Navigation – Plan du site

AccueilNuméros22-2DossierMobilisation du corps et simulati...

Dossier

Mobilisation du corps et simulation : comment susciter la transformation des pratiques professionnelles ?

Body Mobilization and Simulation: How to Foster the Transformation of Professional Practices?
Joffrey Beaujouan, Sophie Aubert, Fabien Coutarel et Michel Récopé

Résumés

Que faire face à des professionnels peu enclins à faire évoluer leurs pratiques quand bien même ces dernières ont des effets négatifs sur l’atteinte de performances au travail incluant des enjeux de santé ? Susciter la transformation des pratiques professionnelles constitue un véritable défi. Cet article présente la conception et les effets de deux dispositifs de simulation incarnée dans les domaines de la viticulture et de l’aéronautique. Il montre l’intérêt d’une simulation fondée sur les sensations corporelles des formés et sur les constats qu’ils opèrent, en tant que déclencheurs d’une crise de l’activité et de l’avènement de nouvelles préoccupations. Les deux dispositifs ont été évalués par une triangulation méthodologique articulant questionnaires, entretiens, observations et objectivation des performances réalisées par les professionnels à partir de critères mesurables. Les résultats montrent une reconfiguration significative des pratiques au sein de champs d’actions encouragées. En viticulture, le sécateur devient un levier de santé, de productivité et de qualité ; l’affilage devient une opération cruciale intégrée au quotidien, où la qualité de coupe constitue un repère central. En aéronautique, les professionnels prennent conscience que la réussite du perçage dès la première tentative conditionne la conformité de l’assemblage. Ils atteignent plus rapidement un haut niveau d’autonomie. Les dispositifs de simulation incarnée s’affirment comme un levier puissant pour accompagner les dynamiques d’évolution et de développement des pratiques professionnelles.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1Cet article aborde la redoutable question de la transformation des pratiques professionnelles face à des professionnels peu enclins à faire évoluer ces dernières. Nous y exposons la conception, l’usage et les effets d’un dispositif de simulation incarnée. Sa particularité est en effet de se fonder sur les sensations corporelles des formés et sur les constats qu’ils opèrent, en tant que déclencheurs d’une remise en cause de leur pratique professionnelle et de l’avènement de nouvelles préoccupations. C’est ce que nous nommons l’avènement d’une crise de l’activité actuelle. Comme on le verra, nous considérons, conformément à la thèse piagétienne, qu’on n’est pas spontanément apprenant de ce qu’autrui veut nous faire apprendre ; on est davantage conservateur de notre activité, excepté lorsque survient une crise de l’activité qui instaure de nouvelles raisons d’agir et suscite l’avènement de raisons d’apprendre à mieux agir (Récopé & Boda, 2008). Combinant approche fonctionnelle de l’apprentissage et perspective énactive, cet article invite à considérer le caractère central de la mise à l’épreuve des corps des professionnels par la simulation incarnée dans l’efficacité de dispositifs de formation. Nous exposons deux dispositifs conçus en viticulture et en aéronautique pour lesquels le choix de simulations incarnées est apparu déterminant pour susciter un espace d’actions encouragées.

2Nos travaux s’inscrivent dans une perspective située, ancrée dans les problèmes concrets rencontrés sur le terrain : c’est à partir de l’échec des pratiques courantes que l’on a recours à la science (Lecourt, 2008). Dans notre perspective, nous considérons que les développements théoriques les plus pertinents sont ceux dont les propositions visent un impact positif pour accompagner la transformation des pratiques professionnelles contemporaines. Nous abordons ici la question des performances plurielles au travail, qui ne se limitent pas à l’efficience productive mais englobent aussi des enjeux de santé durable, de sécurité, d’efficacité et de fiabilité. Il existe une connexion forte entre santé et compétences : « il ne peut pas y avoir de bien-être [au travail] sans bien faire [son travail] » (Clot, 2015). C’est pourquoi travailler sur la formation et les conditions d’apprentissage des professionnels constitue une cible clé dans notre approche. Ceci d’autant plus qu’apprendre est une tâche implicite, fortement attendue mais souvent sous-estimée par les organisations du travail (Aubert & Beaujouan, 2022).

3Nos propos s’appuient sur deux interventions ergonomiques dans les secteurs de la viticulture et de l’assemblage d’avions ayant conduit notamment à la conception de deux dispositifs de formation distincts. Des obstacles pratiques communs rencontrés par les intervenants en posture de « praticiens réflexifs » (Schön, 1983 ; Daniellou, 2005) ont fait émerger l’intérêt de mettre en perspective ces deux cas, d’identifier des invariants tant dans les principes pédagogiques et didactiques ayant dirigé la conception de ces dispositifs que sur les effets produits sur leurs cibles. La comparaison des deux exemples n’a pas été définie a priori comme cela aurait pu être le cas dans une étude classique, mais s’est construite a posteriori des actions conduites autour d’invariants repérés. Les contextes d’intervention ont conditionné des modalités d’évaluation différentes des dispositifs. Cette mise en dialogue opportuniste s’appuie sur des matériaux d’époque, formalisés par les ergonomes dans une posture de praticiens réflexifs.

1. Constats de terrain

1.1. En viticulture

4La taille est une tâche essentielle dans la gestion du vignoble. Elle mobilise d’importantes ressources humaines sur une longue période, et influence directement la productivité et la pérennité des parcelles. La filière viticole française est marquée par une sinistralité élevée, notamment en raison des troubles musculosquelettiques (TMS) du membre supérieur affectant les professionnels réalisant la taille de la vigne (Lemerle & Gorvan, 2017). Bien que s’appuyant sur des travaux menés dans d’autres filières agricoles utilisant des outils coupants, la littérature identifie plusieurs facteurs à l’origine de ces atteintes, notamment le pouvoir coupant des outils et l’enjeu crucial de son entretien dans la durée (par exemple Vézina et al., 1999 ; Ouellet, 2013). La filière est également confrontée à des mutations climatiques, sociales et économiques majeures impliquant des transformations de pratiques professionnelles pour y faire face. Les outils coupants constituent un levier stratégique pour une viticulture durable (Beaujouan et al., 2025).

5Un diagnostic ergonomique commandité par la Mutualité sociale agricole mené sur plusieurs terroirs viticoles français met en évidence un problème récurrent : les outils coupants utilisés par les viticulteurs sont peu adaptés aux utilisateurs (taille de la main, latéralité, exigences de la tâche), peu entretenus et ont en grande majorité un pouvoir coupant fortement dégradé. Pourtant, les professionnels les jugent « satisfaisants », ils ne conçoivent pas ce qui pourrait poser problème (Beaujouan & Danguin, 2022). Pour autant, de nombreux travaux scientifiques et techniques montrent que la qualité coupante d’un outil garantit des sections qui n’écrasent pas le végétal, accélérant la cicatrisation des plaies et réduisant la pénétration des pathogènes, limitant ainsi le recours aux traitements phytosanitaires (Wezel et al., 2009 ; Altieri, 2018). Cet enjeu devient d’autant plus critique dans un contexte de réchauffement climatique, où l’augmentation des températures et de l’humidité accroît les risques sanitaires pour les vignobles français (Van Leeuwen et al., 2019).

6Au-delà de l’efficacité du travail, l’état des outils a un impact direct sur la santé physique et le bien-être des opérateurs. Une lame au pouvoir coupant altéré augmente la résistance à la coupe et exige un effort musculaire compensatoire ainsi que des reprises de coupe générant une fatigue accrue et favorisant l’apparition de troubles musculosquelettiques (INRS, 2020). Même sur un outil mécanisé, une lame qui coupe peu entraîne un effet de recul du végétal, obligeant le tailleur à maintenir la lame au contact du végétal lors de la section. À l’inverse, une lame coupante permet d’exécuter les coupes 16 % plus rapidement qu’une lame émoussée, soit un gain d’environ 20 minutes par jour pour un tailleur réalisant dix mille coupes quotidiennes (MSA, 2008). Cette optimisation devient stratégique dans un contexte de réduction de la fenêtre optimale de taille hivernale, liée à l’allongement du cycle végétatif. En effet, sous l’effet du changement climatique, l’entrée en dormance intervient plus tardivement à l’automne, tandis que le débourrement peut survenir plus précocement au printemps (Van Leeuwen et al., 2019). Cela réduit le temps disponible pour effectuer la taille, qui doit idéalement être réalisée pendant la période de repos de la vigne.

7Dès lors, un écart se creuse entre les pratiques effectives et ce que l’on pourrait attendre, en théorie, d’un choix et d’un entretien rigoureux des outils coupants. Cet écart fait problème et soulève des questions profondes : comment les professionnels perçoivent-ils l’importance de disposer d’outils bien choisis et bien coupants et vis-à-vis de quels enjeux pour eux ? Quelle valeur est accordée à cet aspect au sein des différentes strates hiérarchiques ? Dans quelle mesure l’organisation du travail encourage-t-elle la nécessité de disposer d’outils adaptés aux exigences du travail et qui coupent bien ?

1.2. Dans l’assemblage d’avions

  • 1 En aéronautique, l’alésage est une opération d’usinage qui consiste à agrandir et ajuster un trou e (...)

8Des études de terrain conduites par des ergonomes montrent une forte augmentation des défauts qualité des alésages1 lors de l’intégration de nouveaux arrivants au poste d’assemblage du fuselage, entraînant des réparations coûteuses en temps (Beaujouan, Aubert, & Coutarel, 2015). Le diagnostic ergonomique de performance met en évidence une faible préoccupation des opérateurs à l’enjeu qualité du perçage. Cette opération est souvent perçue, y compris dans les formations, comme une « simple » étape d’ébauche, ce qui conduit à sous-estimer ses exigences techniques. Considérer l’importance d’un perçage « bon du premier coup » est essentiel dans la mesure où un perçage non conforme peut entraîner des conséquences en cascade. En effet, sur la chaîne de production, ce dernier implique des temps de réparation chronophages, car aucun trou défectueux ne peut être laissé en l’état. Il doit être réparé, en perçant un nouveau trou de diamètre supérieur et en posant une fixation plus lourde dans l’étape d’assemblage, ce qui garantit la fiabilité de l’assemblage mais alourdit l’avion et impacte in fine son coût de production et son prix de vente aux compagnies aériennes (surconsommation de carburant). Cela se traduit également par des contrôles plus fréquents des assemblages pour les compagnies aériennes.

9Les professionnels ont souvent une vision simplifiée de la tâche. Leurs verbatims illustrent cette posture : « c’est simple », « tout le monde sait percer », « ce n’est qu’une opération d’ébauche ». Malgré une formation initiale en aéronautique et un tutorat de trois mois sur avion, l’opération nécessite 18 mois de pratique sur avion par les opérateurs pour être maîtrisée.

10Ainsi, l’importance « relative » donnée par les professionnels au fait de réaliser un perçage « bon du premier coup » soulève des questions analogues à celles posées en viticulture : comment les professionnels perçoivent-ils l’importance de cela et vis-à-vis de quels enjeux pour eux ? Quelle valeur est accordée à cet aspect dans l’organisation à l’échelle des différentes strates hiérarchiques ? Et comment l’organisation du travail prend-elle en compte ou non cet aspect essentiel dans la performance de l’assemblage de l’avion ?

1.3. Une problématique commune et un enjeu de transformation des pratiques

11Dans les deux contextes d’intervention présentés (viticulture et aéronautique), nous faisons face à un même défi : des professionnels débutants ou plus expérimentés qui ne perçoivent pas ou peu les enjeux de performances incluant des enjeux de santé associés à certaines tâches ou pratiques professionnelles.

12Dès lors, plusieurs questions émergent : comment favoriser chez les opérateurs la construction de pratiques alternatives ? Comment leur permettre de mieux incarner les liens entre leur pratique et les conséquences de ces pratiques sur un ensemble d’enjeux d’efficacité, de sécurité, de santé, de fiabilité ? Comment la simulation, envisagée comme un véritable dispositif formatif, pourrait-elle contribuer à cette prise de conscience et à l’évolution des pratiques ?

13La littérature en psychologie du développement insiste sur le fait que l’on n’est pas spontanément « apprenant » de ce qu’autrui veut nous faire apprendre. Ceci renvoie au principe à la fois biologique et cognitif de l’assimilation comme fait premier, tel qu’exposé par Piaget. « La vie et la connaissance se définissent par l’assimilation, qualité d’ensemble indépendante et stable, tendant à la conservation de l’organisation existante » (Piaget, 1967, p. 61). Le processus assimilateur est toujours « l’expression d’une forme de vie organisée disposant de normes propres de fonctionnement et de réaction » (Ibid.) et organisant les interactions avec l’environnement sur la base de ces normes. Ainsi, « tout ce qui répond à un besoin de l’organisme est matière à assimilation quant aux pressions exercées par le milieu sans qu’elles répondent à aucun besoin, elles ne donnent pas lieu à assimilation » (Piaget, 1936, p. 357). La prépondérance biologique et cognitive de l’assimilation a pour conséquence que tout organisme est plutôt spontanément conservateur.

  • 2 L’insatisfaction pratique est une notion centrale qui renvoie à un écart perçu par l’acteur lui-mêm (...)

14Il n’y a donc pas lieu de considérer que tout professionnel est spontanément « apprenant », c’est-à-dire disponible et mobilisé pour apprendre ce qu’autrui souhaite l’aider à apprendre. Un principe de prudence est que tout professionnel est plutôt spontanément conservateur de ses manières d’agir et de faire, de ses habitudes, tant qu’elles lui conviennent, tant qu’elles ne débouchent pas sur le ressenti d’une insatisfaction pratique2 (Récopé & Boda, 2008). Alors comment susciter des raisons d’apprendre ce qu’un autrui se propose de « faire apprendre » ?

15Des raisons d’apprendre découlent de l’avènement de « raisons d’agir autrement », d’agir de manière plus bénéfique ou avantageuse. Les raisons d’apprendre peuvent survenir dans deux circonstances : suite au constat que nos actions actuelles aboutissent à des échecs répétés, c’est-à-dire lorsque nos actions ne parviennent pas (ou plus) à satisfaire les effets que nous attendons ; ou suite à une évolution de nos attentes, c’est-à-dire des effets nouveaux que nous attendons de nos actions. Si ces échecs répétés importent du point de vue du formé, ils s’accompagnent d’une impression plus ou moins diffuse d’insatisfaction, il y a une « crise de son activité actuelle ». Cette crise constitue un moment de rupture : quelque chose me fait problème, que je ne peux résoudre spontanément. Ceci ouvre à la nécessité sentie d’une transformation des actions : « Un élève n’est pas spontanément un apprenant : l’apprentissage suppose la recherche de nouveaux moyens permettant de mieux agir » (Récopé & Boda, 2008, p. 18).

16En conséquence, le formateur doit avoir une connaissance aussi précise que possible des raisons et des conditions qui justifieraient l’usage de nouveaux savoir-faire. Il lui revient de susciter des raisons d’apprendre à partir de nouvelles raisons d’agir chez ceux à qui est destinée la formation. Dans cette perspective, former, ou encore accompagner la transformation des pratiques, c’est concevoir la rencontre entre des professionnels disposant d’une raison d’apprendre et des situations prometteuses de nouveaux pouvoirs d’action. En fin de compte, le formé n’aura réellement appris que s’il utilise durablement de nouvelles ressources parce qu’elles se sont révélées fonctionnelles à ses yeux, c’est-à-dire concrètement et régulièrement plus bénéfiques que les anciennes dans des circonstances définies. Or, dans de nombreux métiers, ces ressources s’incarnent dans et par le corps. C’est pourquoi la confrontation physique à des situations typiques permet d’éprouver, de comparer et d’ajuster les nouvelles façons de faire, en engageant pleinement la dimension corporelle de l’individu. Dès lors, se pose la question centrale de la mise à l’épreuve des corps des professionnels dans les situations de simulation, et de la manière dont cette expérience, à la fois encadrée et incarnée, permet de susciter chez eux de nouvelles raisons d’apprendre à l’origine de transformations de leurs pratiques.

2. Adossements théoriques de notre conception de dispositifs de formation par la simulation

2.1. Approche fonctionnelle de la connaissance

  • 3 Claparède a connu les écrits de Dewey et le cite souvent ; il a d’ailleurs rédigé l’introduction de (...)

17Notre conception de la formation par la simulation s’inscrit dans une approche fonctionnelle, pragmatique et instrumentale de la connaissance partagée par Claparède et Dewey3. Cette approche repose sur deux principes de formation.

18Le premier principe est que la connaissance est un instrument d’adaptation active dans un processus d’interaction entre l’organisme et son environnement (Dewey, 1920). Ceci signifie qu’aucune forme de connaissance n’a de valeur pour elle-même, mais relativement à son rôle, à son utilité pour l’action présente ou future (Claparède, 1931). Ce statut était déjà affirmé par Ribot (1896), pour qui la connaissance n’est pas une maîtresse, mais une servante. De même, pour Dewey, un important pragmatiste américain, ce sont les conséquences pratiques de l’action qui sont le critère exclusif de la validité des connaissances. Celles-ci sont caractérisées par leur valeur d’utilité, ce à quoi elles servent. Si elles réussissent dans leurs usages, alors elles sont fiables, justes, exactes, vraies et bonnes. Leur valeur ne réside pas en elles-mêmes, mais dans leur utilité perçue par l’individu révélée dans les conséquences de leur usage (Dewey, 1920). Vergnaud (1989) valorise lui aussi une approche pragmatique et une épistémologie des contenus spécifiques, à partir du constat suivant : l’histoire révèle que la fonctionnalité de la connaissance repose sur le fait qu’elle apporte une réponse à des problèmes pratiques ou théoriques que les hommes se sont posés au cours de leur histoire.

19Le deuxième principe de formation est une insistance sur la fonction essentielle du formateur : « La fonction du maître est complètement transformée. Il doit être un stimulateur d’intérêts, un éveilleur de besoins » (Claparède, 1931, p. 184). Car « le besoin est indispensable pour sensibiliser l’organisme à l’égard d’un excitant » (Ibid., p. 49). Si un objet n’est pas en lien avec un besoin, il n’est alors pas un excitant puisque l’organisme n’y est pas sensibilisé. La tâche primordiale du formateur est soumise à ce principe :

« L’activité d’un écolier ne devrait jamais être autre chose qu’un moyen employé par lui pour satisfaire à un besoin qu’on aurait su créer en lui. Sans doute, ce besoin suscité ne lui fournira pas eo ipso les moyens d’exécuter le travail à faire, la technique à employer. La question de la perfection de l’exécution est un autre problème. Mais le besoin suscité lui donnera envie d’exécuter ce travail ; il lui en donnera le désir. Et c’est déjà énorme. Une fois que vous aurez allumé le désir véritable de résoudre un problème, l’enfant s’intéressera tout naturellement à la technique à employer pour y parvenir » (Ibid., p. 146).

20Dewey souligne que ce processus dynamique est identique chez l’enfant et chez l’adulte. Ils sont des êtres actifs qui apprennent en affrontant les problèmes qu’ils rencontrent au cours d’activités mobilisant leur intérêt. Canguilhem (1981) rejoint cette position en affirmant que cette activité sera d’autant plus intense et d’autant plus efficace qu’elle s’exercera vers des fins qui émeuvent le sujet en provoquant son intérêt.

2.2. Perspective énactive

21La perspective énactive est compatible avec les principes établis par l’approche fonctionnelle de la connaissance et les intègre, c’est pourquoi nous la convoquons ici. Notre position est énactive ; elle englobe la vie, la cognition, l’action et l’expérience dans les contextes culturels de la vie quotidienne. Elle postule l’avènement conjoint d’un monde et d’un esprit incarné à partir de l’histoire des diverses actions qu’accomplit un être dans le monde (Varela, Thompson, & Rosch, 1993).

22L’activité de chacun est envisagée comme un mode de cohérence propre qui se construit et s’exprime dans un contexte marqué par une norme culturelle. Chacun d’entre nous est envisagé comme un agent, c’est-à-dire comme un centre de perspective et d’activité qui assure une régulation normative de ses interactions avec l’environnement à son profit : un système créateur de signification (Di Paolo, 2005) qui fait émerger un monde signifiant à partir des résultats positifs ou négatifs de ses interactions. Tout ce qui est rencontré est éprouvé comme plus ou moins important, attirant ou repoussant, en fonction des normes et des valeurs produites au sein du processus par lequel l’agent régule ses interactions. Elles expriment la manière dont un agent sélectionne et interprète ce qui est pertinent dans son environnement en fonction de son expérience. Pour tel viticulteur, un éclatement du bois peut être extrêmement préoccupant, car un signe que l’outil ne coupe plus bien et abîme le sarment, l’incite à affiler ou à affûter la lame de son sécateur. Un autre viticulteur, avec d’autres préoccupations, aura un rapport différent à la coupe et ne prêtera pas (la même) attention à l’état du sarment.

23Il y a donc individuation des objets, des propriétés et des événements : on ne peut spécifier ce qui compte comme objet indépendamment du type d’action qu’il s’agit d’accomplir. Tout ce qui est rencontré est valorisé en termes de plaisir, déplaisir ou non-pertinence et éprouvé en tant qu’attraction, répulsion ou neutralité (Varela, 2010). Ceci implique une vision de la cognition non seulement comme incarnée mais aussi intrinsèquement sensorielle et affective : l’affectivité fait référence essentiellement à une sensibilité ou un intérêt pour quelque chose.

24Perception, cognition et action s’ancrent dans nos normes, nos valeurs, et donc dans les affects correspondants (Colombetti, 2014). Toute signification est relative à cette perspective, de même que les bonnes actions répondant à des critères de nécessité et de satisfaction propres à chaque sujet (Maturana & Varela, 1994). L’importance de cette appréciation personnelle (ou appraisal) est depuis longtemps défendue dans les sciences affectives, mais la reconnaissance de son caractère incarné est plus récente. L’appel de Colombetti et Thompson (2005) pour une vision intégrée de l’esprit dans le corps et du corps dans l’esprit a trouvé un écho chez l’un des principaux théoriciens de l’appraisal, Frijda. Ce dernier défend que les processus d’évaluation transforment les événements rencontrés en événements pourvus à la fois d’une signification pour le sujet – en fonction de ses intérêts – et d’une valeur affective. Cette signification n’est pas une évaluation cognitive entendue comme un acte isolé d’appréciation intellectuelle mais relève de sa propre mobilisation corporelle. Il s’associe donc à la conception d’une enactive appraisal : « la disjonction de l’appraisal (conçu comme pur processus mental) du composant moteur de l’émotion est phénoménologiquement peu plausible » (Tcherkassof & Frijda, 2014, p. 516).

25Il est donc nécessaire d’appréhender ces aspects par lesquels nous engageons notre monde à un niveau qui précède et sous-tend nos perceptions et nos expériences (Johnson, 2014). L’essentiel pour l’approche énactive est que chacun « produit et spécifie son propre champ de problèmes et d’actions devant être résolus » (Varela, 2010, p. 110). Les indications qu’on adresse aux professionnels, les problèmes qu’on leur pose de l’extérieur ne s’imposent donc pas à eux.

26Il n’est pas étonnant que Di Paolo, tenant de la position énactive, aborde la question des apprentissages en ces termes : « on apprend toujours à partir de ce qui nous intéresse, de ce qui nous importe » (Di Paolo, 2014, p. 13). Il souligne le caractère essentiel de la question « why do we care about anything? » (« d’où vient que quelque chose compte pour nous, que nous avons de l’intérêt pour elle ?), car elle pose la question des origines de la signification et des valeurs, en renvoyant aux choses qui comptent, c’est-à-dire à ce qui importe pour chacun d’entre nous. En tant que concepteur et gestionnaire de la formation, le formateur doit donc assumer un statut redoutable, celui d’être un manipulateur lucide et responsable de l’activité des formés au profit de leur productivité et de leur santé dans un univers marqué par des logiques de performance attendue, des exigences institutionnelles et des contraintes socioculturelles et économiques souvent normatives.

27Pour cette approche, l’éducation, l’enseignement, la formation sont des entreprises normalisantes (Durand, 2008) en ce qu’elles exercent une influence visant à réduire l’écart entre les conduites du public auquel elles s’adressent et les normes qu’elles valorisent. En tant que formateurs, nous élaborons un espace d’actions encouragées qui valorise certaines manières d’agir (Reed & Bril, 1996 ; Récopé, 2001). La question à laquelle Durand (2008) cherche à répondre peut être formulée comme suit : comment faire pour que les formés adoptent les manières d’agir les plus susceptibles de s’accompagner des transformations valorisées par les formateurs ? Les espaces d’actions encouragées sont conçus comme des agencements d’environnements supposés favoriser ces transformations (Ibid.). Suivant cette conception énactive, il n’est pas possible pour les formateurs d’instruire ou transformer l’activité des formés de l’extérieur : l’enjeu est donc de parvenir à faire advenir un domaine consensuel entendu ici au sens de Maturana et Varela (1994) comme un espace d’interactions coordonnées entre formateurs et formés, rendu possible par leur couplage structurel dans l’action. Nous assumons la construction d’un dispositif de formation par la simulation incarnée, conçu comme un espace d’actions encouragées.

2.3. Fonction de la simulation dans un contexte d’apprentissage

28Dans le champ de la didactique professionnelle et de l’ergonomie, la simulation occupe une place centrale dans la conception de dispositifs de formation, en permettant une articulation entre l’analyse du travail et l’apprentissage des compétences professionnelles (Pastré, 2005 ; Durand, 2008 ; Caens, 2022). Elle ne se limite pas à une simple reproduction des conditions réelles de travail, mais vise entre autres à faire émerger des prises de conscience d’enjeux du travail en confrontant le professionnel à des situations signifiantes (conditions de réussite de l’action, conditions de réalisation de l’action, conséquences de l’action à court, moyen, long terme, etc.).

29La simulation permet aux professionnels de tester, expérimenter et ajuster leurs actions dans un cadre contrôlé (Ibid.). Contrairement aux formations où le savoir est dissocié de l’action, la simulation plonge l’apprenant dans des situations reprenant certaines caractéristiques du réel avec une possibilité de retour réflexif immédiat. La simulation joue également un rôle clé dans la mise en évidence des écarts entre les représentations des professionnels et les exigences de la tâche (Maline, 1994). Ces écarts sont discutés à partir de ce que les professionnels perçoivent, ressentent et verbalisent en situation. En plaçant les stagiaires dans des situations où ils doivent faire face aux conséquences immédiates de leurs choix et actions, y compris en confrontant ces éléments entre pairs, la simulation les amène à reconsidérer certaines habitudes et à examiner un plus grand nombre de critères de performances. Cette démarche repose sur un principe de perturbation cognitive et sensorielle : le professionnel est confronté à une situation où ses automatismes ne suffisent plus et où il doit explorer de nouvelles façons d’agir (Pastré, 2005). L’apprentissage s’incarne par un processus actif de quête de connaissances nouvelles et de nouveaux savoir-faire (Van Belleghem, 2021). Dans cette dynamique, le corps n’est pas un simple support passif mais un véritable médiateur mobilisé dans un va-et-vient entre perception, action, mémoire et construction de sens (Duval, Raymond, & Odier-Guedj, 2022). L’une des forces de la simulation est de mobiliser activement les professionnels en leur donnant un rôle de co-constructeur de leur apprentissage (Van Belleghem, 2018). En intégrant les principes d’expérimentation, d’effet loupe (c’est-à-dire la mise en évidence amplifiée de certains éléments clés de l’activité, habituellement peu perçus) et de retour réflexif, elle favorise l’émergence de nouvelles manières d’agir et de penser l’activité professionnelle.

30Si la fonction de la simulation est largement documentée en ergonomie et en didactique professionnelle, les effets de dispositifs mobilisant fortement les sensations corporelles restent peu étudiés. La conception, l’usage et les effets d’un dispositif de simulation fondé sur les sensations corporelles des formés et sur les constats qu’ils opèrent, en tant que déclencheurs d’une remise en cause de leur pratique professionnelle et de l’avènement de nouvelles préoccupations, restent peu étayés dans la littérature. C’est précisément cet enjeu que cet article se propose d’explorer à travers l’analyse de deux dispositifs de formation. Le premier, conçu en partenariat avec la Mutualité sociale agricole dans la filière viticole, est intitulé Ne Perdez Pas Le Fil (NPPLF). Il est en cours de déploiement sur le territoire national. Le second, plus ancien, a été déployé chez Airbus sous le nom de Salle Training Perçage (STP).

3. Illustration des dispositifs de formation par simulation

3.1. NPPLF : trois temps forts

31Le dispositif consiste proprement dit à « affecter » les certitudes des viticulteurs afin de développer chez eux une préoccupation émergente (ou consolidée si déjà présente) à propos du choix et de l’entretien du pouvoir coupant des sécateurs. L’objectif est que cette préoccupation portant sur un outil à entretenir et qui doit bien couper sur la durée puisse entraîner des modifications de pratique à l’échelle des individus, des organisations du travail, des conduites de projets d’investissement outillage ou encore des parcours de formation à l’échelle de l’entreprise.

32Le module de formation se déroule sur 3 h 30 min en trois temps forts articulés et travaillés en salle avec l’aide d’un kit pédagogique permettant l’animation progressive des mises en situation :

  • Objectif du temps 1 : faire prendre conscience au professionnel par et dans son corps des enjeux relatifs au choix et à l’entretien du pouvoir coupant des outils. Le « Pourquoi » est travaillé ;

  • Objectif du temps 2 : développer des capacités de diagnostic de l’état des lames (différents degrés d’altération du pouvoir coupant de l’outil) et de projection sur quoi faire dans ces cas. Le « Quoi faire » et le « Quand » sont travaillés ;

    • 4 L’affilage désigne l’entretien régulier du fil de la lame (visant à le redresser), tandis que l’aff (...)

    Objectif du temps 3 : développer des habiletés d’affilage4 de l’outil et être capable de l’évaluer. Le « Avec quoi, comment faire et comment évaluer le résultat produit » sont travaillés.

33Ces trois temps forts aboutissent à un temps réflexif sur les pratiques de gestion des outils coupants des stagiaires en matière de projets d’investissement, d’espaces où se fait leur entretien, de management, et de gestion de compétences au sein de l’entreprise sur le sujet.

34Nos propos se concentreront sur le temps 1 car il a pour fonction principale la prise de conscience par les stagiaires des enjeux d’un outil coupant par la simulation d’activité proposée. La Figure 1 représente deux sécateurs de même modèle fournis aux stagiaires. L’un entouré de scotch jaune, l’autre de noir. Visuellement, la lame du sécateur « jaune » apparaît brillante, neuve, mais dans les faits le sécateur coupe très mal, sa partie coupante a été déformée (fil viré). Cette déformation objectivée et réalisée par nos soins représente l’usure normale d’une lame sans entretien. Elle est quasi imperceptible à l’œil nu. Le sécateur noir apparaît plus usé car visuellement sa lame brille moins, elle a été légèrement oxydée. Phénomène qui apparaît sur le terrain lorsqu’elle est au contact de la sève. Le sécateur noir présente un fil droit, son pouvoir coupant est bien meilleur que celui du sécateur jaune. La première consigne adressée aux stagiaires est une évaluation visuelle du sécateur : « lequel d’après eux coupe le mieux ? Cette évaluation est volontairement limitée au registre visuel dans un premier temps, car une croyance largement partagée dans les communautés professionnelles est que l’état de coupe d’un outil se juge aisément à l’œil nu.

Figure 1 : Sécateurs « noir » et « jaune ». 
Figure 1: Black and yellow professional pruners

Figure 1 : Sécateurs « noir » et « jaune ».  Figure 1: Black and yellow professional pruners

35Ce choix vise à engager une première étape de déconstruction de cette croyance, en confrontant les stagiaires à l’écart entre leur évaluation visuelle initiale et leurs sensations corporelles. En effet, sans avoir débriefé avec les stagiaires les résultats du premier exercice, la seconde consigne consiste à leur demander de couper avec les deux sécateurs en position debout 4 morceaux de 5 cm environ d’un tuyau bleu représentant un sarment de vigne. Il leur est demandé de cocher sur une feuille de route (Figure 2) ce qu’ils observent sur les éléments coupés (degré d’écrasement, bavures, etc.), le temps de coupe, et ce qu’ils ressentent dans leur corps en matière de force appliquée sur l’outil. À noter que lorsque l’outil coupe mal, le tuyau fait apparaître des bavures, un écrasement qui demeure, un effet de chasse et plus de résistance, comme c’est le cas sur du bois naturel. Ces paramètres objectivés en laboratoire ont conforté notre choix, considérant que le tuyau de PER permettait des comparaisons de coupe sur un produit « homogène et comparable », impossible à obtenir avec du bois naturel (dureté du bois, diamètre de section, montée en sève non homogène).

Figure 2 : Exploration des résultats de la coupe. 
Figure 2: Analysis of cutting results

Figure 2 : Exploration des résultats de la coupe.  Figure 2: Analysis of cutting results

36Les deux sécateurs sont utilisés pour leur faire prendre conscience de ce qu’est le fil de la lame, sa fragilité, et les enjeux de son entretien. Le formateur accompagne cette réflexivité incarnée en les aidant à relier chaque observation et sensation corporelle aux enjeux développés en début d’article d’un outil bien coupant. Son rôle est de questionner les professionnels sur les raisons des différences, de les aider à faire des liens entre la qualité de coupe de l’outil et ses impacts sur la santé de l’homme, la vigne et la productivité. Cette première phase prépare ainsi la transition vers le temps 2 du dispositif, consacré au développement de capacités de diagnostic de l’état des lames (identifier les défauts, savoir quoi faire), en intégrant également les facteurs d’usure du fil et les paramètres techniques influençant l’efficacité de coupe.

3.2. Salle Training Perçage

37Nos propos se concentreront également sur la première mise en situation du dispositif, dont l’objectif central est de sensibiliser les professionnels aux enjeux de qualité d’un perçage réussi, ainsi qu’à l’importance de choisir l’outil adapté en fonction des configurations de perçage rencontrées.

38Les compagnons sont confrontés à une tâche qu’ils jugent simple, mais dont la réalisation révèle des difficultés inattendues.

39Un premier exercice consiste à évaluer la capacité des compagnons débutants à identifier si les trous « témoins » réalisés sur des platines en aluminium sont conformes ou non et pourquoi (Figure 3 à gauche). À savoir que certains trous sont complexes à contrôler et il est difficile de trancher entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas par rapport à des exigences décrites dans les référentiels de procédé d’alésage. Cet exercice est un prérequis pour l’exercice suivant pour permettre à tous les stagiaires de contrôler de manière pertinente la conformité des trous qu’ils vont réaliser.

40Le second exercice consiste à leur demander de réaliser des trous en respectant la séquence « perçage » (enlèvement rapide de matière avec perceuse et foret coupant), contrôle du perçage, puis alésage (usinage précis de la surface intérieure du trou, avec aléseuse et alésoir) et contrôle de celui-ci (Figure 3 à droite). Les résultats sont contrôlés par rapport aux attentes des référentiels qualité (Figure 3 au centre).

Figure 3 : Exercice d’évaluation de la conformité des trous (à gauche), et de perçage (à droite). 
Figure 3: Assessment exercise for hole compliance (left) and drilling (right)

Figure 3 : Exercice d’évaluation de la conformité des trous (à gauche), et de perçage (à droite).  Figure 3: Assessment exercise for hole compliance (left) and drilling (right)

41Le perçage est réalisé dans deux configurations : avec une perceuse pneumatique « revolver » sur un plan vertical et avec un renvoi d’angle à 90 degrés sur un plan horizontal (Figure 4). L’exercice se termine par une pose de fixations et un contrôle de celles‑ci.

Figure 4 : Perceuses utilisées. 
Figure 4: Drills used

Figure 4 : Perceuses utilisées.  Figure 4: Drills used

42Le dispositif accentue ensuite l’attention sur les efforts requis (pour faire avancer l’outil coupant et pour le faire tourner plus ou moins vite), la précision nécessaire et la localisation dans le corps de ces tensions. Chaque détail relatif à la mobilisation du corps devient un facteur influant sur la qualité du trou. Un apport de connaissance ciblé vient renforcer cette mise en tension. Il met en lumière les impacts réels d’un défaut de perçage sur la qualité de l’alésage et donc de l’assemblage des éléments, car les fixations ne « portent » pas correctement. En effet, un trou mal exécuté implique des réparations, une augmentation des délais et des coûts pour l’avionneur, mais peut aussi avoir des conséquences impactant la compagnie aérienne (augmentation de la fréquence de surveillance du vieillissement de l’assemblage, donc une perte d’exploitation).

43L’enjeu est d’amener les stagiaires à incorporer ces réalités à travers ce qu’ils vivent. Quatre dimensions sont mises en relation : qualité, santé, efficacité et efficience. Antérieurement, elles étaient transmises lors des formations théoriques de manière séparée, désincarnée et sans lien explicite entre elles. Ici, elles s’articulent ensemble pendant la simulation incarnée pour saisir leur interdépendance et en faire une préoccupation concrète. La suite du programme de formation propose des exercices de perçage / alésage / pose de fixations dans des situations de plus en plus complexes en termes de nombre de trous à réaliser, de pièces à assembler, de situations rendant plus difficiles la perception de la perpendicularité ou les prises de postures, pour se rapprocher des situations réelles sur avion (Beaujouan, Aubert, & Coutarel, 2015).

4. Méthodologie de recueil et résultats sur les professionnels

44Avant de présenter la méthodologie de recueil et les résultats issus des deux dispositifs, il convient de rappeler les objectifs qui ont guidé notre démarche. Cet article vise à exposer la conception, les modalités d’usage et les effets d’un dispositif de simulation incarnée conçu pour susciter une transformation chez des professionnels peu enclins à faire évoluer leurs pratiques, y compris lorsque ces pratiques ont des effets négatifs sur l’efficacité, la qualité du travail ou la santé.

45Les effets des deux dispositifs ont été évalués selon une triangulation méthodologique, sans que les modalités de recueil soient strictement identiques, chaque terrain ayant été mis en perspective a posteriori. Le cadre commun repose sur l’observation des pratiques, incluant une caractérisation des performances atteintes à partir de critères objectivables, ainsi que sur l’analyse de données verbales (questionnaires, entretiens). Nous avons veillé à une complémentarité des données quantitatives et qualitatives, en articulant ces deux approches pour enrichir l’analyse.

4.1. Ne Perdez Pas Le Fil

46Deux axes d’évaluation complémentaires ont été mobilisés pour objectiver les effets produits par le dispositif sur les viticulteurs. Le premier axe porte sur l’évaluation des changements de perception du viticulteur vis-à-vis de son outil coupant. Le second s’intéresse aux évolutions des pratiques effectives de gestion des outils coupants en période de taille dans les domaines viticoles.

47Les Tableaux 1 et 2 précisent, pour chaque axe d’évaluation, le contenu évalué, la méthode de recueil de données, l’effectif ciblé, le moment du recueil, ainsi qu’un échantillon de formulations utilisées lors de la collecte.

48Le premier axe, de nature principalement quantitative, s’appuie sur un recueil de grande ampleur, auprès de 1 150 stagiaires viticulteurs formés, via des questionnaires standardisés, intégrés aux feuilles de route pédagogiques complétées par les stagiaires, administrés en début et en fin de formation (Tableau 1).

49En revanche, le deuxième axe repose sur une approche plus qualitative nécessitant une analyse approfondie des pratiques effectives en situation de travail. Il a été mis en œuvre dans un échantillon restreint de 18 domaines viticoles (36 professionnels), choisi pour permettre un suivi fin et contextualisé des conduites observables (Tableau 2). Cette réduction d’effectif découle donc d’un choix méthodologique assumé, lié à la nature même des données à recueillir (observations situées, interactions verbales, décisions d’investissement, etc.).

Tableau 1 : Évaluation des changements de perception des viticulteur.rices vis‑à‑vis de son outil coupant (effectif = 1 150 viticulteurs). 
Table 1: Assessment of changes in winegrowers’ perception of their cutting tool (sample size = 1150 winegrowers)

Tableau 1 : Évaluation des changements de perception des viticulteur.rices vis‑à‑vis de son outil coupant (effectif = 1 150 viticulteurs).  Table 1: Assessment of changes in winegrowers’ perception of their cutting tool (sample size = 1150 winegrowers)

Tableau 2 : Évaluation des évolutions des pratiques effectives de gestion des outils coupants en période de taille, au sein des domaines viticoles (effectif = 18 domaines viticoles / 36 viticulteurs). 
Table 2: Assessment of changes in actual practices for managing cutting tools during the pruning period, within wine estates (sample size = 18 wine estates / 36 winegrowers)

Tableau 2 : Évaluation des évolutions des pratiques effectives de gestion des outils coupants en période de taille, au sein des domaines viticoles (effectif = 18 domaines viticoles / 36 viticulteurs).  Table 2: Assessment of changes in actual practices for managing cutting tools during the pruning period, within wine estates (sample size = 18 wine estates / 36 winegrowers)

4.1.1. Évaluation des changements de perception des viticulteur.rices

Prise de conscience des conséquences d’un sécateur (non) coupant

50À la question ouverte : « Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans la formation ? Pour quelles raisons ? », la réponse la plus mentionnée (plus de 34 % des répondants) est le décontenancement et la stupéfaction lorsqu’ils ont coupé les tuyaux de plastiques avec les sécateurs jaune, noir et personnel. Ce qui leur semblait performant ne l’était pas, et inversement. Beaucoup ont constaté que leur propre sécateur, qu’ils pensaient bien coupant, était en réalité inefficace, tandis qu’un autre, qu’ils jugeaient a priori en mauvais état, s’est révélé d’une redoutable efficacité. Cette découverte a généré une perturbation de leur activité : « Je croyais que mon sécateur taillait bien, et je suis tombé de haut » (stagiaire n° 137, femme, 48 ans, 20 ans d’ancienneté à la taille, salariée permanente). Certains soulignent qu’ils n’avaient jamais imaginé qu’une différence si imperceptible sur la lame puisse induire de tels écarts de coupe : « la différence en termes de rapidité / netteté et le peu de pression à appliquer lorsque la lame est bien affilée, le ressenti comparé entre sécateur jaune et sécateur noir c’est scotchant » (stagiaire n° 66, homme, 26 ans, 4 ans d’ancienneté à la taille, salarié permanent). L’effet de compression avec bavure sur l’élément coupé comparé à une coupe franche et sans bavure est mentionné pour plus de 95 % des professionnels interrogés.

Transformation du rapport au sécateur

51Les résultats indiquent également une transformation en cours de formation du rapport qu’entretient le professionnel à son outil coupant, comme le montre le graphique suivant (Figure 5). Le sécateur n’est plus perçu comme un outil accessoire, mais davantage comme un levier central pour la santé du travailleur, la préservation des vignes et l’optimisation du temps de travail.

Figure 5 : Rapport du professionnel à son outil (début / fin de formation). 
Figure 5: Professional’s relationship with their tool (beginning / end of training)

Figure 5 : Rapport du professionnel à son outil (début / fin de formation).  Figure 5: Professional’s relationship with their tool (beginning / end of training)

52En effet, en début de formation, une part importante des viticulteurs considère le sécateur comme un simple outil (379 répondants) ou un gagne-temps (406 répondants). À l’issue de la formation, cette vision évolue significativement. L’outil est davantage perçu comme un instrument de précision (passant de 643 à 831 répondants) et un élément permettant de gagner du temps (de 406 à 991 répondants). On observe également une augmentation du nombre de viticulteurs assimilant le sécateur à un rasoir (de 49 à 211 répondants) et à un gagne-pain, à savoir un outil qui permet d’être plus efficace au travail et dans certains contextes, pour des travailleurs payés à la tâche, d’être mieux rétribués (de 129 à 162 répondants).

Évolution de l’importance d’un sécateur bien coupant pour la santé

53L’analyse des feuilles de route pédagogiques complétées par les stagiaires et récupérées en fin de formation met également en évidence une évolution du degré d’importance d’un sécateur bien affilé pour la santé des viticulteurs. La Figure 6 (graphique de dispersion) représente ce mouvement. Plus les droites se concentrent vers l’intérieur, plus les sécateurs sont considérés comme importants par les professionnels pour leur santé. Pour un même stagiaire, les droites bleues décrivent cette appréciation en début de formation, les droites jaunes en fin de formation.

Figure 6 : Évolution du degré d’importance donné à un sécateur qui coupe pour sa santé (début / fin de formation). 
Figure 6: Evolution of the perceived health related importance of pruner that cuts effectively (beginning / end of training)

Figure 6 : Évolution du degré d’importance donné à un sécateur qui coupe pour sa santé (début / fin de formation).  Figure 6: Evolution of the perceived health related importance of pruner that cuts effectively (beginning / end of training)

54Nous observons un effet global de centration de la population de professionnels (migration du critère pas important en début de formation vers très important en fin de formation). Nous observons les mêmes résultats pour les critères « santé de la vigne » et « productivité ».

55Les feuilles de route pédagogiques montrent une évolution marquée de l’importance accordée à un sécateur bien affûté, en particulier pour la santé des viticulteurs, mais aussi pour la productivité et la santé de la vigne. La Figure 6 illustre ce déplacement vers des niveaux d’importance plus élevés en fin de formation. Ces évolutions traduisent une transformation du rapport au sécateur, perçu moins comme un simple outil et davantage comme un instrument technique au service de la qualité du geste. On peut ainsi formuler l’hypothèse que la manière dont l’outil est perçu influence la manière dont il est entretenu. Ces résultats seront croisés avec l’analyse des pratiques effectives observées dans les domaines viticoles, afin de questionner les écarts ou cohérences entre les appréciations de l’outil et les pratiques effectives.

4.1.2. Évolution des pratiques effectives de gestion des outils coupants

56L’évaluation menée auprès d’un échantillon de 18 domaines ayant accepté de nous ouvrir leur porte en fin de saison de taille (36 professionnels ayant bénéficié de la formation) met en évidence une évolution marquée des pratiques d’entretien des outils coupants post-formation. Tout d’abord, l’affilage devient systématique. La totalité des stagiaires observés déclarent avoir modifié leurs habitudes et affilent de manière effective leur outil sur le terrain. Loin d’être une action ponctuelle, elle est désormais perçue comme une nécessité permanente : « Dès que je peux, je mets un petit coup (d’affiloir) » témoigne un participant, illustrant cette adoption immédiate (stagiaire n° 512, homme, 36 ans, 8 ans d’ancienneté à la taille, salarié permanent). Aussi, les pratiques d’affilage ont évolué. Les professionnels adoptent de nouvelles stratégies opératoires (angle et force appliquée sur la lame par exemple). Enfin, l’outil d’entretien lui-même a été changé. La pierre à aiguiser est largement délaissée post-formation au profit d’un affiloir en carbure de tungstène, rond, jugé plus efficace, fiable et plus simple d’utilisation. En effet, 90 % des professionnels observés ont adopté cet outil, exprimant une exigence accrue quant à la qualité de leur coupe : « Je ne supporte plus quand un sécateur ne coupe pas » (stagiaire n° 532, femme, 54 ans, 26 ans d’ancienneté à la taille, exploitante).

57La formation impacte également la gestion du remplacement des lames. Avant d’avoir vécu cette formation, les professionnels attendaient parfois une saison entière avant de changer une lame inefficace. Désormais, pour 31 professionnels, ce remplacement est pris en charge dans l’organisation du travail : « À présent, dès que ça coupe plus, on n’attend pas la prochaine saison, on change de lame » (stagiaire n° 532, femme, 54 ans, 26 ans d’ancienneté à la taille, exploitante). Ces différents résultats montrent que le sécateur devient (ou demeure pour certains) un instrument exigeant une maîtrise et un entretien précis essentiels pour l’efficacité du travail, la préservation de la santé et la pérennité du vignoble.

4.2. Salle Training Perçage

58L’échantillon d’analyse porte sur un effectif de 40 opérateurs ayant une formation initiale en aéronautique (21 provenant de CAP n’ayant jamais pratiqué sur avion et 19 de bac pro ayant 18 mois de pratique sur avion). Nous avons objectivé l’évolution du taux de réussite des professionnels par rapport aux référentiels qualité en vigueur, et ce pour chaque opération « perçage, alésage, pose de fixations » ainsi que celui du contrôle de ces opérations. Nos propos se focalisent sur la réussite de l’opération de perçage, car si un défaut de perpendicularité supérieur à deux degrés est observé, l’opération d’alésage d’un diamètre légèrement supérieur ne sera pas suffisante pour absorber le défaut et le trou devra faire l’objet de réparations. Nous distinguons dans les résultats le taux de réussite obtenu avec une perceuse « revolver » et celui obtenu par une perceuse « renvoi d’angle ». En effet, le perçage au renvoi d’angle est plus complexe que celui avec la perceuse revolver pour deux raisons : le design du renvoi avec bras de levier peut induire rapidement un défaut de perpendicularité et le design de la gâchette rend difficile la maîtrise de son enfoncement et donc la maîtrise de la vitesse de rotation de l’outil coupant. Lorsque cela était possible, les verbatims des stagiaires concomitants à la réalisation des exercices de perçage et de contrôle de leur conformité ont été recueillis. Autrement dit, des données ont été recueillies par observation directe instrumentée d’une grille pour la qualité des trous réalisés et libre pour la prise de verbatims.

59Au cours des six premiers mois consécutifs à la mise en place du dispositif, des « bilans autonomie » étaient réalisés par les chefs d’atelier où étaient affectés les professionnels pour le perçage des fuselages après formation en Salle Training Perçage. Ces bilans écrits et conservés au sein de l’organisation ont été exploités de manière complémentaire.

4.2.1. Changement de perception des professionnels

60Les opérateurs issus de certificat d’aptitude professionnel (CAP) arrivent en Salle Training Perçage avec peu de perçages manuels réalisés en formation initiale. Ceux ayant un baccalauréat professionnel (bac pro) travaillent depuis 18 mois sur le poste de perçages sur avion. En entrée de dispositif, ils jugent les configurations de perçage proposées comme « simples », car ne présentant pas pour eux de difficulté d’accessibilité ou de plan incliné comme sur avion. Le premier exercice de perçage (trente trous) est réalisé très rapidement sans médiation du formateur. Les professionnels prennent plus de temps et de précautions pour l’opération d’alésage. Cela s’explique par le fait que les critères qualité portés par le référentiel ne portent que sur les alésages.

61Les taux de réussite observés lors de cet exercice initial de perçage sont faibles, autant pour les « CAP » que pour les « bac pro ». Nous observons respectivement 46 % et 62 % de réussite (par exemple exigence de perpendicularité en référence au support percé, trou cylindrique avec une tolérance très faible) avec une perceuse revolver et 35 % et 59 % avec un renvoi à 90°. Factuellement, ils sont très éloignés du taux cible de 85 % fixé par le responsable de la qualité et de la production de la ligne d’assemblage.

62Ce faible pourcentage déroute profondément les stagiaires car dans leur représentation initiale, le perçage est une opération simple. Le fait de les faire contrôler après le perçage (ce qui n’est pas demandé sur avion) et après l’alésage (qui est obligatoire sur avion) leur permet de prendre conscience que 95 % de la qualité du trou se joue lors de l’opération de perçage. Pour mieux visualiser les impacts des trous non conformes, le formateur leur demande d’installer les fixations pour constater que les fixations ne portent pas sur l’ensemble du trou et ne pourraient pas tenir aux efforts subis en vol.

63Dès lors, les stagiaires prennent conscience que la qualité finale de l’assemblage se joue lors du perçage alors que les référentiels et la formation le qualifient d’opération d’« ébauche ». Les verbatims viennent souligner la remise en cause profonde de leur croyance : « donc si je rate le premier perçage, vu que l’alésoir suit le trou, c’est forcément non conforme ; le perçage c’est important, mais en fait c’est dur de percer perpendiculairement ». Les « bac pro » sont les plus perturbés par cette expérience : « Ce n’est pas possible ; c’est cent fois plus simple que sur avion et j’ai réussi que 40 % des trous ! », « Si j’obtiens ce pourcentage sur un plan vertical, mais alors sur avion, je fais quoi comme qualité ? »

4.2.2 Évolution des pratiques effectives de perçage

64À la suite de ces bouleversements vécus, les stagiaires démarrent le second exercice dans une posture où ils deviennent demandeurs de conseils et d’entraînement. À l’issue des perçages, le formateur les questionne pour leur faire caractériser de manière plus précise leurs défauts : est-il situé en entrée ou en sortie de trou ? Comment est-il ? Puis dans un deuxième temps il les interroge sur le défaut observé et leur mode opératoire. Par exemple, ils vont ainsi émettre l’hypothèse que la position « pieds joints » est peut-être en lien avec un trou plongeant en sortie de trou, car lorsque le foret débouche, leur corps bascule vers l’avant et ils sont déséquilibrés. En d’autres termes, le formateur les invite à réfléchir à une posture permettant de mieux gérer le déplacement du centre de gravité, de tester sur un nouveau trou cette nouvelle pratique et de constater le résultat.

65Le guidage du formateur combiné à la mise à l’épreuve des corps des stagiaires (répétition avec connaissance rapide du résultat) permet d’élaborer individuellement un mode opératoire de plus en plus fiable, efficace et économe. Les liens médiés par le formateur s’établissent par l’action et la réflexivité sur l’action entre les résultats obtenus et ce dont le professionnel a conscience en termes de mobilisation de son corps en situation.

66La Figure 7 représente l’évolution du taux de réussite au perçage pour les CAP / bac pro et selon les deux configurations de perçage (bâti vertical et horizontal). L’exercice initial correspond aux trente premiers trous percés par le stagiaire, puis cet exercice est répété jusqu’à l’obtention d’un taux de réussite de 85 % de trous conformes sur l’exercice (« exercice final »). Le nombre de répétitions d’exercices pour atteindre le taux de réussite de 85 % est indiqué en orange.

Figure 7 : Évolution du taux de réussite au perçage selon le profil professionnel et le type d’outil. 
Figure 7: Evolution of drilling success rate by professional profile and tool type

Figure 7 : Évolution du taux de réussite au perçage selon le profil professionnel et le type d’outil.  Figure 7: Evolution of drilling success rate by professional profile and tool type

67Nous observons une progression significative du taux de réussite au perçage pour l’ensemble des professionnels dans les deux configurations. Les objectifs qualité sont atteints après mise en œuvre en moyenne entre 2,5 et 3,2 exercices de perçage combinés aux médiations formateur.

68Durant les trois premiers jours, ils percent environ 150 trous. Les CAP, non habitués à percer autant, se plaignent pour une majorité de douleurs à l’épaule. Une fois la posture stabilisée, le formateur va les faire se questionner sur la partie du corps engagée lors de leurs perçages (le bras, l’épaule). En indiquant que les muscles les plus puissants sont les quadriceps, il incite les professionnels à solliciter différemment la puissance musculaire de leurs corps : « pousser avec les bras » versus « pousser avec les quadriceps ». La pratique évolue très rapidement vers un geste plus économe qui continue à s’élaborer dans le temps. En moins de quatre jours, on observe chez tous les professionnels une stabilisation des principes directeurs du geste professionnel qui conduisent à l’amélioration significative de l’efficacité du perçage.

69Notre deuxième indicateur porte sur les bilans mensuels réalisés par les chefs d’atelier des postes de perçage des fuselages d’avion. L’évaluation du niveau d’autonomie sur les opérations de perçage, alésage et pose de fixations est organisée pour l’ensemble du personnel selon une échelle de quatre niveaux (niveau 0 non autonome ; niveau 1 autonome sur quelques opérations mais pas sur l’ensemble ; niveau 2 autonome sur toutes les opérations en situation nominale ; niveau 3 autonome et capable de gérer des aléas et de réparer). Avant la mise en place de la Salle Training Perçage, les chefs d’atelier déclaraient que 18 mois en moyenne était nécessaire pour qu’un professionnel puisse atteindre le niveau 3 (autonome en situation nominale). Désormais, ce niveau est obtenu en moyenne trois mois après la sortie de la Salle Training Perçage. La sortie de la Salle Training Perçage est conditionnée à l’obtention de 85 % de réussite sur un bâti d’entraînement représentatif d’une soute d’avion, car c’est la situation la plus complexe sur avion. Pour une majorité de CAP, quatre semaines suffisent à atteindre ce niveau pour l’ensemble des opérations (perçage, alésage, pose de fixation).

70Plusieurs années après le démarrage de la Salle Training Perçage, l’enjeu de l’opération de perçage manuel sur la qualité de l’assemblage final de la structure des avions est reconnu dans l’entreprise et mentionné dans un référentiel procédé associé à une formation. Ce référentiel préconise dans certaines situations d’outiller les opérateurs pour les rendre capables de tenir les exigences de perpendicularité. L’apprentissage du perçage est complexe et est devenu un enjeu fort. Les résultats obtenus ont convaincu la Direction de la nécessité de faire passer tout profil de compagnons en Salle Training Perçage dès leur arrivée sur la chaîne.

5. Discussion

5.1. Transformer les pratiques professionnelles : entre normalisation et normativité

71Les résultats mettent en évidence la manière dont les dispositifs de formation créent un espace de tension entre la normativité des professionnels et la pression normalisante inhérente à tout projet de formation. Pour les dispositifs NPPLF et STP, la simulation incarnée a pour particularité de se fonder sur les sensations corporelles des formés et sur les constats qu’ils opèrent, en tant que déclencheurs d’une remise en cause de leur pratique professionnelle et de l’avènement de nouvelles préoccupations, fondements de pratiques renouvelées.

72En mobilisant Canguilhem (1981) et Récopé et al. (2024), nous considérons la formation comme une pratique normalisante, qui vise à aligner l’activité des formés sur des normes culturelles valorisées (NCV). Par exemple, dans NPPLF, la simulation visait à rendre saillants les bénéfices liés à un pouvoir coupant optimal des lames sur les performances du travail. Dans STP, les stagiaires ont fait l’expérience de la complexité et de l’importance du respect de la qualité du perçage, enjeu invisible du quotidien mais déterminant sur la conformité de l’assemblage final. Ces dispositifs constituent des champs d’actions encouragées (Durand, 2008) car ils opèrent une appréciation normative : certains gestes ou certaines pratiques sont valorisés, d’autres non.

73La mise à l’épreuve des corps par la simulation engage les professionnels dans un travail de reconfiguration de leurs normes d’activité. Mais cette évolution ne peut être prescrite. Elle suppose la construction d’un espace partagé où les acteurs acceptent d’explorer d’autres manières d’agir à partir de l’intégration de nouvelles normes d’activité.

74L’activité des formés ne se transforme pas de l’extérieur, on ne peut que susciter cette transformation (Maturana & Varela, 1994 ; Récopé et al., 2024). En effet, les professionnels conservent leur capacité de normativité, c’est-à-dire leur pouvoir d’interpréter et de réévaluer les situations en fonction de leur propre histoire, de leurs valeurs et des normes d’activité qu’ils ont construites. Cette normativité se manifeste fortement dans les dispositifs NPPLF et STP, notamment à travers les débats, découvertes, remises en cause des croyances des professionnels suscitées par la première situation de simulation d’activité à laquelle ils ont été confrontés.

75La simulation, tout en étant conçue comme un espace de normalisation, ravive la normativité des professionnels en les confrontant à des enjeux qu’ils réinterprètent à partir de leur norme d’activité prévalente (NAP) (Récopé et al., 2024). Ils ne se contentent pas d’intégrer la norme attendue : ils la mettent à l’épreuve de leur propre monde de préoccupations, choisissant parfois de s’en écarter ou d’en reconfigurer la portée.

76Les dispositifs Ne Perdez Pas Le Fil et Salle Training Perçage ne visent pas la reproduction mécanique de « bonnes pratiques ». Ils visent à créer les conditions d’une mise à l’épreuve des normes d’activité existantes, en exposant les professionnels à des situations problématiques porteuses de conséquences perceptibles. Ces situations sont médiées par un formateur, dont le rôle est de soutenir et de nourrir les processus réflexifs en cours, en permettant la confrontation d’enjeux souvent implicites à partir d’une enquête à résoudre (Cromer, Bonnemain, & Coutarel, 2023). Autrement dit, l’articulation entre les sensations corporelles vécues et l’accompagnement du formateur constitue un levier d’apprentissage et de développement. Ce cadre permet de faire dialoguer la normativité propre aux formés avec les formes de normalisation culturelle du métier, ouvrant un espace de réflexion partagée sur les critères actualisables d’un travail performant. La simulation ne se contente donc pas d’enseigner des règles : elle met en scène les dilemmes du métier (Clot, 2015), oblige à arbitrer, à ressentir, à expérimenter ce qui fait valeur dans l’action. Elle engage les stagiaires dans un processus d’ajustement permanent, au cœur même de l’activité simulée.

5.2. La transformation des pratiques : entre apprentissage et développement

77Tout formateur inspiré par l’approche énactive est confronté à un paradoxe : il est un « manipulateur d’expériences » (Récopé, 2001, p. 89), suscitant et orientant une transformation de l’expérience des formés, tout en reconnaissant que chacun forme sa propre expérience. Dès lors, les transformations observées chez les professionnels confrontés aux dispositifs relèvent-elles d’un apprentissage ou d’un développement des individus ?

78L’apport de Récopé et al. (2024) éclaire cette distinction. L’apprentissage désignerait les changements opérés au service de la satisfaction accrue de la norme d’activité prévalente (NAP). Il renforce l’efficacité ou l’efficience dans le cadre des normes déjà structurantes pour l’individu. Le développement, au contraire, correspond à l’émergence d’une nouvelle NAP, modifiant le domaine d’interaction de l’acteur et ses critères de satisfaction. Il s’agit d’une reconfiguration plus profonde, équivalente à une révolution dans l’activité, ouvrant de nouvelles possibilités d’action et d’apprentissage.

79Nos résultats, qu’ils conviendraient d’étayer dans un cadre d’étude approfondie, illustrent de manière exploratoire ces deux dynamiques. Dans NPPLF, nombre de viticulteurs ont amélioré leur capacité à diagnostiquer l’état d’un sécateur, affiler correctement, choisir le bon outil, traduisant un apprentissage visant une meilleure performance dans un registre de « sensibilité à » déjà présent : celui de l’enjeu de l’efficacité de la coupe (apprentissage). Cependant, pour d’autres, la confrontation à l’expérience sensorielle des écarts de coupe a déclenché une transformation du rapport entretenu à l’outil, perçu désormais comme un levier central pour la santé de l’homme, de la vigne et de la productivité. Pour ces professionnels, le sécateur devient un « rasoir » ou un « gagne-pain ». Un changement radical de valeur de l’outil indiquerait un développement se traduisant par une modification de la sensibilité à l’enjeu de maintenir un pouvoir coupant optimal de l’outil relié à des préoccupations économiques et sanitaires. De même, dans STP, la répétition des perçages et la médiation du formateur ont conduit certains stagiaires à ajuster leur geste et la gestion de l’effort dans un cadre normatif connu (apprentissage). Mais d’autres ont radicalement reconfiguré leur manière d’envisager l’importance de l’opération de perçage, longtemps perçue comme anodine, et ont pris conscience qu’elle conditionne toute la qualité de l’assemblage final. Ce déplacement de sensibilité à l’enjeu d’un perçage complexe à réaliser selon des exigences rigoureuses marquerait un développement.

80Ces exemples montrent que la transformation des pratiques professionnelles ne s’opère pas uniformément. Elle dépend de la relation entre la norme d’activité prévalente (NAP) initiale des formés et la norme culturellement valorisée (NCV) portée par le dispositif. Lorsque la NAP est déjà alignée sur la NCV, la formation renforcerait les savoir-faire existants. En revanche, quand l’écart est important, la formation pourrait susciter l’émergence d’un nouveau monde de préoccupations chez les professionnels. Dans ce processus, le rôle combiné des artefacts visant spécifiquement la mise à l’épreuve des corps et celui du formateur s’avère déterminant dans la mise en débat des normes et l’accompagnement de la possible reconfiguration des NAP. Sa capacité à faire émerger de nouveaux enjeux perceptibles et signifiants pour les professionnels indiquerait un passage de l’apprentissage vers un développement.

81Toutefois, une limite importante des actions conduites par les ergonomes dans les deux dispositifs réside dans l’absence d’objectivation fine des NAP initiales des professionnels. Cette caractérisation serait indispensable pour évaluer avec précision ce qui, dans la transformation observée, relèverait d’un simple apprentissage ou d’un réel développement. La perspective ouverte par Récopé et al. (2024) souligne l’importance de cette analyse si l’on veut concevoir des formations capables d’accompagner l’« enactment » de nouvelles normes compatibles avec les exigences socioculturelles de la pratique. Cette voie constitue une perspective de recherche forte :

« Si notre visée est de construire des formations permettant à chacun d’énacter des normes conformes aux attentes culturelles et sociales relatives à la pratique considérée, nos propositions théoriques doivent être confrontées à d’autres domaines afin de tester la pertinence de la transposition de notre “ingénierie énactive de formation” et de l’enrichir » (Ibid., p. 82).

82Enfin, une autre difficulté réside dans la capacité à objectiver le devenir des effets d’apprentissage et/ou de développement chez les professionnels, une fois le parcours de formation terminé. Par exemple, il reste difficile et coûteux d’objectiver avec précision si les transformations de pratiques s’ancrent durablement dans l’activité réelle ou si elles s’érodent avec le temps. L’étude des fondements de ces pratiques constitue un véritable défi.

5.3. Exigences et fragilité des dispositifs de formation conçus

83Les dispositifs de simulation, bien qu’efficaces pour transformer les pratiques professionnelles, présentent des exigences importantes en termes de conception, de déploiement et de pérennisation (Beaujouan, Coutarel, & Aubert, 2018). Leur mise en place suppose des investissements matériels et une organisation rigoureuse pour garantir une gestion efficace des artefacts pédagogiques : supports de formation, matériel, flux de consommables, espaces dédiés, actualisation des technologies utilisées.

84À cet égard, la réflexion développée par Coutarel (2022) sur la notion de dispositif éclaire la complexité de ces constructions. Le dispositif ne se limite pas à une infrastructure technique ou pédagogique ; il constitue un agencement relationnel et politique qui prend forme dans l’interaction entre les artefacts, les intentions de transformation du travail et les acteurs impliqués. Le dispositif affecte et est affecté par ceux qui y prennent part : il produit des effets et se transforme au contact de l’activité réelle des formateurs et des formés.

85Dans cette perspective, la formation des formateurs apparaît à la fois comme un levier essentiel et un point de fragilité. Les formateurs ne se contentent pas d’animer des sessions, ils portent la philosophie du dispositif et incarnent, dans leur manière d’intervenir, les principes mêmes de la transformation visée. Les outiller dans leur rôle d’accompagnateurs de la transformation des pratiques professionnelles est donc aussi exigeant que nécessaire (Beaujouan, Aubert, & Coutarel, 2015).

Conclusion

86La transformation des pratiques des professionnels constitue ainsi un véritable défi pour les formateurs, car elle ne peut s’imposer de l’extérieur, y compris lorsque ces pratiques produisent des effets indésirables sur les performances du travail. Dans les deux dispositifs de formation analysés, le recours à la simulation et la mise à l’épreuve des corps des professionnels ont constitué des leviers déterminants pour susciter une prise de conscience des enjeux liés à certaines pratiques pourtant encouragées par la norme culturelle de référence. La simulation apparaît alors comme un vecteur potentiel d’apprentissage et de développement pour les professionnels.

87Cependant, pour atteindre cet objectif, la situation de simulation doit être rigoureusement pensée et calibrée, à l’instar des dispositifs Ne Perdez Pas Le Fil et Salle Training Perçage. Quoi simuler, avec quels artefacts, à quel moment, dans quel objectif, selon quelles modalités d’animation et par qui : autant de questions essentielles à anticiper. La simulation d’activité cristallise par et dans l’action les écarts entre ce que les professionnels croyaient savoir et ce qu’ils découvrent. Elle vient perturber leurs croyances, leurs appréciations et leurs routines, tout en rendant palpables à court terme les conséquences d’un geste ou d’une pratique. La simulation ne se contente pas de donner à voir, elle donne à ressentir là où il n’y a pas toujours de mots pour le dire. Cette perturbation de l’activité devient alors un moteur de changement, suscitant l’envie d’apprendre et la recherche de nouveaux moyens d’agir plus efficacement. Cela implique une ingénierie pédagogique rigoureuse, garantissant que la simulation soit pensée comme une expérience immersive et transformatrice, engageant de manière indissociable le corps, la cognition et l’affectivité des professionnels.

88Dans ce contexte, le formateur occupe un rôle clé dans la conception et l’animation du dispositif. Sans adopter une posture de prescripteur, il soutient la réflexivité individuelle et collective des professionnels, alimente la poursuite de leur enquête, leur donne la possibilité d’expérimenter, de répéter, et de relier rapidement leurs actions au résultat produit.

89Pour conclure, les transformations de pratiques professionnelles observées dans ces dispositifs ne relèvent pas uniquement de l’apprentissage, entendu comme un ajustement des gestes et des actions dans un cadre normatif préexistant. En certains points, la simulation ouvre la voie à un véritable développement professionnel, qui ne se limite pas à la maîtrise d’une pratique, mais engage une reconfiguration plus profonde du rapport des professionnels à leur activité, à leurs normes de référence et aux finalités de leur métier. Cette perspective ouvre de nombreuses pistes de recherche dans le champ de la conception de dispositifs de sensibilisation à visée de transformation des pratiques professionnelles contemporaines, applicables bien au-delà des secteurs viticole et aéronautique.

Haut de page

Bibliographie

Aubert, S., & Beaujouan, J. (2022). Fil rouge – La formation dans l’intervention en ergonomie, quand l’acte pédagogique devient stratégique. In 28e Journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie, Bordeaux, France.

Altieri, M. A. (2018). Agroecology: The science of sustainable agriculture (2e éd.). Redwood Press.

Beaujouan, J., & Danguin, M. (2022). Une formation innovante pour transformer les pratiques de prévention. [Communication présentée au Salon Préventica, Lyon, France, lauréat du prix Innovation TMS].

Beaujouan, J., Aubert, S., & Coutarel, F. (2015). Construction de l’intervention ergonomique : D’une préoccupation de montée en cadence à la décision d’investir pour transformer le travail : Embûches et stratégies. Perspectives Interdisciplinaires sur le travail et la santé, 17(2), 1‑16.

Beaujouan, J., Coutarel, F., & Aubert, S. (2018). Concevoir un dispositif de formation par la pratique pour des opérateurs : une approche ergonomique de la conduite de projet. In C. Vidal-Gomel (ed.), Analyses de l’activité – Perspectives pour la conception et la transformation des situations de travail (pp. 99‑111). Rennes : Presses Universitaires de Rennes.

Beaujouan, J., Bidault, M., Bernadet, C., & Silini, A. (2025). L’enseignement agricole face aux transitions agroécologiques : comment accompagner l’évolution des pratiques ? In Actes du 58e congrès de la SELF, Ergonomie, communauté(s) et société : entre héritage et perspectives, Nanterre, 2‑4 juillet 2025.

Caens, C. (2022). Simuler pour se former. Presses Universitaires de France (PUF).

Canguilhem, G. (1981). Gustave Monod, philosophe, pédagogue. In Collectif, Un pionnier en éducation Gustave Monod les classes nouvelles de la Libération. Paris : CUIP CEMEA.

Claparède, E. (1931). L’éducation fonctionnelle. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.

Clot, Y. (2015). Le travail à cœur : pour en finir avec les risques psychosociaux. Paris : La Découverte.

Colombetti, G. (2014). The Feeling Body. Affective Science Meets the Enactive Mind. Cambridge : MIT Press.

Colombetti, G., & Thompson, E. (2005). Enacting emotional interpretations with feeling. Behavioral and Brain Sciences, 28(2), 200‑201.

Coutarel, F. (2022). Penser l’activité et la transformation du travail : contributions à une approche relationnelle et politique de l’intervention ergonomique. Habilitation à diriger des recherches, Université Clermont Auvergne.

Cromer, D., Bonnemain, A., & Coutarel, F. (2023). Du développement du pouvoir d’agir au développement des marges de manœuvre : un exemple d’intervention. Activités, 20(2). https://doi.org/10.4000/activites.8620

Daniellou, F. (2005). Des fonctions de l’ergonome dans la conception des situations de travail. Toulouse : Octarès.

Dewey, J. (1920). Reconstruction in Philosophy. New York : Henry Holt.

Dewey, J. (1943). L’Ecole et l’enfant. Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.

Di Paolo, E. (2005). Autopoiesis, adaptivity, teleology, agency. Phenomenology and the Cognitive Sciences, 4(4), 429‑452.

Di Paolo, E. (2014). Robotique et énaction, L’apprentissage en question. Revue EP&S, 362, 10‑14.

Durand, M. (2008). Un programme de recherche technologique en formation des adultes. Une approche enactive de l’activité humaine et l’accompagnement de son apprentissage / développement. Éducation et didactique, 2(3), 97‑121.

Duval, H., Raymond, C., & Odier‑Guedj, D. (eds.). (2022). Engager le corps pour enseigner et apprendre : Diversité des perspectives. Québec : Presses de l’Université Laval.

INRS. (2020). Troubles musculosquelettiques (TMS) : Les comprendre pour agir dans l’entreprise (Brochure ED 6477). Institut national de recherche et de sécurité (INRS).

Johnson, M. (2014). Postface. In, G. Colombetti, The Feeling Body. Affective Science Meets the Enactive Mind. Cambridge : MIT Press.

Lecourt, D. (2008). Georges Canguilhem. Paris : PUF (coll. Que sais-je ?).

Lemerle, B., & Gorvan, K. (2017). Observatoire des troubles musculo-squelettiques des actifs agricoles. Bilan national 2011‑2015. MSA. https://ssa.msa.fr/wp-content/uploads/2019/03/11953-Observatoire-des-TMS-bilan-2011-2015.pdf

Maline, J. (1994). Simuler le travail : Une aide à la conduite de projet. ANACT.

Maturana, H. R., & Varela, F.J. (1994). L’Arbre de la connaissance. Racines biologiques de la compréhension humaine. Paris : Addison-Wesley France.

MSA (2008). Dossier technique : Étude MSA Rhône Saône et Loire & Laboratoire Métro Ergo.

Ouellet, S. (2013). Contribution de l’ergonomie à la conception d’un outil de formation. Activités, 10(2). http://journals.openedition.org/activites/690

Pastré, P. (2005). Apprendre par la simulation. Paris : PUF.

Piaget, J. (1936). La naissance de l’intelligence chez l’enfant. Lausanne-Paris : Delachaux et Niestlé.

Piaget, J. (1967). Biologie et connaissance. Paris : Gallimard.

Récopé, M. (2001). L’Apprentissage. Paris, Éditions Revue EPS.

Récopé, M., & Boda, B. (2008). Raisons d’agir, raisons d’apprendre. Dossiers EPS, 76. Paris, Éditions Revue EPS.

Récopé, M., Boyer, S., Flandin, S., & Rix-Lièvre, G. (2024). Enaction et normativité de l’activité : Distinguer apprentissage et développement en formation. Intellectica, 80(1), 59‑86.

Reed, E., Bril, B. (1996). The primacy of action in development. In M. Latash & M. Turvey (Eds.), Dexterity and its development (pp. 431‑451). Hillsdale, NJ : Erlbaum.

Ribot, T. (1896). La psychologie des sentiments. Paris : Alcan.

Schön, D. A. (1983). The Reflective Practitioner: How Professionals Think in Action. New York : Basic Books.

Tcherkassof, A., & Frijda, N. (2014). Les émotions : une conception relationnelle. L’Année psychologique, 114, 501‑535.

Van Belleghem, L. (2018). La simulation de l’activité en conception ergonomique : acquis et perspectives. Activités, 15(1). https://doi.org/10.4000/activites.3129

Van Belleghem, L. (2021). Simulation technique et organisationnelle. In É. Brangier & G. Valléry (eds.), Ergonomie : 150 notions clés (pp. 470‑472). Paris : Dunod.

Van Leeuwen, C., Destrac-Irvine, A., Dubernet, M., Duchêne, E., Gowdy, M., Marguerit, E., Pieri, P., Parker, A., de Rességuier, L., & Ollat, N. (2019). An update on the impact of climate change in viticulture and potential adaptations. Agronomy, 9(9), 514. https://doi.org/10.3390/agronomy9090514

Varela, F. (2001/2010). El fenomeno de la vida. Santiago de Chile, J. C. Saez.

Varela, F., Thompson, E., & Rosch, E. (1993). L’inscription corporelle de l’esprit. Paris : Seuil.

Vergnaud, G. (1989). Questions vives de la psychologie du développement. Bulletin de psychologie, 390, 450‑457.

Vézina, N., Prévost, J., Lajoie, A., & Beauchamp, Y. (1999). Élaboration d’une formation à l’affilage des couteaux : Le travail d’un collectif, travailleurs et ergonomes. Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, 1(1). https://doi.org/10.4000/pistes.3838

Wezel, A., Bellon, S., Doré, T., Francis, C., Vallod, D., & David, C. (2009). Agroecology as a science, a movement and a practice. A review. Agronomy for Sustainable Development, 29(4), 503‑515.

Haut de page

Notes

1 En aéronautique, l’alésage est une opération d’usinage qui consiste à agrandir et ajuster un trou existant avec une grande précision. Elle permet d’obtenir une surface cylindrique lisse, garantissant un ajustement optimal entre deux pièces, essentiel pour la fiabilité des assemblages mécaniques.

2 L’insatisfaction pratique est une notion centrale qui renvoie à un écart perçu par l’acteur lui-même entre ce qu’il fait et ce qu’il aimerait ou devrait faire pour que son action soit pleinement satisfaisante, cohérente, juste ou éthique selon ses propres normes professionnelles.

3 Claparède a connu les écrits de Dewey et le cite souvent ; il a d’ailleurs rédigé l’introduction de l’ouvrage L’école et l’enfant de Dewey publié en 1943.

4 L’affilage désigne l’entretien régulier du fil de la lame (visant à le redresser), tandis que l’affûtage vise à le reconstruire lorsqu’il est émoussé ou abîmé.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 : Sécateurs « noir » et « jaune ».  Figure 1: Black and yellow professional pruners
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/11268/img-1.png
Fichier image/png, 238k
Titre Figure 2 : Exploration des résultats de la coupe.  Figure 2: Analysis of cutting results
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/11268/img-2.png
Fichier image/png, 345k
Titre Figure 3 : Exercice d’évaluation de la conformité des trous (à gauche), et de perçage (à droite).  Figure 3: Assessment exercise for hole compliance (left) and drilling (right)
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/11268/img-3.png
Fichier image/png, 295k
Titre Figure 4 : Perceuses utilisées.  Figure 4: Drills used
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/11268/img-4.png
Fichier image/png, 109k
Titre Tableau 1 : Évaluation des changements de perception des viticulteur.rices vis‑à‑vis de son outil coupant (effectif = 1 150 viticulteurs).  Table 1: Assessment of changes in winegrowers’ perception of their cutting tool (sample size = 1150 winegrowers)
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/11268/img-5.png
Fichier image/png, 516k
Titre Tableau 2 : Évaluation des évolutions des pratiques effectives de gestion des outils coupants en période de taille, au sein des domaines viticoles (effectif = 18 domaines viticoles / 36 viticulteurs).  Table 2: Assessment of changes in actual practices for managing cutting tools during the pruning period, within wine estates (sample size = 18 wine estates / 36 winegrowers)
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/11268/img-6.png
Fichier image/png, 77k
Titre Figure 5 : Rapport du professionnel à son outil (début / fin de formation).  Figure 5: Professional’s relationship with their tool (beginning / end of training)
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/11268/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 138k
Titre Figure 6 : Évolution du degré d’importance donné à un sécateur qui coupe pour sa santé (début / fin de formation).  Figure 6: Evolution of the perceived health related importance of pruner that cuts effectively (beginning / end of training)
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/11268/img-8.png
Fichier image/png, 704k
Titre Figure 7 : Évolution du taux de réussite au perçage selon le profil professionnel et le type d’outil.  Figure 7: Evolution of drilling success rate by professional profile and tool type
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/11268/img-9.png
Fichier image/png, 84k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Joffrey Beaujouan, Sophie Aubert, Fabien Coutarel et Michel Récopé, « Mobilisation du corps et simulation : comment susciter la transformation des pratiques professionnelles ? »Activités [En ligne], 22-2 | 2025, mis en ligne le 15 octobre 2025, consulté le 10 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/activites/11268 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14ybk

Haut de page

Auteurs

Joffrey Beaujouan

Otherway / Université Clermont Auvergne, laboratoire ACTé (EA 4281), 3 rue de la Chebarde, 63178 Aubière France
joffrey.beaujouan_AT_uca.fr

Articles du même auteur

Sophie Aubert

Airbus Operations S.A.S., service Ergonomie et performance industrielle, 316 route de Bayonne 31060 Toulouse Cedex 09 France
sophie.aubert_AT_airbus.com

Fabien Coutarel

Université Clermont Auvergne, laboratoire ACTé (EA 4281), 3 rue de la Chebarde, 63178 Aubière, France
fabien.coutarel_AT_uca.fr

Articles du même auteur

Michel Récopé

Université Clermont Auvergne, laboratoire ACTé (EA 4281), 3 rue de la Chebarde, 63178 Aubière, France
michel.recope_AT_uca.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search