Remerciements
Les auteurs remercient l’ensemble des contributeurs et contributrices au projet de recherche EU-H2020 dont cet article est issu, ainsi que toutes les personnes ayant accepté d’échanger au sujet des questions soulevées par cet article. Les auteurs sont les seuls responsables des propos tenus dans cet article.

Introduction

1La transition écologique invite les élus des grandes métropoles et les administrations qui les appuient à renouveler leur travail vis-à-vis des enjeux climatiques impliquant des évolutions de leur territoire et de sa gouvernance. Ces acteurs politiques, administratifs et techniques doivent intégrer de nouvelles lois provenant d’échelons européen, national ou régional (Figure 1), pour les traduire dans leur contexte local d’action. Ils doivent agir en concertation avec les acteurs de la vie locale qu’ils côtoient : associations, entreprises, etc. Ce faisant ils s’engagent vis-à-vis des citoyens et acteurs de leur territoire. Mais en quoi consiste exactement l’activité de travail des élus et des membres de l’administration publique qui les soutiennent ?

3Nous présentons le contexte général du PCAET en section 1. La section 2 positionne l’article relativement aux instruments d’action publique (e.g. PCAET), aux instruments dans l’activité de travail et aux caractéristiques connues du travail réalisé par les acteurs politiques, techniques ou administratifs de l’action publique. Après avoir présenté notre démarche de recherche et de conception (section 3), les résultats empiriques caractérisent (section 4) des classes d’activités récurrentes, les contraintes majeures dans le travail pour le développement des PCAET, et les pratiques de travail liées aux activités d’analyse, communication, recherche et conception des supports du PCAET. Nous y présentons également les implications en matière de conception. En discussion, ces résultats nous amènent à souligner l’importance de deux distinctions pour l’approche des instruments et du travail dans les contextes d’action publique en ergonomie : celle entre les instruments de travail et les instruments d’action publique ; celle entre l’action publique et l’activité de travail orientée vers l’action publique.

1. Autorité publique et ergonomes autour d’un plan climat

4La demande de l’EPCI avec lequel nous travaillons depuis 2021 s’inscrit au sein d’un projet européen H2020. Dans ce projet nous sommes intervenus en assistance à maîtrise d’œuvre puis assistance à maîtrise d’ouvrage. Ce projet vise principalement à développer et tester des solutions d’ordre technique (panneaux photovoltaïques, pilotage dynamique, etc.) en faveur de villes moins émettrices de gaz à effets de serre, mobilisant des sources d’énergie locale et produisant au moins autant qu’elles consomment. Néanmoins, la demande de cet EPCI et du projet à notre égard portait non pas sur ces solutions techniques, mais sur la conception centrée-activité d’un outil aide à la coordination et au développement de son Plan Climat-Air-Énergie Territorial (PCAET).

1.1. Les Plans Climat-Air-Énergie Territoriaux

6Un PCAET est un instrument d’action publique au sens où il traduit les objectifs des échelons régionaux, nationaux et internationaux dans une politique à l’échelle d’un territoire, principalement par le biais de la législation et ses supports sociotechniques. Les 4 principaux objectifs d’un PCAET sont de (1) réduire l’énergie consommée, (2) augmenter l’énergie produite, (3) décarboner l’activité réalisée (émettre moins de gaz à effets de serre (GES), capturer le CO₂, etc.) et (4) améliorer la qualité de l’air (au-delà des GES, limiter la présence des particules fines, etc.). Par exemple, il s’agit de faire baisser les émissions de GES de 75 % par rapport à 2005 d’ici 2050.

8Les PCAET apparaissent donc d’abord comme une prescription d’ordre générale faite aux membres des EPCI animant la vie politique, administrative et technique du territoire dont nous considérons l’activité de travail dans cet article. Ces acteurs doivent travailler concrètement à coordonner ce plan, à mobiliser les contributeurs potentiels, à réaliser un diagnostic territorial (émissions de gaz à effets de serre, consommation d’énergie, etc.), selon des approches de coopération variées en fonction des projets, des plans, des approches et des conventions construites avec les acteurs locaux. Toutefois, la façon dont ce travail est réalisé en action n’est pas connue.

1.2. Une conception centrée sur l’activité de travail pour le PCAET

9Dans ce contexte, les responsables du PCAET de l’EPCI ont tout d’abord émis le souhait de pouvoir piloter, coordonner et développer plus facilement leur PCAET, notamment à travers l’appui sur un outil informatique à concevoir et une démarche formalisée comme relevant de la conception centrée utilisateur. Les responsables du projet et de l’EPCI évoquaient cet outil selon deux grandes notions marquant leurs attentes et comprenant des implicites quant au travail envisagé :

• Une « plateforme énergie climat », soutenant implicitement une approche collaborative (plateforme) de l’activité autour du PCAET, mais questionnant également les modalités effectives de cette collaboration et du travail effectué avec les interlocuteurs et collaborateurs.

• Un « tableau de bord énergie-climat », soutenant implicitement une vision plus cognitive ou de supervision du PCAET (tableau de bord) et des projets et problèmes à suivre ou à formuler, construire, etc.

10Progressivement reformulée et travaillée avec les pilotes du projet et l’EPCI, une demande d’apports à la maîtrise d’œuvre via une approche en ergonomie de conception centrée sur l’activité de travail des acteurs du PCAET a finalement émergé. Notre hypothèse de travail visait donc à comprendre et discuter l’activité de travail de ceux et celles que nous nommons les « acteurs du PCAET » afin ensuite de spécifier les fonctions et principes d’interaction de cet outil :

1. Les responsables du PCAET : l’élu et les acteurs administratifs et techniques du service en charge de l’écologie urbaine ;

2. Les interlocuteurs directs des responsables, internes à l’EPCI (e.g. autres élus du conseil de métropole ou de municipalités, autres services) ;

3. Les interlocuteurs directs des responsables, externes à l’EPCI (e.g. universitaires) ou à son territoire (e.g., fournisseurs de données climatiques régionales et nationales, politiques régionaux ou nationaux).

2. Quelles instrumentalités pour le travail des acteurs du PCAET ?

11Relativement à ce terrain relevant largement d’enjeux politiques et d’action publique, notre article s’inscrit dans une rencontre entre ergonomie et sciences sociales ou politiques. Il adresse deux questionnements interdépendants : (1) le rapport entre instrument d’action publique et instruments dans l’activité de travail des acteurs du PCAET ; (2) le type d’activité engagée dans le travail des acteurs du PCAET.

2.1. Une instrumentation de l’action publique centrée sur l’activité de travail en ergonomie ?

12Quels rapports entretiennent les instruments d’action publique avec les instruments dans l’activité de travail ? Analystes de l’action publique par ses instruments en sciences humaines et sociales, Aggeri et Labatut (2014) soulignent l’intérêt d’approches de l’instrumentation de l’action publique à partir d’approches de « l’interaction activité-instrument » en ergonomie, citant Rabardel (1995) notamment. Cependant, à notre connaissance, cet effort reste à développer en ergonomie malgré certains appels à s’intéresser au travail des acteurs institutionnels dans le cadre des enjeux de développement durable (e.g. Guibourdenche, 2016) et des initiatives récentes portant sur les réseaux de territorialisation (e.g. Cerf, Le Bail, Boccara & Loyce, accepté ; Le Bail et al., 2021).

13En sciences sociales, un instrument d’action publique est

« un dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur (…) à vocation générique et porteur d’une conception concrète du rapport politique/société et soutenu par une conception de la régulation. »
(Lascoumes & Le Galès, 2004, p. 13-14).

14L’instrumentation de l’action publique est alors entendue comme

« l’ensemble des problèmes posés par le choix et l’usage des outils (des techniques, moyens d’opérer, des dispositifs) qui permettent de matérialiser et d’opérationnaliser l’action gouvernementale. »
(Lascoumes & Le Galès, 2004, p. 12)

15Un PCAET opérationnalise l’action gouvernementale sur le territoire des EPCI (cf. Figure 1). Il est donc déjà un instrument d’action publique au sens énoncé ici, et les prescriptions décrites en section 1 précédente y renvoient directement : par exemple, afin de répondre au protocole de Kyoto, l’EPCI coordonne le PCAET et il est recommandé de mobiliser la concertation entre les parties prenantes.

16Cependant, qu’ils soient conceptuels (e.g. évaluation, traçabilité) ou techniques (méthodes, systèmes d’information, etc.) les instruments d’action publique ne sont jamais seulement ni vraiment « organisateurs de » l’activité et des « rapports politique/société » (Buisson-Fenet & Le Naour, 2008a ; Jeannot, 2011 ; Lascoumes & Le Galès, 2004). Les recherches sur le travail et l’action publique ou sur les instruments d’action publique montrent que ces instruments sont conçus, pilotés, discutés, traduits, débattus par les acteurs des administrations publiques ainsi qu’au sein d’arènes politiques. Ils sont comme des intermédiaires momentanés d’une conception et d’une réalité entre technique et politique, elles aussi constamment débattues et modifiées par les acteurs en responsabilité à différents échelons. L’instrumentation devient alors ici plutôt un réseau ou un processus à la fois technique et politique. Les travaux des acteurs qui le réalisent méritent d’être identifiés et analysés finement, non seulement pour comprendre les instruments, mais aussi les pratiques et la politique en action : de leur conception à leur implémentation, contestation, usage et routinisation (Buisson-Fenet & Le Naour, 2008b).

17En revanche, parlant de « rapports politique/société », de « significations » portées par des instruments ou de vocation « générique », jusqu’où les acteurs du PCAET disposent-ils vraiment d’un instrument dans leur activité de travail pour développer les actions nécessaires à ce plan dans leur métropole ? Ce genre de question intéresserait peut-être plus directement l’ergonomie. Les approches en sciences sociales (Buisson-Fenet & Le Naour, 2008a ; Jeannot, 2011 ; Lascoumes & Le Galès, 2004) posent à leur façon la question de l’usage des outils, des pratiques de travail et des instruments en relation avec l’action publique et les politiques publiques. Mais cette instrumentalité ne semble pas qualifiée ou débattue au sens d’une ergonomie, sur deux plans au moins : le traitement de l’activité de travail en situation réelle « d’interaction activité-instrument » (Aggeri & Labatut, 2014) ; le fait d’assumer d’emblée une optique de transformation ou de conception des instruments et de l’activité (complétant une optique de compréhension). Les travaux en sciences sociales ne visent pas à interroger « le rôle et la fonction que peuvent avoir les objets technologiques comme instrument potentiel de développement de l’activité » (Bobillier Chaumon & Clot, 2016). Ils ne visent pas à développer l’activité de travail ou, pour reprendre les mots de Folcher et Bationo (2011) : « analyser les objectifs poursuivis en situation et les obstacles rencontrés et (…) identifier les voies de développement et de genèse qui voient le jour » (p. 22). Par ailleurs, dans la théorie instrumentale, l’instrument n’est pas nécessairement rattaché à une politique, un dispositif ou une technique particulière comme il l’est souvent dans les travaux en sciences sociales. Au contraire, il est au départ une entité mixte composée de l’artefact et d’un schème du sujet individuel en action au travail (Rabardel, 2005), médiant une relation à soi-même, à autrui et à l’objet de l’activité, dans une activité tour à tour productive et constructive. En même temps, il est bien au cœur des enjeux de développement de pouvoir et capacité d’agir (Bationo-Tillon, Poret & Folcher, 2020).

2.2. L’activité de travail des élus, responsables et interlocuteurs du PCAET

18Ceci pose donc la question des liens et différences que pourraient faire apparaître des études comme la nôtre en ergonomie, relativement à ces connaissances en sciences sociales, notamment à l’égard de l’activité de travail dans les situations d’action publique (Cerf et al., accepté) et ici pour les acteurs du PCAET. S’ouvre également un champ de réflexion à propos d’une assise de la conception des instruments d’action publique sur des méthodes de conception et d’intervention répandues en ergonomie, en particulier ici sur une conception centrée sur l’activité de travail.

19Trois types de travaux nous paraissent alors pertinents pour délimiter de façon initiale notre objet d’étude et questionner nos résultats ou ces notions. Premièrement, selon la synthèse de Smith (2019) en sociologie, le travail politique se comprend comme une constitution dialectique entre trois dimensions :

• la légitimation : naturaliser et fidéliser, créer les conditions d’une perception évidente du problème comme tel,

• la problématisation : cadrer cognitivement et symboliquement, prioriser ce qui fait problème,

• l’instrumentation : outiller et verrouiller la façon de conceptualiser le problème, selon les termes de l’auteur.

20Ces questions de légitimation, formulation et instrumentation de problème sont particulièrement importantes dans les politiques environnementales actuelles, traitant de wicked problems (Head, 2022) : des problèmes épineux (« wicked » signifiant à la fois grave et complexe) impliquant une diversité de valeurs, points de vue et acteurs, des incertitudes sur des relations de cause à effet complexes et des débats sur les options politiques. La gouvernance et la coordination d’actions publiques touchant des sujets environnementaux impliquent dès lors de travailler avec plus d’horizontalité et de transversalité (e.g. la suggestion de concertation de l’ADEME évoquée en section 1), par exemple en faisant participer ou coopérer une diversité d’acteurs ou protagonistes d’un territoire (Cardona et al., 2021 ; Le Bail et al., 2021 ; Vuidel, du Tertre, Hubault & Pasquelin, 2019). Travaillant sur une perspective de ville durable, Vuidel et al. (2019) soutiennent alors que de telles perspectives impliquent de s’inscrire dans une proximité au territoire vécu au quotidien, de construire le récit du territoire ou encore de changer le travail des services et des élus de la ville. Mais comment cela est-il réalisé concrètement par rapport à des acteurs d’un EPCI autour d’un PCAET ? Est-il seulement possible de « s’inscrire dans une proximité au territoire vécu » ou de « construire le récit du territoire » et à quelle condition relativement aux notions abstraites et complexes d’un PCAET (gaz à effets de serre, consommation d’énergie, etc.) ?

21Deuxièmement, thématisant directement la notion de territoire, le travail de territorialisation vise « l’ensemble des activités qui permettent aux acteurs de se lier autour d’une certaine vision du local et du durable, au sein d’un espace géographique, culturel et/ou politique qu’ils identifient comme territoire et qu’ils font évoluer » (Le Bail et al., 2021). Le développement de ce travail suppose et suscite des reconfigurations dans l’activité de travail ainsi qu’à l’intérieur et entre les différentes organisations impliquées dans les projets de développement territorial, ici la relocalisation des systèmes alimentaires (Le Bail et al., 2021). Le Bail et al. (2021) recommandent notamment de favoriser les rencontres entre les parties prenantes de ce travail de territorialisation. Dans le cadre d’un PCAET où les concertations sont fortement recommandées, on peut s’attendre à observer ce travail de territorialisation. Mais dans quelle mesure et avec quelles instrumentalités plus précisément pour les acteurs de l’EPCI ?

22Troisièmement, le travail d’intermédiation rendrait possible la coordination collective entre acteurs de mondes et de responsabilités différentes dans les contextes de transition (Cardona et al., 2021 ; Cerf et al., 2017 ; Cerf et al, accepté ; Jollivet, 2020 ; Le Bail et al., 2021). Ce type de travail peut permettre de créer des formes de convergences et de circulation nouvelles entre les visions du local et du durable des différents acteurs en présence : savoirs d’acteurs locaux et/ou scientifiques, prescriptions légales, pratiques en devenir, d’évaluation ou de collaboration, etc. Pour cela l’intermédiation passerait par trois autres formes d’actions aux frontières des organisations : la traduction de politiques pour leur articulation aux mécanismes d’action du territoire, l’institutionnalisation des dynamiques d’actions collectives locales dans le cadre de la politique publique, et enfin la facilitation de ces dynamiques collectives (Cerf et al., accepté). La transition énergétique visée par le PCAET passe au moins en partie par l’intermédiation (Durand & Landel, 2020 ; Jollivet, 2020). Il semble donc important d’en tenir compte dans une approche de l’activité des acteurs du PCAET. Mais à nouveau, comment l’intermédiation se présenterait-elle à partir d’un regard porté sur l’activité de travail des acteurs responsables du PCAET au sein d’un EPCI ?

2.3. Questions de recherche

23Sans prétendre apporter de réponse définitive à ces questions éminemment complexes, notre article propose d’ouvrir une réflexion à propos (1) du travail des acteurs d’un EPCI autour d’un PCAET et (2) de leurs instruments :

• En quoi consiste concrètement l’activité de travail des acteurs du PCAET en situation réelle ? Les notions de travail politique, de territorialisation et d’intermédiation suffisent-elles à en rendre compte ?

• Que signifie instrumenter ce travail en ergonomie ? Plus généralement, comment soutenir le développement de l’activité de travail des acteurs d’un PCAET ?

3. Approche et méthodes

24Les réflexions proposées dans la suite de cet article s’appuient sur une démarche mise en œuvre de mi-2021 à mi-2022 (Figure 2) lors d’une recherche menée avec les acteurs d’un EPCI de plus de 100 000 habitants, au sein d’un projet européen Horizon 2020.

3.1. Démarche générale

25Cette démarche visait tout d’abord à identifier les acteurs concernés, les classes d’activités réalisées par ces acteurs du PCAET (cf. section 3.2), les besoins, ressources et contraintes (techniques, légales, organisationnelles) qui s’y rattachent (Phase 1 – Analyse du contexte et étude de terrain notamment). Cette identification visait à appuyer la conception d’instrumentalités nouvelles en passant par une compréhension de l’activité réalisée par les acteurs en situation réelle et une mise en débat progressive des analyses et pistes de conception avec le projet et l’EPCI. Cette mise en débat progressive a également porté sur l’organisation du travail et des outils des acteurs autour du PCAET (Phase 1 – réunion projet et EPCI, puis Phase 2 – Atelier). Après l’étude de terrain initiale, les étapes de spécifications fonctionnelles générales, détaillées et de maquettage ont été accompagnées de plusieurs moments d’échanges permettant d’étayer progressivement les principes fonctionnels et d’interaction humain-machine de l’outil en question : réunions avec le projet et l’EPCI, atelier IHM et organisation, réunions courtes et ateliers sur les thématiques du PCAET avec l’EPCI (qualité de l’air, émissions de GES, énergie, etc.).

3.2. Participants et recueil de matériau empirique

26Mi-2021, le recueil de terrain a été réalisé avec 25 acteurs en situation de travail ou à l’aide de remise en situation. Ces 22 sessions, d’une durée moyenne de 80 minutes, ont été réalisées avec les participants présentés dans le tableau 1 suivant.

27Afin de pouvoir analyser l’activité de travail des membres de l’EPCI et leurs instruments, une attention particulière a été portée sur les éléments suivants lors du recueil de matériau :

• Dynamiques cognitives intrinsèques à l’activité individuelle sociale

  • Préoccupations des acteurs (ce que l’acteur cherche à faire).

  • Significations construites en action (ce qu’il fait et comprend en action, de son point de vue, tel que cela nous est accessible dans les verbatims et nos observations).

  • Raisonnements engagés dans l’usage des outils existants (ce que l’acteur pense faire, ce à quoi il s’attend, fait attention, ses connaissances préalables).

• Pratiques de travail et activité collective abordées de façon plus extrinsèques

  • Collaboration entre les acteurs, notamment concernant les outils et les données liées au PCAET, échangées ou non entre services et acteurs de l’EPCI, ou avec des acteurs.

  • Utilisation et mobilisation des outils, instruments existants, notamment ceux concernant l’air, l’énergie, les émissions de CO₂, etc.

  • Catégories de langage mobilisées pour décrire le travail et l’utilisation des outils.

28Notre approche de ces éléments est principalement inspirée des travaux issus du cours d’action (Theureau, 2004) et de l’analyse située de l’activité (Grosjean, 2005). L’analyse des préoccupations, des significations construites en action et des pratiques est la principale source de constitution de ce que nous appelons ici les classes d’activités.

• Classes d’activités réalisées par les acteurs – Sur le plan des matériaux recueillis, il s’agit des regroupements thématiques ressortant de notre analyse des verbatims de description générale ou détaillée et située de son activité de travail par l’acteur (cf. le verbatim en fin de section 4.1). Sur le plan de l’activité, la notion de classe d’activité renvoie à une synthèse de celle-ci par le chercheur sur la base du traitement des matériaux. Étant synthétique (ou générique) elle ne considère plus la situation particulière de telle ou telle occurrence dans le corpus de matériaux. Par conséquent, en tant que telle, il peut s’agir d’une tâche ou d’une action en cours, car elle est sortie de son contexte de réalisation. Du point de vue des acteurs du PCAET, elle peut donc caractériser un « à faire », un « en cours d’action », ou bien même une action/tâche passée.

29Pour cela, les sessions de recueil ont porté sur des aspects biographiques, une description générale de l’activité par entretien semi-directif, des remises en situation à visée d’explicitation de l’activité de travail en situation et des observations portant sur les pratiques et usages des outils, ainsi que sur les catégories de langage mobilisées par les participants pour décrire leurs actions. Les sessions en coprésence ont été privilégiées, car elles donnent accès à une plus grande richesse d’observations du travail et des techniques en action. Cependant, 2 sessions se sont déroulées à distance pour des raisons pratiques de planning, avec partage d’écran.

3.3. Traitement des données et élaboration des classes d’activités

30Ce recueil a donné lieu à la transcription complète des observations et verbalisations d’entretien et photographies sur 250 pages de transcription brute (verbatims et photographies). L’analyse des transcriptions pour la caractérisation des classes d’activités s’est déroulée jusqu’à l’automne 2021 selon plusieurs étapes de discussion : par analyse thématique du corpus et discussions visant la convergence entre ergonomes, puis au sein du projet de conception puis avec les responsables du PCAET et des acteurs de l’administration de l’EPCI. L’ensemble de la démarche en phases 1 et 2 (Figure 2) a permis d’aboutir à la validation collective des résultats présentés dans la section suivante.

4. Le PCAET en action entre travail politique, territorialisation, instrumentation et au‑delà ?

31Cette section présente l’analyse de nos résultats et indique brièvement en fin de chaque sous-section les implications pour la conception des situations de travail des acteurs du PCAET. La présentation progresse globalement des résultats les plus généraux aux aspects les plus situés, détaillés et incarnés du travail.

4.1. Une interdépendance très forte entre 5 classes d’activités

32Nos résultats mettent en évidence 5 grandes classes d’activités interdépendantes dans le travail des acteurs du PCAET (Tableau 2 et verbatim suivant) : rechercher, analyser, concevoir, communiquer et piloter. Ces classes d’activités sont mobilisées différemment selon les situations spécifiques de travail décrites dans les sections suivantes.

33Le résultat central de notre étude porte sur l’interdépendance de ces 5 grandes classes d’activités (cf. verbatim suivant et Tableau 2), de leurs ressources et contraintes dans les situations de travail des acteurs du PCAET. Le verbatim suivant illustre un cas d’interdépendance entre la conception, l’analyse, la recherche et la communication dans l’activité d’un membre du service écologie urbaine de l’EPCI (en charge du PCAET). Les parenthèses rappellent le lien aux classes d’activités et aux outils et contraintes en présence.

« Donc je suis allé chercher (RECHERCHER) le nombre d’habitants (INFORMATION) ici (OUTIL) et quand j’ai vu que ça ne correspondait pas (ANALYSER) je suis allé voir (RECHERCHER – ANALYSER) les industries présentes sur le territoire (INFORMATION)… Et en fait j’ai réalisé (ANALYSER) lors de la réunion de préparation avec les collègues (COMMUNIQUER - CONCEVOIR) qu’il y avait quelque chose côté transport (OUTIL et INFORMATION) peut-être. Mais ils n’étaient pas sûrs (ANALYSER), donc on est allés voir sur google maps (OUTIL) tout simplement. La démographie (INFORMATION) je suis allé sur l’INSEE (OUTIL), mais ce n’était pas accessible (CONTRAINTE OUTIL) alors je suis allé sur le site de la métropole (OUTIL), mais il fallait faire ville par ville ce n’était pas facile (CONTRAINTE OUTIL). C’était un peu un jeu de piste. » Membre du service Écologie Urbaine

34En vue d’une réunion à venir avec d’autres acteurs du PCAET, ce membre du service écologie urbaine doit contribuer à la conception d’une partie des supports. Cheminant progressivement, il cherche alors activement des informations afin de pouvoir analyser la relation entre émissions de CO₂ et l’évolution de différentes autres dimensions sur le territoire : nombre d’habitants, d’industries et transports. Ces dimensions « à rechercher » ne deviennent pertinentes qu’au fur et à mesure de son parcours interprétatif jalonné d’autres activités que la recherche (« j’ai réalisé lors de la réunion de préparation… ») : analyse et communication avec les collègues du service en préparation de la réunion avec d’autres acteurs du PCAET. De même, concernant les ressources et contraintes, cet acteur consulte une première plateforme pour la démographie, mais il réalise que cela ne fournit pas assez d’explication concernant le CO₂. Il recherche alors des informations sur le nombre d’entreprises présentes sur le territoire, mais sur un autre outil. Puis, lors de la préparation avec les collègues du service écologie urbaine, il réalise qu’il faut certainement aussi chercher du côté des informations sur le transport, impliquant un autre outil à nouveau. Il rencontre de très nombreuses contraintes sur ce chemin.

35Relativement à la compréhension et à la conception d’un soutien technique au travail des acteurs du PCAET, ce résultat et les suivants impliquent de porter très fortement attention à l’intégration entre les activités, les outils et les informations nécessaires au développement du travail autour du PCAET. Ceci parce que les contraintes d’une classe d’activité vont impacter toutes les autres qui en dépendent. Pour la conception, il s’agirait par exemple de définir des fonctions qui dépassent d’emblée la seule supervision par tableau de bord ou la seule collaboration dans une plateforme. Il s’agirait plutôt de proposer un soutien fluidifiant la circulation et les oscillations des acteurs entre ces 5 classes d’activités interdépendantes au fil du temps, en tenant compte du caractère finalement assez imprévisible du chemin emprunté.

4.2. Faire face à une diversité d’interlocuteurs et de finalités de réunions

36Comme évoqués en section 4.1 précédente, les discours comme les supports de réunion sont en premier lieu conçus, ensuite communiqués et débattus. Dans ce cadre, les responsables du PCAET font tout d’abord face à une très grande diversité d’interlocuteurs avec lesquels ils doivent se concerter et discuter le PCAET. Les interlocuteurs suivants sont fréquemment mentionnés par les participants à notre étude :

• Collègues du même service au sein de l’EPCI,

• Collègues de directions et services différents au sein de l’EPCI,

• Élus du conseil et direction de l’EPCI,

• Élus et direction de chaque commune de l’EPCI,

• Élus et direction d’autres échelons politiques ou administratifs (national, régional, européen),

• Représentants et acteurs locaux sur le territoire : associations, porteurs de projets, entreprises publiques et privées, université…

• Citoyens et citoyennes de la métropole.

37Ces acteurs n’ont pas les mêmes finalités, ni les mêmes connaissances des enjeux du PCAET et ont des projets différents. Par ailleurs ils interviennent sur des échelons très variés d’organisation du territoire de l’EPCI. En conséquence les responsables du PCAET doivent concevoir ou reconcevoir des supports de façon très spécifique pour cadrer les échanges et permettre des échanges appropriés dans la concertation. Il ne s’agit pas de s’adresser uniquement à un « profil d’acteur », mais plutôt à des individus et petits groupes d’individus dans leur singularité, ayant des projets singuliers. Ces acteurs ont un pouvoir d’action sur une portion du territoire et pas une autre, sur certains phénomènes (GES, air, etc.) et pas sur d’autres. Ils sont plus ou moins sensibles au PCAET et ses enjeux. Les supports ne peuvent donc pas être génériques, ils doivent être ajustés, traduits pour « cette réunion » avec « cet acteur ».

« On avait la demande de notre élu là pour la PLATEFORME 1 d’un INTERMÉDIAIRE RÉGIONAL, mais il va falloir refaire des analyses pour la Commission Européenne et la convention des maires par exemple. Pour moi l’idée ce serait aussi de faciliter le travail de conception des réponses pour les élus. » Responsable du service Écologie Urbaine

38Concernant les finalités des réunions, elles sont très nombreuses et variables. Il peut s’agir de convaincre le conseil de métropole de voter des objectifs, de valider le financement d’actions pour le PCAET, de convaincre des bailleurs sociaux ou entrepreneurs du territoire de réaliser des travaux d’isolation-rénovation, de conseiller des élus locaux de l’EPCI sur les investissements les plus bénéfiques sur le long terme en matière de réduction de GES sur leur périmètre de responsabilité… Il peut aussi s’agir de présenter le PCAET et des perspectives d’actions conjointes aux collègues d’autres services dans la métropole (e.g. le service en charge du Plan Local d’Urbanisme, ou celui en charge des déchets et recyclages). À nouveau, ces finalités sont interdépendantes. Par exemple, pour faire voter le PCAET aux élus de la métropole, il est fort probable que des réunions concernant le Plan Local d’Urbanisme ou d’autres aspects de la vie de la cité aient eu lieu auparavant : en conseil de métropole et/ou entre services.

39Cette diversité est classique dans les situations politiques impliquant des wicked problems (Head, 2022). Pour notre projet de conception, elle renforce selon nous la nécessité d’une intégration de fonctions soutenant l’ensemble des 5 classes d’activités (section 4.1), les acteurs devant notamment pouvoir se concentrer sur les spécificités des situations de conception et de leurs interlocuteurs, et non pas sur les contraintes de leurs outils et situations de conception, de recherche, communication ou analyse. Or, celles-ci sont relativement nombreuses, fortes et interdépendantes à ce jour comme nous allons le détailler.

4.3. Rechercher les informations concernant les éléments du PCAET : le difficile accès aux mailles fines du territoire

1. L’absence des données et contenus, ou l’absence des mailles pertinentes du territoire (cf. ci-dessous : mailles IRIS, quartiers, etc.),

2. La dispersion des ressources dans et hors de l’EPCI,

3. La difficulté d’utilisation des plateformes actuelles.

« Dans 2 ou 3 ans, il y aura une ZFE parce que la loi prévoit que ce soit obligatoire à partir de 150 000 habitants. Donc moi il me faut un indicateur qui localise les zones d’émissions les plus importantes en relation avec les déplacements/présences de la population. » Élu adjoint à l’écologie urbaine

« La maille IRIS peut être intéressante parce que c’est plus réaliste en fait avec des métropoles, d’avoir des échelons de 2000 à 5000 habitants. » Responsable du service écologie urbaine

« Là où ce serait intéressant c’est d’agréger à l’échelle du quartier. Parce que nous on a les bâtiments X Y et certains produisent peu et consomment beaucoup et vice versa. » Chargé de mission du service énergie

« Par exemple une collègue d’un autre service elle a plein de données, toutes les données PLATEFORME 2 sur OBJET 2. Donc souvent il faut que je la sollicite pour avoir les données. Donc ce serait bien de pouvoir avoir une plateforme où il y a ces données sans forcément la solliciter euh… Je pense que ce genre de données ça intéresse tout le monde. » Responsable de la réduction et valorisation des déchets

43Enfin, les participants ont aussi souligné que les sites et plateformes n’étaient pas tous très simples à utiliser. Il s’agit là de problèmes classiques en ergonomie et interaction humain-machine, néanmoins très contraignant pour la recherche d’informations. Par exemple, les libellés des menus ou des filtres de recherche ne sont pas significatifs pour l’action, les menus ne sont pas clairs, leurs principes d’interaction avec l’utilisateur diffèrent grandement d’une plateforme à l’autre. Pour chaque plateforme institutionnelle, des gestes de navigation et d’interprétation sont à ajuster de façon relativement spécifique : pour l’accès aux modules de recherche, pour la sélection des mailles et des types de données intéressant l’utilisateur, pour la méthode de chargement et les formats disponibles… Ceci occasionne des pertes de temps et d’énergie pour trouver les informations recherchées.

44Vis-à-vis du travail des acteurs et de notre projet de conception, ces résultats soulignent une limitation importante dans l’édification des plans climats en France : les acteurs opérationnels n’accèdent que trop difficilement aux données et contenus qui étayent empiriquement les débats pour la transition sur le territoire. Et, du fait de l’interdépendance des activités avec la recherche, c’est tout le réseau d’activités qui est mis en difficulté de ce point de vue, au détriment du travail et/ou de la qualité des échanges dans les réunions, de la possibilité d’un récit du territoire empiriquement étayé. Dans ce cadre, nos choix de conception de l’outil consistent principalement à permettre des recherches avancées dont les résultats (données et contenus CAET) peuvent être manipulés aisément de façon à créer des supports spécifiques au sujet local à discuter avec les acteurs du PCAET (sections 4.2 et 4.5). Les logiques de « tableau de bord » ou de « plateforme » évoquées en section 1.2 sont alors intégrées, mais dans une optique de conception par les utilisateurs où : (1) des dizaines de supports peuvent être conçus et reconçus selon leurs besoins, et (2) la recherche sur une plateforme commune est facilitée pour elle-même, mais aussi dans ses relations dynamiques à l’analyse et à la conception de supports par exemple. Ce qui implique des fonctionnalités de recherches avancées et, à nouveau, intégrées à l’ensemble fonctionnel plus vaste de l’outil portant sur l’analyse, la conception, etc.

4.4. Le travail des « indicateurs » entre conception et analyse

45Toujours en vue d’une adaptation des contenus CAET à la singularité des interlocuteurs décrits en section 4.2 précédente, les responsables et membres du service écologie urbaine et d’autres services de l’EPCI ajustent ces contenus dans un travail se situant entre conception et analyse, en amont des réunions et parfois aussi pendant les réunions.

46Lorsque les données CAET d’entrée existent, qu’elles sont transmises ou accessibles, il est fréquent qu’elles ne soient pas au format vraiment attendu par l’acteur qui les a demandées, ni accompagnées de la représentation visuelle adaptée pour la réunion visée. S’engage alors une première activité d’analyse des données et de (re)conception des indicateurs et représentations visuelles attendues. Dans le cas du PCAET, un des membres du service écologie urbaine venait de réajuster un jeu de données sur les consommations d’énergie du territoire, pour créer 30 graphiques dans les formats souhaités. Ce jeu de données avait été importé d’une plateforme extérieure à la métropole. En vue d’une adéquation avec les besoins du service écologie urbaine et de ses interlocuteurs, son travail de reformatage a alors consisté à (pour chacun des 30 graphiques) :

• Reprendre les catégories d’entrée et contenus des tableurs de données, notamment passer d’un découpage catégoriel par année et secteur sur deux lignes et plusieurs dizaines de colonnes de tableur, à un découpage entre année d’un côté et secteurs concernés (une seule colonne) de l’autre, les croisant pour générer un graphique visuellement plus saillant que les données brutes du fournisseur.

• • 7 La tonne équivalent pétrole est une unité de mesure

  Recalculer et traduire les valeurs exprimées en KTeP (kilotonnes équivalent pétrole7) en GWh (gigawatt heure), en anticipation des difficultés à expliquer et faire parler des KTeP à un public non-averti (cf. section 4.2), et parce que le PCAET est pensé avec la notion de Watt-Heure et non de KTeP.

• Vérifier et s’assurer de la fiabilité des traductions et calculs effectués.

• Générer un graphique, une représentation visuelle actionnable, exploitable sous un logiciel de présentation, et que l’on peut survoler pour afficher les valeurs locales. Ce dernier point est essentiel. En réunion avec des interlocuteurs, le fait de pouvoir survoler permet d’afficher une valeur locale tout en gardant la vue sur l’ensemble d’un graphique, permettant donc de discuter les valeurs, leur sens, etc. (cf. section 4.5 et 4.6).

• S’assurer de la liaison entre le nouveau tableau de données et la représentation graphique afin de ne pas avoir à tout recalculer l’année suivante et n’avoir qu’à intégrer les nouvelles données.

« Quand je veux exporter le tableau Excel des données brutes, voilà ce que ça donne (montre un tableau non représenté sur la figure 3 ci-dessus) : chaque donnée par an et par secteur est présentée comme ça sur deux lignes. (…) Voilà ça c’est le tableau qu’il nous faudrait (Figure 3) avec les années en haut et en ligne les unités mesurées et là j’ai mon graphique, qui est en l’occurrence exploitable pour powerpoint. J’ai fait ça pour 30 graphiques environ. » Membre du service Écologie Urbaine

« Sur PLATEFORME 1 on ne peut pas utiliser les données directement en fait, on est obligés de retravailler toutes les données donc c’est très pénible. On perd tout le monde là. Là c’est tout en KTep donc on doit tout reprendre pour traduire en GWh, donc on les importe on les remet au propre sur le tableau Excel. Là l’idée c’était d’avoir un bon tableau Excel pour que l’année d’après on n’ait plus qu’à rentrer les nouvelles données. Et comme ça on s’est arrangés pour aussi que quand on change quelque chose dans le tableau Excel, le Powerpoint change automatiquement » Responsable du service Écologie Urbaine.

47Au-delà des activités analytiques et calculatoires, on observe ici, selon nous, un travail d’instrumentation du débat à venir, en même temps qu’un travail de traduction/facilitation caractérisant une partie de l’intermédiation, ici orientée en direction de l’activité de travail singulière des acteurs du PCAET. Celle-ci se fait à partir de la plateforme 1 d’où est téléchargé le jeu de données CAET et aboutit à faire converger l’instrument dans le travail orienté vers l’action publique : le support de réunions des responsables du PCAET.

48Vis-à-vis du travail et de notre projet de conception de l’outil, il a d’abord été question de définir, à partir de l’étude de terrain puis des ateliers (cf. Figure 2), quels étaient les contenus CAET attendus en matière de dimensions (consommation, production d’émissions, etc.), formats visuels (histogrammes, autres formes statistiques, texte riche, image, lien hypertexte, etc.) et d’autres caractéristiques. Ceci a permis de définir une première zone d’informations stable autour de laquelle la majeure partie de l’activité de l’EPCI doit pouvoir se dérouler, tout en intégrant la possibilité d’ajouter soi-même des contenus selon des processus de validation et d’édition internes à l’EPCI, eux aussi abordés en ateliers et dans nos spécifications (non abordés dans cet article néanmoins).

4.5. Problématiser, légitimer et territorialiser le PCAET en réunion : des enjeux s’appuyant sur les contenus CAET et des pratiques situées

49Une fois que le support conçu est jugé suffisamment robuste, il est utilisé. Ce qui signifie mis à l’épreuve des analyses et des échanges parfois convergents et parfois divergents entre les acteurs du PCAET. Ceci notamment dans une arène éminemment politique, mais comportant aussi une forte dimension cognitive et qui est apparue de façon récurrente sur notre terrain : la réunion.

50Dans ces réunions, l’élu et les responsables du PCAET doivent donc assurer la coordination au nom d’instances politiques régionales, nationales et européennes. Cherchant à générer une dynamique collective vertueuse pour le climat sur le territoire de l’EPCI (e.g., émettre moins de gaz à effets de serre), il s’agit pour les responsables du PCAET de tenir un équilibre entre, d’une part, une rigueur scientifique et technique de l’approche des concepts liés à la transition écologique (émissions de gaz à effets de serre, etc.) et, d’autre part, la possibilité d’une appropriation, d’une contribution, d’apprentissages et évolutions pour tous leurs interlocuteurs, quel que soit leur niveau de connaissance des enjeux et notions climatiques (cf. section 4.2). De ce point de vue la vision commune du local et du durable, sous-jacente au travail de territorialisation (Le Bail et al., 2021), doit correspondre avec des fondements scientifiques, empiriques, ou rationnels des objectifs du PCAET, sans condamner la possibilité d’appropriation en action par les interlocuteurs. De même pour la formulation de ce qui fait problème (Smith, 2019). Il s’agit donc de rendre le PCAET audible, compréhensible et discutable, appropriable par tous et toutes, mais sans tomber dans l’erreur notionnelle, technique ou scientifique.

51Dans ce contexte, nos résultats font apparaître plusieurs pratiques mêlant analyse, communication, recherche et conception en situation, renvoyant de façon plus ou moins directe à des sous-ensembles du travail politique, de territorialisation et d’intermédiation : la légitimation, la problématisation ou la facilitation notamment. Sans forcément s’y rapporter directement en action, elles les supportent néanmoins.

52Cadrer le débat vis-à-vis du PCAET – Cette pratique revient à introduire globalement les enjeux, et notamment à présenter des informations générales sur le PCAET, les émissions de GES, les consommations ou productions d’énergie, la qualité de l’air, cela à l’échelle de la métropole elle-même ou d’échelles supérieures. Ici les contraintes sont relativement moins fortes que pour la pratique suivante, dans la mesure où des indicateurs généraux peuvent suffire et où ils sont en général accessibles. Par exemple, présenter les objectifs généraux du PCAET en tant que tels (trajectoires de réduction des émissions, etc.) relève d’une telle pratique.

53Situer le PCAET dans l’espace et la temporalité d’intérêt de l’interlocuteur – Essentielle afin de pouvoir trouver le bon terrain de discussion pour la co-construction d’actions bénéfiques au PCAET, cette pratique est précisément à la source des activités de conception dans sa dimension d’ajustement des supports aux interlocuteurs (cf. section 4.4). Elle peut impliquer que les interlocuteurs appréhendent, interprètent et situent eux-mêmes les données de leur point de vue. Mais dans ce cadre, ne pas disposer des indicateurs pertinents pour l’auditoire complique ce cadrage et la possibilité d’établir des bases communes de dialogue en vue d’une « territorialisation » (Le Bail et al., 2021). Cette contrainte est très fréquente d’après nos résultats concernant les acteurs de l’EPCI et notamment ceux du PCAET.

54Mettre en récit une représentation visuelle disponible du territoire – Hautement interprétative, faisant appel à la mémoire et à l’histoire du territoire, cette pratique peut être engagée dans des contextes très variés, soit pour introduire le contexte local et problématiser, soit pour légitimer une action, ou argumenter contre une critique. Les représentations visuelles d’indicateurs du PCAET sur le territoire peuvent permettre des étayages fructueux lorsqu’elles existent. Mais ces contenus CAET ne parlant pas d’eux-mêmes, la mise en récit par le ou les acteurs est toujours nécessaire. Étant interprétative, elle engage aussi des formes de controverse et de débat sur le sens des données entre les acteurs de la réunion.

« Mon objectif c’est de raconter l’histoire en fait. Quand j’ai des données, c’est d’être capable, de dire “je suis capable de montrer les évolutions avec ces données.” Et c’est très important ça. Quand on me dit : “vos données sont un peu anciennes et rien n’a changé.” En fait regardons ici (pointe sur le graphique) il y a une vraie évolution là de 2013 à 2015, là (point de gauche) par exemple c’est tout le développement du réseau de chaleur. C’est énorme et ça se voit tout de suite. Ça, c’est la première chaufferie et ça (pointe à droite du graphique de la figure 4 ci-dessus) c’est sur le second réseau. » Responsable du service Écologie Urbaine

55Repréciser ou recadrer – Comme le montre aussi le verbatim ci-dessus, à l’extrême de la controverse et de la mise à l’épreuve, les responsables du PCAET peuvent avoir à répondre à des critiques plus ou moins fondées de la part de leurs interlocuteurs (« rien n’a vraiment changé »), ou bien à préciser/démontrer certains arguments. Usuelle et nécessaire au débat démocratique, cette pratique est l’effet de l’engagement d’un débat autour de la réalité d’un phénomène (e.g. émissions de GES d’un secteur ou d’une zone géographique, effets des actions mises en œuvre, etc.). Selon les arguments des interlocuteurs (e.g., élus de la métropole, acteurs socio-économiques, etc.), il s’agira simplement de repréciser ou rappeler un argument, ou bien de recadrer plus fermement le débat afin de respecter une certaine rigueur. S’appuyer sur des représentations visuelles adaptées est d’une aide précieuse aux acteurs du PCAET pour étayer ce cadrage et ces débats, l’air, l’énergie et le climat étant difficiles à incarner et faire parler en réunion.

56Rechercher des informations en cours de réunion – Cette pratique est évoquée par plusieurs acteurs lorsqu’ils ont besoin d’étayer un débat émergent et non anticipé lors des activités de conception antérieures. On retrouve alors la recherche de contenus CAET au beau milieu d’une réunion de travail, avec les contraintes énoncées plus haut. La conséquence de ces contraintes de recherche en situation de réunion avec des interlocuteurs est une rupture du continuum d’étayage empirique du débat, les contenus CAET n’étant pas « sous la main » ni « sous les yeux » et devant être recherchés, créant ainsi cette rupture.

57Valoriser les actions positives déjà réalisées – Cette pratique est importante pour démontrer la possibilité d’actions locales avec le PCAET, pour légitimer les actions passées ou celles à mettre en œuvre, mais aussi pour susciter l’envie de contribuer. Cela est par ailleurs une voie de valorisation du travail et des actions de tous les services de la métropole et contributeurs du territoire contribuant à des effets bénéfiques pour le climat, l’air ou l’énergie. Dans ce contexte, l’absence des contenus CAET est aussi une absence de valorisation des actions publiques et du travail humain qui les rend possibles.

« Aujourd’hui très peu de personnes savent qu’on a fait 50 % d’économies de CO₂ sur nos bâtiments depuis 2010. Ce résultat n’est pas valorisé visuellement. » Responsable du service énergie.

58Détailler et relier les représentations visuelles disponibles – Cette pratique est importante pour l’analyse historique, explicative ou projective des phénomènes discutés à partir des représentations visuelles de contenus CAET. Pour analyser, comparer, pour situer ou encore pour permettre d’évaluer la possibilité et pertinence de répliquer une action réalisée d’une zone A vers une zone B du territoire par exemple, il est essentiel de pouvoir à la fois détailler et relier les représentations visuelles étayant les débats (cf. section suivante). Et cela pas seulement seul à son bureau, mais aussi en direct en réunion avec des interlocuteurs débattant selon des chemins d’interprétation non prédictibles.

59Toutes ces pratiques démontrent l’importance de pouvoir incarner les notions et les concepts, les voir et interagir avec pour étayer, débattre, faire évoluer les échanges sur tout ou partie des actions contribuant au PCAET, avec l’auditoire lors des réunions. Selon nous, cela démontre l’importance de travailler l’interdépendance fonctionnelle des activités (section 4.1) et de leurs ressources et contraintes dans la conception de l’outil au sein de notre projet. Ceci est d’autant plus important que les concepts clés du PCAET (consommation d’énergie, émissions de gaz à effets de serre, qualité de l’air, production d’énergie renouvelable) ont des fondements à la fois scientifiques et dans le monde réel, mais ils sont extrêmement abstraits. Dans le monde réel, ils sont difficilement visualisables, localisables et matérialisables : des émissions de gaz, des consommations d’énergie… Ils sont donc d’autant plus difficiles à « faire parler » ou à « mettre en récit » en réunion si les supports viennent à manquer. Or, ne pas trouver ce que l’on cherche lors d’une réunion, c’est à nouveau faire l’expérience d’une discontinuité dans l’étayage des débats. Cette discontinuité peut et doit selon nous être résorbée par la conception des instruments de travail autour du PCAET.

4.6. L’analyse du territoire par le détail et la relation entre contenus CAET

60Enfin, nos choix de conception ont été guidés par une analyse plus approfondie de l’usage des contenus PCAET en situation d’analyse collective ou individuelle. D’après nos résultats, l’analyse d’un contenu CAET progresse peu à peu selon 2 modes d’appréhension : en détail et en relation à d’autres contenus. Progressant en détail, les acteurs vont chercher à comprendre un contenu CAET à partir de ses valeurs locales. Un cas fréquemment observé et évoqué est celui des évolutions annuelles de consommations d’énergie, souvent représentées en histogramme ou en lignes (e.g. sections 4.4 et 4.5). Les acteurs ont souvent besoin de pouvoir détailler les valeurs locales de consommation chaque année, soit barre par barre ou point par point, par exemple pour construire un récit des évolutions. Dans le verbatim de la sous-section 4.5 précédente, le responsable du service écologie urbaine pointe sur les années 2013 et 2015 en disant : « il y a une vraie évolution là de 2013 à 2015, là (point de gauche) par exemple c’est tout le développement du réseau de chaleur. »

61Progressant en relation entre contenus CAET également, les acteurs du PCAET cherchent à croiser différentes représentations visuelles pour développer une compréhension d’ensemble ou questionner un phénomène sur une partie du territoire concerné. L’extrait ci-dessous caractérise une mise en relation d’un tableau statistique de production d’énergie vis-à-vis d’une portion de territoire dont l’acteur a en partie la responsabilité, représenté par une carte. L’acteur, dans son analyse, oscille entre ce tableau imprimé sur papier et des portions précises de la carte affichée sur le mur. Cet extrait renvoie directement aux pratiques décrites en sous-section précédente, notamment : situer le PCAET, mettre en récit, et relier les représentations visuelles disponibles, à partir des outils existants (ici tableau et carte imprimés sur papier).

« Tiens bon là (pointe sur la carte de la figure 5) combien je produis là ? Là on produit 8 MWh (montre sur le tableau statistique de la figure 5), là on produit via des énergies renouvelables et du réseau de chaleur. » Responsable du service énergie

62À l’heure où les territoires métropolitains deviennent producteurs d’énergie, par exemple, ces gestes à la fois praxiques et interprétatifs portant sur le territoire sont très fréquents dans notre étude : en tant qu’ils sont réalisés, ou bien en tant qu’ils cherchent à se réaliser dans l’activité individuelle et collective. Mais à nouveau, l’effet de dispersion et d’accès limité aux contenus CAET du territoire (section 4.3.) introduit des contraintes relativement fortes. Du fait de l’interdépendance des contenus, l’absence d’un indicateur n’obstrue pas seulement la compréhension du phénomène qu’il représente (e.g. la démographie dans la métropole de 2000 à 2016), mais aussi celle des phénomènes qu’il peut impacter (e.g. la consommation d’énergie, les émissions de CO₂, etc.) et permettre d’expliquer. Les acteurs du PCAET sont alors renvoyés au besoin de pouvoir disposer des contenus « sous la main et les yeux » ou pas trop loin, afin de pouvoir les détailler et les croiser sans (trop de) discontinuités.

63Ces éléments nous ont menés à spécifier et maquetter des principes d’interaction humain-machine avancés, renvoyant à des notions de zoom, de vues nominales ou dédiées d’un contenu CAET, ou encore de mise en vis-à-vis de deux contenus CAET pour leur analyse conjointe. Après avoir effectué des recherches et avoir intégré leur contenu dans un support, les utilisateurs doivent selon nous pouvoir réaliser ces gestes praxiques et interprétatifs avec l’outil numérique futur de façon à poursuivre leur chemin interprétatif, leur analyse, narration et débats. Ceci qu’il s’agisse de situations de préparation et conception initiale des supports (section 4.2), d’une réunion avec des acteurs du PCAET (section 4.5) ou bien, dans le futur, de publier une partie d’un support en ligne sur le web afin de présenter publiquement et officiellement l’aboutissement d’un travail invisible.

5. Perspectives et limites : instrumenter et développer l’activité orientée vers l’action publique ?

64Notre article proposait d’ouvrir une réflexion en ergonomie sur l’activité de travail des acteurs d’un PCAET et sur la conception de leurs instruments de travail au-delà de la notion d’instrument d’action publique. Nous discutons à présent les perspectives et limites de notre étude.

5.1. Une activité de travail orientée vers l’action publique ?

65Poursuivant en un sens l’appel d’Aggeri et Labatut (2014), nos résultats décrivent une façon dont l’ergonomie peut se saisir des questions d’instrumentation de l’action publique : en analysant l’activité de travail et co-produisant des perspectives de transformation du travail et des instruments de travail avec les élus et les acteurs administratifs et techniques. Ce faisant, l’ergonomie ne peut éviter de traiter de notions relativement nouvelles pour elle, comme celles de travail politique, de travail de territorialisation ou d’intermédiation. Pour le travail politique (Smith, 2019) nos résultats dévoilent bien des pratiques contribuant à des formes de légitimation et de problématisation (e.g., valorisation des actions, pratiques de cadrage ou recadrage en section 4.5) ainsi que d’instrumentation (notamment la conception de supports en section 4.4). Concernant le travail de territorialisation (Le Bail et al., 2021), sans l’avoir observé lui-même, on en trouve de nombreuses évocations dans les activités de communication et d’analyse en réunion à travers lesquelles des « visions du local et du durable » se forment progressivement (e.g. section 4.5). Mais le choix de nous focaliser sur l’activité des acteurs du PCAET internes à l’EPCI en a certainement limité notre analyse, ce travail ayant lieu entre les acteurs d’un territoire, pas seulement dans l’activité de l’EPCI. Enfin, pour l’intermédiation (Cardona et al., 2021 ; Cerf et al., accepté), nos résultats illustrent au moins des formes de traduction dans la conception d’indicateurs (section 4.4) et de facilitation dans la visée de situer et appréhender les enjeux du PCAET à l’échelle du temps et de l’espace pertinents pour les interlocuteurs (section 4.5). L’institutionnalisation (autre pan du travail d’intermédiation) n’est pas apparente dans nos résultats, certainement du fait qu’elle impliquerait un regard sur l’histoire des activités entre niveaux de responsabilité politique par exemple (e.g., Cerf et al., accepté). De plus amples discussions seraient nécessaires pour affiner ces premiers croisements.

66Au-delà de ces points de recouvrement, le travail des acteurs des PCAET et des EPCI nous semble mériter un traitement spécifique en tant qu’activité de travail orientée vers l’action publique. Premièrement, un peu comme l’ont montré les travaux sur le travail dans l’action publique (Jeannot, 2011) pour d’autres instruments, le PCAET demande un travail conséquent et spécifique de la part de ses responsables et de leurs collègues au sein de l’EPCI, démontrant qu’il n’y a pas de rapport vraiment direct ou immédiat entre l’instrument d’action publique (PCAET), l’instrumentation et l’effectivité des actions sur le territoire. Cela demande un travail humain et des instruments bien conçus.

67Deuxièmement, de façon plus spécifique à l’ergonomie, les notions d’instruments d’action publique, de travail politique, de territorialisation ou d’intermédiation ne semblent pas correspondre complètement avec la globalité du travail présentée en section 4 considérée comme activité et action en situation réelle. Notamment, les 5 classes d’activités identifiées ne se rapportent pas pleinement aux trois conceptualisations du travail discutées ici (politique, territorialisation et intermédiation). Elles semblent bien en relation très proche, à la fois un peu transverses et en partie convergentes avec elles. Mais les activités de recherche et d’analyse ressortent avec une certaine singularité de notre terrain par exemple, alors qu’elles sont absentes des caractérisations en tant que travail politique, intermédiation ou territorialisation. Dans tous les cas, ces classes d’activités nous semblent mériter une attention particulière en tant que telle puisqu’elles sous-tendent fortement les débats et travaux des acteurs du PCAET. Notre focalisation sur les acteurs internes de l’EPCI et principalement administratif et technique pourrait aussi être discutée de ce point de vue. Elle implique un accent beaucoup plus fort sur leurs activités, et pas (ou moins) sur celles de l’ensemble des acteurs d’un réseau de territorialisation ou sur l’activité des élus. Peut-être ces approches en termes de travail politique, d’intermédiation ou de territorialisation visent-elles aussi à caractériser plus directement l’action collective alors que nos résultats montrent, en complément, l’importance d’un traitement en termes d’activité individuelle-sociale restant ouvert à l’activité collective. Cet aspect de la discussion pourrait bénéficier d’un traitement plus direct des réflexions engagées par Theureau (2019) à propos de l’activité politique, dans approche une énactive entre activité individuelle-sociale et collective-individuelle.

68Troisièmement, ces trois conceptualisations du travail (politique, territorialisation et intermédiation) ne mettent jamais directement l’accent sur l’interdépendance très forte des activités que nous identifions (sections 4.1, 4.3, 4.4, 4.5) et ses conséquences pour la conception des instruments. Par cette interdépendance, les contraintes d’une activité (e.g. recherche) vont avoir des effets négatifs sur les autres (comme l’analyse en réunion de travail) : par l’absence de données et contenus CAET, par leur dispersion et la difficulté d’utilisation des plateformes de recherche par exemple, par les difficultés dans la mobilisation des différents contenus, par la discontinuité de l’analyse à travers le temps ou en réunion. Et cela d’autant plus que les concepts du PCAET sont abstraits et que les réunions doivent être conçues pour des acteurs spécifiques.

5.2. Instrumenter cette activité orientée vers l’action publique ?

69Nous nous demandions en introduction ce que signifiait d’instrumenter cette activité de travail orientée vers l’action publique en ergonomie, et comment en soutenir le développement. Tout d’abord, il nous semble important de poursuivre les efforts de caractérisation et transformation de cette activité en ergonomie, et en relation avec les sciences sociales ; notamment pour ce qui concerne les enjeux climatiques portés par ces acteurs institutionnels et leurs interlocuteurs. La poursuite de ces discussions impliquerait selon nous de s’intéresser plus directement au travail des acteurs politiques, administratifs et techniques des institutions. Cela n’est pas fait en ergonomie à ce jour (Guibourdenche, 2016) et ne relève à aucun moment d’une évidence, bien que l’ergonomie se préoccupe de politique et de ses apports aux politiques publiques (e.g. santé, environnement, retraites, etc.). Il pourrait donc être intéressant de chercher à poursuivre ce genre de recherche relativement aux acteurs internes d’autres EPCI, ou bien relativement à d’autres types d’acteurs de la transition, politiques ou socio-économique : ces interdépendances et contraintes s’expriment-elles de la même façon ? D’autres résultats complèteraient-ils ce premier tableau ? Quoi qu’il en soit, les thématiques générales de signification, l’interdépendance et la dynamique de réalisation des classes d’activités ici identifiées fournissent des bases à d’autres études ultérieures éventuelles.

70Notre apport technologique principal concerne la conception des fonctions et principes d’interaction humain-machine de l’outil soutenant l’activité autour du PCAET (spécifications, maquettage, définition de concepts liant le PCAET au monde scientifique et administratif qu’il convoque). Notre intervention, par la caractérisation de l’activité de travail et sa mise en débat (Figure 2), a également permis à l’EPCI de développer des réflexions à propos de son organisation de travail interne. Ces réflexions existaient avant notre intervention, notamment à propos de la gestion des contenus CAET relativement isolés entre services, les compétences d’analyse très fines des acteurs de l’EPCI ou bien les modalités d’organisation du travail entre services sur le PCAET. Mais l’analyse du travail et sa mise en débat les ont éclairées et nourries différemment. Cet aspect organisationnel s’est déroulé de façon plus indirecte dans notre recherche et c’est finalement l’EPCI qui s’est saisi lui-même de nos résultats d’analyse.

71À ce sujet, il aurait été intéressant de poursuivre une analyse entre interactions humain-machine et possibilité de développement de l’activité (e.g., Folcher & Bationo-Tillon, 2011). De ce point de vue, un critère important de notre évaluation à venir du prototype développé (sur la base de nos spécifications et maquettes) sera sa capacité à s’intégrer dans ces contextes de travail relevant de problèmes épineux ou wicked problems (Head, 2022) sur des questions environnementales : des contextes dans lesquels une diversité d’acteurs sont appelés à s’engager progressivement dans la formulation de ce qui fait problème et de ce qui fait territoire, de possibilités de transformations souhaitables ; ici pour développer les actions bénéfiques au PCAET et à la transition écologique. Quoi qu’il en soit, l’ergonomie est aujourd’hui bien équipée pour étudier le développement des individus, des collectifs et organisations (Folcher, Bationo-Tillon, Poret & Couillaud, 2022), la conception d’instruments transitionnels, le développement d’un pouvoir d’agir ensemble (e.g., Bationo-Tillon et al., 2020) par exemple. La poursuite d’un développement de l’activité de travail orientée vers l’action publique semble donc pouvoir bénéficier de ce genre d’apports issus de l’ergonomie.

Conclusion

72Comme évoquée en introduction, la transition écologique invite les élus des grandes métropoles et les administrations qui les appuient à renouveler leur travail vis-à-vis des enjeux climatiques impliquant des évolutions de leur territoire et de sa gouvernance. L’évolution des instruments de travail et des ressources de ce travail et de son développement doit aussi être considérée. Notre article démontre à sa façon que l’ergonomie peut contribuer à instrumenter l’activité de travail orientée vers l’action publique, mais qu’il existe une forte différence entre les instruments d’action publique et les instruments dans l’activité de travail orientée vers l’action publique. De ce point de vue, le PCAET est un instrument d’action publique. Mais il n’est pas principalement un instrument de travail dans l’activité des acteurs qui doivent le développer, le faire vivre et l’opérationnaliser sur un territoire, EPCI en tête. En France les PCAET orientent, autorisent, cadrent, prescrivent les actions publiques sur le climat depuis les échelons internationaux et européens vers l’échelon de l’EPCI (Figure 1). Mais pour faire advenir ce qui est prescrit comme ce qui ne l’est pas, ce qui est à inventer et à découvrir localement ensemble, il sera nécessaire de repenser à la fois l’interdépendance des activités humaines de travail, celle de leurs instruments et les conditions de leur développement. En ce sens, prendre soin de l’activité de travail orientée vers l’action publique est une nécessité pour faire advenir les réalités visées par les plans climats. L’ergonomie peut y apporter ses contributions en même temps qu’y trouver des occasions de nouvelles réflexions.