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Commentaires d’ouvrages

Analyse d’ouvrage par Janine Rogalski,

Schillings, P., Merri, M., & Vinatier, I. (coord.). (2025). Quels types d’interaction requiert l’activité collective ? Toulouse : Octarès
Janine Rogalski
Référence(s) :

Patricia Schillings, Maryvonne Merri et Isabelle Vinatier (coord.). (2025). Quels types d’interaction requiert l’activité collective ? Toulouse : Octarès.

Texte intégral

1Ainsi que le présente Patricia Schillings, cet ouvrage est issu d’une collaboration de chercheurs francophones réunis dans le cadre des XXe rencontres du réseau « Recherche-Éducation-Formation », à Namur en 2022. Les auteurs travaillent en Belgique (5), au Canada (2), en France (6), au Maroc (1) et en Suisse (7). Ils relèvent de disciplines variées (sciences de l’éducation, Staps, santé, psychologie, travail social, linguistique), avec une dominante en sciences de l’éducation (8 auteurs, 8 chapitres).

2L’avant-propos d’Isabelle Vinatier (pp. 9‑20) souligne plusieurs points clés : l’activité individuelle est de nature sociale (référence à Yves Clot), mais l’activité de nature sociale n’est pas d’emblée collective. Deux conceptions d’un fonctionnement collectif sont à considérer : conception interne (où le focus est placé sur les représentations des co-acteurs, qui doivent être communes ou au moins compatibles pour réaliser une tâche commune) et conception externe (où la diversité des acteurs doit être prise en compte, ainsi que les processus de régulation entre eux au cours de l’activité). L’auteure interroge les types d’interactions dont est faite l’activité collective, et insiste sur la diversité des situations « dont le destin requiert le saut qualitatif d’une pluralité au collectif ». L’interaction y apparaît fondamentale, dans laquelle la réussite des interactions – entre deux personnes ou plus – est de la responsabilité de tous ceux qui y participent, et implique davantage que les échanges verbaux. Pour étudier ces situations, un développement des outils méthodologiques est un but et une difficulté, et dépend des cadres théoriques convoqués. Isabelle Vinatier note qu’il faut a priori considérer trois formes d’activités professionnelles pour l’étude de l’activité collective, à savoir les activités perceptivo-motrices, les activités à dominante langagière et relationnelle, discrétionnaires, et les activités à dominante technique (l’auteure précise que ce dernier domaine n’est pas représenté dans l’ouvrage). La visée didactique est « de former au travail collectif en adoptant une démarche différente de celle conçue pour former au travail individuel ». Néanmoins, un point commun avec les études du travail individuel est l’analyse des situations réelles de travail avec la perspective de conception de situations de formation. Toutefois, ce n’est pas le thème principal de l’ouvrage, même si, dans son introduction, Isabelle Vinatier évoque la conception de formation comme un potentiel de l’analyse de l’activité.

3La présentation de l’ouvrage par Patricia Schillings (pp. 21‑27) explicite les thèmes des trois parties qui organisent l’ouvrage, pour répondre à la question de l’articulation entre situations de travail basées sur des interactions verbales et conception de dispositifs de formation. Un objectif premier est d’éclairer « le sens de ce qui constitue l’activité collective et de ce que l’analyse des interactions peut en révéler ». Au-delà de ce qui doit devenir commun, il faut aussi prendre en charge les tensions entre les activités individuelles, de sorte à « concilier construction d’un collectif et développement individuel de chacun de ses membres » et à répondre à la question : « Quels sont les leviers qui permettent de les dépasser, et pourquoi former au développement d’une activité collective ? » Patricia Schillings présente ensuite de manière synthétique l’organisation de l’ouvrage, dans lequel « chaque auteur esquisse les ressources que l’analyse des interactions en situation peut constituer pour la formation ».

4La première partie, en quatre chapitres (pp. 31‑126), propose un éclairage socio-linguistique de différentes situations, qui concernent toutes l’activité sur/avec autrui.

5Maryvonne Merri et Tommy Collin-Vallée centrent leur étude sur les « obstacles de la parole vraie en classe », en analysant les jeux verbaux entre enseignant et élèves d’une classe de 4e multiculturelle dans le film Entre les murs de Cantet. Il s’agit d’une étude de cas typique en psychologie ergonomique, exploitant un matériau inattendu : un film. Aucune visée de formation n’apparaît.

6Deux situations d’« accompagnement » concernent des visées de développement de composants non techniques de l’activité : Ayla Bimonte se place dans le champ de l’insertion professionnelle de personnes présentant des troubles psychiques où des « professionnels métier confient aux travailleurs en insertion des tâches productives tout en les accompagnant dans leurs apprentissages professionnels et sociaux » ; Camille Montefusco et Dominique Trébert observent une formation au travail social, distinguant trois registres de la « compétence d’interaction » : épistémique, relationnel et contextuel, registres qui sont en jeu lors d’accompagnements de la dimension émotionnelle des interactions dans ce contexte.

7Dans le dernier chapitre de cette partie, Alexandra Nguyen, Shadya Monteiro, Évelyne Berger et Jérôme Favrod étudient une relation thérapeutique partenariale dans le cadre d’un programme « émotions positives pour la schizophrénie » dans des institutions socio-sanitaires. Leur cadre théorique de recherche vise à éclairer – et réduire – l’antagonisme entre distance thérapeutique et authenticité (des professionnels). Les auteurs questionnent « en quoi le partage d’expérience personnelle des professionnels constitue-t-il une ressource interactionnelle pour une relation partenariale soignant-patient ? Et à quelles conditions ? ». Ils analysent des moments singuliers de « débrayage » où ont lieu des basculements de rôles, places et positions, et relèvent en conclusion la pertinence de former les professionnels pour développer leurs compétences sur les dimensions épistémique et déontique des relations avec les patients.

8La deuxième partie (pp. 129‑203), organisée en trois chapitres, traite de la conceptualisation dans l’action, particulièrement pour « cerner les obstacles à l’activité collective dans les interactions », et pour viser à les dépasser. L’objet de l’action collective concerne toujours un autrui multiple : les enseignants d’une école primaire dans la conduite de réunions, les élèves (évoqués) dans la préparation d’activités scolaires d’écrit en CP, et la vie de la classe dans les conseils de coopérative en école « Freinet ».

9Youssef Khalfaoui et Isabelle Vinatier analysent le travail des directeurs dans la « conduite des réunions de conseil des maîtres à l’école primaire ». Ils cherchent à caractériser l’activité effective des directeurs. Ils visent à « [contribuer] à l’exploration des difficultés qui contraignent la réalisation de l’activité collective ». Ils postulent que l’analyse de cette activité effective permettrait de comprendre les problèmes auxquels les directeurs se confrontent, et « pourrait ainsi ouvrir des pistes complémentaires pour leur formation ». Ils se situent directement de facto dans la ligne de didactique professionnelle initiée par Pastré, ce qu’ils explicitent ensuite. La présentation de la fonction du directeur d’école et sa formation peut être vue comme un pendant de l’analyse de la tâche classique en psychologie ergonomique (une des sources de la didactique professionnelle). Les échanges en réunion sont analysés du point de vue des effets réciproques des interactions verbales des acteurs. Celles-ci sont sensibles au contexte, elles impliquent des enjeux de personnes, et peuvent être considérées selon trois axes : vertical – avec l’expression de relations de pouvoir –, horizontal – avec la modalité de familiarité –, et transversal selon le « climat des échanges » (bienveillance-opposition). Le terrain d’enquête et la méthodologie d’analyse sont détaillés, et produisent un ensemble de données quantitatives sur les actes de langage dans trois contextes, montrant que les directeurs et les enseignants expérimentés semblent partager les mêmes conceptions, sans pour autant en être conscients ; une analyse qualitative de la dynamique argumentative et de la dynamique relationnelle précise comment se déroule leur connivence au détriment des propositions des « novices ». Les invariants repérés renvoient à une identité d’école, concept qui élargit la problématique de l’action collective. La proposition de placer les directeurs d’école en une position réflexive qui leur fournirait de nouvelles ressources est mise en regard avec l’alourdissement des contraintes du contexte institutionnel.

10Jonathan Rappe, Marine André et Patricia Schillings suivent l’activité d’un binôme d’enseignants dans la co-planification d’une activité de production écrite par des élèves de CP. Ils cherchent plus précisément à élucider comment ces enseignants « négocient le regroupement de leurs élèves en vue d’une activité différenciée », et relèvent des « tensions et opportunités pour la formation » que l’on peut voir dans l’analyse de cette activité collective. Une méthode peu fréquemment utilisée dans le domaine consiste en une tâche « hors sol » de catégorisation commune des élèves auxquels enseignent les deux enseignants. Les données sont analysées du point de vue de la gestion de la tâche, de l’articulation et de l’argumentation pour catégoriser un élève donné, et des rétroactions (régulant l’échange). Des tensions apparaissent, dues à une divergence de conceptualisation relative à l’élève, et à une inadéquation entre les catégories élaborées (individuellement) et une conceptualisation partagée d’un élève. Les auteurs soulignent deux interprétations du processus de convergence de la catégorisation : vers une conceptualisation partagée ou vers une conceptualisation à laquelle « les enseignants adhèrent suffisamment pour la prendre comme base pour l’action » (ce qui suppose que ces conceptualisations ne soient pas incompatibles…). Les auteurs explicitent des pistes de formation, comportant l’acceptation de controverses, faire prendre conscience aux enseignants en formation de leurs propres conceptualisations, dans un mouvement visant la dimension constructive de leur activité.

11Dans le dernier chapitre de cette deuxième partie, Maria Pagoni identifie des enjeux sous-jacents à des « conseils de coopérative comme lieu de conceptualisation et de régulation du travail ». L’auteure s’interroge sur la pertinence d’aborder ces conseils au prisme de l’activité collective (une question qui traverse par ailleurs plusieurs autres contributions de l’ouvrage). Elle s’appuie sur douze séances de conseils de coopérative en cycle 3 dans une école « Freinet » pour proposer une réponse à la question « comment développer une activité collective en conseil de coopérative ? » Les instruments théoriques retenus pour y répondre relèvent de la théorisation de Vergnaud : identification des schèmes d’action, classifications des classes de situations pour les élèves, fonction des règles qui organisent l’activité du conseil, sous l’hypothèse qu’il s’agit d’un processus d’éducation à la citoyenneté. Maria Pagoni conclut en proposant que l’analyse de l’activité verbale constitue un outil de formation des enseignants.

12La troisième partie (pp. 207‑246), en deux chapitres, propose un « éclairage de la performance collective par l’analyse de l’activité collective-individuelle » dans la perspective d’une amélioration de cette performance.

13Yves Depluvrez et Charlotte Dejaegher focalisent leur étude sur la conceptualisation des footballeurs professionnels en « situation offensive devant le but », lors de matches de football. Les auteurs se situent explicitement dans la perspective de Pierre Pastré en didactique professionnelle pour comprendre comment de jeunes joueurs professionnels « fonctionnent ensemble […] Qu’est-ce qui organise leur activité collective ? »

14Il s’agit de considérer l’activité collective dans les deux « perspectives de recherche et de formation ».

15Les auteurs intègrent leur recherche dans la thématique de Gérard Vergnaud de « conceptualisation dans l’action » ; leurs analyses s’appuient sur l’explicitation par les joueurs de leurs conceptualisations opératoires. À partir d’un ensemble de données issues d’une méthode clairement détaillée, ils identifient trois concepts pragmatiques, relevant de l’espace (une zone avantageuse) et du temps (le rythme de progression et la synchronisation des actions). Cela leur permet de proposer la « structure conceptuelle d’une phase offensive » (p. 219), ce qui mérite d’être signalé, car ce type de résultat de recherches est maintenant assez peu fréquent en didactique professionnelle.

16Geneviève Rix-Lièvre, Stéphane Héros, Simon Boyer et Michel Récopé étudient les « rapports individuels aux prescriptions visant la performance collective : les déterminants sensibles de l’activité des joueurs d’une équipe de sport collectif de haut niveau ». Le déclencheur de la recherche est le constat de différences persistantes dans les « comportements d’implication défensive » malgré les prescriptions des entraîneurs. Les auteurs adoptent une « approche énactive centrée sur le sensible et les normes propres d’activité » pour analyser ce constat, se centrant sur des « schèmes d’interaction » qui se traduisent chez les joueurs par des rapports individués à la prescription. Ils recherchent pour chaque acteur un couple « théorèmes en acte – attentes » qui oriente l’activité et détermine sa cohérence, couple qu’ils dénotent « sensibilité à » et étudient lors de séances d’entraînement de footballeurs de haut niveau. La diversité constatée de ces « sensibilités à » explique les interprétations différentes de la prescription de l’entraîneur. Les auteurs proposent que ces « sensibilités à » soient explicitées aux joueurs et présentées comme des ressources leur offrant des marges de manœuvre.

17La conclusion de Maryvonne Merri (pp. 247‑261) repart de la problématique du réseau « Recherche en éducation et en formation », questionnant « la place de l’analyse de l’activité [individuelle et collective] saisie en tant que constituée d’interactions verbales et la conception de dispositifs de formation ». Elle distingue plusieurs modalités – non exclusives – d’activités : activité collective pré-construite avec une évaluation objective de l’atteinte du but ; activité institutionnelle où il est délibéré des conditions d’une activité collective à venir. Elle présente ensuite des modalités à visée formative avec le repérage de pré-construits à adapter en situation, et des transitions médiatrices prenant en compte la dissymétrie entre acteurs, ainsi que des transitions collatérales, quand un acteur participe à deux activités disjointes, comme l’activité professionnelle et le commentaire formatif de cette activité. L’auteure précise ensuite des obstacles à l’activité collective : contradictions entre buts, conceptualisation hétérogène, possibles fragilisations des identités, et les ressources pour les surmonter (les « ouvertures du jeu » de l’interaction). Elle reprend des questions classiques sur la relation entre activité collective et formation : du travail collectif au collectif de travail, la formation en faveur d’une conceptualisation partagée, la formation en faveur d’une sensibilisation à la différence et au dépassement des normes individuelles, en faveur d’une compréhension des ressorts des échanges verbaux (un composant « méta » de la formation), la formation en faveur d’une compréhension des attentes du cadre social et d’une appropriation du rôle social. On peut interpréter la proposition de synthèse en termes de régulation : « [les] auteurs de cet ouvrage s’accordent à montrer que les pré-construits influencent certes les interactions mais que les situations spécifiques modulent cette influence en mobilisant les représentations individuelles à la fois comme obstacles et comme ressources pour le collectif ».

18La formation n’était pas une thématique explicite de cet ouvrage, même si elle est au cœur du réseau « Recherche-Éducation-Formation » auquel collaborent les auteurs. Elle est néanmoins présente en filigrane dans la plupart des chapitres, sous forme de perspectives de formation, en détaillant éventuellement les objectifs ou la manière de les outiller. Dans « l’accompagnement au savoir être dans une entreprise sociale », un dispositif de formation est présenté dans ses grandes lignes avec les réactions des participants à cette formation (pp. 78‑79) ; il en est de même dans le chapitre « Accompagner la dimension émotionnelle des interactions […] » (pp. 97‑98). Au fil de l’ouvrage, c’est le potentiel de l’analyse de l’activité collective pour la formation qui est relevé.

19Les références bibliographiques sont nombreuses (341), les trois quarts francophones et un quart anglophone. La majorité renvoie à des publications à partir des années 2000, seulement 60 sont antérieures à cette date. Ces références sont rassemblées à la fin de l’ouvrage, mais le retour sur les citations dans les différents chapitres offre un éclairage sur la « cohésion » des approches et de l’ouverture des cadres de référence, en relevant les auteurs cités dans plus d’un chapitre (hormis les citations intra-ouvrage des chapitres des autres auteurs). Dans la première partie, les références communes à au moins deux des quatre chapitres comportent moins d’une dizaine d’auteurs : Vinatier, Filliettaz, Trébert, Durand, Favrot, Traverso, Nguyen, Vygotski, et Mongado. Dans la deuxième partie, quatre auteurs sont cités dans au moins deux chapitres (sur les trois) : Vinatier, Vergnaud, Khalfaoui, et Pastré. Dans la troisième partie, seul Vergnaud est cité dans les deux chapitres. Si on considère maintenant les références communes entre parties, on relève aussi une poignée d’auteurs : Vinatier et Vergnaud (I, II, III), Kerbrat Oracchioni, Filliettaz et Khalfaoui (I et II), Piaget, Munoz et Merri (II et III) et enfin Leplat (I et III). On repère ainsi à la fois des références partagées à des cadres théoriques généraux, et des spécificités des contributions des auteurs, tenant à la diversité des approches de la problématique commune très ouverte traitée dans l’ouvrage.

20Pour conclure sur l’ouvrage : il offre un large panorama d’études développées dans des perspectives parfois assez différentes, sur une diversité de types de situations et de modalités d’activités collectives et de développement spécifiques des interactions auxquelles elles donnent lieu. À ce titre, il intéresse une diversité de lecteurs, qui pourront y faire des rencontres utiles au développement de leurs propres travaux en matière d’analyse de l’activité collective par les interactions et de conception de formations pour répondre aux difficultés identifiées.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Janine Rogalski, « Analyse d’ouvrage par Janine Rogalski, »Activités [En ligne], 22-2 | 2025, mis en ligne le 15 octobre 2025, consulté le 10 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/activites/11514 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14ybr

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Auteur

Janine Rogalski

Laboratoire de didactique André Revuz, Paris cité

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.

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