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Dossier

Analyse didactique d’une séance de simulation : gérer l’activité simulée tout en anticipant le débriefing

Didactic analysis of a simulation session: managing the simulated activity while anticipating the debriefing
Dieuwertje Bordat-Teeuwen et Guillaume Serres

Résumés

Alors que le référentiel de formation en soins infirmiers préconise depuis plus de dix ans l’utilisation de la simulation dans différentes unités d’enseignement, cette activité reste particulièrement complexe pour le formateur. À des fins de formation de formateurs, nous avons analysé l’activité de cinq formateurs expérimentés selon le cadre de la didactique professionnelle. Les entretiens réalisés nous ont permis de repérer sept moments qui impliquent des habiletés complexes pour le formateur. Cette présente contribution porte sur le moment où les formateurs cherchent à gérer l’activité simulée tout en anticipant simultanément le débriefing. Il s’agit ici de clarifier l’épaisseur de ce moment en détaillant les stratégies mises en place par les formateurs pour gérer six préoccupations simultanément. Nous avons schématisé leur expertise sous la forme d’une structure conceptuelle de situation, en identifiant les liens entre les paramètres et les indicateurs permettant de faire avec la complexité. Cette formalisation provisoire pourra être complétée et mise à l’épreuve en formation.

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Texte intégral

Remerciements
Nous souhaitons remercier Joris Teeuwen pour sa contribution à la traduction anglaise de l’article.

Introduction

1En 2009, en France, est instauré le dernier référentiel de formation des étudiants en soins infirmiers (arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier, 2009). En 2014, un nouvel arrêté renforce l’utilisation de la simulation (arrêté du 26 septembre 2014 modifiant l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier, 2014). L’apprentissage expérientiel est valorisé et les enjeux de didactisation du métier sont soulignés afin de favoriser une acquisition progressive des gestes de métier. En 2019, la Haute Autorité de santé (HAS) publie un guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé (Haute Autorité de santé, 2019). Réactualisé en 2024, ce dernier a été élaboré à partir d’un état des lieux des recommandations de bonnes pratiques européennes et internationales, d’une revue de la littérature et de l’avis d’experts réunis dans un groupe de travail. Ce guide précise que les formateurs doivent détenir une formation spécifique. Or, l’expertise de ces formateurs est peu connue (Bastiani, 2017). Lorsqu’elle est étudiée, elle l’est très majoritairement lors du débriefing (Flandin et al., 2024 ; Vandestrate, Dubois, & Van Daele, 2024). Même si la littérature insiste sur l’importance centrale du rôle du formateur (e.g., Duvivier et al., 2023), celui-ci demeure encore mal défini et en cours de construction. Dans ce contexte, nous souhaitons, par cette étude, poursuivre les efforts de mise en lumière des éléments qui orientent et guident l’action des formateurs lorsqu’ils mettent en œuvre des simulations en soins infirmiers. En nous appuyant sur la didactique professionnelle, nous souhaitons rendre compte des processus de conceptualisation dans l’action. La mise en évidence d’invariants dans l’activité des formateurs nous a permis d’élaborer une structure conceptuelle de situation (Pastré, 1999). La confrontation répétée aux situations professionnelles conduit les formateurs à l’élaboration d’observables, de paramètres et de concepts dits pragmatiques qui orientent et guident l’action (Pastré, 2011). Leur mise en lumière par l’analyse du travail apparaît nécessaire pour dépasser les recommandations générales et les avis d’experts.

2Au cours de nos recherches antérieures, nous avons identifié que le formateur est confronté à sept moments critiques au sein des trois étapes de la simulation (le briefing, l’activité simulée et le débriefing). Ils ont été mis en lumière par le repérage du déploiement de stratégies de la part de formateurs expérimentés pour pouvoir conjuguer simultanément plusieurs préoccupations. Notre projet global est de modéliser chacun de ces moments critiques par une représentation schématique, la structure conceptuelle de situation (Pastré, 2011).

3La Figure 1 a pour but d’illustrer la place de cet article dans la démarche globale de notre recherche. Précédemment, nous avons décrit les stratégies mises en œuvre par les formateurs lors du briefing pour annoncer le risque d’erreur tout en préservant le climat de classe (Bordat-Teeuwen & Serres, 2021). Pour cet article, nous avons ciblé un moment critique au cours de l’activité simulée, où les formateurs emploient des stratégies pour gérer simultanément l’activité simulée tout en anticipant le débriefing. Pour faciliter la lecture de cet article, nous appellerons EACT l’étudiant ou les étudiants en activité simulée, et EOBS les étudiants en posture d’observateurs.

Figure 1 : Identification de sept moments critiques. 
Figure 1 : Seven critical moments

Figure 1 : Identification de sept moments critiques.  Figure 1 : Seven critical moments

1. Contexte et objectif

4La simulation est structurée autour de trois étapes intrinsèquement liées : le briefing, l’activité simulée lors de laquelle le formateur cherche à maintenir « les apprenants en situation de résolution de problème(s) » (Haute Autorité de santé, 2024, p. 17) grâce à un scénario construit autour d’un objectif-obstacle à atteindre, et le débriefing. Tandis que nous avons isolé sept moments critiques, nous avons souhaité analyser les articles publiés entre 2022 et 2023 dans une revue emblématique en matière de simulation en soins infirmiers : Clinical Simulation in Nursing. Cette analyse a permis de mettre en lumière que parmi 146 articles identifiés, seuls huit articles portaient exclusivement sur l’activité simulée, dont un spécifiquement sur ce que fait le formateur au cours de l’activité simulée vis-à-vis des EOBS (Hussein & Ha, 2023), sans pour autant tenir compte de la gestion concomitante des EACT. Au regard de cette analyse, et dans l’objectif de concourir à la formation de formateurs en simulation, l’originalité de cet article est de porter sur ce qu’un formateur expert fait concrètement au cours de l’activité simulée.

5Parmi les prescriptions de la HAS, lors de l’activité simulée, le formateur observe et évalue l’étudiant qui interagit avec le simulateur. Toutefois, de nombreux articles démontrent que l’activité déborde largement ces prescriptions. En ce sens, de nombreux auteurs complètent les différents objectifs que le formateur poursuit, sans toutefois décrire explicitement les moyens utilisés par celui-ci pour les atteindre. Ainsi, tandis que la situation de simulation évolue « avec sa dynamique propre » (Vidal-Gomel, 2009, p. 166), le formateur élabore un diagnostic sur la nature du ou des problèmes rencontrés par les acteurs engagés dans la simulation (Samurçay, 2009), notamment la possibilité de « mesurer le jugement clinique [de l’étudiant] en temps réel » (Klenke-Borgmann et al., 2023, p. 2). Simultanément, et pour éviter que la situation évolue vers un échec, le formateur peut également intervenir comme facilitateur (Policard, 2018), en agissant sur l’interprétation ou le traitement de la tâche, en réorientant et en aidant l’étudiant (Vidal-Gomel, 2009), pour amener celui-ci à se confronter à l’objectif‑obstacle.

6Parallèlement, tandis qu’il est pleinement ancré dans ce qu’il se passe dans l’activité simulée pour pouvoir agir à tout moment, il observe, anticipe et prépare un feedback personnalisé à l’EACT en détectant des compétences déjà acquises et d’éventuels comportements inadéquats susceptibles d’illustrer ses difficultés (Demaurex & Vu, 2013). Ces éléments observables de l’activité, permettant d’alimenter le débriefing, sont qualifiés comme étant « les traces de l’activité » (Vidal-Gomel, 2009, p. 162).

7Enfin, conjointement à l’observation des EACT, le formateur porte une attention particulière aux observateurs de l’activité simulée (Hussein & Ha, 2023), voire il oriente leurs regards (O’Regan et al., 2016). Ces EOBS observent ainsi « les actions efficaces et [envisagent] les alternatives en cas de difficultés », leur permettant de « s’enrichir du répertoire des uns et des autres » (Demaurex & Vu, 2013, p. 311). Il s’agit pour le formateur de veiller simultanément à la singularité de chaque EOBS. Pour éviter de passer à côté d’éléments pertinents pour le débriefing, le formateur tente de recueillir des observations portant sur leurs réactions, notamment celles des personnes réservées, afin de les solliciter à bon escient au cours du débriefing (Dieckmann et al., 2009).

8Tandis que ce moment 3 est critique pour l’activité du formateur, la littérature est paradoxalement peu développée. Aussi, pour remédier à ce constat et outiller les formateurs novices en matière de simulation, nous avons choisi la didactique professionnelle afin de contribuer à la formation des formateurs. La didactique professionnelle a précisément « pour but d’analyser le travail [ici celui des formateurs en santé utilisant la simulation] en vue de la formation de [leurs] compétences professionnelles » (Pastré, Mayen, & Vergnaud, 2006). Nous aurions pu analyser l’activité de simulation dans son ensemble. Mais à des fins didactiques, nous avons fait le choix d’isoler chaque moment critique. Dans cet article, il s’agit du moment où le formateur gère l’ici et le maintenant de l’activité simulée tout en se projetant dans le débriefing. Ce moment est particulièrement crucial et complexe du fait de sa double temporalité : le formateur veille à ce que l’activité simulée, qui évolue dans le temps, se déroule selon les objectifs fixés et identifiés par les auteurs ci-dessus, tout en préparant le terrain pour favoriser les apprentissages lors du débriefing.

2. Cadre de l’analyse et méthodologie

2.1. Accéder à l’expertise des formateurs

9Pour pouvoir analyser l’activité, et en déduire les besoins réels du métier en termes de formation, nous avons souhaité accéder au point de vue des formateurs. Pour ce faire, nous avons réalisé des entretiens de type « instruction au sosie » (Oddone, Re & Briante, 1981), auprès de cinq professionnels. Pour accéder aux éléments qui orientent et guident l’action des formateurs, chaque entretien a commencé par la phrase : « Suppose que je sois ton sosie et que demain je me trouve en situation de te remplacer dans ton travail. Quelles sont les instructions que tu devrais me transmettre afin que personne ne s’avise de la substitution ? » (Saujat, 2005, p. 1). Ceci amène les formateurs à expliciter précisément ce à quoi il faut prêter attention, comment faire et se traduit par des phrases qui commencent souvent par « ce que tu vas faire c’est…, veiller à…, regarder… ». Ainsi, au cours de chaque instruction, le formateur interrogé explicite sa manière de faire et les paramètres dont il tient compte pour mener à bien sa séance de simulation : comment il organise ses actions lors de l’activité simulée, identifie les buts qu’il se donne, les éléments signifiants pour lui, les repères utilisés pour discriminer des types de situation.

2.2. L’échantillon

10Les cadres de santé formateurs (CF) que nous avons sollicités pour participer à cette étude sont issus de la filière infirmière et de la filière des manipulateurs en électroradiologie. Dans notre échantillon, les formateurs qui utilisent un patient standardisé comme simulateur sont nommés CFA1, CFA2 et CFA3. Les formateurs utilisant un mannequin de haute-fidélité sont nommés CFM1 et CFM2. Ils réalisent dans leurs établissements respectifs de la simulation en binôme avec d’autres formateurs.

11Bien que nous souhaitions analyser l’activité de professionnels reconnus par leurs pairs comme étant experts (formés, diplômés, pratiquant la simulation et reconnus par leurs collègues comme experts), nous avons identifié après recul que CFA1 pratiquait la simulation depuis peu. Ce formateur pouvant être considéré comme étant novice (Benner, 2003), nous avons utilisé les données issues de son activité de façon à percevoir les contrastes avec celles des experts.

2.3 Les étapes successives de cette recherche

12Nous avons planifié les instructions avec les formateurs, indépendamment des plannings de pratique simulée. Les résultats ci-dessous proviennent exclusivement des entretiens qui ont été menés dans le bureau des formateurs ou dans celui du chercheur, et dont la durée moyenne était de 1 h 5 min.

13L’intégralité des verbatims a été retranscrite et plusieurs analyses de contenu ont été réalisées. Dans un premier temps, nous avons cherché à structurer chronologiquement l’activité de simulation des différents formateurs selon les trois étapes (briefing, activité simulée et débriefing). Puis nous avons identifié et isolé les sept moments décrits comme critiques pour les formateurs, dont celui développé spécifiquement dans cet article. Nous aurions pu analyser l’activité de simulation dans son ensemble, mais pour accéder au plus près de l’activité, nous avons choisi de délimiter, d’analyser puis de schématiser chaque moment (Harder, 2023a) par une structure conceptuelle de la situation. Définie par Pastré (1999), cette structure permet notamment d’illustrer les stratégies mises en place par les formateurs pour résoudre une situation-problème, en permettant d’« identifier l’ensemble des concepts, scientifiques ou pragmatiques, indispensables pour organiser [leur] action » (p. 25). Elle inclut en son centre deux concepts pragmatiques, organisateurs de l’action, concepts définis comme étant « des représentations schématiques et opératives, élaborées par et pour l’action, qui sont le produit d’un processus historique et collectif et qui sont transmises essentiellement par expérience et compagnonnage » (Samurçay & Rogalski, 1992, cité par Vidal-Gomel & Rogalski, 2007, p. 51), des paramètres et des indicateurs (voir Figure 2).

Figure 2 : La structure conceptuelle d’une situation. 
Figure 2 : A conceptual structure

Figure 2 : La structure conceptuelle d’une situation.  Figure 2 : A conceptual structure

14Nous avons pris en exemple la structure conceptuelle de la taille de la vigne d’après Caens-Martin (2005) qui comporte deux concepts pragmatiques en son centre : la charge du plant (le tailleur doit maintenir le bois à un niveau qualitatif satisfaisant), et l’équilibre (le tailleur doit tenir compte de l’ensemble du cep), garantissant à la fois la production de raisin et la pérennité du plant. Autour de ces deux concepts, cette structure comporte un réseau de paramètres et d’indicateurs permettant au tailleur de tenir la structure en équilibre. Le choix d’utiliser la structure conceptuelle de la taille de la vigne s’est fait rapidement. D’une part, le tailleur de vigne est confronté à la même difficulté que le formateur en simulation : garantir l’équilibre des deux concepts pragmatiques de manière simultanée. D’autre part, pour reprendre la définition du concept pragmatique de Samurçay et Rogalski (1992), et citée par Vidal-Gomel et Rogalski (2007, p. 51), nous pouvons considérer que la gestion de l’ici et le maintenant de l’activité simulée et l’anticipation du débriefing sont ici « élaborées par et pour l’action [et sont] le produit d’un processus […] collectif et transmises essentiellement par expérience ». De nombreux allers-retours vers les verbatims nous ont permis, dans un premier temps, de réaliser non seulement sept analyses inductives, mais surtout d’identifier des invariants, qui nous ont permis de stabiliser chacune des sept structures conceptuelles autour de leurs éléments constitutifs : les deux concepts pragmatiques, les paramètres et les indicateurs.

15Dans un second temps, au sein du moment critique 3, la lecture croisée des cinq instructions au sosie nous a permis de stabiliser six préoccupations communes à l’ensemble des formateurs (voir Figure 3). Nous les avons considérées comme des invariants structurants de l’activité quel que soit le formateur. La manière dont les formateurs composent avec ces préoccupations présente des convergences et des divergences. Nous utiliserons successivement ces six préoccupations ou invariants communs aux cinq formateurs dans la partie « Résultats » afin de retranscrire et de structurer ces derniers. Enfin, par l’identification de ces six préoccupations, nous avons pu élaborer et mettre des mots sur les paramètres de notre structure conceptuelle présentée dans notre discussion, telle que réalisée par Caens-Martin pour la taille de la vigne.

Figure 3 : La gestion simultanée de six préoccupations au cours du moment critique 3. 
Figure 3: Simultaneously managing six concerns during critical moment 3

Figure 3 : La gestion simultanée de six préoccupations au cours du moment critique 3.  Figure 3: Simultaneously managing six concerns during critical moment 3

3. Résultats

16Les cinq formateurs sont tous vigilants à gérer l’activité simulée tout en préparant le débriefing, mais la manière dont ils cherchent à atteindre ces objectifs diffère : qu’elle tienne compte ou non des différences émanant du simulateur utilisé et de l’environnement architectural qui autorise ou interdit les échanges verbaux avec les EOBS, nous examinerons successivement les convergences et les divergences au sein des six préoccupations, décelables dans les entretiens.

3.1 Avoir une vision holistique en ayant un placement optimal

17Du fait de conditions architecturales, CFA1, CFA2 et CFA3 ne disposent pas de deux pièces distinctes séparées d’une vitre sans tain. Aussi, pour observer les EACT au cours de l’activité simulée, les trois CFA sont attentifs au placement qu’ils vont occuper au cours de l’activité. Réalisant le briefing, l’activité simulée et le débriefing dans la même pièce, ils portent une attention particulière à la disposition des chaises permettant la séparation des deux espaces : celui du briefing/débriefing avec « un espace pour les observateurs » et celui de l’activité simulée, en agençant un espace « chambre de malade » dans un angle avec le lit, le fauteuil, l’adaptable, la sonnette, la table de chevet. Ceci a pour objectif que « géographiquement l’organisation de la salle fait […] [que les EACT] […] oublient vite qu’on est là ».

18Bien qu’étant très expérimenté, CFA2 prend de plus en plus de temps pour organiser la salle. Il définit son rôle comme « paradoxal », car à la fois « central » pour observer l’activité simulée tout en étant « invisible » de l’EACT qui, pour se sentir en toute en confiance, ne doit pas « voir le formateur, ses stylos, ses feuilles ». Ainsi, CFA2 est le plus loin possible de l’activité simulée, les EOBS « lui tournent le dos » pour ne pas le voir ni l’entendre et pour éviter la pression du « formateur-évaluateur ». CFA3 s’assoit en arc de cercle avec les EOBS, pour répondre à un double objectif : « ce que tu vas faire, c’est installer tes observateurs de façon à ce que, [premièrement], ils puissent voir la scène, la situation en train d’être jouée et qu’en plus ils soient dans une configuration qui leur permette l’interaction au niveau du débriefing ». Pour cela, « tu vas veiller à ce qu’il y ait un espace, [ni trop près ni trop loin], a minima un arc de cercle [de deux à trois mètres de diamètre], mais […], il faut que cet arc de cercle puisse être refermé au moment du débriefing ». Il souligne : « je suis vraiment avec les étudiants, avec les observateurs, au même niveau, c’est-à-dire que je me mets dedans », mais se met en retrait lorsque la nature de la situation de simulation a une visée normative. Il précise être également garant du temps et qu’il force l’acteur à clore la simulation si le temps dédié est dépassé.

19Les propos de CFA2 et CFA3 contrastent avec les préoccupations de CFA1 (novice), pour qui l’objectif relève d’être « le plus loin possible », « au fond de la salle » « de telle manière que lorsque l’étudiant rentre dans la pièce, il va tourner le dos » tout en voyant « plein de choses, plein de ressentis ». Il semble moins préoccupé par les interférences occasionnées par la présence des EOBS : « les EACT les oublient vite car l’acteur va capter toute leur attention ».

3.2 Observation de l’écart entre pratiques enseignées en formation et stratégies mises en place par les EACT

20CFA2 trouve dommage qu’en prenant des notes, il perde le visuel avec l’activité. Par ailleurs, il s’est rendu compte qu’avec recul, il interprétait ce qu’il voyait. Aussi, pour « s’approcher davantage de la vérité vécue par l’étudiant et par l’acteur », il utilise le prétexte qu’il n’a pas vu l’étudiant ou qu’il a cru entendre. Cette stratégie, fruit de ses expériences passées, offre d’une part un temps d’introspection à l’EACT pour découvrir des réactions non identifiées, ni conscientisées. D’autre part, elle offre au formateur la possibilité de voir « avec les yeux » de l’EACT et de limiter ses propres interprétations. Enfin, CFA3 accorde de l’importance à la manière dont l’EACT a réagi, s’est saisi et s’est confronté à l’objectif‑obstacle.

21CFM1 qualifie l’observation comme étant « très dure, fatigante, où il faut tout regarder, […] faut sentir ». Il distingue chez les EACT deux comportements : ceux révélateurs d’un défaut de connaissance ou de raisonnement, et ceux où les EACT « font les marioles pour masquer » une situation de gêne. Avec recul et après échange avec ses collègues expérimentés, il précise, sans parvenir à l’expliciter, que lorsque les EACT réalisent deux fois l’activité, ils sont souvent « moins bons » la deuxième fois.

22CFM2 délaisse ce qu’il ne souhaite pas débriefer et cible ses observations. Il « potentialise, zoome » sur l’écart entre les propos du mannequin simulé et ce qui sera transmis au médecin par les EACT. Que la transmission ait été correcte ou pas, qu’elle relève du hasard ou pas, pour le formateur, il s’agit de « sortir du hasard et du spontané », pour passer à « quelque chose de plus réfléchi ». « Il faut qu’ils comprennent en quoi les choses réalisées spontanément étaient bien, et en quoi il faut le renouveler ». Pour autant CFM2 précise que « c’est plus difficile […] de se pencher sur les effets et les impacts [lorsqu’ils sont] positifs ».

23Les propos de CFA1 n’explicitent pas les éléments ou les repères qui pourraient être signifiants pour lui. De manière générale, il observe « un petit peu leur manière de se comporter » et va essayer de « faire ressortir les choses importantes » lors du débriefing de l’EACT, sans expliciter comment il les recueille lors de l’activité simulée.

3.3 Identification d’une éventuelle modification du scénario, en intervenant ou non au cours de l’activité simulée, après élaboration d’un diagnostic portant sur la confrontation de l’EACT à l’objectif‑obstacle.

24CFA3 explicite que ses observations se portent « sur les moments forts en confrontation avec l’objectif-obstacle et [sur la manière dont l’étudiant] s’en est saisi, [y a] réagi ». Lorsque ce formateur estime que l’EACT « est en difficulté car l’interaction avec le simulateur dure trop longtemps », il pourra être amené à arrêter l’activité en faisant un signe de la main (le geste du temps mort).

25Lorsque CFM1 gère le mannequin et qu’il identifie que les EACT « tournent en rond », « ne trouvent pas la raison pour laquelle ils sont entrés en activité », « se concentrent sur un truc qui n’est pas vrai », il les oriente en cours d’activité en insistant « plus lourdement sur un signe clinique pour que ça fasse tilt […] tu les facilites un peu, tu les réorientes un peu ». Par contre, si les EACT présentent sciemment des actions inadaptées cherchant à masquer une gêne, CFM1 n’interviendra pas au risque de rompre le contrat fictionnel.

26CFM2 intervient comme facilitateur, lorsque l’EACT dévie, est bloqué, réalise une erreur par maladresse, telle qu’une mauvaise préparation d’injection alors que l’objectif-obstacle est ailleurs. Ce formateur adapte alors sa pédagogie pour remettre l’EACT « sur les rails, à travers des artifices », son objectif étant que l’apprenant réalise seul l’activité. Il « rentre pour une raison futile et dit “tiens, tu prépares du…”, de manière à ce que […] l’étudiant entende […] “ah mince, ce n’est pas le bon produit que je suis en train de préparer” ». Une autre astuce est de demander « tiens, tu en es où dans la préparation de tel médicament » afin de donner toutes les possibilités à l’étudiant de « rappeler la chronologie ».

27CFM2 prend toujours le rôle d’un professionnel ayant un rôle plausible dans la situation simulée et fictive, mais qui « n’est pas défini à l’avance ». Il adapte sa posture en tutoyant les EACT, pour « qu’ils ne nous voient pas […] comme formateur », veille toujours à se présenter car « il peut arriver […], qu’il ait deux rôles différents » : 1) souvent « le rôle de l’infirmier du service d’à côté [quand il s’agit d’expliquer] “tu fais ça et puis ça, puis ça”, “tiens je vois que tu as une difficulté sur…, je vais t’expliquer comment on fait” et puis ressort de la situation » ; 2) le technicien quand « le lit ne marche pas », pour éviter que la situation soit bloquée « parce que l’étudiant […] sait pas comment ça marche », et ce n’est pas ce qu’il souhaite débriefer. « Pour ces aspects techniques, on est prêt à rentrer très rapidement de manière à ne pas passer du temps dessus ». Enfin, CFM2 peut prendre 3) le rôle du médecin pour aiguiller les apprenants. Avec l’expérience, il a observé un écart entre ce que les EACT perçoivent de l’état clinique du mannequin de ce qu’ils transmettent au médecin. Son objectif sera d’apporter « les éléments qui fassent penser à… », d’aiguiller en disant « je ne comprends pas bien cette situation, peux-tu lui demander… », d’éclaircir la situation lorsque les EACT ont les connaissances mais qu’« ils ont du mal à se dire que le médecin ne voit pas le patient ». Ces écarts seront très souvent débriefés.

28Pour CFA1, l’objectif pédagogique pour l’EACT « c’est d’avoir ce premier contact avec un patient alors qu’ils n’en ont jamais vu », avec « une espèce de diversion » « et voir comment ils vont se comporter ». N’intervenant en tant que facilitateur que pour introduire l’activité, lorsque l’EACT ne se sent pas bien, ne sait pas comment réagir : « tu l’accompagnes […] derrière la porte, tu frappes, tu rentres avec lui, tu vas un peu moduler le scénario, en disant “je suis l’infirmière, je vous présente l’étudiante, elle va venir vous prendre la tension” et puis tu restes le temps d’amener [l’EACT] vers le patient et […] tu dis “écoute, il faut que je te laisse, il faut que j’aille dans la chambre à côté” ». Par contre, si au cours de l’activité, celle-ci « s’enlise, […] tourne en rond, que l’étudiant n’arrive pas à prendre la décision », de « par sa gestuelle, ne parle plus, se retourne vers les observateurs, sous-entendant “je ne sais pas quoi dire, qu’est-ce que je fais” », CFA1 n’interviendra pas comme facilitateur mais arrêtera l’activité simulée.

3.4 Attention portée sur ce qu’il se passe chez les EOBS dans l’objectif de recueillir du matériau destiné à leurs débriefings, un rôle central et invisible

29Les conditions architecturales impactent l’observation des EOBS par les CFA. CFA1 (novice) reste proche des prescriptions de la HAS et n’aborde pas les perceptions et les réactions des EOBS. Pour que la simulation soit « constructive », les EOBS « observent beaucoup de choses » « sans porter de jugements ». Pour ce qui est non visible des EOBS, il a une astuce : il demandera au patient standardisé lors du débriefing d’en « faire un retour ».

30Pour CFA2, les EOBS assis en rang autour de l’espace simulé observent des critères déterminés ensemble, à l’aide de grilles : « est-ce que les techniques de communication ont été mises en œuvre, qu’est-ce que ça a produit, […] plutôt positif dans la relation ou au contraire négatif ? […] à quoi a-t-on pu le voir ». Parfois, les perceptions entre EOBS et patient diffèrent et « c’est cet écart qui est intéressant et qui est discuté entre l’EACT et l’EOBS » lors du débriefing. Pour autant, CFA2 ajoute que certains tirent beaucoup plus de bénéfices à observer qu’à réaliser l’activité simulée.

31CFA3 demande « une observation active aux observateurs : tu vas leur demander de prendre des notes, de repérer des éléments qui sont en lien avec les objectifs », pour « s’engager à participer activement au débriefing, de façon à ce que ce soit un échange plutôt entre eux […] qu’avec le formateur ». Il les regarde en amont de l’activité et leur dit : « surtout pas de réactions, tempérez vos réactions, observez bien ».

32Pour CFM1, les EOBS « apportent des éléments que le formateur lui-même n’a pas vu, [notamment] lorsque plusieurs étudiants interagissent simultanément au cours de l’activité », « perçoivent des éléments erronés, [qui seront] rectifiés ultérieurement par les autres ». CFM1 leur donne des objectifs, répartis entre EOBS, sinon « ils ne regardent pas ce que tu veux, et ça les oblige à regarder des choses bien précises », tout en précisant : « il faut que vous regardiez tout mais il faut que vous vous centriez là-dessus […] et notiez ce qui ne va pas ou ce que vous auriez fait autrement ».

33CFM2 qualifie le rôle des EOBS comme « majeur », dans une situation « hyper confortable ». Derrière la vitre, ils voient « plein de choses » et entendent tout. En observant l’action, les EOBS se posent des questions : « pourquoi untel a fait comme ça, moi je n’aurais peut-être pas fait comme ça ». En étant vigilant aux interactions et aux questionnements des EOBS, CFM2 leur dit « vous penserez à poser cette question lors du débriefing, ce serait intéressant d’en discuter avec tout le monde ». Il utilise ces échanges entre étudiants comme « des prétextes » pour illustrer les écarts entre l’action des EACT et les réactions perçues chez les EOBS, d’« amener de la richesse au moment du débriefing », et de structurer celui-ci en « évitant que ça parte dans tous les sens ». Les EOBS vont aider factuellement l’EACT à identifier ce qu’il a fait chronologiquement : « oui, tu as fait ça d’abord, puis… ». Pour CFM2, les EOBS ont des difficultés à verbaliser un jugement lors du débriefing « tiens j’ai repéré que tu avais une difficulté à tel moment », car « ce n’est pas forcément très naturel » de dire ce qui ne va pas. En étant témoin des échanges entre les EOBS, il sollicite les options qu’ils ont verbalisées : « tiens, vous vous rappelez à ce moment-là, vous aviez dit quelque chose à votre collègue, vous pourriez le partager avec nous ? ».

3.5 Orienter le regard des observateurs au cours de l’activité en vue d’affiner leurs perceptions et de compléter le débriefing de l’étudiant acteur

34Seul CFM2 interagit avec les EOBS au cours de l’activité simulée, argumentant qu’il peut être très compliqué pour les EOBS d’observer quand ils ne savent pas quoi observer. Dans le passé, il leur donnait des grilles d’observations pour les orienter, mais elles n’étaient pas utilisées. Avec le recul, en anticipant les éléments importants à observer et à entendre, il oriente les EOBS qui pourraient être en train d’observer quelque chose d’autre : « regardez ce qu’il se passe à droite… écoutez bien ce qu’il va se dire à droite ». En amenant le regard des EOBS à se focaliser sur certains points, il souhaite que les EOBS identifient par eux-mêmes s’il y a respect de la prescription médicale. Pour CFM2, lorsque les actions des EACT sont perfectibles, les EOBS apportent davantage de dynamisme lors du débriefing et évoquent plus facilement « tiens j’aurais peut-être fait différemment ».

3.6 Constituer des traces de l’activité, en vue du débriefing.

35CFA1 observe et prend des notes s’il le peut. Ses notes portent sur les mêmes objectifs que les EOBS, à savoir « comment l’étudiant s’est comporté, sa posture devant le patient, comment il lui parle, […], tu vois des petites choses comme ça », « tu notes le déroulement un peu de la scène ». Mais « cette prise de notes ne dure pas longtemps » car les scénarios sont assez courts. CFA2 trouve dommage d’être obligé d’écrire, car il dit perdre le visuel avec l’activité. Il note des mots, fait deux colonnes : une pour noter les éléments qui ne concernent qu’un EACT, et une pour l’ensemble des étudiants, qu’il s’agit de connaissances ou de techniques partagées. CFA3 prend beaucoup de notes, les classe par mots-clés. Sur les deux tiers à gauche de la feuille, il reprend la chronologie : « tu prends des notes un peu chrono », « tu retranscris des phrases qui ont été dites, quand elles te paraissent intéressantes [tu les] soulignes, tu notes quelques actions des moments un peu forts en confrontation avec l’objectif-obstacle, et comment [l’EACT] s’en est saisi, comment il a réagi ». Sur le tiers à droite de la feuille, CFA3 note les repères sur lesquels il souhaite revenir au cours du débriefing. Sa difficulté : « c’est que ça va très, très vite, tu ne pourras pas tout noter, donc notes vraiment des points clés ». Pour pallier cette difficulté, il met en place des astuces : « sur la colonne de droite, je mets quelques éléments d’interprétation avec un point d’interrogation, je peux mettre la lettre “Q” pour dire question, [en précisant qu’elle sera à poser à l’EACT au cours du débriefing] des petits signes qui m’aident à retrouver les éléments au débriefing ». CFA3 note également « les réactions du patient à ce qu’a dit l’étudiant ».

36CFM1 utilise des fiches préremplies pour se focaliser sur ses propres objectifs, et pour « aller plus vite et éviter de prendre des notes ». CFM2 prend des notes pendant toute la durée de l’activité, en expliquant que c’est pour « voir si les choses se présentent de la manière [escomptée, pour pouvoir] débriefer tel aspect ». Il ne prend pas tout en note car « c’est trop compliqué, ça demande beaucoup trop de concentration et surtout, il se passe beaucoup de choses en une dizaine de minutes ». Il y a des éléments qu’il note à chaque fois : « notamment dans quel ordre ils posent des questions […] pour voir s’ils l’ont bien transmis […] sous cette forme-là », car il y a souvent « un décalage énorme entre ce qu’ils ont recueilli et ce qu’ils transmettent ». Par son expérience, CFM2 a identifié que « systématiquement on a cette difficulté-là : ce sont des éléments que je note immédiatement ». CFM2 relève les « choses très particulières » : si l’EACT « tourne un petit peu en rond », ce sera à débriefer. Sa prise de notes s’achève « toujours [par la retranscription] des premiers mots [lorsqu’ils “sortent” de l’activité simulée] pour moi c’est ce qu’il y a d’essentiel, c’est ce qu’ils ont ressenti ».

37Nous venons donc de constater que la gestion de l’activité simulée fait apparaître pour nos cinq formateurs de nombreux aspects génériques et quelques-uns plus singuliers. Qu’en est-il de l’activité prescrite ? Que dit la littérature sur ces différents sous-buts ? S’est-elle questionnée sur chacun d’eux ? Les a-t-elle tous identifiés ?

4. Discussion

38D’après notre étude, au cours du moment critique 3, le formateur structure son activité autour de deux concepts pragmatiques dont les finalités ont deux temporalités différentes : entretenir l’activité simulée en gérant l’ici et le maintenant, tout en anticipant le débriefing. Étant donné que la structure conceptuelle de situation est « un modèle de la tâche, utilisé pour élaborer des formations » (Vidal-Gomel, 2013, p. 2), il nous est paru évident qu’elle pouvait mettre en évidence les paramètres utilisés par le formateur expérimenté pour maintenir en équilibre ses deux objectifs (gérer l’ici et le maintenant de l’activité simulée tout en anticipant le débriefing), avec leurs indicateurs respectifs, à des fins de formation. Grâce à de nombreux aller-retours, aux analyses des verbatims issus des entretiens d’instruction au sosie, à l’identification des six préoccupations/invariants communs aux cinq formateurs, nous avons cherché à stabiliser la structure conceptuelle du formateur lors de l’activité simulée à des fins de formation de formateurs (Figure 4). Pour Savoyant, cette structure ne constitue pas en elle-même le contenu de la formation, mais peut « être un outil qui peut contribuer à concevoir des situations de formation pertinentes » (2006, p. 128). Elle met en mots les préoccupations que peut avoir un formateur en simulation. Dans le moment critique n° 3 identifié ici, la structure conceptuelle de la situation met en exergue non seulement la dimension cognitive qu’a le formateur de l’activité, mais elle identifie également les prises d’informations visuelles, auditives, les gestes, les actions et à la façon de les réaliser (Vidal-Gomel, 2013). Nous allons donc détailler et illustrer pour chacun des deux concepts pragmatiques dits « organisateurs de l’action » les paramètres et les indicateurs permettant au formateur de maintenir la structure en équilibre. Identifier l’ensemble de cette structure et les stratégies déployées par les experts permettra de s’en saisir afin d’encourager et de soutenir les besoins d’apprentissage des formateurs novices en matière de simulation (Vidal-Gomel & Rogalski, 2007 ; Harder, 2023b), comme Caens-Martin a cherché à le faire pour la taille de la vigne.

Figure 4 : La structure conceptuelle de la gestion de l’activité simulée par le formateur. 
Figure 4: The conceptual structure of the simulated activity managed by the trainer

Figure 4 : La structure conceptuelle de la gestion de l’activité simulée par le formateur.  Figure 4: The conceptual structure of the simulated activity managed by the trainer

4.1 Le concept pragmatique du formateur : « gestion de l’ici et le maintenant »

39Pour parvenir à gérer l’ici et le maintenant, le formateur est vigilant à trois paramètres :

  • La « qualité holistique » de l’observation porte sur les réactions, les échanges entre les EOBS et sur la possibilité de voir l’activité dans son ensemble. Les experts déploient des stratégies : voir sans être vu, installer une distance et un espace précis selon le contexte pédagogique ;

  • La « qualité du diagnostic » posé par le formateur sur la nature du ou des problèmes rencontrés par l’EACT comporte quatre indicateurs observables : la qualité d’enrôlement, la confrontation à l’objectif-obstacle (appelé O.O. dans la structure conceptuelle ci-dessous), le chemin vers celui-ci, dont nous n’avions pas identifié l’existence dans la littérature, le repérage d’écart(s) dans les actions menées par les EACT et les recommandations de bonnes pratiques, définis comme étant des indicateurs « à la situation de référence » (Vidal-Gomel, 2009, p. 164) ;

  • La « qualité d’anticiper une éventuelle intervention » en tant que facilitateur repose sur la possibilité envisagée d’avoir recours ou non à ce rôle. Ce paramètre ne porte pas sur les actions mises en place par le facilitateur telles que définies par Policard (2018), mais sur la possibilité qu’a le formateur de sélectionner la posture qu’il souhaite adopter ou le choix de ne pas intervenir. Flandin et al. qualifient ce sentiment éprouvé par le formateur de dilemme : « entre la préoccupation de réguler et d’intervenir en temps réel (qui leur fait perdre la vision d’ensemble et perturbe le décours de la simulation de l’[EACT]) et celle de laisser rouler et de ne revenir sur la situation qu’en débriefing de fin de séance (qui leur fait prendre le risque d’un découplage entre l’expérience située de l’[EACT] et les contenus de formation à maîtriser) » (Flandin et al., 2024, p. 15). Ce dilemme est d’autant plus grand que selon Vandestrate, Dubois et Van Daele, il existe un lien entre le niveau d’engagement de l’étudiant au cours de l’activité simulée et la qualité du débriefing (2024). Les indicateurs de ce paramètre sont : l’identification d’une modulation plausible sans transformer le scénario (dont la possibilité d’arrêter l’activité à tout moment), le respect de l’objectif-obstacle, la rapidité d’intervention, le profil et la posture qu’il prévoit pour s’adapter au scénario et le choix pédagogique utilisé afin que l’étudiant reste acteur pour développer son sentiment de compétence.

4.2 Le concept pragmatique du formateur : « anticipation du débriefing »

40Pour anticiper le débriefing des EACT et des EOBS, le formateur est vigilant à cinq paramètres. « La « qualité de son diagnostic » sur l’activité des EACT et « la qualité d’observer de manière holistique » décrites ci-dessus, « la qualité d’observer les EOBS » sur lequel repose « la qualité d’interagir avec les observateurs », et « la qualité des traces de l’activité ». Les observations des EOBS étant complémentaires à celles des formateurs experts, ces derniers utilisent des grilles d’observation, orientent les perceptions des apprenants pour pouvoir les prendre à témoin lors du débriefing. En utilisant les échanges et les options verbalisés par les EOBS comme « des prétextes », l’expert sollicite non seulement les observateurs introvertis au cours du débriefing (Dieckmann et al., 2009), mais il utilise ces bribes d’enquête pour compléter les indices relevés lors de l’observation des EACT. Ces différentes stratégies démontrent que le maillage de l’ensemble des indices relevés chez les EACT et les EOBS s’initie et se développe dès l’activité simulée pour se concrétiser et prendre de l’ampleur lors du débriefing. En identifiant ce qu’ont cherché à faire les EACT, et ce qu’ont perçu les EOBS, les formateurs cherchent à construire l’analyse au plus près des expériences des apprenants et à limiter leurs propres interprétations. Cette activité de sélection et de mise en correspondance de multiples éléments est à nos yeux essentielle lors du débriefing, à l’adoption d’une posture de « cognitive detective » et d’« advocacy with inquiry », « with good judgment » définie par Rudolph et al. (2007). D’autre part, cette activité de sélection permet également, lors du débriefing, de rendre intelligible « des perceptions singulières afin de construire une réalité partagée », d’analyser « collectivement » et « minutieusement » des aspects particuliers de la situation simulée (Flandin et al., 2024, p. 13).

41Les CFM forment des étudiants aux « habiletés procédurales », en restant « très près des procédures », tandis que les CFA forment aux « habiletés comportementales » (Ammirati, Granry, & Savoldelli, 2013, p. 69), permettant « une certaine liberté de planification aux stagiaires » (Samurçay, 2009, p. 233). Nonobstant l’absence de vitre sans tain chez les CFA les empêchant de solliciter directement les EOBS au cours de l’activité simulée, ils ne peuvent ni anticiper la spontanéité des échanges auditifs et gestuels des EACT ni orienter les regards et l’écoute des EOBS. Ainsi, le paramètre « qualité d’interagir avec les EOBS » au cours de l’activité simulée est possible chez les CFM, mais fera que le débriefing se déclinera différemment entre les formateurs CFA et CFM. C’est une donnée que nous n’avions ni dans les prescriptions ni dans la littérature.

42Le cinquième paramètre du concept pragmatique « anticipation du débriefing », « la qualité des traces de l’activité », dépend de la qualité holistique de l’observation. Incontournable pour anticiper le débriefing, elle porte sur les observations des EACT et des EOBS (Vidal-Gomel, 2009). Elle s’illustre au travers de la structuration des notes : ce qui concerne l’individu versus le collectif, le respect de la chronologie, l’utilisation de signes « Q », « ? », en soulignant certaines phrases, en structurant la feuille en colonne, en notant des mots ou des phrases, en utilisant d’éventuelles fiches et en décrivant qualitativement les écarts mesurés à la confrontation à l’objectif-obstacle. Certains experts vont prendre des notes sur ce qu’ils observent de l’acteur, voire les premiers mots verbalisés par l’étudiant au moment où celui-ci sort de l’activité simulée. Il s’agit de données que nous n’avons pas vues dans l’examen de la littérature.

43Pour l’un des formateurs experts interrogés, lorsque l’étudiant possède les compétences nécessaires à la confrontation à l’objectif-obstacle, le débriefing peut s’avérer être difficile s’il n’y a pas d’éléments perfectibles. Vandestrate, Dubois et Van Daele confirment que si la situation simulée est plus complexe, le niveau d’engagement est plus élevé qui, par effet de cascade, renforcera la qualité du débriefing (2024). Parmi les étudiants en soins infirmiers, un certain nombre d’entre eux sont des étudiants en reconversion professionnelle. Ceux-ci peuvent avoir développé au cours de leur expérience professionnelle des compétences que nous cherchons à atteindre pour des étudiants en formation initiale. Pour les maintenir en situation d’apprentissage, nous pouvons nous questionner si le formateur peut devenir dans ce cas un « complexificateur » dans le chemin vers l’objectif-obstacle afin de maintenir leur engagement dans l’activité simulée. Ceci permettrait de répondre à la difficulté d’un autre formateur expert interrogé, qui relate, sans pouvoir l’expliquer, que souvent l’EACT est moins bon lorsqu’il réalise consécutivement l’activité une deuxième fois. Vandestrate, Dubois et Van Daele (2024, p. 80) précisent justement que le formateur ne peut injecter de la perturbation au cours de l’activité simulée, pour contribuer à « développer le savoir-agir [des étudiants en reconversion] en situation », qu’à la condition d’être « particulièrement précautionneux ». En outre, pour ces auteurs, « l’activité du formateur concernant la flexibilité du contrôle autour de cette route didactique en simulation semble être une piste intéressante à explorer ». Nous pensons avoir initié cette piste.

44L’objectif de ce travail était de comprendre la complexité de l’activité du formateur au cours de l’activité simulée. Pour cela, nous avons conceptualisé cette activité par une structure conceptuelle, reposant sur la « gestion de l’ici et le maintenant » tout en « anticipant le débriefing ». Elle met en lumière les différentes subtilités développées par des formateurs experts. Cette formalisation est provisoire et mériterait d’être précisée par d’autres études. Elle invite également à être reprise à des fins de formation de formateurs, qu’ils soient experts et se reconnaissent pour partie dans nos descriptions ou qu’ils soient novices et puissent confronter les repères qu’ils mobilisent à ceux que mobilisent des experts (voir Figure 4).

Conclusion

45La finalité de notre recherche est de participer à une meilleure compréhension de l’activité du formateur en simulation, pour former et enrichir la pratique des formateurs en santé. La littérature portant davantage sur la gestion du briefing et du débriefing, nous avons choisi de traiter dans le cadre de cet article l’étape où le formateur gère l’activité simulée tout en anticipant le débriefing. Nous avons choisi de schématiser cette étape complexe, qui garde en équilibre ces deux concepts pragmatiques, par une structure conceptuelle de l’activité illustrant les stratégies déployées par le formateur, mais également des subtilités très concrètes non identifiées dans nos lectures et non prescrites dans les recommandations de la HAS. Alors que ces structures sont transmises « essentiellement par expérience et par compagnonnage » (Vidal-Gomel & Rogalski, 2007), elles peuvent servir de support pour développer les compétences et outiller les formateurs novices ou peu expérimentés dans le cadre de cette activité complexe. Elles ont permis de mettre des mots sur la complexité de l’activité étudiée, d’identifier des « astuces » issues de l’empirie et de proposer une schématisation susceptible d’alimenter la formation de formateurs en simulation.

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Bibliographie

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Identification de sept moments critiques.  Figure 1 : Seven critical moments
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/11321/img-1.png
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Titre Figure 2 : La structure conceptuelle d’une situation.  Figure 2 : A conceptual structure
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Titre Figure 3 : La gestion simultanée de six préoccupations au cours du moment critique 3.  Figure 3: Simultaneously managing six concerns during critical moment 3
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Titre Figure 4 : La structure conceptuelle de la gestion de l’activité simulée par le formateur.  Figure 4: The conceptual structure of the simulated activity managed by the trainer
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Pour citer cet article

Référence électronique

Dieuwertje Bordat-Teeuwen et Guillaume Serres, « Analyse didactique d’une séance de simulation : gérer l’activité simulée tout en anticipant le débriefing »Activités [En ligne], 22-2 | 2025, mis en ligne le 15 octobre 2025, consulté le 09 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/activites/11321 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14ybm

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Auteurs

Dieuwertje Bordat-Teeuwen

Centre Hospitalier Universitaire – Université Clermont Auvergne
58 rue Montalembert 63001 Clermont-Ferrand Cedex 1
Membre associée au Laboratoire ACTé (UR n° 4281)
dbordat-teeuwen_AT_chu-clermontferrand.fr

Guillaume Serres

Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation – Université Clermont Auvergne
Laboratoire ACTé (UR n° 4281)
36 avenue Jean-Jaurès 63400 Chamalières
guillaume.serres_AT_uca.fr

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