Remerciements
Nous tenons à remercier les membres de la commission « Concevoir pour le Développement Durable » de l’ARPEGE (Association pour la Recherche en Psychologie Ergonomique et Ergonomie) et particulièrement Gaëtan Bourmaud pour les nombreux échanges sur les liens entre ergonomie et Développement Durable. Nous remercions également les enseignants et enseignants-chercheurs qui ont participé à cette journée d’accompagnement.
1Cet article s’inscrit dans la préoccupation actuelle de la société pour le développement durable, « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (Brundtland, Khalid, Agnelli, Al-Athel, Chidzero et al., 1987, p. 40) ; ce qui interroge notamment la réalisation du travail dans de nombreux secteurs auxquels prennent part les travailleurs : le monde agricole, l’aménagement du territoire, les mobilités douces, les nouvelles énergies, la gestion des déchets, l’enseignement, etc. De nombreuses organisations de travail souhaitent aujourd’hui promouvoir des modes de production économiquement viables, socialement équitables et qui ne nuisent ni à l’environnement ni à la santé. Mais aller vers de tels systèmes productifs implique de profonds changements sociétaux et notamment une transformation des métiers (Sachs, Schmidt-Traub, Mazzucato, Messner, Nakicenovic & Rockström, 2019). Plusieurs initiatives déjà existantes proposent des outils pour sensibiliser aux questions du développement durable dans et par le travail. C’est le cas par exemple de l’atelier SEnS (Sciences Environnements Sociétés1) qui cherche à favoriser les échanges entre chercheurs pour prendre la mesure des impacts environnementaux et sociaux véhiculés par la mise en œuvre de recherches ; ou encore la Fresque du Climat2 qui a pour objectif d’aider les personnes à s’approprier des connaissances relatives aux changements climatiques en favorisant des discussions collectives. Pour autant, ces initiatives n’aident pas les travailleurs à faire évoluer leurs objets de travail, or il nous semble que cela constitue un enjeu pour les ergonomes. C’est précisément l’objectif d’un dispositif que nous avons conçu et mis en œuvre pour soutenir un collectif de travail à se saisir des enjeux de développement durable et, notamment, à construire de nouveaux objets de travail qui intègrent le développement durable.
2L’article présente deux ateliers insérés dans ce dispositif qui, plus largement, s’inscrit dans une démarche d’accompagnement que nous avons menée suite à une demande d’un collectif d’enseignants et d’enseignants-chercheurs d’une université française. Il s’agit pour eux d’amorcer une réflexion sur l’évolution de leurs objets de travail au prisme du développement durable. Ce dispositif ne vise pas la mise en œuvre de ces objets dans le réel du travail des participants, bien que cet objectif fasse partie de nos réflexions actuelles pour enrichir la démarche d’accompagnement à la transition. Nous pensons que mettre à disposition des participants des connaissances concernant le développement durable, et les accompagner à les mobiliser, peut favoriser une activité de conception collaborative d’objets de travail qui prennent part au développement durable. Pour ce faire le dispositif propose, sur une journée, quatre ateliers successifs dont le fil rouge est la mobilisation et l’appropriation de connaissances concernant le développement durable et traduites par les intervenantes (également autrices de ce papier) à travers onze caractéristiques du développement durable (CDD) développées plus bas.
3Cet article rend compte spécifiquement de deux des quatre ateliers (ateliers 3 et 4) qui visent à soutenir l’activité de conception collaborative de nouveaux objets de travail par les travailleurs eux-mêmes, et dont la particularité est de prendre part au développement durable. Deux hypothèses sont alors posées : 1) la mobilisation des onze CDD durant l’atelier 3 permet aux participants d’exprimer leur point de vue individuel sur le développement durable, rendant favorable la co-construction d’un sens commun sur cet objet complexe ; 2) ce sens commun est propice à faire évoluer collectivement les participants sur leurs objets de travail, durant l’atelier 4. Ces deux ateliers permettraient alors de construire des intentions d’action communes grâce au sens commun construit sur la base des onze CDD.
4Afin de répondre à ces hypothèses, nous proposons dans un premier temps de revenir sur des travaux en ergonomie qui traitent de l’activité de conception dans le contexte du développement durable (section 1) et nous interrogerons les caractéristiques que pourraient avoir de nouveaux objets du travail qui prennent part au développement durable (section 2). Nous proposons une description du dispositif et des ateliers, et une méthode d’analyse de l’activité de conception du collectif d’enseignants et enseignants-chercheurs déployée dans les ateliers 3 et 4 (section 3). Ensuite, nous montrons dans la partie résultats (section 4) que les participants aux deux ateliers expriment leur point de vue individuel sur le développement durable, s’inscrivent dans une dynamique de co-construction d’un sens commun et développent une activité de conception. Enfin, ces résultats et les limites de l’étude seront discutés et nous proposerons des pistes à explorer pour donner une suite au dispositif.
5Plusieurs travaux proposent d’envisager le travailleur comme un concepteur de son travail (par ex., Béguin & Darses, 1998) et la notion de transition comme un processus de conception auquel prennent part les travailleurs en développant une activité de conception collective (par ex., Chizallet, Prost & Barcellini, 2019 ; Coquil, Dedieu & Béguin, 2017 ; Prost, Prost & Cerf, 2017). Des recherches et interventions en ergonomie reposent sur une vision dialogique de la conception et mettent en tension deux pôles : le virtuel et le réel (Béguin, 2010 ; Béguin & Bergamini, 1996 ; Bergamini, 1995 ; Martin, 2004) en référence à la volonté relative au futur (Daniellou, 2004) et à sa « réalisation concrète » dans le présent de l’activité (Béguin, 2010, p. 48). Le réel repose également sur l’expérience passée des travailleurs qu’ils mobilisent pour projeter de nouvelles situations de travail concevables dans les conditions présentes et futures des travailleurs (Chizallet, 2019 ; Chizallet et al., 2019). D’autres travaux soulignent le rôle clé des échanges entre pairs dans les dynamiques de transition durable et les processus de conception qui y sont liés. Par exemple, l’étude de Prost et al. (2017) montre que les espaces de discussion entre pairs soutiennent à la fois : 1) des processus de transitions professionnelles d’agriculteurs développant une pratique agroécologique, et 2) un processus de conception collective de la transition durable. Ainsi l’analyse d’espaces virtuels de discussion (forums en ligne) dévoile des activités de génération et évaluation de solutions agronomiques (Stempfle & Badke Schaub, 2002), mais aussi une co-construction de connaissances et de savoirs entre agriculteurs, ce qui suggère que le développement professionnel s’opère de façon collective. Dans la même idée, le travail de thèse de Slimi (2022) montre « qu’en s’engageant dans la transition agroécologique, les agriculteurs et agricultrices sont confrontés à des situations indéterminées et s’engagent dans des séries d’enquêtes sur leur travail avec le soutien de leurs pairs » (p. 3). Les pairs seraient alors un soutien à la fois pour des activités de conception qui visent à résoudre un problème, et donc à générer et explorer des solutions ; mais aussi pour favoriser l’émergence et l’exploration de problématiques à partir de situations vécues par l’agriculteur (Ibid.).
- 3 Dans cet article nous faisons le choix de parler de « sens » commun et non de référentiel commun ca (...)
6En outre, plusieurs études soulignent que le processus de conception collective à l’œuvre dans les transitions vers la durabilité est un processus de conception collaborative, c’est-à-dire un processus dialogique au sein duquel est mise en jeu une confrontation d’idées et de valeurs (par ex., Le Bail, Baker & Détienne, 2022 ; Quinio, Jeuffroy, Guichard, Salazar & Détienne, 2022). Ces travaux reposent sur une approche sociocognitive de la conception, c’est-à-dire qu’ils envisagent la conception comme un processus social de négociation entre différents points de vue, représentations ou disciplines (Bucciarelli, 1988 ; Détienne, Martin & Lavigne, 2005 ; Schön, 1988). Dans cette approche, la négociation est le socle de la résolution collective du problème de conception. Elle favorise la compréhension du problème, l’exploration des solutions, l’évaluation des propositions et la confrontation des idées (Darses, 2009). Par ailleurs, la négociation des solutions nécessite au préalable la construction d’une représentation commune du problème à traiter. L’argumentation, en tant que stratégie pour négocier, permet aux concepteurs d’exprimer leurs perspectives diverses et leurs raisonnements, entendus alors comme des « arguments » vis-à-vis de telles ou telles propositions (Baker, Détienne, Lund & Séjourné, 2009 ; Le Bail et al., 2022). Ces interactions argumentatives permettent aussi aux protagonistes d’acquérir de nouvelles connaissances puisqu’elles produisent des savoirs à partir des bibliothèques de connaissances propres à chaque concepteur (Baker, 2009 ; Roschelle & Teasley, 1995). Pour finir, les ergonomes ont un rôle à jouer dans la construction et le maintien d’un référentiel3 commun (représentation commune du problème, de la situation et des autres) dans le processus de conception, par exemple en proposant des outils d’aide à la synchronisation des idées et des raisonnements relatifs à l’objet à concevoir (Giboin, 2004).
7La section suivante présente les caractéristiques du développement durable comme socle commun de connaissances en vue de le mobiliser dans le dispositif d’accompagnement prenant place dans le cadre de notre recherche-intervention.
8Dans cette section, nous cherchons à identifier un ensemble de caractéristiques du développement durable qui sera proposé à des travailleurs (ici enseignants et enseignants-chercheurs) pour les aider dans la conception de nouveaux objets de travail qui prennent part au développement durable. La posture d’accompagnement que nous revendiquons dans le dispositif mis en place est celle d’intervenantes facilitatrices, visant à soutenir la dynamique de changement des accompagnés (Paul, 2009). Il s’agit de nous positionner comme praticiennes capables d’expliciter et de formaliser notre propre savoir en permettant aux accompagnés de l’utiliser comme ressource pour penser par eux-mêmes et concevoir pour eux-mêmes (pour plus de détails sur le dispositif mis en place, voir Le Bail, Prost & Chizallet, 2023). Pour cela, nous proposons de construire un socle de connaissances au travers de caractéristiques du développement durable en formalisant un ensemble de savoirs et pratiques mobilisés dans les travaux des membres et des intervenants de la commission « Concevoir pour le Développement Durable » de l’Association pour la Recherche en Psychologie Ergonomique et Ergonomie (ARPEGE). Dans ces travaux, nous retenons onze Caractéristiques du Développement Durable (CDD) qui nous semblent pertinentes pour soutenir l’activité de conception d’objets du travail participant au développement durable. Ces caractéristiques ainsi que les définitions que nous en proposons sont décrites dans le Tableau 1.
Tableau 1 : Présentation des 11 Caractéristiques du Développement Durable.
Table 1. Presentation of the 11 Characteristics of Sustainable Development
9La première caractéristique transition est retrouvée dans la plupart des travaux bien qu’elle soit abordée sous différentes formes : la transition professionnelle (par ex., Coquil et al., 2017 ; Prost et al., 2017) ; mais aussi la transition de systèmes de travail (par ex., Chizallet, 2019) ou de vie quotidienne (par ex., Fréjus, 2019) ; la transition territoriale (par ex., Boudra, 2016) ; ou encore la transition des systèmes de valeurs (par ex., Le Bail, 2018). L’expérimentation fait référence aux travaux qui abordent la transition vers la durabilité comme un processus de conception pas à pas (par ex., Bourmaud & Bationo-Tillon, 2021 ; Chizallet et al., 2019) ; comme une expérience subjective ; ou encore comme l’engagement dans un processus d’apprentissage collectif (par ex., Slimi, Prost, Cerf & Prost, 2021). La question des temporalités permet dans de nombreux travaux d’interroger le temps long et/ou les temps multiples de la transition. Ces travaux s’intéressent notamment aux évolutions de l’activité sur plusieurs années, aux différentes modalités temporelles de l’agir, ainsi qu’à la richesse de l’activité de travail selon une perspective diachronique (par ex., Guibourdenche, 2020 ; Zara-Meylan, 2016). L’approche systémique se retrouve également dans de nombreux travaux. Ceux-ci appréhendent la transition vers la durabilité sous l’angle d’un enchevêtrement de systèmes complexes (par ex., Chizallet, Barcellini & Prost, 2023 ; Le Bail, Cerf & Yannou-Le Bris, 2021 ; Thatcher & Yeow, 2016). Ces travaux invitent notamment à tenir compte de plusieurs échelles sociales, politiques, techniques, géographiques et culturelles, dans l’analyse et l’accompagnement des transitions (Boudra, Le Bail, Prost, Chizallet, Masson, Bourmaud et al., 2021). Une autre caractéristique concerne la question du territoire en lien avec les travaux qui posent la question de l’échelle d’action pour appréhender des problèmes globalisés, mais définis par des enjeux locaux spécifiques à un territoire donné (par ex., Boudra, Béguin, Delecroix & Pueyo, 2019 ; Le Bail et al., 2021). Le territoire est entendu ici comme une échelle d’action dont le périmètre et les frontières sont déterminés par le projet d’acteurs hétérogènes qui participent à le configurer et à le reconfigurer. La sobriété fait référence aux travaux qui s’intéressent à l’expérience vécue des usagers dans le cadre de la transition vers une consommation plus raisonnée de produits, services et technologies (par ex., Colin & Brangier, 2022 ; Créno, 2016 ; Fréjus, 2021 ; Martin, Gaultier & Colin, 2022).
10La question des effets et externalités semble également caractériser un certain nombre de travaux en ergonomie et développement durable. Ceux-ci s’intéressent aux impacts potentiels qu’un système, produit ou service peut avoir sur l’environnement et sur les individus, à chaque étape de son cycle de vie (conception, production, exploitation ou utilisation, recyclage et élimination), mais aussi en considérant l’ensemble des étapes de son cycle de vie (par ex., Jasiulewicz-Kaczmarek, 2013 ; Miller, Dorsey & Jacobs, 2012 ; Thatcher, 2013). Cette caractéristique inclut aussi les travaux en ergonomie qui visent à comprendre quels sont les effets sur le travail et l’organisation du travail des nouveaux modèles économiques durables liés à l’économie circulaire ou à l’économie de la fonctionnalité (par ex., De Gasparo, Le Dilosquer, Hubault & Sznelwar, 2018). Une autre caractéristique concerne la question des ressources alternatives en référence aux travaux qui s’intéressent aux enjeux liés à la raréfaction des ressources et à la manière dont les individus et les collectifs mobilisent ou utilisent des ressources (naturelles, technologiques, immatérielles) dans un contexte ou une volonté de développement durable (par ex., Bourmaud & Munoz, 2023 ; Nguyen & Cahour, 2014).
11La caractéristique sens et valeurs fait le lien avec les travaux qui questionnent la place et le rôle des systèmes de valeurs mobilisés par les différentes parties prenantes dans les projets de conception et/ou les interventions qui s’inscrivent dans le contexte du développement durable (par ex., Le Bail, Baker & Détienne, 2022 ; Monéger, Coutarel, Motak, Chambres, Izaute & Dhome, 2018). L’avant-dernière caractéristique, justice sociale et inclusion, renvoie aux travaux qui interrogent la question des inégalités et des discriminations (de sexe, de genre, de race, d’âge, de capacités, etc.) dans le travail, l’analyse de l’activité et/ou l’intervention ergonomique (par ex., Cunha, Nogueira & Lacomblez, 2014 ; Nascimento, Bravo & Flamard, 2019 ; Chambel & Pueyo, 2022 ; Laneyrie, Kennicker & Cuvillier, 2022). Bien que ces travaux récents n’évoquent pas directement le contexte du développement durable, ils nous semblent faire écho à plusieurs Objectifs du Développement Durable (ODD) portés par l’Organisation des Nations Unies (ONU)4 depuis 2015, à savoir : « égalité entre les sexes » (ODD 5) et « inégalités réduites » (ODD 10). Enfin la dernière caractéristique est la pluridisciplinarité. Elle souligne l’idée que le développement durable, en tant que problème complexe, nécessite l’engagement conjoint et réciproque d’un maximum de disciplines scientifiques (Dekker, Hancock & Wilkin, 2013) ; ce qui invite notamment à envisager des nouvelles formes de collaboration entre chercheurs et/ou intervenants.
12Cet ensemble de caractéristiques ne prétend pas à l’exhaustivité puisque le développement durable reste un sujet assez récent en ergonomie et que de nombreuses problématiques pour la recherche et l’intervention sont encore à explorer (Guibourdenche & Cahour, 2019). Néanmoins nous pensons que cette caractérisation offre des éléments de réflexion pour penser et concevoir de nouveaux objets de travail qui prennent part au développement durable. Dans la section suivante, nous proposons de s’intéresser à l’activité de conception nécessaire à l’émergence de ces objets.
13Nous proposons l’analyse d’un dispositif qui a été déployé auprès d’un collectif d’enseignants-chercheurs en Sciences du Sport lors d’une journée d’accompagnement. Le dispositif a été conçu, d’une part en suivant notre volonté de favoriser la conception collaborative qui soutient la projection dans le futur, mobilise les pairs, et favorise l’expression et la co-construction des points de vue, et la construction d’un sens commun (cf. Section 1) et, d’autre part, en retenant les onze Caractéristiques du Développement Durable (CDD) construites à partir de la littérature en ergonomie sur le développement durable (cf. Section 2).
14Le collectif d’enseignants et enseignants-chercheurs en Science du Sport fait partie d’une université française de taille moyenne située en Bretagne (que nous appellerons université B). Il se compose de 7 enseignants et 15 enseignants-chercheurs ou doctorants, volontaires pour participer à la journée d’accompagnement. Par ailleurs, les 22 participants sont de différentes spécialités : éducation et motricité ; sciences de l’éducation ; performance sportive ; et management du sport et sport adapté.
15Durant la journée d’accompagnement, des groupes de travail ont été constitués de la façon suivante : pour les ateliers 1 et 2, il s’agissait de regroupements sur la base d’une place prise spontanément par les participants. Pour les ateliers 3 et 4, le regroupement s’est fait en fonction de l’intérêt porté pour le thème traité à ce moment-là (Tableau 2). Ainsi, pour les différents ateliers, chaque groupe est composé de personnes ayant divers statuts et spécialités.
Tableau 2 : Présentation des 4 groupes pour les ateliers 3 et 4.
Table 2. Presentation of the 4 groups for workshops 3 and 4
16La journée d’accompagnement a été élaborée par trois enseignantes-chercheures (que nous appellerons les animatrices) en Ergonomie et Sciences de l’Éducation. Après un repérage des professionnels intéressés par ce type d’accompagnement, une analyse du public a été réalisée en amont de la journée et portait sur : 1) leurs intérêts, leurs besoins et leurs attentes vis-à-vis de cette journée, 2) leurs thèmes de recherche et d’enseignement (par ex., « éducation physique scolaire et développement durable », « les sports de loisirs et du tourisme », « urbanisation et mobilités douces »), et 3) leurs questions de recherche à explorer (par ex., l’enseignement des Activités Physiques de Pleine Nature en EPS en collège-lycée peut-il être un facteur d’éducation à l’environnement ?). Pour cela, il a été convenu qu’un membre du collectif visé fasse le « relai » entre nous, animatrices de la journée, et le collectif, pour diffuser des informations, recueillir les résultats du sondage et discuter des attentes et besoins du collectif. Ainsi plusieurs rencontres ont été organisées entre les trois animatrices et la personne « relai » pour échanger, concevoir le dispositif et préparer sa mise en œuvre. Les sujets discutés lors de ces rencontres ont porté sur :
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La construction de la demande avec les participants intéressés : familiarisation à la terminologie du milieu du sport et connaissance des thématiques de recherche des participants, finalités du dispositif, temps disponible des participants, etc.
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La conception du dispositif composé d’ateliers à partir des onze CDD.
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L’organisation et l’animation de la journée (logistique, durée, déroulement de la journée, matériel nécessaire, communication avec les participants, rôle des animatrices et de la personne « relai » le jour de l’atelier, etc.).
17La journée d’accompagnement s’organise par un enchaînement de quatre ateliers collectifs pensés successivement avec des intentions spécifiques pour chacun d’entre eux. La Figure 1 présente les intentions des conceptrices pour chaque atelier (pour plus de détails, notamment une description complète de chaque atelier, voir Le Bail et al., 2023).
Figure 1 : Intentions des conceptrices pour chaque atelier.
Figure 1. Designer’s intentions for each workshop
18L’atelier 1 prend la forme d’une activité collective (25 minutes) où les participants doivent, par groupe, expliquer leur parcours lié au développement durable. L’atelier 2 consiste en une présentation par les animatrices des origines, définitions et caractéristiques du développement durable (30 minutes) ; les CDD sont alors définies et illustrées auprès des participants à partir d’exemples de recherches et interventions en ergonomie. Puis une activité individuelle est demandée aux participants : ils doivent réfléchir aux thèmes de recherche et/ou d’enseignement qu’ils souhaiteraient travailler sous l’angle du développement durable (10 minutes). Chaque participant doit ensuite indiquer ses préférences de thèmes ce qui permet de composer des groupes de travail « thématiques » de 5‑6 personnes pour poursuivre les ateliers 3 et 4.
19Les ateliers 3 et 4 mobilisent les onze caractéristiques du développement durable détaillées dans la section 2 et cherchent à soutenir conception collective de nouveaux objets de travail relativement au développement durable. Ces caractéristiques ont été formalisées sous forme de cartes « Caractéristiques du Développement Durable » (CDD) et proposées aux participants comme support à leur réflexion (Figure 2).
Figure 2 : Les 11 cartes « Caractéristiques du Développement Durable » (CDD) proposées aux participants.
Figure 2. The 11 “Characteristic of Sustainable Development” (CSD) cards given to the participants
20L’atelier 3 prend la forme d’une activité individuelle où il est demandé aux participants de chaque groupe « thématique » de sélectionner 3‑4 cartes qui lui semblent importantes pour le thème qu’il doit traiter (5 minutes) ; suivi d’une activité collective où chaque membre du groupe explique aux autres la manière dont il envisage les cartes. L’objectif pour le groupe est de sélectionner collectivement des cartes à prioriser pour le thème (40 minutes). L’atelier 4 prend la forme de deux activités collectives. Pour la première activité, il est demandé aux participants d’imaginer un/des objet(s) de recherche et/ou d’enseignement en lien avec leur thème en essayant de faire des liens avec les cartes caractéristiques choisies. Plus précisément l’objectif pour le groupe est de produire des intentions d’actions concrètes (objets de recherche/enseignement, contenus, projets, etc.) en reprenant la production de l’atelier 3. Le format de la présentation est libre, du matériel est à disposition (papier, colle, feutres, magazines ciblés sur le sport et la nature, scotch, gommettes, post-it, ciseaux…) (40 minutes). Pour la deuxième activité, il leur est demandé de restituer leurs intentions d’action sous forme d’une synthèse orale de 3 minutes devant l’ensemble des groupes.
21Dans la suite de l’article, nous proposons une analyse approfondie des ateliers 3 et 4 afin d’identifier dans quelle mesure les cartes CDD ont soutenus : 1) la construction d’un sens commun entre les participants d’un même groupe, et 2) la co-construction d’intentions d’action et de nouveaux objets de travail et plus globalement l’activité de conception collective.
22Nous avons focalisé notre analyse sur le groupe 1 (thème « Urbanisation et mobilités douces ») et sur les ateliers 3 et 4 afin d’identifier plus précisément la manière dont les participants se sont approprié les cartes CDD et comment ils ont produit des intentions d’action concrètes. Les données recueillies sont les échanges entre les participants du groupe 1 durant l’atelier 3 (37 minutes) et 4 (55 minutes), enregistrés et retranscrits après accord des participants.
23Pour les deux ateliers, les retranscriptions ont fait l’objet d’un codage à l’aide de grilles d’analyse existantes dans la littérature, en lien avec les hypothèses que nous souhaitions investiguer. Ces hypothèses et grilles de codage sont détaillées ci-dessous. Pour le codage, l’approche de Cornish, Gillespie et Zittoun (2013) a été adoptée. Il s’agit d’une démarche d’analyse collaborative qui nécessite des échanges entre deux ou plusieurs chercheurs, concernant un ensemble de données, afin de produire un codage en commun. Cette méthode diffère des analyses dans lesquelles les chercheurs codent séparément le même ensemble de données et mesurent ensuite le degré de concordance entre eux. Nous avons fait ce choix, car l’analyse collaborative est bien adaptée à l’analyse de corpus dialogique, car elle permet de combiner plusieurs points de vue et perspectives d’analyse sur le corpus (Ibid.). Deux chercheuses, autrices de cet article et familières de l’analyse d’interactions, se sont réunies régulièrement pour regarder les vidéos, lire les transcriptions, discuter du codage et comparer les similitudes et les différences.
24La première hypothèse (qui concerne l’atelier 3) se formule ainsi : la mobilisation des onze cartes CDD permet aux participants d’exprimer leur point de vue individuel sur l’objet complexe qu’est le développement durable ; ce qui rend favorable la co-construction d’un sens commun sur cet objet complexe, sur la base des cartes CDD proposées. Pour cette hypothèse, la méthodologie d’analyse des données vise donc à identifier comment les participants ont mobilisé les cartes, quelles associations et liens ils ont faits entre les cartes, quel sens individuel et collectif ils ont attribué à ces cartes, et dans quelle mesure ils ont construit un sens commun.
25Afin d’analyser cela, une grille d’analyse des interactions a été construite à partir de deux grilles existantes dans la littérature : celle de Baker et al. (2009) qui permet de rendre compte des contributions respectives des participants dans une situation de conception collaborative ; celle de Le Bail et al. (2022) qui permet de caractériser l’activité dialogique dans des situations de conception d’artefacts fortement sujets à des controverses. Inspirée de ces deux travaux, la grille d’analyse des échanges de l’atelier 3 se compose des dimensions présentées dans le Tableau 3.
Tableau 3 : Grille de codage de l’atelier 3.
Table 3. Coding grid for workshop 3
26Le Tableau 4 est un extrait du codage des échanges de l’atelier 3. La première colonne indique l’ordre des unités de sens. La deuxième colonne indique le locuteur (initiales des participants). La troisième colonne indique la « référence à » ; le choix a été fait d’indiquer ici les unités de sens auxquelles fait référence le participant qui parle. La quatrième colonne (verbatim) reprend les propos des participants. La cinquième colonne indique les cartes mobilisées et leurs associations ; la signification attribuée aux cartes ou à leurs associations est identifiable à l’aide de la couleur bleue utilisée directement dans les propos des participants. La dernière colonne correspond à la dimension dialogique. La première étape du codage a consisté à découper les échanges entre les participants en fonction des cartes ou associations évoquées, puis en fonction de la dimension dialogique. Ainsi, dans l’exemple du Tableau 4, le propos du participant T a été découpé en sept unités de sens (1 à 7) compte tenu de la manière dont ce dernier a évoqué les cartes et fait des associations.
Tableau 4 : Exemple de codage de l’atelier 3.
Table 4. Example of coding for workshop 3
27La deuxième hypothèse concerne l’atelier 4 et se formule ainsi : le sens commun, co-construit à partir des échanges sur les onze cartes CDD, est propice à faire évoluer collectivement les participants sur leurs objets de travail. Le dispositif permet aux participants de construire des intentions d’action communes. Pour cette hypothèse, la méthodologie d’analyse des données vise donc à identifier dans quelle mesure les participants ont co-construit des intentions d’action et dans quelle mesure le sens commun a été mobilisé pour cette co-construction. La mobilisation du sens commun sera repérée à travers les références aux CDD faites par les participants au cours de leurs échanges. Une grille d’analyse des interactions a été construite à partir de grilles existantes dans la littérature qui rendent compte de la nature des activités de conception (par ex., Prost et al., 2017 ; Stempfle & Badke Schaub, 2002). Inspirée de ces travaux, la grille d’analyse des échanges de l’atelier 4 se compose des dimensions présentées dans le Tableau 5.
Tableau 5 : Grille de codage de l’atelier 4.
Table 5. Coding grid for workshop 4
28Le Tableau 6 est un extrait du codage des échanges de l’atelier 4. La première colonne indique l’ordre des tours de parole. La deuxième colonne le locuteur (initiales des participants, un participant a rejoint le groupe entre l’atelier 3 et l’atelier 4). La troisième colonne indique la « référence à » ; le choix a été fait d’indiquer ici les unités de sens auxquelles fait référence le participant qui parle. La quatrième colonne (verbatim) reprend les propos des participants. La dernière colonne correspond aux activités de conception ; la proposition d’une solution de conception est identifiable à l’aide d’une couleur propre à chaque solution (dans l’exemple du Tableau 6, la couleur rose pour la solution 1) utilisée directement dans les propos des participants. Les tours de parole qui ne concernent pas les activités de conception n’ont pas été codés (lignes grises).
Tableau 6 : Exemple de codage de l’atelier 4.
Table 6. Example of coding for workshop 4
29Les résultats se centrent sur le rôle du dispositif en ce qu’il aide les participants à se questionner sur leurs objets et à les faire évoluer pour tendre vers davantage de durabilité. Les résultats sont organisés en deux temps : 1) la manière dont la mobilisation des cartes permet aux participants d’exprimer leur point de vue individuel sur le développement durable, ainsi que la dynamique de co-construction d’un sens commun, sur la base des cartes CDD et à partir de l’atelier 3, et 2) la façon dont le dispositif est propice à construire des intentions d’action communes grâce au sens commun co-construit à travers l’échange sur les cartes, à partir de l’atelier 4.
30Cette partie de résultats se focalise sur l’analyse des interactions lors de l’atelier 3. Nous présenterons dans un premier temps la dynamique globale des échanges relativement à la mobilisation des cartes CDD puis détaillerons dans la suite les trois phases identifiées.
31Au total pour le groupe 1, 167 unités de sens ont été codées à l’aide de la grille de codage présentée dans le Tableau 3 (section 3.4.1). La Figure 3 présente pour chaque carte CDD le nombre d’unités de sens où la carte a été mobilisée, pour l’ensemble des participants. Par exemple, la carte Transition a été mobilisée 59 fois et la carte Effets & Externalités a été mobilisée 11 fois, tous participants confondus.
Figure 3 : Nombre d’unités de sens concernées par les cartes CDD.
Figure 3. Number of meaning units concerned by the CSD cards
32Les cartes qui ont été gardées par le groupe 1 sont indiquées par un « * » dans la Figure 3. On observe que parmi les cartes conservées par le groupe, certaines ont été beaucoup discutées (par ex., Transition et Justice sociale & Inclusion) alors que d’autres ont été peu discutées (par ex., Effets & Externalités). Par ailleurs, nous voyons aussi que certaines cartes ont été beaucoup discutées, mais n’ont pas été conservées (par ex., Sobriété). Ce premier résultat nous montre donc que l’atelier 3 a permis de mettre les cartes en discussion et de susciter du débat, et que la quantité d’échanges relativement à une carte n’est pas un facteur déterminant du choix final.
33La Figure 4 illustre l’évolution des échanges selon les cartes CDD. En lien avec la dimension dialogique que nous avons codée, les échanges lors de l’atelier 3 peuvent se diviser en 3 grandes phases : 1) une première phase où l’on ne retrouve pas de désaccord : les participants écoutent le point de vue des autres sur les cartes, se questionnent et essayent de se comprendre ; 2) une deuxième phase où les participants débattent autour d’un exemple illustratif ; 3) une troisième phase avec recherche de consensus pour décider collectivement des cartes à garder.
Figure 4 : Évolution des échanges selon les cartes CDD lors de l’atelier 3.
Figure 4. Evolution of exchanges depending on the CSD cards during workshop 3
34Si l’on regarde plus finement ces trois phases sous l’angle de la dimension dialogique (Figure 5) on constate que la phase 1 est davantage concernée par des propositions de cartes et de points de vue sur les cartes ; la phase 2 est davantage concernée par des illustrations, des accords et des désaccords sur les cartes ; et la phase 3 est davantage concernée par une recherche d’accord commun. Nous détaillons ci-après les trois phases.
Figure 5 : Nombre d’unités de sens en fonction de la dimension dialogique pour chaque phase de l’atelier 3
Figure 5. Number of meaning units according to the dialogical dimension for each phase in workshop 3
35La première phase des échanges montre que les participants expriment quasiment tous leur point de vue individuel à partir des onze cartes CDD. Au début de l’échange, deux premiers locuteurs (T et S) évoquent quasiment toutes les cartes et expriment les représentations qu’ils en ont. Puis deux autres participants (Y et E) reprennent les points de vue développés tout en se centrant sur des éléments nouveaux, ce qui conduit à un échange à quatre où toutes les cartes sont mobilisées (sauf Sens & Valeurs). À la fin de cette phase, la cinquième participante (A) exprime son point de vue uniquement sur trois cartes. Par ailleurs les cartes sont discutées suivant deux modalités. La première est la modalité « seule » : les participants évoquent uniquement une carte unique. Elle concerne 25 unités de sens soit 44 % des échanges de la phase 1. C’est le cas par exemple de la carte Transition évoquée par T en début d’échange :
« L’idée de la transition elle me parle bien parce que je pense que ça se fait vraiment avec, enfin ça s’accompagne et ce n’est pas en disant qu’on va changer l’urbain, changer notre façon de concevoir la ville qu’effectivement ça va se faire. Donc j’imagine qu’il y a tout un processus qui va prendre du temps de repenser la ville pour ceux qui la conçoivent et revivre la ville pour ceux qui la vivent. Et donc j’imagine que ça va prendre du temps et que ça se fera dans un sacré bourbier » (Loc‑T, US‑3).
36La seconde est la modalité « en association » : les participants évoquent plusieurs cartes et donnent une représentation du développement durable en les combinant. Cette modalité concerne 32 unités de sens soit 56 % des échanges de la phase 1. C’est le cas par exemple du participant S qui fait un lien entre les cartes Transition et Expérimentation :
« Par exemple sur la dimension scientifique, je suis assez d’accord parce que les travaux scientifiques se nourrissent des travaux antécédents finalement, mais sans les résultats d’avant, on ne peut pas avancer, on ne peut rien, on ne peut pas amener une problématique, etc. Mais dans l’aspect très concret et ben au final quand on va mettre en place quelque chose, par exemple en place une expérimentation dans des lycées ou auprès des maisons de quartier et ben ça va fonctionner quand on est là, mais dans 5 ans si ça se trouve ça n’existe plus ça et parce qu’il n’y a personne, soit on n’a pas réfléchi dans les projets à voir cette transition-là » (Loc‑S, US‑13).
37La deuxième phase des échanges est la phase dans laquelle les participants expriment leur vision du développement durable et l’opérationnalise à partir d’un exemple concret leur permettant de construire un sens commun. Cette deuxième phase est initiée par une participante (E) qui donne son point de vue en se focalisant sur quatre cartes : Transition, Sens & Valeurs, Sobriété, et Justice sociale & Inclusion. Elle va dans le sens de ce qui a été dit précédemment, mais argumente en prenant appui sur un exemple concret (la voiture) :
« Pour moi c’est l’accompagnement de la transition qu’il faut avoir envers les usagers, mettre en place des vélos à la location ou mettre des pistes cyclables disponibles en tout cas pour que ce territoire qui sera conçu par les communes puisse rejoindre les valeurs des usagers […] ça va bien sûr jouer sur le désengorgement peut-être des rues avec moins de voitures et moins de pollution de l’air et tout ça, mais il faut penser à cette justice sociale et à l’inclusion puisque l’utilisation par exemple de vélo électrique en libre-service pour aider les personnes à avoir des mobilités plus actives pour certains ça ne rentre pas dans leur budget par exemple et donc certaines aides publiques pourraient être utiles pour que tout le monde ait accès à ça et ça m’emmène aussi à parler de la sobriété pour ceux qui ont le budget pour avoir des énormes caisses, des superbes voitures, qui pour eux correspond, parce qu’ils voulaient une blanche avec des paillettes j’en sais rien et ben il faut aussi penser à cette sobriété-là » (Loc‑E, US‑57).
38Cet exemple entraine les participants dans un débat au sein duquel ils expriment des désaccords. La Figure 6 illustre la dynamique des échanges lors de la phase 2. On retrouve l’exemple mentionné par la participante E (US‑57) complété par le participant S (US‑59). Puis on observe de la co-construction de sens avec les participants qui prennent des rôles divers. La participante E argumente dans le sens de son illustration (US‑61, 64, 66, 73, 75, 78 et 80). Elle soutient l’idée qu’il existe un lien entre le modèle de voiture que possèdent les individus, les valeurs qu’ils portent et leur statut social (par ex., une voiture électrique si valeurs de sobriété, une voiture d’une marque onéreuse si envie d’attirer le regard). Le participant S joue la controverse (US‑63, 65, 67, 69, 71 et 76). Il n’a pas un avis aussi tranché que la participante E (« ça peut être aussi quelqu’un qui ne gagne pas forcément beaucoup d’argent, mais qui va s’acheter une Porsche parce qu’en fait il kiffe trop […] il est passionné d’automobile, il est passionné de Porsche et il s’achète ce véhicule-là parce que pour lui c’est un rêve »). Les participants T et Y questionnent et relancent le débat de sorte à faire expliciter les points de vue des participants E et S (US‑62, 68, 72, 77 et 79). On remarque tout de même que le participant Y semble, au départ, plutôt d’accord avec la participante E puisqu’il précise l’idée de cette dernière (US‑70). Mais ensuite il n’est pas totalement d’accord avec elle lorsqu’elle évoque le fait que les aides de l’état peuvent soutenir l’acquisition de véhicules plus propres (US‑80) évoquant l’argument que « plein de gens disent que l’écologie c’est un truc de riches » (US‑81). À la fin du débat (US‑82 à US‑85), le participant S n’intervient plus, car il a fini d’exposer son point de vue. On observe un accord commun entre les participants T, Y et E. Notons aussi que durant tout le débat, la participante A n’est pas intervenue.
Figure 6 : Dynamique des échanges lors de la phase 2 de l’atelier 3
Figure 6. Dynamics of the exchanges during phase 2 of workshop 3
39La troisième phase des échanges est la phase dans laquelle les participants se mettent d’accord sur le choix des cartes à garder pour la suite. Cette troisième phase est initiée par un des participants (S) qui clôture le débat de la phase 2 et dit : « Il faut que l’on se mette d’accord non ? ». Comme on peut le voir sur la Figure 4 (section 4.1.1) toutes les cartes sont discutées et passées en revue, selon les modalités « seule » ou « en association » retrouvées lors de la première phase.
40Par ailleurs les compromis opérés par le groupe lors de cette troisième phrase prennent deux formes différentes (cf. Tableau 7).
Tableau 7 : Formes du compromis lors de la phase 3 de l’atelier 3
Table 7. Forms of compromise during phase 2 of workshop 3
41Il y a d’abord des compromis qui révèlent d’un accord commun entre tous les participants, sans négociation, que ce soit pour prioriser une carte ou pour rejeter une carte. C’est par exemple le cas de la carte Transition qui avait été mentionnée par 4 participants sur 5 lors de la phase 1 et qui est priorisée par tous lors de la phase 3 :
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« Tout le monde a mis transition je crois » (Loc‑E, US‑86) ;
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« Oui et justement la transition on l’a abordé de différents aspects. Nous j’ai l’impression que l’on était plus sur la transition urbaine, du territoire. Vous deux il y avait un peu une idée de transition dans le sens changement de comportement […] transition je pense qu’on le prend direct parce qu’en plus de ça il est ambivalent » (Loc‑Y, US‑87 et US‑93).
42C’est aussi le cas de la carte Temporalité que les participants intègrent d’un commun accord à la carte Transition. La carte Temporalité est donc rejetée, car redondante :
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« Et du coup est-ce que la temporalité, ça ne serait pas un truc à mettre euh. Je suis le seul à l’avoir mis non » (Loc‑Y, US‑116) ;
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« Ouai, mais moi en fait ça me parait euh intégré dans la transition » (Loc‑T, US‑117) ;
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« Parce que moi je l’aurais mis là ouais » (Loc‑S, US‑118) ;
-
« Ouai, mais moi ce que j’avais en tête à travers la temporalité c’est à la fois dans ce processus, mais aussi dans les acteurs du changement, leur temporalité comme tu dis ne sont pas les mêmes tu vois » (Loc‑Y, US‑119).
43Dans la même idée, la carte Pluridisciplinarité est rejetée, car intégrée à la carte Approche systémique ; et la carte Sobriété est rejetée, car intégrée à la carte Sens & Valeurs, à la suite du débat qui a eu lieu à la phase 2 sur l’illustration de la voiture. La carte Ressources alternatives n’est pas retenue d’un commun accord, mais aucune raison n’est mentionnée par les participants. Nous pouvons simplement constater que cette carte avait été mentionnée seulement par 3 participants sur 5 lors de la phase 1 (cf. Figure 4, section 4.1.1) et qu’elle avait été peu discutée ensuite, ce qui peut laisser penser à un manque d’intérêt des participants pour cette carte.
44La deuxième forme de compromis est celle qui révèle une recherche de consensus et une négociation entre les participants. C’est par exemple le cas de la carte Expérimentation qui fait l’objet de quelques désaccords durant la phase 3 des échanges. On voit dans l’extrait ci-dessous que le débat est initié par le participant T qui rappelle que cette carte n’avait pas été retenue par tout le monde au début des échanges (phase 1), mais que lui serait « pour » la retenir dans le lot final (Loc‑T, US‑102). Tous les participants expriment pourquoi ils ont gardé ou rejeté cette carte, ils rappellent la représentation qu’ils en ont (Loc‑E, US‑105 ; Loc‑S, US‑108 ; Loc‑Y, US‑112). À la fin de l’échange, T fait une synthèse des différents arguments et essaye de convaincre de l’importance de garder cette carte. Pour cela il fait le lien avec la Transition, carte que les participants ont retenue à l’unanimité (Loc‑T, US‑115).
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« Ouais vous, vous n’avez pas mis, par exemple les expérimentations. Moi je rejoins assez, en fait il faudra tester à un moment tu vois et je me demande comment on considère l’expérimentation ? Pourquoi vous ne l’avez pas mis vous les amis ? » (Loc‑T, US‑102) ;
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« Pour moi la solution c’est d’enlever les voitures polluantes et du coup je me disais que ce n’est pas forcément la peine de tester parce qu’on a les solutions. Il faut juste emmener les personnes à utiliser ces solutions qui sont plus sobres » (Loc‑E, US‑105) ;
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« Et moi je ne l’ai pas mis parce que je l’aurai mis là entre les deux. L’expérimentation elle passe par l’aménagement d’un territoire, par exemple, je ne sais pas, on va essayer de mettre un escalier en couleur versus un escalator et on va voir si les gens prennent l’escalier ou l’escalator. On essaye, ça fonctionne et du coup on aménage le territoire de cette manière-là pour aider à changer le comportement » (Loc‑S, US‑108) ;
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« Moi je ne l’ai pas mis, mais je suis grave d’accord » (Loc‑Y, US‑112) ;
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« OK on sait que ça marche bah maintenant une fois qu’on sait que ça marche, pourquoi on n’agit pas ? Donc là on est plutôt dans ton cas de figure E et je trouve qu’avec A on considère que, moi il n’y a rien qui me fait dire qu’on est prêt quoi. Donc je me dis qu’il faut tester des choses […] on enlève les voitures on impose et nous on se dit plutôt on va demander quoi, quels sens aux gens ? Et c’est peut-être ça qui va les amener au changement. Et après je trouve que ça pose d’autres questions, mais je vais un peu plus loin, mais en gros il y a la question de tout ce qui est transition de développement durable, c’est à un moment donné, quand tu as le temps, tu peux te poser la question de, on sollicite, on demande, etc. » (Loc‑T, US‑115).
45Les deux cartes Justice sociale & Inclusion et Expérimentation, objets d’un débat durant cette phase 3, sont finalement retenues par le groupe pour l’atelier 4. Dans la suite des résultats, nous montrons comment le groupe discute et fait évoluer des objets de recherche et/ou formation durant l’atelier 4, à partir du sens commun co-construit durant l’atelier 3.
46Cette partie de résultats se focalise sur l’analyse des interactions lors de l’atelier 4 où il est demandé au groupe de produire une ou plusieurs intentions d’action pour contribuer au développement durable dans le domaine des Sciences du Sport, puis de les formaliser à l’aide d’une représentation visuelle quelconque pour les restituer à l’ensemble du collectif.
47Au total pour le groupe 1, 309 tours de parole ont été codés à l’aide de la grille de codage présentée dans le Tableau 5 (section 3.4.2). La Figure 7 illustre l’évolution des échanges selon les activités de conception des participants (diagnostic et analyse du problème, proposition de solution, évaluation de solution, intégration de la solution dans les intentions d’action).
Figure 7 : Évolution des échanges au prisme des activités de conception.
Figure 7. Evolution of exchanges depending on the design activities
48On observe un processus assez classique en conception collaborative : un diagnostic du problème plutôt au début des échanges (tours de parole 1 à 23, puis 41 à 58), suivi d’une alternance de propositions de solutions, évaluées par les autres puis intégrées aux intentions d’action. Les solutions sont articulées entre elles de sorte à identifier dans quelle mesure elles s’accordent bien, et sont pertinentes et cohérentes pour la restitution finale (tours de parole 88 à 114, puis 236 à 309).
49Cette dynamique des échanges au prisme des activités de conception nous semble confirmer que le groupe est en situation de conception collaborative de solutions, ici des objets de recherche et formation. Par ailleurs, durant les phases de diagnostic et analyse du problème, les cartes CDD ont été explicitement mentionnées, ce qui suggère que les participants ont reformulé et validé le sens commun co-construit durant l’atelier 3 avant de concevoir des solutions, comme le montre l’extrait ci‑dessous.
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« On est parti sur un truc qui était plutôt systémique qui était d’urbanisation, du territoire, des politiques publiques, un truc qui est un peu plus large. Et E, elle est partie de l’objet, de la mobilité et nous on est parti plutôt de comment on arrive à la mobilité douce » (Loc‑T, TP‑15) ;
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« Et nous on partait du territoire, et toi plutôt des usagers aussi un peu » (Loc‑Y, TP‑18) ;
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« Oui c’est vrai. On voit ça nous vraiment comme une approche de système, donc où les choses sont imbriquées, orientées vers le territoire, donc c’est l’objet, c’est vers l’aménagement du territoire que l’on travaille. On avait dit qu’il y avait une idée de transition, c’est-à-dire que c’est un changement, donc il faut accompagner, donc il y a toute cette idée de la temporalité qui est un peu derrière. Une idée qui était surtout portée par A. C’était l’idée que l’on avance sur ce chemin-là en incluant les usagers avec nous et en leur faisant tester des choses et ensuite en réitérant sur les tests que l’on a faits » (Loc‑T, TP‑19).
50Il est à noter que les cartes CDD ne sont plus mentionnées durant la phase d’alternance de propositions de solutions. Elles seront de nouveau mobilisées lors du discours de restitution des intentions d’action par un des membres du groupe. Nous détaillons ci-après dans quelle mesure les solutions sont en lien avec une évolution et/ou une conception d’objets de travail.
51La Figure 7 met aussi en évidence que quatre solutions ont été proposées et évaluées par le groupe. Ces quatre solutions viennent en réponse aux préoccupations des participants qui les discutent et les enrichissent au fur et à mesure des échanges afin de prendre en compte la complexité du système dans lequel elles sont insérées.
52La première solution « Analyser les usages selon une approche psychologique » est proposée par le participant T (TP-24). Elle concerne la manière de faire de la recherche et se base sur le point de vue que la participante A a développé lors de l’atelier 3 au sujet de l’importance d’inclure les usagers et les parties prenantes lorsque l’on traite du développement durable. Cette première solution n’est pas un nouvel objet de travail en tant que tel, mais plutôt la mise en évidence que les participants possèdent déjà des ressources conceptuelles et méthodologiques pour penser et mettre en œuvre le développement durable. En effet, ils évoquent l’idée qu’il serait intéressant pour eux de mobiliser des savoirs et des pratiques qu’ils ont en commun pour traiter le sujet de l’urbanisation et des mobilités douces. L’extrait ci-dessous est une illustration de ces échanges.
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« La seule personne qui avait a priori donné une orientation psycho à ce qu’on était en train de faire c’est A. Et donc ça tombe bien parce que c’est son idée de rentrer par les usages, rentrer par les usagers et nous on a la compétence pour aller questionner des usagers, savoir comment ils perçoivent, ce qui fait sens pour eux dans la ville, etc. Donc je trouve que déjà un des premiers objets ou un des premiers outils que l’on pourrait utiliser serait notre capacité à questionner, à récupérer du sens chez les gens pour animer cette démocratie, un peu participative, du quartier, de la ville, d’un territoire » (Loc‑T, TP‑24) ;
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Cette approche psycho effectivement on peut la mettre en œuvre concrètement au niveau des usagers, mais aussi au niveau, si on pense aux individus, euh, justement à l’échelle du système, il y a les usagers et il y a les décideurs en quelque sorte et une même méthodo très psycho pour aller interroger les valeurs et le sens que les acteurs dans leur ensemble donnent à cette question, là, bah on peut aller questionner les usagers, mais aussi les décideurs, les acteurs politiques et voir justement si leurs valeurs elles matchent ou pas » (Loc‑Y, TP‑27).
53Cette première solution est évaluée positivement et rapidement intégrée aux intentions d’action. Mais elle conduit le collectif à se questionner sur le problème à résoudre (Figure 7, tours de parole 41 à 58). En effet cette solution ne leur semble pas suffisamment « innovante » et met en évidence le fait qu’il est difficile pour eux de trouver des nouveaux objets de travail, notamment pour le volet enseignement. Ils questionnent leur légitimité à pouvoir enseigner des contenus en lien avec le développement durable alors qu’ils ne sont pas experts de ce sujet.
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« Moi perso je ne me sens pas du tout dans le volet enseignement […] Je pense que c’est une sorte de légitimité, faut maîtriser un peu ce que l’on fait pour enseigner, moi ça ne me parle pas trop » (Loc‑T, TP‑50 et TP‑54) ;
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« Dans le volet enseignement, en tout cas moi je ne le vois pas dans les discussions qu’on a eues là, dans mon enseignement d’EPS je ne le vois pas » (Loc‑E, TP‑55) ;
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« Il y a la valeur qui a derrière le métier quoi » (Loc‑T, TP‑58).
54La deuxième solution « Éducation et formation au savoir pédaler » est proposée par le participant Y (TP-59) et permet au groupe de dépasser ce qui était perçu comme une limite ou un frein à la recherche de solutions. Cette deuxième solution concerne justement un objet d’enseignement et fait appel à un exemple concret : le vélo. Pour concevoir cette solution, les participants se réfèrent à deux objets d’enseignement déjà connus et/ou maitrisés par les enseignants : le « permis de rouler » et le « savoir nager ». À nouveau cette solution fait rapidement l’unanimité et est intégrée aux intentions d’action, tel qu’on peut le voir dans l’extrait ci‑dessous.
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« Si on parle nous de notre posture un peu EPS, tu vois typiquement le vélo, à quel moment on apprend aux élèves à faire du vélo ? Est-ce que tout le monde sait faire du vélo ? Est-ce que l’EPS n’est pas une porte d’entrée pour que tout le monde sache faire du vélo et que faire du vélo en ville ça soit moins un frein ? » (Loc‑Y, TP‑59) ;
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« En primaire il y a le permis de rouler » (Loc‑E, TP‑62) ;
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« Et il a des vrais gains à faire à mon avis, enseigner à pédaler quoi tu vois ? Il y a un savoir nager en EPS, est-ce qu’il ne devrait pas y avoir un savoir pédaler ? […] Oui le savoir pédaler ce n’est pas juste je sais tourner les pieds, c’est je sais prendre les infos, les signalisations, les contrôles, c’est un savoir circuler à vélo en fait même » (Loc‑Y, TP‑63 et TP‑68).
55La troisième solution « Penser la ville et l’aménagement du territoire à un niveau macroscopique » est proposée par le participant T (TP‑79). Elle s’inscrit dans la continuité de la deuxième solution et concerne la manière de faire de l’enseignement. En effet les échanges sur la deuxième solution conduisent les participants à se questionner sur le rôle des infrastructures dans la ville et sur la manière d’y tenir compte dans l’enseignement du « savoir pédaler ».
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« Et je pense que l’on peut le faire dans le temps […] C’est-à-dire on va concevoir et au final on va mettre en action, et mettre en action il y a l’idée de E et l’idée de Y, là, qui sont des projets d’action je pense […] Par exemple apprendre aux gens à faire du vélo ne change pas le fait que la ville ne soit pas pensée pour le vélo » (Loc‑T, TP‑79 et TP‑82) ;
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« Ah oui okay » (Loc‑S, TP‑83) ;
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« Et peut-être qu’il y aurait une sorte de niveau macro, il faut penser à la ville, micro, est-ce que tout le monde sait faire du vélo quoi ? » (Loc‑T, TP‑84).
56L’évocation de cette troisième solution conduit le groupe à se questionner sur la manière d’articuler et d’intégrer les solutions 1 et 2 dans la restitution finale (Figure 7, tours de parole 89 à 114). Ils essayent de combiner l’idée d’une entrée par les usages et les usagers (solution 1) avec le « savoir pédaler » (solution 2). Ainsi la première solution évolue. Elle ne concerne plus uniquement le volet recherche (manière de faire de la recherche) comme c’était le cas au départ, mais devient aussi un objet d’enseignement : il s’agit d’appréhender le « savoir pédaler » du point de vue des apprenants (les usagers) et de leurs besoins. Dans la même idée, le « savoir pédaler » ne concerne plus uniquement l’Éducation Physique et Sportive (EPS) à l’école, il concerne désormais tous les usagers de la ville. Ainsi les solutions 1 et 2 évoluent au fil de la discussion et deviennent de nouveaux objets de recherche et formation pour le groupe.
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« Donc je pense qu’il faut qu’on rentre par les usagers » (Loc‑T, TP‑88) ;
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« Et est-ce qu’ils y ont accès, on n’oublie pas ça […] on peut lever aussi cette injustice sociale face aux compétences, mais il faut penser aux politiques publiques aussi du coup » (Loc‑E, TP‑89 et TP‑91) ;
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« Il y a un volet technique aussi pour le vélo, tu donnes des vélos aux gens, mais ton vélo il crève et ils ne savent pas comment le réparer et tout ça quoi » (Loc‑B‑, TP‑92) ;
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« Qui pourrait être dans l’enseignement apprendre aux gens à faire la maintenance de base de son vélo et ça rentrerait dans le projet » (Loc‑Y, TP‑93) ;
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Là je suis en train d’essayer d’imaginer le poster final. On est tous d’accord, on a une entrée par l’usager et donc on part des besoins de l’usager […] Et les besoins de l’usager on peut dire qu’ils peuvent être techniques, j’ai besoin de savoir faire du vélo, j’ai besoin de savoir prendre des informations, j’ai besoin de savoir réparer, donc il doit y avoir sans doute un volet technique et qui sans doute sur des volets d’éducation, de formation quoi » (Loc‑T, TP‑97 et TP‑99) ;
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« Il y a le volet psychologique aussi, sécurité, enfin, est-ce que je me sens apte, est-ce que je me sens en sécurité pour faire » (Loc‑B, TP‑101) ;
57Par ailleurs, cette discussion sur l’articulation des solutions 1 et 2 conduit les participants à discuter de certains éléments de leur travail et la manière dont chacun se représente ces éléments. Il s’agit notamment des définitions de ce que sont pour eux la « maitrise technique » et la « compétence », comme le montre l’extrait ci‑dessous.
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« En fait sur la maîtrise de sa propre technique pour être en sécurité » (Loc‑T, TP‑107) ;
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« En fait je pense que compétence et technique, à mon avis ce sont deux choses assez différentes » (Loc‑S, TP‑108) ;
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« La technique c’est une part de la compétence » (Loc‑Y, TP‑109) ;
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« Ou alors c’est ça, la compétence c’est le truc le plus large » (Loc‑S, TP‑110) ;
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« La compétence elle articule des éléments techniques, c.-à-d. des habilitées motrices » (Loc‑Y, TP‑111) ;
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« Bah c’est entre savoir et savoir-faire » (Loc‑B, TP‑112).
58La quatrième solution « Accompagnement au changement, démarche participative, pas à pas et pluri-acteurs » est proposée par le participant T (TP‑115). Cette solution concerne à nouveau la manière de faire de la recherche : il s’agit d’appréhender les projets de recherche et les expérimentations qui y sont liées sous un angle différent, celui des besoins des parties prenantes (usagers, décideurs de la ville, etc.). Il s’agit donc de bouleverser sa façon de faire de la recherche, c’est-à-dire passer de ce que le chercheur souhaite tester et évaluer, à ce que les parties prenantes désirent tester et évaluer.
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« Je pense que par l’usager il y a une histoire d’accompagnement au changement tu vois, en fait, comment sont les gens dans leur… comment ils pensent la ville, comment ils voient la ville aujourd’hui et demain, et ça je trouve c’est différent de la technique, de la compétence. Il y a une histoire de prospective de la ville, comment ils imaginent la ville […] il faut que ça devienne un objet d’outil démocratique comme tu disais tout à l’heure. En gros je vais questionner les gens sur leurs usages, qu’est-ce que je vais faire ? Je vais aller tester différentes pratiques qui me permettent de faire émerger des idées et donc tu vois ça c’est un objet de recherche quoi. Tester des pratiques démocratiques tu vois » (Loc‑T, TP‑115 et TP‑117) ;
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« Mais aussi le contraire […] Faire émerger des idées pour tester les pratiques » (Loc‑E, TP‑120) ;
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« Je remets par rapport à nous, en tant qu’objet de recherche. Nous on ne va pas aller tester du vélo ou tester tu vois de la trottinette, on s’en fout […] Nous ce qu’on va faire, on va essayer de voir chez les gens comment on peut leur stimuler le fait de se questionner là-dessus » (Loc‑T, TP‑132 et TP‑134) ;
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« Ça va permettre aussi d’identifier les différents types de populations et c’est complètement différent » (Loc‑B, TP‑140) ;
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« Des décideurs politiques, les décideurs de la ville, je ne sais pas, etc. » (Loc‑T, TP‑141) ;
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« Typiquement on a commencé par parler de projets, mais les projets souvent ils émergent, enfin, on veut les mettre en place parce qu’à un moment donné on a identifié qu’il y avait des manques au niveau des usagers » (Loc‑Y, TP‑144) ;
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Par exemple, la problématique de l’inactivité physique, ça vient de ça et du coup on essaye de trouver les projets qui répondent à ça » (Loc‑S, TP‑146) ;
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« Nous je pense que ce qu’il faut vraiment qu’on mette au centre c’est usager, on rentre par l’usager […] Tout simplement et donc on va questionner les objets sur comment on voit l’aménagement, leur demander sur leurs compétences, s’ils peuvent utiliser la mobilité, questionner les gens qui décident » (Loc‑T, TP‑147 et TP‑149).
59La discussion sur cette quatrième solution est plus longue que pour les trois autres solutions. En effet, on remarque une phase d’évaluation qui est plus étendue pour la solution 4 que pour les solutions 1, 2 et 3 (Figure 7, tours de parole 137 à 176). Par ailleurs, la solution 4 est la seule solution évaluée jusqu’alors avec la référence explicite à une carte CDD. Il s’agit de la carte Sens & Valeurs sur laquelle s’appuie le groupe pour réfléchir aux différentes controverses qui pourraient émerger dans le cadre d’un accompagnement au changement vers les mobilités douces et durables. L’extrait ci-dessous illustre la manière dont la carte Sens & Valeurs soutient l’activité de conception de la solution 4 (évaluation puis intégration).
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« Est-ce que Sens & Valeur, vous le voyez où vous ? » (Loc‑T, TP‑151) ;
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« Pour moi c’est quand on questionne les usagers, ou d’ailleurs les décideurs, quand on va les questionner par qu’est-ce qu’ils entendent par aménagement, qu’est-ce qu’ils entendent par mobilité douce, etc. » (Loc‑Y, TP‑152) ;
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« Oui, je pense surtout auprès des décideurs, pourquoi ils sont prêts à s’engager ? » (Loc‑B, TP‑154) ;
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« Mais même pour les usagers, si pour un usager, bah il trouve que faire de l’activité physique c’est important pour lui, parce que c’est important d’être en bonne santé, cette valeur-là d’être en bonne santé, ça va l’amener à prendre son vélo par exemple plutôt que de prendre sa voiture. Et du coup il y a un lien entre les valeurs des usagers par rapport à sa pratique quoi » (Loc‑S, TP‑155) ;
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« Ou même comme on disait tout à l’heure. Si les décideurs ils disent on va valoriser le vélo à fond, mais moi en tant qu’usager j’adore la marche […] Est-ce que les décideurs sont sur les mêmes valeurs que moi par rapport aux mobilités douces ? […] S’ils mettent que des pistes partout et qu’ils enlèvent les trottoirs moi ça m’emmerde. C’est là où la question des valeurs elle rentre » (Loc‑Y, TP‑156, TP‑158 et TP‑160) ;
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« Je pense qu’il y a un mot qui revient souvent, c’est décideur » (Loc‑S, TP‑176) ;
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« Ouai j’ai mis là, décision […] En fait je pense qu’il faut faire un choix, c.-à-d. qu’on ne peut pas rentrer par plus quoi, bah non parce que c’est aussi une idéation. L’usager et du coup je mets quoi ? Décideur et ? Citoyen ? Consommateur ? (Loc‑T, TP‑177 et TP‑179) ;
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« Citoyen c’est bien » (Loc‑E, TP‑180) ;
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« Ouai, mais du coup les décideurs sont des citoyens aussi » (Loc‑T, TP‑182).
60Pour finir, le groupe discute de l’intégration des quatre solutions pour le rendu final (Figure 7, tours de parole 218 à 309). Ici les échanges se centrent davantage sur la formalisation des solutions dans le poster mettant en scène les intentions d’action. Les échanges visent donc à stabiliser les solutions évoquées précédemment et à réfléchir sur la manière de les restituer :
« On questionne, on comprend comment fonctionnent les individus, mais au sein d’un système, on comprend comment on décide, mais au sein d’un système qui est donc très défini, la ville, un quartier… Est-ce que l’on se retrouve un peu dans notre truc là les amis ? » (Loc‑T, TP‑278).
61La Figure 8 est le discours de restitution des intentions d’action du groupe 1. C’est le participant T qui fait la synthèse orale de 3 minutes. Dans ce discours, on retrouve bien les 4 solutions conçues par le groupe. Elles n’apparaissent pas dans l’ordre avec lequel elles ont été évoquées dans les échanges, ce qui montre que le groupe a bien réfléchi à leur articulation et cohérence mutuelle. On retrouve aussi la mobilisation des sept cartes CDD retenues par le groupe lors de l’atelier 3. Six cartes sont explicitement mentionnées, mais l’une d’elles (Justice sociale & Inclusion) n’est pas retrouvée dans le discours (cf. Légende de la Figure 8). Cependant, au vu des échanges qu’ont eu les participants lors de leur activité de conception, on devine que la carte Justice sociale & Inclusion est implicitement présente à travers les propos qui valorisent la prise en compte de la diversité des usagers.
Figure 8 : Discours de restitution des intentions d’action du groupe 1.
Figure 8. Restitution discourse of group 1’s action intentions
62Ainsi nous pouvons conclure que l’atelier 4 a été propice à faire évoluer les participants sur leurs objets de travail. Il leur a permis de construire des intentions d’action communes grâce au sens commun construit à travers l’échange sur les cartes CDD lors de l’atelier 3.
63L’objectif de l’article était de proposer un dispositif visant à soutenir l’activité de conception collaborative de nouveaux objets de travail de chercheurs et d’enseignants chercheurs. Pour cela nous avons identifié onze Caractéristiques du Développement Durable (CDD) à prendre en compte pour cette activité de conception, à partir de savoirs théoriques et pratiques développés dans le champ de l’ergonomie depuis une dizaine d’années. Nous avons appréhendé le travailleur en transition comme concepteur de son travail, en soulignant le rôle clé des échanges entre pairs dans une dynamique de conception collaborative favorable à l’explicitation des points de vue individuels et collectifs. Le dispositif est conçu par quatre ateliers successifs visant à : 1) mettre en lumière des trajectoires personnelles et professionnelles vis-à-vis du développement durable, 2) faire émerger des thèmes de travail, 3) favoriser la construction d’un sens commun sur le développement durable au sein de groupes thématiques et sur la base des onze CDD, et 4) produire des intentions d’action au sein de groupes thématiques. Nous proposons dans un premier temps de revenir sur notre proposition des cartes CDD comme moteur des ateliers 3 et 4 pour ensuite discuter des limites des ateliers et des perspectives à donner à notre étude afin de consolider et enrichir ce dispositif.
64Tout d’abord, les résultats de l’analyse fine des ateliers 3 et 4 soulignent le rôle décisif des cartes CDD pour soutenir une activité de conception collaborative orientée simultanément vers l’évolution des objets de travail et vers une finalité de développement durable. En effet, les participants expriment leurs points de vue sur le développement durable en s’appuyant sur les cartes CDD et toujours en lien avec ce que cela implique pour leur travail. Cela les conduit à débattre de plusieurs de leurs préoccupations vis-à-vis de leur travail, par exemple la manière d’envisager des notions propres à leur domaine d’expertise, telles que la notion de « compétence ». Ainsi on décèle dans les échanges entre les participants le besoin qu’ils ont de se raccrocher à des situations vécues et des « situations d’usage », tel que cela a déjà été souligné dans d’autres travaux sur la conception dans le monde agricole (par ex., Cerf, Jeuffroy, Prost & Meynard, 2012 ; Prost et al., 2017). Cette modalité ne faisait pas explicitement partie de nos intentions en tant que conceptrices et animatrices du dispositif, mais elle souligne néanmoins la capacité du dispositif à mettre le travail des participants au cœur des échanges. De plus, les résultats montrent que toutes les cartes CDD ont fait l’objet de discussions et qu’elles ont permis d’initier dès le début de l’atelier 3 des échanges directement en lien avec le développement durable où les participants écoutent le point de vue des autres sur les cartes, se questionnent et essayent de se comprendre. Ces cartes ont également permis aux participants de débattre, notamment en mobilisant des exemples. C’est à partir des points de vue individuels et des débats collectifs que les participants ont cherché un consensus, moyennant des négociations, pour décider collectivement des cartes à garder pour penser ensuite un projet commun. Ces résultats semblent faire écho à l’approche sociocognitive de la conception qui envisage le processus de conception collaborative comme un processus social de négociation entre différents points de vue, représentations ou disciplines (Bucciarelli, 1988 ; Détienne et al., 2005 ; Schön, 1988). Ils viennent soutenir l’idée selon laquelle les échanges entre pairs ont un rôle déterminant dans les dynamiques de transition vers des pratiques et objets plus durables (par ex., Prost et al., 2017 ; Slimi, Prost, Cerf & Prost, 2022).
65Ensuite, les résultats montrent que l’atelier 4 a permis aux participants de produire des intentions d’action pour contribuer au développement durable dans le domaine des Sciences du Sport et de les formaliser visuellement. Les participants développent une activité de conception collaborative d’objets de recherche et de formation qui passe par la mobilisation des cartes CDD, qui sont explicitement mentionnées dans la restitution finale, voire qui sont mentionnées durant l’élaboration de solutions pour deux d’entre elles. Si cette étude souligne la pertinence des cartes CDD à soutenir une activité de conception collaborative d’objets du travail prenant part au développement durable, nous supposons que cette activité n’est pas suscitée uniquement par les cartes proposées aux participants. En effet, de nombreux travaux montrent que les échanges entre pairs sont propices à une activité de conception collaborative, qu’il y ait présence ou non d’un dispositif d’aide à l’élaboration de solutions (par ex., Baker et al., 2009 ; Détienne, Baker & Burkhardt, 2012). Néanmoins, nous pensons que les cartes CDD ont eu un rôle déterminant dans l’orientation de cette activité de conception vers une conception portée par les enjeux du développement durable et pour répondre spécifiquement à ces enjeux. Toutefois, il semble aussi nécessaire d’interroger le rôle des animatrices dans ce dispositif dans le fait de susciter chez les participants une telle activité. Nous n’avons pas investigué cela dans le cadre de notre étude, ce qui ouvre des perspectives pour de futures recherches sur l’accompagnement des individus et des collectifs qui s’inscrivent dans le développement de pratiques ou d’objet de travail plus durables.
66Par ailleurs, les résultats de cette étude nous permettent de penser que les cartes CDD proposées aux participants sont pertinentes relativement à l’objectif du dispositif qui est de soutenir une activité de conception collaborative d’objets de travail qui prennent part au développement durable. Le jeu de cartes CDD offre un cadre structurant de la pensée tout en laissant une liberté totale dans le sens et l’interprétation portés aux caractéristiques du développement durable qui restent finalement suffisamment « vastes » pour que les participants se les approprient, les acceptent ou bien les rejettent. Un des apports du dispositif est d’aider à la mise en réflexion de chaque carte, mais aussi et surtout de penser leur articulation, leur agencement et leur débat de manière constructive. À ce titre, les résultats montrent que certaines cartes ne sont pas retenues par les participants pour penser leurs intentions d’action non parce qu’elles ne sont pas pertinentes, mais parce qu’elles sont perçues comme intégrées ou similaires à d’autres cartes. En outre, nous faisons l’hypothèse que le choix des cartes a été réalisé relativement à la thématique portée par le groupe, ici « Urbanisation et mobilités douces », et aux préoccupations individuelles rapportées par chaque participant dans les échanges. De cette façon, il faudrait reproduire notre analyse à l’ensemble des groupes ayant participé au dispositif pour renforcer la proposition faite de ces onze caractéristiques du développement durable. Également, il semble nécessaire de s’interroger sur le choix de ces onze caractéristiques identifiées dans les travaux des membres et des intervenants de la commission « Concevoir pour le Développement Durable » d’ARPEGE. Notons à ce propos que durant l’atelier 3, certains participants ont évoqué qu’il pourrait manquer une carte, ce qui est le cas du groupe 1 qui aurait souhaité avoir une carte Participation. Nous voyons trois manières d’enrichir le jeu de cartes CDD :
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Mener une analyse systématique de la littérature en ergonomie lorsqu’il s’agit d’intervenir dans un contexte de développement durable, dont un des objectifs de l’intervention serait de participer au développement durable ;
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Mettre en discussion les résultats de cette étude au sein de la commission « Concevoir pour le Développement Durable » d’ARPEGE afin d’approfondir la définition des cartes actuelles et les illustrations qui pourraient en être données aux participants ;
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Poursuivre la mise à l’épreuve du réel de ces cartes en déployant le dispositif auprès de collectifs divers et en analysant de nouveau la mobilisation des cartes durant les ateliers 3 et 4.
67Les perspectives que nous discuterons s’organisent en deux axes : 1) améliorer le dispositif actuel et le proposer à d’autres collectifs de travail ; 2) enrichir notre dispositif en proposant d’autres journées d’accompagnement qui permettraient d’observer la réalisation concrète des objets du travail.
68Premièrement, le dispositif et son animation pourraient être proposés à d’autres collectifs de travail. En effet, une limite de ce travail réside dans le fait de n’avoir réalisé qu’une seule journée d’accompagnement auprès d’un seul public. Nous envisageons de déployer le dispositif actuel auprès d’autres collectifs de travail, dans le domaine de la recherche et de l’enseignement, mais aussi dans d’autres secteurs. À ce jour, il est prévu d’intervenir auprès d’enseignants chercheurs en informatique après avoir adapté le dispositif grâce aux résultats de notre étude. Dans le cas de notre étude, le collectif d’enseignants et enseignants-chercheurs en Sciences du Sport présente plusieurs caractéristiques que l’on ne retrouve pas pour tous les métiers : les conditions de travail des professionnels de ce domaine sont particulières en ce qu’ils sont prescripteurs de leurs activités de recherche et d’enseignement, notamment dans les sujets à étudier et à transmettre. Leurs marges de manœuvre décisionnelles sont assez larges, car ils jouissent d’une autonomie quant à l’organisation de leur temps de travail. Pour autant, ils doivent faire face à de fortes contraintes imposées par leur institution et chaque université a des modes de fonctionnement différent (calendrier universitaire, volume horaire de formation, nombre d’étudiants, nombre charges administratives variables entre les universités, etc.). Les questions qui se posent alors sont : comment penser le dispositif pour d’autres collectifs de travailleurs ? Quelle transférabilité du dispositif dans le cas de professionnels disposant d’autonomie moindre pour reconcevoir leur travail ? Quelle application du dispositif dans le cas d’organisation au sein desquelles les rapports hiérarchiques structurent fortement l’activité de travail ? Ces questions permettent d’envisager, d’une part la mise en œuvre du dispositif dans des secteurs divers et variés et, d’autre part, l’amélioration continue du dispositif.
69Deuxièmement, l’article montre que l’activité de conception collaborative s’est concentrée sur les objets de travail des participants qu’il conviendrait de préciser davantage. Il semble que le dispositif ait permis de se focaliser sur l’objet au sens de Nosulenko (1999), ici l’objet de recherche et d’enseignement des enseignants chercheurs du dispositif, et non sur le premyet. « L’objet c’est l’objet dans son objectivité, sa substance. Le premyet, c’est l’objet tel qu’il est saisi dans une activité finalisée, dans sa fonction, et qui ne peut donc être déconnectée des mobiles de l’action » (Béguin, 2010, p. 70). Il semblerait qu’une perspective de ce travail pourrait résider dans le fait de s’intéresser au premyet, c’est-à-dire au changement d’objet dans l’activité en train de se faire. Ceci nécessiterait de confronter l’objet au réel du travail des enseignants chercheurs, c’est-à-dire d’analyser les objets de travail des acteurs ayant participé à ces dispositifs de conception afin de savoir autour de quels objets (premyet) se structurent leur activité de travail depuis leur participation aux ateliers. Dans ce sens, nous pouvons noter que les ateliers ont permis aux participants de « se mettre en projet » sur un temps plus long que celui de journée d’accompagnement. En effet, le groupe « Performance durable » a indiqué aux animatrices qu’il continue aujourd’hui à travailler dans cette voie et structure actuellement un programme de recherche à long terme. Le dispositif tel que nous l’avons structuré pour le moment ne permet pas d’avoir des informations plus précises sur la suite que chacun des groupes a réellement donné au travail réalisé au cours de la journée d’accompagnement. Ainsi, et relativement aux travaux de Petit, Querelle et Daniellou (2007) qui s’intéressent à l’analyse de l’activité des ergonomes et aux effets des interventions en ergonomie, nous pensons que cet article rend compte en partie des résultats du dispositif au sens où son objectif est atteint à court terme : le dispositif a été favorable à la mise en œuvre d’une activité de conception collaborative de nouveaux objets de travail par les travailleurs eux-mêmes, avec la particularité de prendre part au développement durable ; mais quid du long terme : est-ce que les travailleurs ont poursuivi la conception de ces nouveaux objets de travail au-delà du dispositif ? Ainsi, il pourrait être intéressant de : 1) mener des entretiens individuels pour investiguer dans quelle mesure le dispositif a aidé les participants à « se mettre en projet » pour leur transition vers le développement durable, et 2) mener des entretiens collectifs pour évaluer dans quelle mesure les participants sont satisfaits de la collaboration et la co-construction de sens et d’intentions d’action que l’on suppose permises par le dispositif. Ces entretiens permettraient de recueillir un certain nombre d’informations concernant l’impact du dispositif et de son animation sur le travail des enseignants-chercheurs (Ibid.) afin de l’améliorer. Une voie complémentaire serait de structurer une deuxième journée dans ce dispositif pour soutenir la réalisation concrète des actions envisagées par les participants. Cela permettrait d’accompagner la mise en œuvre du premyet à la base de la transition professionnelle.