1Ce dossier constitue le prolongement d’une journée organisée par la revue Activités, le 26 septembre 2024, autour du thème « Nouveaux enjeux, nouvelles pratiques pour former au travail par la simulation ».
2La thématique de la simulation apparaît comme un objet d’étude récurrent dans le champ de recherche portant sur l’activité en situation de travail et/ou en formation. Elle est mobilisée tantôt comme dispositif d’observation à des fins de recherche et d’analyse des situations de travail, tantôt comme instrument ou objet intermédiaire dans les processus de conception, ou encore comme instrument ou une situation de formation à privilégier (Bainbridge & Ruiz Quintanilla, 1989 ; Béguin & Weill-Fassina, 1997 ; De Keyser & Samurçay, 1998 ; Pastré, 2005). La revue Activités a d’ailleurs consacré, en 2018, un dossier thématique à la simulation dans les démarches de conception. Intitulé « Mettre en scène l’activité : les nouvelles figures de la simulation », ce dossier analyse la diversité des formes de simulation et leurs apports aux démarches de conception, qu’il s’agisse de la conception de nouvelles configurations de travail, de dynamiques organisationnelles, d’artefacts ou de situations d’usage.
3Le présent dossier adopte un angle différent en se focalisant sur la simulation en tant qu’instrument ou situation privilégiée de formation. Il prolonge et approfondit les réflexions sur le potentiel d’apprentissage et de développement qu’ouvrent ces situations, en plaçant au centre des discussions la place du concept d’activité, les déplacements qu’il permet d’opérer, ainsi que les apports des approches dites « centrées activité ». Là encore, il convient de se référer à un ensemble d’articles antérieurs publiés dans la revue Activités, que ce dossier vient enrichir et compléter (e.g., Becerril Ortega, 2009 ; Bouchot & Leblanc, 2019 ; Daniellou, 2007 ; Horcik, 2014 ; Malet & Benchekroun, 2016 ; Pastré et al., 2009 ; Policard, 2018 ; Rogalski & Colin, 2018 ; Saint-Dizier de Almeida, 2013).
4Aujourd’hui, la simulation s’impose comme une méthode devenue incontournable dans les milieux de l’éducation et de la formation. Elle fait désormais partie des dispositifs couramment mobilisés pour le développement des compétences professionnelles, qu’elles soient individuelles ou collectives. Longtemps associée à des secteurs tels que la santé, la sécurité ou la protection de la population, la simulation investit désormais de nouveaux domaines – comme l’enseignement supérieur ou l’agroécologie, par exemple – où elle se réinvente, tant dans ses formes et ses formats que dans ses finalités. Cette dynamique de transformation s’observe également dans les secteurs où elle est historiquement implantée. En dépit de la généralisation des pratiques de simulation, de nombreux formateurs et institutions demeurent ancrés dans des approches essentiellement figuratives, instructives ou dans un culte de la réflexivité et de l’apprentissage expérientiel. Ces approches tendent à occulter une problématique pourtant fondamentale : celle de l’apprentissage et du développement d’une activité (cible) au travers d’une autre activité.
- 1 Environnement informatique pour l’apprentissage humain.
5La didactique professionnelle, en particulier Pastré (2005), a largement contribué aux réflexions sur les pratiques de formation par la simulation, en insistant sur l’articulation entre activité et simulation, et en relayant cette approche dans le milieu de la formation. Parmi les études emblématiques figurent notamment les recherches portant sur l’usage d’un simulateur de résolution de problèmes appliqué au réglage d’une presse à injecter en plasturgie, l’apprentissage sur simulateur de résolution de problèmes de la taille de la vigne, ou encore la formation à la conduite de centrales nucléaires à l’aide de simulateurs pleine échelle. Ces travaux, à côté de nombreux autres s’intéressant à l’activité des formés et des formateurs en simulation (par exemple Quatrième École thématique du CNRS sur les EIAH1, 2006 ; Nyssen & De Keyser, 1998 ; Rogalski, Plat & Antolin-Glenn, 2002), ont contribué de manière significative à l’évolution des recherches et des pratiques en matière de formation par simulation. Ils ont notamment contribué à déplacer la focalisation, jusque-là centrée sur les simulateurs en tant qu’objets techniques, vers une attention portée aux situations de simulation elles-mêmes. Ce changement s’est accompagné d’une affirmation de la primauté de l’élaboration didactique des situations sur la seule fidélité physique ou la reproduction du réel, et d’un questionnement approfondi sur la relation entre la « situation professionnelle de référence » et la « situation simulée » (Samurçay & Rogalski, 1998).
6Aujourd’hui, au-delà de ces études fondatrices, de nombreux travaux récents revisitent les situations de formation par la simulation – ou à visée d’apprentissage et de développement – toujours sous l’angle du concept d’activité. Ils interrogent notamment la pluralité des formes d’articulation entre simulation et activité, tant dans des contextes traditionnels, tels que la santé ou la sécurité (Flandin, Vidal-Gomel & Becerril Ortega, 2022), que dans des secteurs émergents, avec ou sans mobilisation de technologies spécifiques (Rogalski, Plat & Antolin-Glenn, 2002 ; Chaliès & Dangouloff, 2025).
- 2 Sur le terrain nos interlocuteurs restent toutefois attachés à la « reproduction fidèle » des situa (...)
7De manière générale, plusieurs tendances émergent dans les travaux récents : une remise en question de la notion de fidélité2, accompagnée de l’émergence de concepts alternatifs ; une reconfiguration progressive des formes et des modalités d’organisation des situations de simulation ; une attention croissante pour les multiplicités des formes de convocations du corps en simulation ; une attention croissante portée à la diversité des modes de mobilisation du corps dans les situations simulées ; l’articulation heuristique de différentes formes de simulation ; et, surtout, un intérêt accru pour des analyses fines des apprentissages et des dynamiques de développement, en lien avec les scénarios proposés et les caractéristiques des situations de formation. Chaliès et Dangouloff (2025) invitent à appréhender la simulation en formation professionnelle comme un continuum, et mettent en exergue l’interpénétration de différents continuums intrinsèquement constitutifs des situations de simulation. L’idée de continuum constitue un levier prometteur pour renouveler les principes de conception des situations de formation, mais aussi pour revisiter et étendre les relations entre l’activité passée, l’activité en simulation, et l’activité cible future probable. En ce sens, les simulations à visée formative – dans leur conception comme dans leurs usages – constituent aussi une médiation pour approfondir notre compréhension des relations réciproques entre travail et formation (Delgoulet, 2024), sous l’angle de l’activité, de l’apprentissage et du développement.
8L’ambition de ce dossier est double : d’une part, faire état des recherches actuelles portant sur la simulation et les situations de simulation en formation professionnelle et des adultes, en examinant les manières dont ces recherches problématisent aujourd’hui les questions, qu’elles soient nouvelles ou anciennes, ainsi que les avancées récentes en matière de connaissances ; d’autre part, interroger de manière constructive les pratiques de conception et de formation par la simulation, à travers le prisme des approches « orientées activité » et de leurs réseaux conceptuels.
9Les questions traitées dans les différents articles s’articulent autour des trois grands axes suivants :
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Comment garantir l’analogie, la résonance, la pertinence et le rapprochement entre la situation de simulation et l’activité telle qu’elle se déploie dans les contextes de travail authentiques, qu’ils soient ordinaires ou exceptionnels ?
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Quelle activité est « fait émerger » en situation de simulation tant pour les participants que pour les formateurs ? En quoi cette activité présente-t-elle, ou non, un potentiel transformateur, d’apprentissage, ou de développement de l’activité cible (future probable) ?
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Quelles sont les nouvelles pratiques de formation émergentes développées à partir des apports des théories et des études empiriques orientées activité, ou ouvrant un nouveau domaine d’investigation pour celles‑ci ?
10Au-delà d’une perspective descriptive et compréhensive, les études réunies ici partagent pour la plupart une ambition transformative en tentant de formuler de nouveaux principes de conception pour les situations de simulation et d’action pour les formateurs en simulation.
11Cette première partie du dossier thématique comprend quatre articles. Les auteur·es nous proposent de porter attention à des dimensions peu explorées de l’activité en simulation quand il s’agit de former : des schèmes qu’il faut inhiber ou des sensations corporelles qu’il est intéressant de faire éprouver. Ils dégagent des principes pour la conception de situations de simulation ou explorent différentes modalités pédagogiques comme les chambres des erreurs. Enfin, ils nous incitent à mieux caractériser l’activité des formateurs dans les différentes phases de la simulation.
12Plus précisément, les deux premiers articles portent sur des dimensions incorporées de l’activité, « l’enracinement dans des habitudes » et les appréhendent sous deux angles différents.
- 3 Que les auteur·es définissent comme une « simulation informatique simplifiée d’un système réel ».
13L’article « Effets d’un schème trompeur et de remédiations » de Marie Hoarau, Franck Mars et Camilo Charron repose d’abord sur une étude de cas réalisée dans le domaine de l’aéronautique (l’étirage de cadres métalliques). Les auteurs identifient l’existence d’un « schème trompeur », non pertinent pour décider du programme à utiliser. Le concept de schème a souvent été mobilisé en didactique professionnelle pour rendre compte de caractéristiques de l’activité que la formation cherchait à développer via les situations conçues. L’intérêt de cet article est de mettre en évidence que des schèmes peuvent aussi devenir un obstacle. L’enjeu est alors leur inhibition. Les auteurs ont recours à la construction d’un micromonde3, une démarche méthodologique encore peu exploitée dans les recherches sur la simulation en contexte de formation, notamment dans la communauté qui s’intéresse à l’activité. Leurs résultats sont discutés à la fois sous l’angle de la capacité à inhiber un schème peu opérationnel et sous celui de l’utilisation d’un micromonde pour former.
14Joffrey Beaujouan, Sophie Aubert, Fabien Coutarel et Michel Récopé, dans leur article « Mobilisation du Corps et simulation : comment susciter la transformation des pratiques professionnelles ? », partent d’un constat commun à des interventions menées dans le milieu de l’agriculture et celui de l’aéronautique : les opérateurs peuvent être satisfaits de leurs façons de faire, alors que leurs pratiques peuvent s’avérer limitées ou insuffisante pour répondre à des enjeux de qualité de la production et de santé au travail. S’appuyant notamment sur une conception incarnée, sensorielle et affective de la cognition, ils présentent et analysent des situations de simulation qui cherchent, d’une part, à faire éprouver la qualité d’un outil (ici un sécateur) ou, d’autre part, à faire comprendre l’intérêt d’une tâche peu considérée et à éprouver la relation entre la position du corps et la qualité d’un perçage. Ces « simulations incarnées » mobilisent, avec la médiation des formateurs, les sensations éprouvées par les opérateurs comme moyen de formation. Cet article ouvre ainsi de nouvelles pistes pour la conception de formation en mettant en évidence des dimensions incorporées de l’activité qui ont peu été analysées et explicitées sous cet angle.
15Le texte intitulé « Recherche centrée activité et orientée par la conception de formation : une étude en simulation médicale », rédigé par Élodie Ambrosetti, Emmanuel Bernaz et Simon Flandin, s’inscrit dans une démarche itérative de conception de situations de simulation, au cours de laquelle l’analyse de l’activité intervient en amont et tout au long du processus de conception, afin de transformer ces situations à partir de l’activité et de l’expérience vécue des acteurs. Cette démarche est mise en œuvre à propos d’une situation de formation : la « chambre des erreurs », qui « recrée fidèlement un environnement de travail dans lequel les formateurs intègrent volontairement des erreurs susceptibles de compromettre la sécurité du patient ». L’enjeu de l’étude est de mettre en évidence les processus d’apprentissage mobilisés par les formés afin d’améliorer le dispositif. Ainsi, les auteurs constatent qu’à côté d’éléments positifs comme l’engagement des participants, la chambre des erreurs peut générer une insécurité psychologique et favorise peu la conceptualisation. Plusieurs pistes d’amélioration sont proposées, dont un découpage en plusieurs phases qui comprend, entre autres, une phase individuelle située en amont de la formation, une phase de co-élaboration des erreurs par les participants avec l’aide du formateur, multipliant les occasions de réflexion, d’analyse des participants avec le guidage du formateur. Parmi les résultats de cette première phase de l’étude, les auteurs relèvent que le formateur s’est approprié la démarche centrée sur l’activité des acteurs.
16Le texte de Dieuwertje Bordat-Teeuwen et Guillaume Serres, « Analyse didactique d’une séance de simulation : gérer l’activité simulée tout en anticipant le débriefing », se différencie des trois précédents en se centrant sur l’activité des formateurs en simulation ; activité qui est dans l’ensemble moins explorée, la majeure partie des recherches portant sur la conception de la simulation pour l’apprentissage et/ou les apprentissages des formés, ou encore sur l’activité des formateurs mais en privilégiant la phase de débriefing (Dubois, De Stercke & Flandin, 2024). Les auteurs dégagent des moments critiques de la simulation pour les formateurs et analysent de façon approfondie la façon dont ils gèrent la simulation tout en se projetant sur le débriefing. Ils en dégagent une catégorisation des « préoccupations » qui traversent l’activité des formateurs.