalisés dans cinq entreprises différentes, il est mis en évidence un « souhaitable des dirigeants face au réel » (p. 141) rendant compte de logiques de type santé au travail, technique, stratégique, ou prospective de R&D. Une « “mise en dialogue” du souhaitable avec le réel » (p. 142) est ensuite décrite, et montre que les cobots sont perçus à la fois comme des solutions pour une réduction des coûts (substitutions pour limiter les coûts liés à la pénibilité du travail industriel, par exemple) et par ailleurs eux-mêmes coûteux (dès lors qu’il est nécessaire de garantir la sécurité dans le cadre de ce travail collaboratif).

18Le dixième chapitre – « Le rôle et la fonction des artefacts technologiques dans l’activité entrepreneuriale » – vient clore cette deuxième partie. Irène Poidi, Marc-Éric Bobillier Chaumon et Jacqueline Vacherand-Revel s’intéressent au « rôle des artefacts de coopération et de coordination d’équipes de travail localisées et multilocalisées » (p. 147). Engagée avec une approche ethnographique de recueil de données – analyses « basées sur un protocole méthodologique compréhensif et situé » (p. 147) –, leur recherche porte sur une équipe entrepreneuriale visant la conception d’un produit innovant. C’est par ailleurs l’un des rares textes de cet ouvrage qui ne rend pas compte des incidences négatives des technologies, pour se centrer sur leurs processus d’appropriation complexes et situés.

19Quatre chapitres forment la troisième partie consacrée aux « incidences psychosociales et socio-organisationnelles de la diffusion des technologies ». Comme précisé plus haut dans l’ouvrage, il est ici particulièrement discuté « la fonction de ces technologies dans le développement (ou l’empêchement) de l’activité et de leurs potentielles incidences sur les conditions d’exercices de l’activité, sources de bien-être et de qualité de vie au travail (santé au travail) » (p. 2).

20Maria Ianeva, Raluca Ciobanu et Chiara Lai proposent, avec le chapitre intitulé « Les nouveaux territoires physiques de l’activité digitale » inaugurant cette partie 3, de considérer « l’espace de travail […] comme un objet de gestion, doté de fonctions nouvelles » (p. 161) et d’interroger les reconfigurations spatio-temporelles du travail permises par le déploiement des technologies. La recherche réalisée dans la filiale informatique d’un grand groupe français rend compte d’abord, à travers la proposition de la notion de « travail spatialisé » (p. 163), des liens forts entre transformations des espaces et transformations du travail et de l’emploi. Elle pointe ensuite la « rupture entre espace et travail » (p. 164), avec comme maître-mot « organisation mouvante et flexible » (p. 165), et termine par identifier une double exigence : « mener à bien sa propre activité dans les meilleures conditions possibles et participer à la gestion collective des espaces » (p. 171) ; et ceci en présentant des incidences autant positives que négatives.

21Le douzième chapitre – « Travail numérique, travail jetable ? L’activité d’exploration au risque de ses discontinuités » –, portant quant à lui sur le développement de jeux vidéo, interroge la réalité ainsi que la valeur d’un tel travail. Maxime Besenval et Alexandra Bidet soulignent qu’à côté de la représentation d’un travail « digital, créatif et collectif » (p. 173), ce sont aussi 1) un réel complexe, fait notamment d’une division du travail structurelle, 2) l’absence de maîtrise collective des aléas de conception, et 3) une « indétermination chronique » (p. 178), impliquant « [d’]être disposé au changement, capable d’optimiser la ressource temporelle, polyvalent, doué d’un esprit ouvert et curieux » (en page 179, et suivant ici les travaux de Boltanski et Chiapello, 1999/2011). Les assembleurs de ces jeux se trouvent ainsi dans la situation particulièrement difficile « [d’]une incertitude chronique sur l’utilité du travail effectué » (p. 184).

22Le chapitre suivant, écrit par Florence Cros, Marc-Éric Bobillier Chaumon et Bruno Cuvillier, « L’obsolescence des compétences des salariés âgés : une conséquence inéluctable de la digitalisation ? », traite des relations entre technologies et compétences des professionnels les plus âgés, sous l’angle du nécessaire renouvellement de celles-ci pour faire face aux transformations digitales, dans le contexte général d’un vieillissement de la population au travail – où il est rappelé que le vieillissement peut être envisagé comme « double mouvement de déclins et de gains (Delgoulet et al., 2014) » (p. 189). L’étude réalisée porte sur les contrôleurs des trains, dans le cadre d’un projet d’analyse de la transmission des compétences métier entre les plus âgés et les plus jeunes, et mobilise le modèle du système d’activité d’Engeström (1987), comme pour le chapitre 2. Les auteurs et l’autrice concluent que « les salariés âgés sont en mesure de développer des compétences idoines à l’usage (de la technologie nouvelle implémentée) » (p. 196).

23Dans le dernier chapitre de cette partie (« Collectifs de travail et médiatisation digitale : des dynamiques compatibles ? »), Pauline Crouzat et Marc-Éric Bobillier Chaumon discutent les tensions entre les promesses des outils digitaux dits collaboratifs (messageries électroniques, gestionnaires d’agendas, logiciels de visioconférence, etc.) et l’activité collective réelle, définie comme « la mise en mouvement du travail collectif et du (ou des) collectif(s) de travail qui le réalisent (Caroly, 2012) » (p. 201). Le cadre théorique convoqué est ici celui de la clinique de l’usage (Bobillier Chaumon & Clot, 2016), i.e. « en interrogeant et en caractérisant l’usage effectif des outils à disposition et en caractérisant l’usage qui en est effectivement fait » (p. 204). Réalisée dans le secteur de l’ingénierie, leur étude permet d’affirmer comme principal résultat que ces technologies conduisent à « un travail collectif virtuellement hyperinstrumenté pour des collectifs de travail invisibles » (ainsi résumé dans l’un des titres de section du chapitre, en page 207).

24La quatrième et dernière partie se compose également de quatre chapitres, et explore les « démarches et méthodes pour conduire les transformations digitales ». L’ensemble des méthodes décrites, très finement pour la plupart, s’inscrivent dans ce que le coordinateur de l’ouvrage qualifie « d’une approche anthropocentrée, participative et inclusive » (p. 2).

25Un collectif d’auteurs et autrices – Jean-Marc Robert, Antoine Martin, Mitra Taraghi, Clément Colin, Masood Maldar, Flavie Bonneviot et Eric Brangier – traite dans ce quinzième chapitre de « L’ergonomie prospective au service de l’innovation technologique ». L’ergonomie prospective (EP) est définie comme « un nouveau type d’intervention (ergonomique) axé sur la prospection de besoins actuels et futurs, la découverte, l’innovation et la création de nouveaux artefacts, services et systèmes » (p. 218). L’EP, en opposition à des interventions ergonomiques de correction ou de conception, est en quelque sorte considérée comme 1) plus élevée en termes de capacité d’action, 2) favorable à l’invention de nouveaux scénarios et d’usages d’artefacts permettant l’amplification de l’activité médiatisée, 3) « centrée innovation » (p. 219), et 4) orientée futur. Deux illustrations de projets innovants appliquant sa démarche et ses méthodes sont présentées, visant à en expliquer la place et le rôle.

26Dans le chapitre suivant, « Simuler l’activité digitale en devenir : éléments de méthodologie ? », Laurent Van Belleghem présente à travers deux illustrations une méthode de simulation de ce qu’il nomme « l’activité digitale » d’abord (p. 235), et qu’il reconsidère en fin de chapitre comme ne l’étant finalement pas tant que cela : « au sens où on l’entend généralement, c’est-à-dire virtuelle, abstraite, voire magique [mais au contraire] comme toute activité [arrimée] au réel dans ce qu’il a de plus tangible » (p. 246). Il pose trois exigences conditionnant les supports de simulation, comme devant permettre 1) de « représenter les éléments de prescription sous forme de scénarios » (p. 238), 2) la modification de ces scénarios, et 3) la simulation de l’activité.

27Le chapitre proposé par Clotilde Coron et Patrick Gilbert décrit un modèle pour « La conduite du changement technologique ». Cet « accompagnement social et responsable » des technologies, comme le précisent l’auteur et l’autrice en page 247, doit permettre de remédier aux principales menaces qui, dans une ambivalence flagrante, sont exposées en compagnie des opportunités dans un tableau synthétique fort utile (pp. 249‑250). Un dernier tableau est proposé en page 257, précisant comment « limiter les menaces et saisir les opportunités » et dressant les contours de la conduite du changement digital préconisée.

28Le dix-huitième et dernier chapitre de l’ouvrage, intitulé « Prospecter l’acceptation située des technologies émergentes dans et par l’activité : approches et démarches », permet à Marc-Éric Bobillier Chaumon de développer son approche de l’acceptation située des technologies (Bobillier Chaumon, 2016) comme « la mise à l’épreuve de la technologie dans son contexte d’usage réel qui permet d’évaluer concrètement ses apports et ses limites, et de définir ainsi son intérêt par rapport à l’activité et aux projets de l’individu » (p. 266), et quatre dimensions tirées de précédents travaux sont rappelées comme déterminantes : individuelle, organisationnelle, relationnelle, et professionnelle et identitaire. En fin de chapitre, plusieurs propositions méthodologiques sont exposées pour « accompagner et prospecter l’acceptation située des technologies en les repositionnant dans l’activité qui se fait et/ou dans celle qui se fera » (p. 277), telles que l’autoconfrontation, la méthode de l’objet technique, la démarche du magicien d’Oz, la méthode du focus group, ou encore des méthodes de simulation de l’activité.

29Pour conclure, on trouvera dans cet ouvrage des revues de littérature et cadres théoriques divers, un large détail de méthodes, et des données empiriques nombreuses issues de terrains très variés, offrant ainsi aux lecteurs et lectrices – tout aussi bien étudiants et étudiantes, praticiens et praticiennes, ou universitaires – de nombreuses prises et perspectives pour leurs travaux futurs, tout autant pour identifier les transformations digitales et leurs incidences positives ou négatives sur l’activité de travail que pour accompagner la conception et le déploiement des technologies.

30Pour revenir sur la mise à l’épreuve des transformations digitales au regard de l’activité et du travail annoncée dans le titre, il doit ainsi s’agir, comme l’écrit Marc-Éric Bobillier Chaumon, que « le projet technique [puisse] dès lors devenir acceptable pour les sujets dans cette activité qui se construit » (p. 278). L’identification des « effets paradoxaux que ces dispositifs peuvent avoir sur le travail » (p. 9), que les 18 chapitres de l’ouvrage contribuent largement à documenter, actualise bien utilement nos connaissances sur les relations humains-technologies. Les technologies apparaissent le plus souvent pensées et mises en œuvre, à travers leurs seuls effets positifs attendus, dans un technosolutionnisme (ré)organisateur du travail, comme composants externes devant majorer l’efficacité du système ; et pourtant, comme un dernier paradoxe que l’on veut retenir quant à nous, les effets sur le facteur humain s’avèrent bien mal appréhendés, et l’activité humaine est ainsi réduite à une simple « variable d’ajustement » (p. 21), voire s’affirme comme la grande oubliée de la digitalisation, pour reprendre les mots de Bazillier (2011).

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Bibliographie

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Bobillier Chaumon, M.-É., & Clot, Y. (2016). Clinique de l’usage. Les artefacts technologiques comme développement de l’activité. Activités, 13(2). DOI : https://doi.org/10.4000/activites.2897

Boltanski, L., & Chiapello, E. (1999/2011). Le nouvel esprit du capitalisme. Paris : Gallimard.

Caroly, S. (2012). Groupes et collectifs de travail. In P. Sarnin et M.-É. Bobillier Chaumon (Eds.), Manuel de psychologie du travail et des organisations : les enjeux psychologiques du travail. Paris : De Boeck.

Delgoulet, C., & Volkoff, S. (2014). Vieillissement, pénibilité et travail. Pathologie professionnelle et de l’environnement, 9(2), 1‑8.

Engeström, Y. (1987). Learning by expanding: An activity-theoretical approach to developmental research. Helsinki : Orienta-Konsultit.

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Fuchs, P., & Moreau, G. (2006). Le traité de la réalité virtuelle. Paris : Les presses de l’École des Mines de Paris.

Michael, D. R., & Chen, S. L. (2005). Serious Games: Games that Educate, Train, and Inform. Muska & Lipman.

Vayre, É. (2019). Les incidences du télétravail sur le télétravailleur dans les domaines professionnel, familial et social. Le travail humain, 82(1), 1‑39.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gaëtan Bourmaud, « Analyse d’ouvrage par Gaëtan Bourmaud »Activités [En ligne], 22-1 | 2025, mis en ligne le 15 avril 2025, consulté le 29 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/activites/10957 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13rag

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Auteur

Gaëtan Bourmaud

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