Remerciements
Nous souhaitons remercier la Direction Santé Sécurité au Travail de la CC MSA qui a rendu possible cette recherche-intervention et l’a soutenue financièrement. Nous remercions également les personnes des quatre MSA que nous avons rencontrées pour nous avoir permis de les accompagner et ainsi mieux expliquer une part de leur quotidien au travail.
1Depuis la naissance de l’ergonomie, la prévention des risques professionnels fait l’objet de nombreuses recherches qui se sont progressivement intéressées, à partir des années 2000, à identifier les caractéristiques d’une prévention durable au travail (Caroly, Coutarel, Escriva, Roquelaure, Schweitzer & Daniellou, 2008). D’après le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) le terme durable se définit classiquement comme quelque chose « qui présente les conditions requises pour durer longtemps, qui est susceptible de durer longtemps […] qui est de longue durée, qui présente de la stabilité et de la constance dans le temps ». Cependant, le terme de « durable » est aussi fortement associé à la notion de développement durable que le rapport de la commission Brundtland de l’ONU définit comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (Brundtland, Khalid, Agnelli, Al-Athel, Chidzero, Fadika et al., 1987, p. 40). Cette seconde acception met l’accent d’une part sur la consommation des ressources et leurs capacités à se renouveler dans le temps long des générations et, d’autre part, sur l’articulation harmonieuse des dimensions sociale, économique et écologique. Elle apporte ainsi des éléments complémentaires pour penser ce que peut recouvrir la notion de prévention durable au travail. D’autres travaux interrogent la durabilité du travail à partir de la notion de travail soutenable (GIS-CREAPT, 2019) ou de travail décent (Deranty & Mac Millan, 2013 ; Ghai, 2003) en proposant un ensemble de caractéristiques des systèmes de travail pour qu’ils soient favorables au développement de la santé des travailleurs. Ici, le caractère préventif d’atteinte à la santé des travailleurs devient une propriété intrinsèque des systèmes de travail. Si ces travaux mettent en exergue d’une part des freins et des leviers et, d’autre part, des caractéristiques des systèmes de travail favorables à une prévention durable au travail, il reste encore de notre point de vue à mieux comprendre la manière dont des acteurs de première ligne – les préventeurs – contribuent à déployer dans leur travail une prévention durable des risques professionnels.
2Dans cette perspective, cet article vise à contribuer aux réflexions sur ce qui fait la durabilité de la prévention des risques professionnels à partir de l’analyse du travail de conseillers en prévention de la Mutualité Sociale Agricole (MSA). D’abord, nous faisons état de la littérature sur le travail des préventeurs, afin d’identifier la manière dont ils mènent des actions de prévention en entreprise. Puis, nous proposons un cadre théorique qui vise à définir et caractériser la prévention durable, à partir de trois champs de littérature en ergonomie qui concernent : 1) la prévention durable des troubles musculo-squelettiques (TMS), 2) les notions de travail durable, travail soutenable et travail décent, et 3) le concept de développement durable. Ensuite, nous présentons notre méthodologie de recueil et d’analyse des données basée sur des ateliers rétrospectifs pour appréhender le travail de conseillers en prévention de la MSA. Les résultats seront ensuite présentés en trois temps : 1) une illustration de l’analyse d’un cas, 2) un élargissement à l’ensemble des cas de notre échantillon, et 3) une analyse des caractéristiques de la prévention durable mise en œuvre par les conseillers en prévention. Ces résultats seront discutés dans une dernière partie.
3Garrigou, Peeters, Jackson, Sagory et Carballeda (2004) définissent les préventeurs comme des personnes en charge des questions de sécurité et santé au travail dans les organisations publiques ou privées. Ils peuvent être des préventeurs d’entreprises (par ex., des ingénieurs et des techniciens en sécurité) ou bien des préventeurs institutionnels, c’est-à-dire des préventeurs œuvrant dans des institutions de prévention (par ex., des conseillers en prévention à la MSA). Sur le pan des tâches, Brun et Loiselle (2001) mettent en évidence une grande diversité de tâches traitées par les préventeurs, qu’ils catégorisent en deux niveaux d’intervention. Le niveau stratégique correspond aux actions liées à la politique de sécurité de l’entreprise et au développement de structures organisationnelles qui intègrent les enjeux de santé et sécurité au travail, par exemple : élaborer le budget annuel pour la prévention, rédiger le rapport annuel d’activités en santé sécurité au travail, sensibiliser les cadres supérieurs, ou encore construire les normes d’utilisation des équipements. Le niveau opérationnel comprend les actions de prévention sur le terrain, par exemple : enquêter sur un accident de travail, faire des analyses des risques, former et informer les salariés, ou encore résoudre des problèmes techniques.
- 1 L’enquête concerne des personnes qui ont une fonction de prévention dans des entreprises privées ou (...)
4Au fil des années, le rôle des préventeurs a évolué. De « spécialistes techniques », ils sont passés à « acteurs ou initiateurs du changement », ce qui implique pour eux de rendre compatibles les problématiques de santé et sécurité, et les diverses préoccupations (techniques, organisationnelles, économiques et sociales) de l’entreprise (Brun & Loiselle, 2001 ; Guennoc, 2019). Garrigou et Peissel-Cottenaz (2008) ont mené une enquête par questionnaire dans différents réseaux professionnels de préventeurs1. D’après cette enquête, les préventeurs estiment que les qualités nécessaires pour exercer leur métier sont : être à l’écoute, avoir une bonne connaissance du terrain, du métier et de l’entreprise, avoir des connaissances techniques et réglementaires, avoir une aptitude à la communication, être rigoureux, faire preuve de diplomatie, avoir une bonne capacité d’analyse, avoir de la patience et faire preuve de qualités relationnelles. Pour Guennoc (2019), ces qualités renvoient à trois macro-compétences : 1) comprendre le contexte concernant les dangers et les risques propres à l’entreprise (par ex., le risque chimique) ; 2) faire évoluer l’entreprise en matière de gestion des risques en faisant vivre notamment le système de management de la sécurité, et 3) s’adapter au contexte et aux besoins, et être réactifs pour intervenir dans le cas d’incident.
5Blondé (2015) propose également une catégorisation des tâches des préventeurs en se focalisant davantage sur les actions que les préventeurs doivent mettre en œuvre pour atteindre leurs buts. L’auteure identifie neuf catégories de tâches et actions : 1) les tâches de conception, c’est-à-dire la création de documents de prescription, de supports de sensibilisation et de formation, etc. ; 2) les tâches de recherche d’informations regroupant la participation aux réunions en lien avec la santé et sécurité au travail, la veille réglementaire, la participation à des conférences, etc. ; 3) les tâches de traçabilité, c’est-à-dire le suivi des données relatives aux accidents du travail et maladies professionnelles, la traçabilité des expositions aux risques et des contrôles de conformité réglementaires, ou encore le classement et l’archivage des dossiers de prévention ; 4) les tâches de planification qui concernent l’organisation d’événements promotionnels de la sécurité, la programmation de visites médicales, etc. ; 5) les tâches d’animation (actions de formation et sensibilisation) ; 6) les tâches de conseil, c’est-à-dire l’accompagnement de l’encadrement dans la rédaction de documents de prescription sécurité ; 7) les tâches d’analyse (des risques, des accidents du travail, des maladies professionnelles, etc.) ; 8) les tâches de représentation, c’est-à-dire la participation à des réunions dont l’objet premier n’est pas la sécurité (par ex., les comités de direction) ; et 9) les tâches de contrôle (conformité des équipements, des installations, des outils ; audits et visites de terrain).
6Enfin, l’étude de Guennoc, Chauvin et Le Coze (2019) s’intéresse plus en détail à l’activité de préventeurs au sein du département sécurité environnement d’un site de production de substances chimiques pharmaceutiques. L’étude se base sur l’activité de deux préventeurs et catégorise leurs activités selon trois dimensions : relationnelle, cognitive et physique. Les activités relationnelles sont les interactions avec les autres membres du personnel, elles concernent : des réunions planifiées, des interactions planifiées autres que des réunions, des interactions non planifiées (formelles et informelles) et des traitements d’emails. Les activités cognitives sont : trouver des informations (sur les accidents et les incidents dans l’entreprise, sur les installations et le suivi des opérations de sécurité, etc.), travailler sur l’information (écrire des documents, remplir des dossiers, faire des calculs, etc.) et prendre des décisions (révision et validation de documents, mise en place de solutions techniques ou organisationnelles). Enfin les activités physiques des préventeurs sont de trois types : intervenir sur des installations, préparer, utiliser et/ou ranger du matériel, et prodiguer des soins de santé à des personnes.
7Ainsi, les études qui portent sur l’activité des préventeurs rapportent qu’il s’agit d’une activité très hétérogène, avec une forte interruption de tâches et des adaptations du planning fréquentes ; il s’agit d’une activité qui articule des sujets divers, des actions variées et des temporalités multiples, parfois gérées en parallèle ; cette activité implique aussi plusieurs interlocuteurs internes et externes à l’entreprise (Garrigou, Peeters & Duarte, 2003 ; Guennoc, 2019 ; Guennoc et al., 2019). Les préventeurs mènent des actions qui concernent, d’une part, le respect de la législation et des normes réglementaires et, d’autre part, le conseil pour influencer les prises de décision dans l’entreprise. Cela implique qu’ils possèdent des connaissances de nature stratégique sur l’organisation du travail au sein de l’entreprise et aussi qu’ils aient une aptitude à formuler des pronostics sur la capacité de l’entreprise à évoluer et à faire évoluer la prise en compte des questions de prévention (Garrigou & Peissel-Cottenaz, 2004).
8Par ailleurs, la littérature qui porte sur le métier de préventeur vise principalement deux objectifs (Guennoc, 2019). Une première partie des études cherchent à mieux comprendre le travail des préventeurs pour identifier des besoins en termes de formation (par ex., Garrigou & Peissel-Cottenaz, 2004 ; Wybo & Van Wassenhove, 2015). Une deuxième partie des recherches concernent le positionnement des préventeurs dans l’entreprise et leurs capacités « à faire bouger les choses » (par ex., Hale, Bianchi, Dudka, Hameister, Jones, Perttula et al., 2005 ; Reiman & Pietikäinen, 2014). D’un point de vue méthodologique, les recherches sur l’activité des préventeurs reposent majoritairement sur des enquêtes par questionnaire (au sein d’une entreprise ou à des échelles nationales et internationales), et dans une moindre mesure sur des études de cas qui se basent sur des entretiens et des observations (Guennoc, 2019). Ces dernières concernent principalement des préventeurs ayant des fonctions dans des entreprises privées ou publiques (Blondé, 2015 ; Garrigou et al., 2003 ; Guennoc et al., 2019) et, à notre connaissance, il n’existe pas d’études qui abordent le travail de préventeurs au prisme de la durabilité de la prévention et/ou dans une perspective de prévention durable. Dans quelle mesure les actions des préventeurs leur permettent de contribuer à une prévention durable des risques professionnels ? Cette question est intimement liée à la manière de définir et caractériser la prévention durable, et c’est ce que nous proposons de faire dans la section suivante.
9En France, l’employeur a l’obligation d’évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs avec la contribution éventuelle du service de prévention et de santé au travail auquel il adhère (Article L4121‑3 du Code du travail, modifié par la loi n° 2021‑1018 du 2 août 2021). Ce dernier doit prendre l’ensemble des mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses salariés et préserver leur intégrité physique et mentale (Blatman, 2011 ; Moreau, 2013 ; Verkindt, 2015). Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques et de la pénibilité au travail, des actions d’information et de formation, et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
10Dans ses définitions institutionnelles (par ex., Organisation Internationale du Travail ou OIT, Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail ou EU-OSHA), la prévention des risques professionnels est abordée selon une classification à trois niveaux. La prévention primaire vise à éviter l’apparition d’un risque, à supprimer les causes et à favoriser un environnement professionnel non accidentogène en agissant sur les facteurs de risque. La prévention secondaire accepte l’apparition d’un risque, mais vise à éviter les dommages, c’est-à-dire les détériorations physiques (corporelles, matérielles) ou morales ; elle repose sur le suivi des risques, la mise en place de protections, la détection des dommages possibles (dépistage) et la surveillance de l’état de santé. La prévention tertiaire accepte l’existence d’un dommage, mais cherche à le neutraliser ou à en limiter les conséquences ; elle consiste à éviter la survenue de complications, de récidives et d’incapacités professionnelles ; elle inclut la réinsertion professionnelle. Par ailleurs l’article L4121‑2 du Code du travail (modifié par loi n° 2016‑1088 du 8 août 2016) distingue les mesures de protection collective des mesures de protection individuelle. Selon l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), la prévention collective concerne tous les travailleurs en contact avec un danger, de manière régulière ou occasionnelle ; elle inclut les mesures de protection qui protègent l’ensemble des salariés (par ex., l’isolation phonique d’un local). La prévention individuelle concerne la protection d’un unique opérateur par des mesures de protection qui sont destinées à être portées ou tenues par une seule personne (par ex., un harnais de sécurité).
11La notion de prévention durable n’apparait pas dans les définitions institutionnelles de la prévention des risques professionnels. C’est pourquoi nous proposons de la caractériser à partir de trois champs de littérature en ergonomie : 1) les travaux sur la prévention durable des TMS, 2) les travaux sur les notions de travail durable, travail soutenable et travail décent, et 3) les travaux sur le concept de développement durable.
- 2 Cf. Rapport annuel IGAS 2003 : « Santé, pour une politique de prévention durable » : https://www.vi (...)
12Une partie de la littérature en ergonomie souligne que la prévention peut devenir durable en s’inscrivant de manière pérenne dans la dynamique d’évolution des systèmes de travail. Cela pourrait inviter d’une part à repenser l’articulation, les complémentarités et les équilibres entre les trois niveaux de prévention (primaire, secondaire et tertiaire) et, d’autre part, à favoriser l’intégration et la coordination d’approches par le risque et d’approches par le travail (Roquelaure, 2016). Ici, la notion de prévention durable se raccroche plus largement au souhait des politiques publiques d’une prévention durable dans le champ de la santé publique. Ceci repose sur des modes d’intervention qui se développent en multidisciplinarité et au plus proche du terrain2. Dans le champ professionnel, cela revient à articuler : 1) une approche globale du problème ; 2) des combinaisons de champs d’analyse et d’actions à court, moyen et long terme ; 3) et l’intégration des problématiques sociales et économiques (Douillet & Schweitzer, 2004).
13Pour illustrer cette approche, nous pouvons prendre l’exemple de la prévention durable des TMS promue depuis une vingtaine d’années par de nombreux auteurs en ergonomie. Selon Aptel et Hubault (2004) la prévention durable implique à la fois une compréhension durable et une évaluation durable du risque. Le premier point rend compte des connaissances scientifiques disponibles sur le risque et qui sont susceptibles de faire avancer la maîtrise de ce risque. Le deuxième point concerne l’évaluation des actions de santé au travail qui repose sur des indicateurs de santé et des retours d’expérience sur l’implémentation de solutions ; cette évaluation est difficile à faire, car les éléments en jeu sont complexes et multifactoriels (efficacité du dispositif d’intervention, écart entre le dispositif prescrit et sa mise en œuvre par les acteurs qui interviennent, limites méthodologiques de l’évaluation, etc.). Selon Hubault (2004), la prévention durable est celle qui s’inscrit dans le « quotidien » de l’organisation et qui veille à la cohérence entre les moyens et les fins. Il s’agit d’une action continue « à état final non connu d’avance, dans un réel dont l’actuel n’épuise pas toutes les formes possibles, et requérant donc une intelligence attentive aux émergences et aux potentialités » (p. 26) que des compétences se développent ou que des débordements surgissent. Pour Simonet, Caroly et Clot (2011), cette approche défend une conception de l’intervention en milieu de travail « construite, dans l’action, avec les professionnels, opérateurs et concepteurs de l’organisation du travail » (p. 104). Il s’agit de créer les conditions d’une appropriation et d’une pérennisation de la prévention.
14Selon Roquelaure (2016), la prévention durable nécessite une approche intégrée de la prévention. Cette dernière articule trois leviers complémentaires : 1) la prévention primaire qui comprend des mesures sur la conception des situations, équipements et outils de travail et sur l’organisation du travail ; 2) le maintien ou le développement de collectifs de travail pour favoriser les régulations individuelles et collectives favorables à la préservation de la santé ; et 3) la formation professionnelle et plus largement la réflexion sur les parcours professionnels. Elle implique la mobilisation et la coordination des entreprises et des acteurs de la prévention, ainsi qu’une politique structurée et coordonnée de prévention des risques professionnels au sein des entreprises et des territoires.
- 3 Dans leur étude, Caroly et al. (2008) évoquent les techniciens-conseils de la CRAM (Caisse Régional (...)
15Enfin, Hubault (2004) ou encore Caroly et al. (2008) soulignent l’importance de la gouvernance, c’est-à-dire la prise en charge de la prévention dans les différents lieux où sont prises des décisions sur le travail. Au sein de l’entreprise, cela concerne : la prise en compte de la prévention dans les projets de conception, la construction d’un référentiel partagé de connaissances sur les TMS, et l’intégration des enjeux de prévention dans les mutations et transformations organisationnelles. Au niveau de la puissance publique et des institutions, cela concerne : un soutien aux entreprises pour qu’elles évoluent vers des modes de gouvernance qui prennent mieux en compte le travail réel et les facteurs humains, une meilleure convergence et cohérence des diverses politiques publiques, et une formation adaptée des encadrants internes et des intervenants externes. Sur ce dernier point, l’étude de Caroly et al. (2008) montre que l’intervention des acteurs de la prévention3 peut poursuivre différents objectifs et avoir lieu à différents moments : assurer (par ex., à l’occasion d’une maladie professionnelle), inciter (par ex., pour la mise en œuvre d’un plan de prévention), conseiller et faire relais (par ex., orienter l’entreprise vers des ressources locales disponibles), et contrôler (notamment, rappeler les obligations légales). Plus spécifiquement, Hale (1995) définit trois rôles aux préventeurs. Le rôle d’expert est adopté lorsque le préventeur exerce des tâches pour lesquelles des connaissances et compétences spécifiques sont attendues, le management ne disposant pas de ces connaissances et compétences. Le rôle de coordinateur est adopté lorsque le préventeur exerce des tâches de recueil d’information et d’articulation de différentes expertises pour traiter des questions de santé et sécurité au travail. Le rôle de contrôleur est adopté lorsque la direction ou l’encadrement n’assure pas efficacement les tâches relatives à la santé et sécurité au travail. Toutefois, l’étude de Caroly et al. (2008) révèle des démarches de prévention qui se traduisent par une succession d’actions au fil de l’eau, où les entreprises semblent faire appel à plusieurs acteurs externes, de manière séquentielle, sans penser de manière globale aux liens entre les actions. Le déficit de coordination entre les acteurs externes en dehors de l’entreprise fragilise le projet de prévention des TMS à l’intérieur de l’entreprise. Autrement dit, la coordination des actions ainsi que des acteurs internes et externes serait alors un élément stratégique d’une prévention durable en entreprise.
16D’autres travaux en ergonomie permettent d’envisager la prévention durable comme une prévention qui contribue à construire les conditions d’un travail durable (Boudra, 2016 ; Volkoff & Gaudart, 2015). Un travail durable peut s’entendre comme un travail qui n’expose pas les personnes à des contraintes ou des nuisances susceptibles d’altérer, à terme, leur santé ; ou encore un travail favorable au développement de capacités d’action pour préserver et même construire sa santé au fil du parcours professionnel (GIS-CREAPT, 2019). La durabilité est sous-tendue ici par un environnement dans lequel les individus peuvent se développer et demeurer en bonne santé tout au long de leur carrière professionnelle. Elle questionne les possibilités que les propriétés de l’environnement ouvrent aux acteurs pour : 1) « durer dans le temps » dans des contextes changeants soumis aux aléas, 2) dégager des marges d’action dans leur activité et, plus largement, 3) se projeter dans l’avenir et envisager des perspectives professionnelles. Dans une perspective quelque peu similaire, Falzon (2005, 2006) avait précédemment proposé la notion d’environnement capacitant comme horizon de l’intervention des ergonomes pour la conception des environnements de travail et de vie. Un environnement capacitant comprendrait trois caractéristiques : 1) être préventif (c’est-à-dire, permettant de préserver les capacités futures d’action), 2) être universel (c’est-à-dire, prenant en compte les différences interindividuelles et compensant les déficiences individuelles) et, 3) être développemental (c’est-à-dire, permettant le développement de nouvelles compétences, de nouveaux savoirs, l’élargissement des possibilités d’action, etc.).
17Le GIS-CREAPT (2019) retient la notion de « travail soutenable » pour englober celle de durabilité et proposer une approche diachronique et évolutive des relations entre le travail, la santé et l’expérience. Ainsi, la « soutenabilité du travail » combine trois points de vue : 1) un travail soutenable est dépourvu de contraintes ou nuisances susceptibles de provoquer des pathologies durables, voire irréversibles ; 2) un travail n’est soutenable que s’il permet une large diversité entre les individus et donc s’il n’exclut pas certaines populations de travailleurs (par ex., les travailleurs novices et les travailleurs vieillissants) ; et 3) un travail soutenable doit pouvoir être soutenu par la singularité de l’activité humaine. Ce dernier point souligne l’importante de l’organisation du travail qui offre plus ou moins fortement la possibilité de construire et faire circuler des compétences.
18Enfin, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) souligne l’importance que les sociétés et les organisations permettent un travail décent, envisagé comme l’accès à : 1) un travail productif et correctement rémunéré, 2) la sécurité au travail et la protection sociale, 3) des perspectives de développement individuel, 4) la liberté d’exprimer ses revendications, et 5) l’égalité des chances et de traitement pour tous, et l’égalité entre les femmes et les hommes (Ghai, 2003). Pour l’OIT, le travail décent implique des politiques macroéconomiques qui garantissent les droits au travail et le dialogue social. En outre, le travail décent implique aussi des activités de travail « qui ont du sens » – et donc de la valeur – pour celles et ceux qui les réalisent et pour celles et ceux qui en sont les destinataires (Deranty & Mac Millan, 2013). Cette valeur – ou plutôt le système de valeurs sous-jacent à la notion de travail décent – entre en concurrence avec les autres valeurs portées par l’entreprise, elles-mêmes challengées par le développement durable qui intrinsèquement implique des points de vue contradictoires quant à ce qui est souhaitable et faisable pour améliorer ou ne pas empirer les conditions de vie sur Terre (Loeber, Van Mierlo, Grin & Leeuwis, 2007).
19Nous proposons que la prévention durable puisse aussi s’envisager comme l’inscription de la prévention dans les trois objectifs du développement durable : économique, social et environnemental. Ici la notion de durabilité repose sur les caractéristiques communément identifiées à partir des définitions et interprétations du développement durable (Martens, 2006) : 1) l’intergénérationnel, c’est-à-dire que les actions de la génération actuelle dessinent ou délimitent pour partie les opportunités des générations futures ; 2) le multi-échelle, c’est-à-dire que les actions locales ont des effets à des niveaux plus globaux, et inversement ; 3) la pluridisciplinarité, puisque par essence le développement durable implique des connaissances d’ordre écologique, social et économique. À partir de ces caractéristiques, Docherty, Forslin et Shani (2002) définissent les caractéristiques d’un travail durable en parlant plutôt de « système de travail » entendu comme toute organisation (privée, publique, à but lucratif ou non) formée dans le but de travailler, c’est-à-dire de « créer de la valeur ». Ainsi, selon eux, les caractéristiques d’un système de travail durable sont les suivantes. Premièrement, il implique le développement simultané des ressources économiques, écologiques, humaines et sociales engagées dans les processus de travail. La croissance des ressources humaines et sociales repose sur la collaboration entre les parties prenantes du système de travail. Le fonctionnement d’un système de travail durable vise la régénération des ressources qu’il utilise et repose sur l’idée que le développement d’un type de ressource n’exploite pas les autres types de ressources (par ex., l’obtention de gains matériels au détriment de ressources humaines ou naturelles). Deuxièmement, il offre aux employés la possibilité de se développer en tant que personne, professionnel et membre d’une société grâce à des expériences de travail. Il permet de développer les capacités pour faire face aux transformations sociétales, grâce à l’apprentissage et au bien-être au travail. De plus, il vise à contribuer à la société plutôt que de simplement exploiter les ressources mises à sa disposition par son environnement social et naturel. Troisièmement, il ne se focalise pas uniquement sur la productivité et le profit à court terme, il tient compte aussi de dynamiques plus longues qui nécessitent le développement de connaissances et l’innovation ; pour cela, il articule de manière équilibrée le temps court et le temps long, ainsi que les points de vue des parties prenantes. Il tient compte de la durabilité des ressources humaines et sociales comme l’un des fondements de la durabilité économique en mettant l’accent sur l’égalité et la dignité humaine.
20Dans une perspective complémentaire, plusieurs auteurs en ergonomie pointent l’importance de la dimension territoriale pour articuler la prévention des risques professionnels et le développement durable en liant le global et le local, et en y intégrant un caractère multi-acteurs (Boudra, 2016 ; Boudra, Béguin, Delecroix & Pueyo, 2019). Le territoire est l’échelle de mise en œuvre des politiques environnementales (Lascoumes, 2012) qui peuvent éventuellement impacter la réalisation du travail au sein des organisations (Boudra et al., 2019) voire même reconfigurer le travail. Ainsi, les politiques publiques qui sont définies à des échelles nationales ou supra-nationales, sont ensuite saisies par des acteurs situés à l’échelle du territoire, puis saisies par des acteurs situés à l’échelle intra-organisationnelle. Il y a donc un enjeu à ce que ces politiques publiques nationales et supra-nationales prennent en compte, à leurs niveaux respectifs, les effets sur le travail qu’elles engendrent, directement ou indirectement, à l’échelle intra-organisationnelle (Boudra, 2016).
21Au-delà des politiques publiques, dans le domaine de la prévention des risques professionnels, des formes d’action collective se construisent au niveau territorial visant la création de dispositifs adaptés aux problèmes rencontrés à cette échelle. Par exemple, Verdier, Kornig, Mossé et Setbon (2008) ou encore Verdier (2010) soulignent l’existence d’acteurs locaux et/ou sectoriels qui essayent de construire de nouvelles formes de prévention collective des risques au travail à des échelles locales. Pour Verdier (2010), ces dispositifs d’action collective peuvent viser plusieurs objectifs : la sécurité et l’intégrité des personnes dans des cas spécifiques pour lesquels la réglementation n’est pas suffisamment adaptée à la particularité des risques professionnels dans le secteur (par ex., le travail saisonnier et le travail dissimulé dans les très grandes stations balnéaires), la réduction des asymétries sur le marché du travail (par ex., la régulation entre offre et demande), le soutien au développement d’une activité économique dans un espace circonscrit (par ex., anticiper le vieillissement de la population et la perte de l’expertise, rendre plus compétitif un secteur, soutenir l’entrepreneuriat) et articuler les intérêts individuels pour développer des intérêts collectifs sur le territoire. On assiste ainsi localement à des configurations d’acteurs plus ou moins innovantes dans la mesure où elles peuvent chercher à surmonter les limites des dispositifs publics ou privés existants en matière de prévention des risques professionnels.
22À partir de notre analyse de la littérature, nous proposons que la construction d’une prévention durable en entreprise peut être orientée par douze caractéristiques (Tableau 1). Notre question de recherche est alors de savoir dans quelle mesure les actions des préventeurs leur permettent de contribuer à une prévention durable des risques professionnels ? Cette orientation présente de notre point de vue une forme d’originalité pour appréhender le travail des préventeurs et les actions qu’ils mènent en entreprise au regard de la littérature sur le travail des préventeurs. Cette dernière est constituée principalement de travaux qui présentent une activité refroidie des préventeurs ou une prescription de ce qu’elle devrait être, restant en lisière de l’activité des préventeurs. Dans notre cas, nous tentons de saisir un peu plus comment des préventeurs s’y prennent pour réaliser une prévention des risques professionnels en entreprise en prenant pour analyse des conseillers en prévention (CP) du réseau de la Mutualité Sociale Agricole (MSA). Autrement dit, des préventeurs qui ne sont pas salariés des entreprises dans lesquelles ils interviennent, mais qui appartiennent au régime social auquel les entreprises sont affiliées. Ces entreprises peuvent donc bénéficier des services proposés les préventeurs.
Tableau 1 : Éléments de caractérisation d’une prévention durable.
Table 1. Elements of characterization of sustainable prevention
23Pour mieux cerner le travail des conseillers en prévention (CP), nous nous sommes appuyés sur des histoires réelles de relations de service. Ces éléments ont été essentiels pour expliciter les objectifs des actions menées par les CP participants, ainsi que pour les repositionner dans une histoire plus large, ce qui a permis de mieux comprendre la façon dont les CP construisaient et menaient les actions de prévention auprès des affiliés. Cette méthode a été privilégiée en complément d’entretiens semi-directifs qui avaient été réalisés dans une phase précédente de la recherche et en l’absence de possibilité d’observation in situ du travail des CP.
24Les CP font partie des services « Santé, Sécurité au Travail » (SST) des caisses MSA. Piloté par un médecin du travail-chef, chaque service SST se divise en deux équipes : 1) l’équipe Santé au Travail, pilotée par le médecin du travail-chef et composée des médecins du travail et des infirmiers de santé au travail, et 2) l’équipe Prévention des Risques Professionnels (PRP), pilotée par un responsable PRP et composée des CP.
- 4 Extrait du site internet ssa.msa.fr, consulté le 5 février 2022.
- 5 Le site ssa.msa.fr recense huit filières : bois, coopérative, culture, élevage, espaces verts, hipp (...)
25Les CP « mettent en œuvre les actions individuelles et collectives de prévention des risques professionnels »4 auprès des affiliés de leur secteur, qui peut être structuré, en fonction des caisses MSA, sur des critères géographiques et/ou par filière5. Il a été difficile de cerner la part prescrite du travail des CP et aucune fiche de poste ne permet d’en repérer les fonctions et missions attendues. Un support de présentation interne à la Caisse Centrale de la MSA (CC MSA), intitulé « Missions des membres du service SST », donne toutefois quelques indications et indique que les CP ont deux grandes catégories de missions : 1) contribuer à l’amélioration des conditions de travail, et 2) participer aux enquêtes relatives aux accidents du travail et maladies professionnelles. Plus largement, la fonction principale des CP est d’accompagner et de conseiller les affiliés dans la mise en place et la conduite de démarches de prévention. Ces démarches peuvent concerner :
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la réglementation : mise à jour du Document Unique d’Évaluation des Risques (DUERP), visites médicales, suivi de la fiche entreprise, etc. ;
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des projets d’investissement : aides financières pour du matériel, conseils pour l’aménagement de bâtiments ou à un « nouvel installé », etc. ;
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des problématiques de santé : aménagement de poste de travail, formation ou information sur différentes thématiques comme les TMS, les RPS, etc.
26Ce travail de prévention s’intègre également dans un système plus large où participe une pluralité d’acteurs. Nous pouvons distinguer le niveau national (les ministères de l’Agriculture et des Affaires sociales, la CC MSA et certains acteurs institutionnels telles les filières agricoles, les organisations syndicales, etc.) et le niveau local (la caisse MSA, dont le Conseil d’Administration et le service SST, certains acteurs institutionnels tels que la chambre d’agriculture, et les affiliés). La figure 1, centrée sur les CP, représente ces différents acteurs et les liens entre eux. Ces liens, symbolisés par les flèches dans la figure 1, sont de nature très hétérogène : des sollicitations (par ex., par un affilié pour un accompagnement), des aides (par ex., par un intervenant extérieur), des consultations (par ex., par la CC MSA pour connaitre les thématiques travaillées localement par les équipes SST), des prescriptions (par ex., par les filières agricoles qui définissent des sujets de prévention à mettre en place localement) ou des validations (par ex., du CA de la caisse MSA pour la mise en place d’un plan de prévention).
Figure 1 : Le réseau d’acteurs qui contribuent au travail des conseillers en prévention.
Figure 1. The network of actors who contribute to the work of prevention advisors
27Nous nous sommes intéressés à une part seulement du travail des CP, celle qui vise à contribuer à la mise en place et la conduite des démarches de prévention auprès des affiliés, dans le cadre d’une relation de service.
28La CC MSA a sollicité les caisses MSA de son réseau pour participer à la recherche-intervention. Quatre caisses MSA, parmi les 35 du réseau, ont répondu et accepté de participer. Un ensemble de données descriptives sont présentées dans le Tableau 2 qui donne à voir la diversité qui est représentée par les quatre caisses. Ces caisses ne présentent pas de particularités au regard des caractéristiques du réseau des caisses MSA. Globalement, ce sont des caisses de taille moyenne couvrant de deux à quatre départements. On peut noter un rapport du simple au double en termes de nombre d’adhérents entre les deux caisses les plus petites (MSA‑2 et MSA‑3) et la caisse la plus grande (MSA-4). Pour autant, le nombre de CP et d’assistants de prévention n’est pas strictement lié à la taille de la caisse. Ainsi c’est une des caisses les plus petites (MSA‑2) de notre échantillon qui a l’équipe Prévention des Risques Professionnels (PRP) la plus importante en nombre (17 personnes). De même, la MSA‑2 et MSA‑3 ont un nombre identique d’adhérents, mais deux fois plus de CP. La répartition des secteurs d’intervention de l’équipe PRP se fait selon des critères par filières (MSA‑1) ou géographiquement (MSA‑2, MSA‑3 et MSA‑4).
Tableau 2 : Les quatre caisses MSA participantes.
Table 2. The four participating MSA
29Parmi ces quatre caisses MSA, sept CP ont participé à la recherche-intervention (Tableau 3) : deux CP, dont le responsable PRP, pour la MSA‑1 ; une CP pour la MSA‑2 ; deux CP, dont le responsable PRP, pour la MSA‑3 ; deux CP pour la MSA‑4. Ces CP témoignent de formations initiales et de niveaux de diplôme hétérogènes, allant du BEP au Master en passant par les niveaux de diplôme intermédiaires (Bac, DUT, etc.). Certains sont depuis de longues années dans la caisse MSA et sont devenus CP au fil de leur parcours professionnel. D’autres sont entrés directement sur un poste de CP. En tant que CP, les expériences professionnelles varient allant d’une CP toujours en cours de formation à un CP depuis 21 années en poste.
Tableau 3 : principales caractéristiques professionnelles des sept participants.
Table 3. Main professional characteristics of the seven participants
30Dans cet article, nous centrons notre propos sur six histoires de relation de service de prévention (RS dans ce texte), recueillies au moyen d’ateliers rétrospectifs.
31Un atelier rétrospectif de trois heures a été mis en place avec les participants de chaque caisse MSA. Ces quatre ateliers visaient à construire avec les CP participants une histoire de relation de service avec un affilié sous la forme d’une frise chronologique. Nous entendons par histoire de relation de service de prévention, l’ensemble des actions de prévention racontées par les participants, pour une relation unique et singulière avec un affilié.
32Pour ce faire, les ateliers ont été animés par trois chercheurs dont les rôles étaient les suivants : l’un questionnait les participants et les accompagnait dans leurs réflexions, l’un complétait la frise chronologique, et enfin l’un prenait des notes sur un carnet. Notre animation était proche d’un entretien semi-directif, avec des relances notamment inspirées de la technique du pourquoi/comment (Bisseret, Sébillote & Falzon, 1999). Il s’agissait principalement d’expliciter les liens que faisaient les participants entre leurs objectifs et les actions mises en place, et non de préciser dans le détail la façon de mener ces actions.
33L’histoire de la relation a été découpée selon trois temporalités : passé, présent et futur (Figure 2, axe horizontal). La relation entre la MSA et l’affilié a été décrite en créant deux espaces sur la frise chronologique : la partie supérieure est dédiée à ce qui se passe au niveau de la MSA (que ce soit au niveau du service SST, des autres services ou encore de la CC MSA) ; la partie inférieure à ce qui se passe au niveau de l’affilié (du point de vue des participants à l’atelier).
Figure 2 : Éléments initiaux permettant de reconstruire les RS avec les participants des caisses MSA.
Figure 2. Initial elements for reconstructing SR with MSA fund participants
34Chaque RS a été décrite par cinq dimensions matérialisées d’un post-it de couleur (Figure 2) :
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les acteurs externes mobilisés lors d’une action. La notion d’externe renvoie ici à tout acteur qui ne fait pas partie de la MSA ou de la structure affiliée ;
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les acteurs internes à la MSA ou la structure affiliée mobilisés dans le cadre de la réalisation d’une action ;
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les actions mises en œuvre et les objectifs de ces actions, du point de vue des participants. Ici, les actions ne se limitent pas aux dispositifs de prévention, mais se réfèrent plutôt à « ce qui a été fait » et « pourquoi cela était fait » ;
-
les informations de contexte qui jouent un rôle dans la manière dont l’action va se déployer et/ou dans la manière dont la relation va se construire avec l’affilié ;
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les outils à disposition ou à construire pour déployer l’action et/ou favoriser la co-construction de la relation de service SST. Il s’agit d’outils matériels (fiche entreprise, prospectus, etc.) ou immatériels (formation pour acquérir des connaissances).
35En complément, des notes manuscrites étaient ajoutées pour rendre visibles les liens et les relations que les participants évoquaient. Ces prises de notes visaient à formaliser des dynamiques relatives à la relation de service. À titre d’illustration, la Figure 3 présente une chronologie obtenue suite à un des ateliers menés.
Figure 3 : Photo de la RS-2, de la MSA-2 reconstruite lors de l’atelier d’octobre 2021.
Figure 3. Photo of SR-2 of the MSA-2, reconstructed during the October 2021 workshop
36Au total, les ateliers rétrospectifs nous ont permis de reconstruire six relations de service (RS) : une pour la MSA‑1 (RS‑1) et pour la MSA‑2 (RS‑2), deux pour la MSA‑3 (RS‑3 et RS‑4) et pour la MSA‑4 (RS‑5 et RS‑6). Suite aux ateliers, les histoires obtenues ont d’abord été formalisées sous forme de récits synthétiques de deux à quatre pages, qui ont fait l’objet d’une validation par les participants (Annexe 1). Ces récits ont ensuite été formalisés par les chercheurs uniquement sous forme d’une chronique numérique qui reprend chaque action menée par le ou la CP. Pour construire ces chroniques numériques, nous avons caractérisé les actions menées à l’aide de sept indicateurs (Figure 4) :
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L’origine des actions – Permet de repérer si une action provient d’une demande de l’affilié ou d’une proposition du CP.
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Le type d’action mis en place – Nous pouvons distinguer les actions en fonction des objectifs principaux visés. Les actions de prévention visent explicitement à améliorer les conditions de travail et la prévention. Les actions de gestion de la relation visent à définir la façon de travailler ensemble : les sujets traités ou à traiter, le rôle de chacun, etc.
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Le type de prévention mis en place – Chaque action a été codée pour caractériser le type de prévention déployé, selon deux dimensions : 1) le niveau de prévention, soit primaire, secondaire ou tertiaire, et 2) la cible de la prévention, soit individuelle ou collective.
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Les acteurs mobilisés – Il s’agissait de repérer les personnes prenant part aux actions. Pour les acteurs, nous avons distingué : 1) ceux internes à l’entreprise, 2) ceux internes à la caisse locale de la MSA et 3) ceux externes à l’entreprise et à la MSA en indiquant systématiquement le métier correspondant (par ex., ergonome, kiné).
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Les dimensions du développement durable présentes – Il s’agissait également de rendre compte de la présence des dimensions liées au développement durable – sociale, économique et environnementale – dans les actions de prévention menées.
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L’investissement financier dans les actions – Nous avons distingué trois types : 1) « € » pour les actions ne demandant pas de participation financière, 2) « € » lors d’une prise en charge financière minoritaire de l’action (moins de la moitié des coûts directs), et 3) « €€€ » lors d’une prise en charge financière majoritaire (moins de la moitié des coûts directs).
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L’investissement temporel dans les actions – À partir des échanges avec les CP, nous avons distingué trois niveaux : 1) « Faible » (1UT) : une journée maximum, en une ou deux sessions réparties dans le temps, 2) « Modéré » (2UT) : cinq jours au maximum, en plusieurs sessions réparties dans le temps, et 3) « Important » (3UT) : au-delà de cinq jours, en plusieurs sessions réparties dans le temps.
37Les deux dernières catégories en lien avec les notions d’investissement (catégories 6 et 7) ont été codées du point de vue de l’entreprise et de la MSA.
Figure 4 : Légende de la codification des RS travaillées avec les participants en octobre 2021.
Figure 4. Legend for coding the SE reconstructed with participants in October 2021
38La Figure 5 illustre la façon dont ont été codées les actions, en prenant pour exemple l’action « Réussir son projet d’investissement », une action présentée par les participants de la MSA‑1 lors de l’atelier.
Figure 5 : Exemple de codification d’une action : « réussir son projet d’investissement ».
Figure 5. Example of action coding: « réussir son projet d’investissement »
39Dans une première partie, nous présentons une RS de manière détaillée. Puis, dans une deuxième partie, nous présentons les résultats obtenus sur l’ensemble des six RS analysées. Enfin, dans une troisième partie, nous proposons une grille de lecture pour rendre compte de ce qui caractérise de notre point de vue une prévention durable réalisée par les CP.
40Nous présentons une relation de service de prévention qui couvre une période allant de 2016 à 2022 (Figure 6). Elle concerne une entreprise d’entretien des Jardins et Espaces Verts qui est suivie par une CP depuis son embauche à la caisse MSA-1 en 2016. Nous avons fait le choix de présenter cette RS pour plusieurs raisons. D’abord, c’est la seule parmi les six RS analysées qui s’inscrit dans un temps long (sept ans) et sans interruption entre la MSA et l’entreprise. Ensuite, cette RS était encore en cours lors de notre recherche-intervention, ce qui la rendait facilement accessible en termes d’enjeux travaillés par la CP. Enfin, les actions qui constituent cette RS sont importantes en nombre (25 actions repérées) et hétérogènes de par leurs caractéristiques (voir section 4.4 pour une description des caractéristiques retenues), ce qui permet à cette RS d’être un « repère » pour positionner les autres RS relativement à celle-ci. Par ailleurs, du point de vue des CP, elle est représentative d’un idéal qu’ils souhaiteraient atteindre, notamment en termes d’engagement de l’affilié dans la relation et dans la prévention.
41Au cours de l’atelier rétrospectif, 25 actions ont été repérées, dont quinze actions de prévention et dix actions liées à la gestion de la relation. Nous pouvons distinguer trois périodes : 1) la découverte de la structure entre 2016 et 2017, 2) la structuration de la relation entre 2018 et 2019, et 3) la mise en place de multiples actions de prévention dans le cadre d’un contrat de prévention entre 2020 et 2022.
Figure 6 : Formalisation de la RS‑1 de la MSA‑1, élaborée lors de l’atelier d’octobre 2021.
Figure 6. SR‑1 from MSA‑1 formalization, reconstructed during the October 2021 workshop
42L’origine des actions – En dehors des Réunions CHSCT / CSE, où les obligations légales définissent la participation de la CP, les actions menées au sein de l’entreprise sont majoritairement des propositions de la part de la CP (18 des 25 actions). Ainsi, c’est principalement la CP qui mène la relation et qui propose le sujet et/ou la forme des actions.
43Le type d’actions menées – La première et la seconde période comportent toutes les deux une action de prévention et trois actions de gestion de la relation, tandis que la troisième période comporte treize actions de prévention et quatre actions de gestion de la relation. On peut constater ainsi une montée en puissance au cours des années du nombre d’actions réalisées d’une part, mais aussi du type d’action d’autre part. La troisième période intègre ainsi plus d’actions de prévention que d’actions de gestion de la relation.
44Le type de prévention – Celle-ci est secondaire et collective lors de la première période (une action), primaire et collective pour la secondaire période (une action), et principalement primaire (huit actions sur treize) et collective (douze actions sur treize) pour la troisième période. Le faible nombre d’actions de prévention durant les deux premières périodes ne permet pas de mettre en avant une évolution dans le temps du type de prévention mis en place. Il est toutefois possible de repérer que la troisième période permet à la CP de mener de multiples actions relevant à la fois d’une prévention primaire et secondaire, et principalement à un niveau collectif.
45Les investissements temporels et financiers – La première période comporte quatre actions, toutes de courtes durées et gratuites pour l’affilié. La seconde période comporte quatre actions : deux actions courtes et gratuites pour l’affilié, une action modérée et gratuite pour l’affilié et une action modérée avec une participation financière de l’affilié, la majeure partie étant prise en charge par la MSA. La troisième période se caractérise par 17 actions, toutes étant de courtes durées, dont cinq gratuites pour l’affilié et douze étant principalement prise en charge par lui. On constate ici une évolution au cours du temps qui tend vers une diminution des investissements du côté de la MSA-1 en même temps qu’une augmentation des investissements du côté de l’entreprise affiliée.
46Les dimensions du développement durable présentes – Les actions de la première période comportent deux dimensions : quatre actions avec la dimension sociale, visant à garantir de bonnes conditions de travail, et deux actions avec la dimension environnementale, visant à éviter la dégradation de l’environnement et son intégration à la politique d’achat des produits. Les quatre actions de la seconde période comportent uniquement la dimension sociale, visant à garantir de bonnes conditions de travail et à développer le dialogue social. Les 17 actions de la troisième période se caractérisent également par la présence unique de la dimension sociale, visant à garantir de bonnes conditions de travail. Ainsi, nous constatons une forte prédominance de la dimension sociale du développement durable au déficit des deux autres dimensions (environnementale et économique). De plus cette dimension est principalement orientée vers l’amélioration des conditions de travail au niveau des postes de travail plutôt qu’au niveau de facteurs organisationnels.
47Les acteurs sollicités – Seule la seconde période comporte des actions intégrant d’autres acteurs, avec deux acteurs internes à la MSA et/ou l’entreprise affiliée, deux acteurs institutionnels de la MSA et/ou de la structure affiliée, et un acteur externe. Cette action constitue pour autant un point de pivot dans la mesure où elle prépare toutes les actions de la troisième période, de sorte que la mobilisation de ces différents acteurs semble stratégique.
- 6 L’offre consiste ainsi à accompagner une entreprise sur l’un de ses projets d’investissement. Pour (...)
48Ainsi, nous pouvons voir que la première phase, de 2016 à 2017, consistait à accompagner l’affilié sur des sujets demandant peu d’investissements temporels ou financiers. Elle permet également à la CP de repérer les sujets qui seront traités par la suite. La seconde période, de 2018 à 2019, correspondait principalement à une phase de structuration de la relation. La « Construction du contrat de prévention » et l’action de prévention « Réussir son Projet d’Investissement » (RSP6) sollicitaient plus d’investissement temporel et financier de la part de la MSA et de l’entreprise, et mobilisaient de nouveaux acteurs (directeur, CSE, responsable PRP, élus du CA de la caisse MSA, ergonome). Ces deux actions se combinaient et les résultats de l’action RSPI contribuaient à définir les éléments présents dans le Contrat de prévention à venir. La troisième période, de 2020 à 2021, comportait des actions courtes qui s’intégraient dans un même cadre, celui du contrat de prévention. La part financière de ces actions était alors principalement prise en charge par l’entreprise affiliée.
49D’un point de vue chronologique, les actions se structurent en trois étapes : 1) la réception ou la proposition d’une action, 2) la co-définition de l’action, et 3) la conduite de l’action. Toutes les actions partent d’une demande de l’affilié ou d’une proposition par la CP. Ces actions font l’objet d’une co-définition permettant d’en définir les objectifs, la temporalité, les participants, etc. Cette deuxième étape peut s’étaler sur plusieurs rencontres et mobiliser d’autres personnes de l’entreprise, du service SST de la MSA ou extérieures. L’action « Construction du contrat de prévention » correspond à cela et a été un préalable à l’étape de conduite de l’action selon les modalités définies.
50Chaque action nécessite ainsi une pluralité d’échanges et de rencontres qui sont des occasions de repérer des sujets complémentaires qui permettent de construire, d’entretenir, voire de développer la relation de service de prévention. Le couplage des actions « Construction du contrat de prévention » et « Réussir son Projet d’Investissement » (RSPI) constitue en cela un moment particulier où plusieurs groupes d’acteurs participent à la définition des sujets, en valident le contenu et/ou mènent certaines étapes. C’est un moment qui vient structurer la relation entre plusieurs acteurs autour des questions de prévention. Ici, la CP a bien un rôle de coordinatrice des acteurs internes et externes, ce qui favorise l’intégration des questions de prévention dans les systèmes de gouvernance de l’entreprise, condition d’une appropriation et d’une pérennisation de la prévention. De même, la construction du plan d’action donne notamment une place aux salariés et à leurs représentants, ce qui contribue à « mettre l’entreprise en mouvement ». La CP structure la relation de service pour cadrer les actions qu’elle mènera auprès de l’entreprise. Ce cadrage semble favoriser un investissement temporel et financier de la part de l’entreprise dans les actions de prévention qui, progressivement, augmentent pendant que dans le même temps l’investissement de la MSA-1 diminue, après être monté en charge. Ainsi, le travail de prévention de la CP doit être analysé non pas uniquement à l’échelle des actions mises en place, mais également à l’échelle de la dynamique globale de la relation de service de prévention ; autrement dit, à l’échelle de la relation dans la durée.
51Un double niveau d’analyse a été réalisé pour les six relations de service de prévention obtenues grâce aux ateliers : 1) les actions prises individuellement (Tableau 4, section 6.2.1), et 2) la dynamique globale de la relation (Tableau 5, section 6.2.2).
52Ces RS se caractérisent par une hétérogénéité des actions, que cela soit en termes d’objectifs, de prévention, de durée, d’investissements humains et financiers notamment. Il semble ainsi y avoir une forte contingence des possibilités d’action des CP. Toutefois, ces RS s’inscrivent dans la durée, parfois plusieurs années, et témoignent d’une même dynamique globale, avec la nécessité de mener des actions spécifiques liées à la gestion de la relation sur le long terme. Il y a ainsi une même approche, chez les CP, visant à tenir conjointement la construction d’actions de prévention et la structuration de la relation avec les affiliés.
53Le Tableau 4 présente pour chaque RS, le nombre de périodes qui a été distingué (entre une période pour la RS‑4 à quatre périodes pour la RS‑6). Pour chaque période, le Tableau 4 comptabilise le nombre d’actions concernées par les sept indicateurs (codes) détaillés dans la section 5.4 et la Figure 4.
54Par exemple, 25 actions ont été menées pour la RS‑1 (Tableau 4, origine de l’action) : 18 actions sont des propositions de la CP (deux en période 1, deux en période 2 et quatorze en période 3) et sept actions sont des demandes de l’affilié (deux en période 1, deux en période 2 et trois en période 3). Sur ces 25 actions, quinze sont des actions de prévention et dix sont liées à la gestion de la relation (Tableau 4, objet de l’action). Ensuite, neuf actions relèvent d’une prévention primaire et collective, une action relève d’une prévention secondaire et individuelle (en période 3) et cinq actions relèvent d’une prévention secondaire et collective (Tableau 4, type de prévention).
55Par ailleurs, 23 actions ont duré un jour maximum, dont onze sans participation financière de l’affilié (quatre en période 1, deux en période 2 et cinq en période 3) et douze principalement prises en charge financièrement par l’affilié ; et deux actions (en période 2) ont duré plusieurs jours (cinq jours maximum), dont une action sans aucune participation financière de l’affilié et une action principalement prise en charge financièrement par la caisse MSA (Tableau 4, investissement temporel et financier de l’action). En outre, 23 actions intègrent des dimensions du développement durable : deux actions en lien avec la dimension environnementale (en période 1), et 21 actions en lien avec la dimension sociale (Tableau 4, dimensions du développement durable). Enfin, 5 actions ont mobilisé des acteurs autres que la CP, uniquement en période 2 (Tableau 4, acteurs autres sollicités).
Tableau 4 : Nombre d’actions par période de chaque RS, en fonction de la codification retenue pour l’étude.
Table 4. Number of actions per period of each SR, according to the coding used for the study
56Le Tableau 4 montre ainsi une hétérogénéité des actions qui constituent les six RS présentées par les participants. Ceci s’explique en partie par l’hétérogénéité même des caractéristiques de ces six RS : la durée de la relation, le secteur d’activité, les situations particulières de l’affilié et du CP, par exemple. Toutefois, ces six RS témoignent toutes de la nécessité de « travailler » la relation, surtout au début de la relation de service. D’une certaine façon, c’est un préalable à la mise en place et le suivi d’une action de prévention. Il y a ainsi une dialectique entre structuration de la relation et la réalisation du service de prévention. Nous détaillons ci-après, pour chacun des sept indicateurs, ce qui ressort du Tableau 4.
57L’origine des actions – Au total, nous repérons 65 actions explicitées par les participants. Nous pouvons différentier trois dynamiques concernant l’origine des actions : 1) majoritairement ou exclusivement des propositions des CP (RS‑1, RS‑3, RS‑4 et RS‑5), 2) à parts égales entre CP et affilié (RS‑2), et 3) un nombre important de sollicitations de l’entreprise (RS-6). Nous pouvons distinguer trois cas (RS‑3, RS‑4 et RS‑5) qui sont exclusivement composés de propositions de la part des CP, de sorte que l’affilié ne semble demandeur de rien.
58Les types d’action – Sur ces 65 actions, nous pouvons distinguer 42 actions de préventions et 23 actions de gestion de la relation. À l’exception de RS-4 et RS-5, les autres RS comportent plus d’actions de gestion de la relation que d’actions de prévention. Par ailleurs, cette prédominance des actions de gestion de la relation semble être le cas surtout au début de la relation de service.
59Le type de prévention mis en place – Prises individuellement, les actions de prévention menées relèvent principalement d’une prévention secondaire (29 actions sur 42) et individuelle (23 actions sur 42). Au-delà de cette approche globale, les six relations de service étudiées semblent se différencier : RS‑1 par une prédominance du primaire et collective ; RS‑2 par du secondaire et collective ; RS‑3 et RS‑6 par du secondaire et individuelle ; RS-4 n’a comporté aucune action de prévention ; RS‑5 témoigne d’une seule action de prévention tertiaire et individuelle. Par ailleurs, à l’exception de RS‑1, les autres RS ne montrent pas d’évolution particulière dans le temps du type de prévention mis en place.
60Les investissements temporels et financiers – La plupart des actions demandent aux affiliés un investissement temporel court (55 des 64 actions) et sans investissement financier (46 des 64 actions). Le RS‑1 se démarque des cinq autres, avec un nombre d’actions demandant un investissement financier à l’affilié supérieur aux actions n’en demandant pas (13 actions sur 25). Il semble ainsi que, la plupart du temps, la dynamique de prévention repose sur des actions courtes et gratuites pour l’affilié.
61Les dimensions du développement durable présentes – Seules les dimensions sociale et environnementale ont pu être repérées. Il y a une prédominance claire de la dimension sociale. Concernant la dimension environnementale, seul RS‑1 intègre cet objectif. Il ne semble ainsi pas y avoir de prise en compte des différentes dimensions du développement durable d’une part, ou de l’articulation entre elles d’autre part.
62Les acteurs sollicités – 24 acteurs ont été mobilisés dans le cadre des 65 actions repérées. Il s’agit, le plus souvent, d’acteurs internes à la MSA et/ou la structure affiliée (14 sur 24 de ces acteurs). Pour sept de ces personnes, il s’agit de personnes extérieures à la MSA et/ou la structure affiliée. Seuls trois sont des institutionnels. Il y a ainsi une prédominance de ressources internes qui, d’une certaine façon, sont mobilisables « gratuitement » d’une part, mais qui peuvent aussi contribuer à inscrire les pratiques de prévention en interne d’autre part.
63Globalement, les six RS permettent d’identifier deux stratégies de gestion de la relation de service visant à favoriser l’engagement de l’affilié : 1) structurer la relation pour réaliser le service (RS‑1 et RS‑4), et 2) réaliser le service pour structurer la relation (RS‑2, RS‑3, RS‑5 et RS‑6). Trois situations, en termes d’engagement de l’affilié, sont repérables : 1) l’engagement qui n’a pas pu se faire (RS‑4), qui correspond à une situation où l’affilié refuse les actions de préventions proposées, 2) l’engagement en cours de construction (RS‑3 et RS‑5), qui correspondent à des situations où la relation de service débute et l’affilié accepte les actions de prévention proposées, et 3) l’engagement réussi de l’affilié (RS‑1, RS‑2 et RS‑6), qui correspondent à des situations où la relation de service s’inscrit dans le temps long et est constituée à la fois de demandes de l’affilié et de propositions du CP. Le Tableau 5 résume ces différents points.
Tableau 5 : Caractérisation des dynamiques des six RS présentées lors des ateliers avec les participants.
Table 5. Characterization of the dynamics of the six SRs presented during the workshops with the participants
64Dans la première stratégie, la structuration de la relation vise à construire un cadre propice pour la réalisation d’actions de prévention spécifiques à venir et parfois encore inconnues. Pour la RS‑1, cela est passé par la construction du Contrat de prévention, mobilisant de multiples acteurs externes, internes et institutionnels (voir période 2 de RS‑1, Tableau 4). Pour la RS‑4, l’action, bien que sans suite, visait à réunir les représentants des filières agricoles pour construire des relations de travail utiles aux démarches de prévention menées à la fois par le service SST et les filières. Il s’agissait ici aussi de cadrer dans un premier temps les relations pour faciliter la réalisation du service par la suite.
65Dans la seconde stratégie, c’est par la réalisation du service que se structure la relation. Autrement dit, les actions de prévention doivent « donner à voir », « montrer », « faire la preuve » des manières de travailler ensemble, de ce que peut être la prévention des risques professionnels et, se faisant, de permettre la structuration de la relation. Il n’y a pas, en effet, d’éléments permettant de caractériser la volonté de structurer au préalable la relation, de sorte que c’est bien la réalisation du service qui fournit l’opportunité de cadrer la relation.
66Les discours des participants mettent en avant cette nécessité de travailler à la fois la relation et le service, notamment pour favoriser un élément qu’ils jugent essentiel pour permettre la mise en place des démarches de prévention : l’engagement de l’affilié.
67Concernant les engagements « réussis », la RS-1 s’illustre par une montée progressive du nombre d’actions et des investissements financiers et temporels de l’affilié (RS‑1, Tableau 5). Pour RS‑2, la CP a rencontré plusieurs difficultés (liées à la COVID‑19 telle que l’éloignement du terrain ou l’abandon de certaines actions ; difficultés au sein de son service SST l’amenant provisoirement à prendre par intérim le poste de responsable PRP) qui l’ont amenée à hiérarchiser ses actions et notamment, pour cette RS‑2, à abandonner les actions qu’elle avait pu proposer à l’affilié (formation TMS dans ce cas). Néanmoins l’affilié continue de la solliciter (RS‑2, Tableau 5). Pour la RS‑6, l’engagement se matérialise par les nombreuses sollicitations de la part de l’affilié, notamment lors d’un accident mortel survenu dans la période 2 (RS‑6, Tableau 5).
68Concernant les deux engagements en cours de construction – RS‑3 et RS‑5 –, les conseillers en prévention sont au début de la relation (1 an d’ancienneté pour les deux). La RS‑3 s’illustre par le fait que, bien que les premières actions de prévention proposées aient été refusées par l’affilié, c’est lui qui est finalement revenu vers le CP pour accepter leur mise en place (RS-3, période 1 et 2, Tableau 5). Pour la RS‑5, cette construction de l’engagement peut se voir au fait que l’affilié, ici aussi, accepte la co-construction d’une démarche d’amélioration des conditions de travail. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une solution clef en main que propose la CP, mais bien d’un travail en commun pour construire ensemble une solution. Cette démarche, acceptée par l’affilié, témoigne de cet engagement dans la relation et dans la prévention (RS‑5, Tableau 5).
69Enfin, concernant l’engagement qui n’a pas pu se faire, la RS‑4 illustre la difficulté que peuvent parfois avoir les CP à impliquer les acteurs dans la relation et/ou l’action lorsque ceux-ci ne sont pas intéressés. L’action souhaitée par le CP auprès des représentants des filières n’a pas pu se faire, ces derniers ne répondant pas favorablement à cette sollicitation (RS‑4, Tableau 5).
70Ainsi, la capacité des CP à mettre en place des actions de prévention dépend de leur capacité à y engager les affiliés. Le niveau d’engagement semble un point essentiel qui permet de savoir comment répondre à une sollicitation d’un affilié ou, pour le dire autrement, savoir ce qu’il est possible de lui proposer comme type d’action. Mener des actions de prévention nécessite de la part des CP de « mesurer » l’engagement des affiliés dans une action et, plus largement, dans la prévention. Cela demande aussi et surtout de travailler sur cet engagement, d’amener l’affilié à s’engager dans les actions à venir. En ce sens, les actions liées au service à produire et celles liées à la relation à tenir sont dans une relation dialectique où la qualité de la prévention repose sur la qualité de la relation.
71La relation est un levier d’action pour favoriser l’engagement de l’affilié, cet engagement visant à favoriser la mise en place des actions de prévention, mais également pour développer plus globalement une autre approche de la prévention. Au regard des résultats obtenus, nous n’identifions pas de liens explicites entre le développement de l’une ou de l’autre des stratégies de gestion de la relation et l’engagement de l’affilié. Cela illustre le caractère contingent des actions et du fait que les stratégies sont mobilisées de façon différente en fonction des contextes, des moments et des enjeux des acteurs présents. Ces six histoires de relation de service montrent ainsi l’importance d’investiguer la dynamique globale de la gestion de la relation de service, en ce sens où les actions de gestion de la relation et de gestion des actions de prévention s’intègrent dans des dynamiques spécifiques à des périodes et contextes particuliers, qui évoluent dans le temps et au cours de la relation. Or, c’est justement là que peut se loger la capacité des CP à faire évoluer les pratiques des affiliés, à structurer les démarches de prévention en interne. C’est aussi ce qui peut permettre de structurer la relation MSA/affilié d’une façon qui facilite la conduite d’actions relevant toujours davantage de la prévention primaire et collective, et vers une prévention durable.
72Pour instruire la question de la prévention durable, nous prenons comme référence les 12 caractéristiques que nous avons construites à partir de trois champs de littérature en ergonomie (prévention durable des TMS ; travail durable, soutenable et décent ; développement durable) et qui se trouvent dans le Tableau 1 (voir section 3). Le Tableau 6 reprend ces 12 caractéristiques et indique, pour chaque RS, celles pour lesquelles nous trouvons des traces de façon explicite (c’est-à-dire verbalisées par les participants lors des ateliers, indiquées par « Exp. »), de façon implicite (c’est-à-dire repérées par nos analyses a posteriori des ateliers, indiquées par « Imp. »), ainsi que celle que nous n’avons pas retrouvée (indiquées « – »).
Tableau 6 : Éléments de caractérisation d’une prévention durable présents dans les six RS.
Table 6. Elements of sustainable prevention present in the six SRs
73Premièrement, trois caractéristiques sur cinq issues des travaux relatifs à la prévention durable des TMS sont présentes dans toutes les RS : 1) viser une prévention primaire et collective, 2) qui se construit dans l’action avec les opérateurs et les concepteurs, et 3) qui mobilise des spécialistes si besoin. Une autre caractéristique en lien avec la coordination d’acteurs internes ou externes est également présente dans une majorité des six RS étudiées. Ces caractéristiques, explicitées par les participants, témoignent d’une prévention construite comme une activité collective distribuée, faisant intervenir de multiples acteurs de la prévention et plusieurs échelles organisationnelles (collectifs de travail, services de la MSA, organisations externes, etc.). En revanche, l’intégration des enjeux de prévention dans les mutations organisationnelles est une caractéristique peu présente, à l’exception de RS‑1 et RS‑2, où elle est uniquement présente de façon implicite.
74Deuxièmement, aucune des relations de service de prévention étudiées ne présente de caractéristiques issues des travaux dans le champ du travail soutenable, durable et décent.
75Troisièmement, bien que nous puissions repérer les dimensions du développement durable dans la plupart des actions de prévention, les caractéristiques issues des travaux dans ce champ sont peu présentes de façon explicite. Ainsi, l’articulation des enjeux écologiques, économiques et sociaux n’est présente que dans la RS‑1, de façon implicite. De même, l’articulation du temps court et du temps long est présente dans toutes les RS, bien que cette articulation ne soit pas explicitement mise en avant par les participants. Seule l’inscription dans un territoire, dans un objectif de dialogue entre des problématiques globales et des problématiques locales, est explicitement présente dans la RS‑4 et RS‑6.
76Ainsi, la durabilité de la prévention semble se définir, du point de vue des actions des participants, avant tout par la mise en place d’une prévention primaire et collective, dans une approche participative, faisant appel si nécessaire à des acteurs internes (par ex., des salariés, des encadrants, etc.) et externes (par ex., ergonome, kinésithérapeute, etc.), ainsi qu’à des acteurs institutionnels (par ex., chambre d’agriculture, filières agricoles, etc.) quand cela est nécessaire. Néanmoins, de notre point de vue, l’atteinte de cet objectif semble être possible uniquement dans la durée, il se construit dans le temps long en travaillant progressivement l’engagement des affiliés et la coordination avec les acteurs. Il y a ainsi une articulation d’un temps court, celui des actions de prévention, et d’un temps long, celui de la structuration de la relation de service de prévention singulière et « sur-mesure » pour l’affilié. Cette articulation semble permettre d’une part aux CP de proposer plus facilement des actions de prévention primaire et collective et, d’autre part, pour les affiliés de les solliciter sur des sujets où ce type de prévention est possible, de sorte que la durabilité de la prévention semble pensée conjointement à la durabilité de la relation.
77Cet article visait à caractériser la façon dont les conseillers en prévention du réseau MSA contribuent à construire une prévention durable des risques professionnels. Nous proposons ci-après de synthétiser et discuter les résultats obtenus selon quatre axes : 1) la méthodologie des ateliers réflexifs mis en œuvre, 2) les accompagnements et actions de prévention menés par les conseillers en prévention, 3) la stratégie d’articuler des « coups » dans le cadre d’une « partie » plus large, et 4) les horizons ouverts par cette recherche pour une prévention durable.
78Nous avons d’abord dégagé douze caractéristiques d’une prévention durable en entreprise à partir de trois champs de littérature en ergonomie (prévention durable des TMS ; travail durable, soutenable et décent ; développement durable). Puis, nous avons réalisé des ateliers réflexifs au sein de quatre caisses de la MSA pour construire, avec des conseillers en prévention, des récits de relations de service encore en cours avec des entreprises affiliées. Sur le plan méthodologique, les frises chronologiques de relation de service réalisées « à chaud » lors de l’atelier, puis reconstruites « à froid » lors de nos analyses (chroniques numériques), présentent une forme d’originalité par rapport à la littérature scientifique qui s’intéresse au travail des préventeurs (par ex., Guennoc, 2019). Elles offrent plusieurs avantages qui pourraient être féconds dans d’autres recherches ou interventions. D’abord, ces représentations graphiques ont, aux dires des participants : 1) facilité la conduite des ateliers réflexifs en créant un support commun à la remémoration et à la réflexion sur les accompagnements menés auprès des affiliés, et 2) permis de conserver une trace partageable, entre acteurs de la prévention notamment. Elles permettent ainsi de tenir plusieurs niveaux de description du travail dans une même représentation graphique synthétique. Ici, cela a évité d’appréhender le travail des conseillers en prévention comme une succession d’actions indépendantes les unes des autres, circonscrites sur des temps relativement courts, alors que nous constatons plutôt une intention des conseillers en prévention de tisser des relations de service dans le temps long. Le format de la chronique a permis de tenir pour partie une dimension diachronique dans notre analyse du travail des conseillers en prévention, permettant d’appréhender des dynamiques qui s’inscrivent dans des temporalités variées (le court (le mois), le moyen (l’année) et le long terme (plusieurs années). En revanche, nous n’avons pas tracé de manière systématique les formes de réflexivité que ces ateliers induisent comme il le faudrait pour en faire une analyse robuste d’un point de vue scientifique. Reproduire de tels ateliers en systématisant un tel recueil pourrait être une piste intéressante pour contribuer à l’ingénierie de méthodes réflexives dans l’intervention en ergonomie (par ex., Mollo, 2021) ou sur les méthodes d’analyse diachronique du travail comme celles développées par le CREAPT depuis de nombreuses années (par ex., GIS-CREAPT, 2019 ; Molinié, Gaudart & Pueyo, 2012).
79Au total, nous avons recueilli et analysé six relations de service composées de 42 actions de prévention et 23 actions de gestion de la relation. Cette analyse montre une hétérogénéité des actions, notamment en termes d’objets, de contenus, de durées, et d’investissements temporels et financiers. Elle révèle une part de la complexité du travail des conseillers en prévention, travail qui se réalise en partie au sein d’un réseau d’acteurs internes et externes, qui est distribué dans le temps et l’espace, avec de nombreuses dynamiques temporelles qui s’enchevêtrent.
80Tout d’abord, ces actions sont proches des tâches des préventeurs, identifiées par Blondé (2015). Une différence réside tout de même dans le fait que le but des conseillers en prévention n’est pas toujours la réalisation de ces tâches, mais plutôt l’accompagnement des affiliés dans leur réalisation. Ainsi, nous retrouvons principalement chez les conseillers en prévention des tâches qui correspondent à l’accompagnement des affiliés et des actions de prévention que ces derniers mettent en place : sensibilisation des affiliés, formation, participation aux réunions SST, planification d’événements, animation, conseil, analyse des risques et des maladies professionnelles, contrôle, etc. Les deux types de tâches que nous ne retrouvons pas sont les tâches de traçabilité et de représentation. Toutefois, nos analyses étaient centrées sur la relation de service et n’ont pas explicitement porté sur ces aspects. Plus globalement, elles n’ont pas pris en compte les tâches administratives et logistiques en lien avec la gestion des différentes relations de service de prévention. Ainsi, cette part de leur travail, pourtant essentielle, est peu visible ici.
81Ensuite, les relations de service étudiées témoignent toutes de la nécessité de travailler la relation avec l’entreprise affiliée, surtout au début de la relation de service. Il y a ainsi une dimension temporelle essentielle dans la relation de service de prévention mise en œuvre par les conseillers en prévention. Un affilié peut être suivi sur plusieurs années, en faisant l’objet de plusieurs accompagnements successifs, portant sur différents objets. On retrouve ici majoritairement des actions de prévention du niveau opérationnel de Brun et Loiselle (2001), bien qu’au fur et à mesure de la relation avec l’affilié, les conseillers en prévention semblent viser l’objectif de construire des actions au niveau stratégique (par ex., élaboration du budget de prévention, sensibilisation des directions, construction d’une « culture » de prévention, etc.). Il est alors selon nous crucial de construire des méthodologies d’analyse diachronique du travail des préventeurs. D’un point de vue méthodologique, il y a un effet de « zoom » ou de « dé-zoom » qui pourrait biaiser la compréhension du travail en termes de prévention réalisée par les conseillers en prévention. Vu de trop près – au niveau de l’action de prévention –, on pourrait croire que les conseillers enchaînent des actions de prévention relativement courtes, demandant peu d’investissement, et orientées par une prévention secondaire, voire tertiaire. Or lorsque l’on dé-zoom – au niveau de la relation de service de prévention – pour appréhender le travail des conseillers sur plusieurs mois, voire années, la dynamique en termes de prévention que l’on peut constater change. On relève des phases de découvertes mutuelles entre conseillers et affiliés, des phases d’actions, de montée en puissance (en termes de fréquence, de nombre et de durée des actions), mais aussi des « mises entre parenthèses » du fait de situations spécifiques contingentes (par ex., une crise sanitaire). Nous constatons également de cette manière – comme de précédentes études (Brun & Loiselle, 2001 ; Garrigou & Peissel-Cottenaz, 2004 ; Guennoc, 2019) – que les conseillers en prévention ne se positionnent pas uniquement comme des « spécialistes techniques » mais aussi comme des « acteurs ou initiateurs du changement ». En témoigne notamment, le nombre important d’actions de prévention dont ils sont à l’initiative pour créer des dynamiques de transformation de la prévention dans les entreprises affiliées. De plus, on voit à cette échelle plus globalisante, un autre type d’actions apparaitre, liées à la gestion de la relation sur le long terme. Cette durabilité de la relation semble être, pour les conseillers en prévention, l’un des préalables à la durabilité de la prévention.
82La méthode d’analyse diachronique du travail des préventeurs présentée dans cet article est féconde pour mieux comprendre comment les préventeurs peuvent articuler les temps courts des actions de prévention et les temps longs des relations de service. Elle nécessite néanmoins d’être complétée de sessions d’observation in situ et d’entretiens d’explicitation pour avoir une compréhension plus fine de la manière dont les préventeurs s’y prennent pour travailler ces temporalités, les arbitrages et compromis qu’ils peuvent être amenés à réaliser, ainsi que « ce que ça leur demande » d’essayer de tenir ensemble ces multiples exigences. Enrichir les analyses d’activité des préventeurs par une approche diachronique comme celle présentée dans cet article permettraient une compréhension « multi-niveaux » et de saisir comment des éléments extérieurs à la fenêtre d’observation contribuent à définir une activité ici et maintenant. À notre connaissance, l’activité de travail des préventeurs n’a pas encore fait l’objet d’une telle analyse à ce jour. Ce type d’étude pourrait apporter des connaissances complémentaires à la littérature existante sur le travail de préventeurs, bien que celle-ci soit relativement abondante (cf. section 2).
83Dès lors, du point de vue des conseillers en prévention, les actions ne sont pas isolées les unes des autres. Bien au contraire, elles s’insèrent dans une orientation plus large. Ce constat est similaire aux résultats de travaux antérieurs sur les activités de service et de conseil. Valléry, Cerf, Leduc et Compagnon-Piscia (2005) identifient que la gestion de la relation dans le temps est une des trois fonctions de la communication chez les conseillers agricoles. Ils montrent qu’une interaction est considérée comme réussie lors que le conseiller « développe une double conduite d’objectivation et d’engagement vis-à-vis de la demande du bénéficiaire » (p. 30). À la différence de ces travaux, nous constatons une dynamique similaire non pas au niveau d’une rencontre, mais à un niveau plus macroscopique d’une relation qui se structure sur un temps long. Dans le même ordre d’idée, Daniellou, Davezies, Chassaing, Dugué et Petit (2012) proposent, à partir de l’analyse du travail des inspecteurs du travail, de distinguer des coups qui se jouent dans le cadre d’une partie plus vaste, qui peut durer plus longtemps, et où ces coups visent aussi à structurer et maintenir la partie en place.
84Dans notre cas, les coups sont des actions de prévention ou de gestion de la relation qui s’inscrivent dans une dialectique entre la construction d’actions de prévention et la structuration de la relation avec les affiliés. Pour cela, deux stratégies de gestion de la relation de service ont été identifiées : 1) structurer la relation pour réaliser le service et 2) réaliser le service pour structurer la relation. Dans le premier cas, il s’agit de construire un cadre propice à la mise en place d’actions, tandis que le second cas vise, à travers la conduite d’actions de prévention, à contribuer à construire un cadre pour les prochaines actions à venir.
85Dans notre cas, les conseillers en prévention mobilisent pour cela des acteurs pertinents pour la définition, la validation et/ou la conduite d’une action de prévention : acteurs internes à l’entreprise ou à la MSA, acteurs institutionnels du monde agricole ou acteurs externes (ergonome, diététicien, etc.). Les conseillers en prévention sont, en cela, également des acteurs relais essentiels, qui facilitent la création de liens entre acteurs et structures de la prévention et le monde agricole. Ils constituent des interfaces entre plusieurs mondes et leur travail peut justement contribuer à faire de la prévention un travail collectif distribué entre plusieurs acteurs.
86Concernant la partie, dans notre cas, le but semble être le développement de la prévention dans les entreprises affiliées à la MSA, avec plus ou moins explicitement une forme d’accompagnement visant à une autonomisation des affiliés pour mettre en œuvre cette prévention. La dialectique permettant de travailler conjointement la relation et le service vise à favoriser l’engagement des affiliés dans des actions spécifiques et, plus largement, dans la structuration de la prévention au sein de leur structure. De cette manière, les conseillers en prévention semblent favoriser la construction d’une relation, d’un cadre, qui soit propice à la mise en place d’actions de prévention primaire et collective, qui s’appuient sur des démarches participatives, plutôt que des actions de prévention secondaire, voire tertiaire, et individuelle, qui sont dans certains cas demandées par les entreprises affiliées. De plus, plusieurs relations de service analysées montrent des dynamiques qui ressemblent à des processus d’étayages propres aux situations d’apprentissage (Bruner, 1983). En psychologie du développement, l’étayage est « l’ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ » (Ibid., p. 92). Une transposition pour les apprentissages chez le jeune adulte a été proposée par Boccara, Vidal-Gomel, Rogalski et Delhomme (2015). Le cas de RS‑1 présenté de manière détaillée dans cet article en est un exemple emblématique. On constate une évolution au cours du temps qui se caractérise par : 1) une plus forte structuration de la relation entre la MSA‑1 et l’entreprise affiliée, 2) une augmentation des actions de prévention et, 3) dans le même temps, une diminution des investissements du côté de la MSA‑1 et une augmentation des investissements du côté de l’entreprise. Cette évolution semble, pour partie, résulter d’une première phase d’investissement des conseillers en prévention de la MSA dans la relation, pour co-construire des actions de prévention. Ce résultat mériterait d’être approfondi par des recherches ultérieures, car il ouvre des perspectives pour mieux comprendre le rôle de médiateur que peuvent ou pourraient jouer les conseillers en prévention dans le développement d’une prévention durable au sein des entreprises affiliées.
87Ainsi, les conseillers en prévention mettent potentiellement en œuvre une prévention que nous pouvons qualifier de durable, au regard d’un ensemble de critères issus de la littérature scientifique sur la prévention durable des risques professionnels et, plus spécifiquement, des TMS. Bien que chaque action mise en œuvre ne corresponde pas systématiquement à l’ensemble des critères, les relations de service que les conseillers construisent y correspondraient : viser une prévention primaire et collective, construite dans l’action avec les opérateurs et concepteurs du travail, intégrant les enjeux de prévention dans les mutations organisationnelles, et nécessitant la coordination d’acteurs internes et externes, en mobilisant des spécialistes si besoin. En cela, la durabilité de la prévention ne semble pas se jouer uniquement, pour les conseillers en prévention, par la mise en place de démarches « classiques » visant à supprimer les risques, mais également par un accompagnement, souvent implicite, vers une autonomisation des affiliés dans le traitement de ces questions. Cette possibilité d’une appropriation des démarches de prévention par les affiliés ne doit pas se mesurer au prisme d’une seule action, mais par la dynamique globale. C’est justement quand – et parce que – ils sont en mesure d’articuler le temps court et le temps long qu’ils sont en mesure, dans la durée, de favoriser l’appropriation d’une nouvelle approche sur les questions de prévention des risques professionnels.
88Cela pose dès lors la question du temps et de l’évaluation des actions, et rejoint l’interrogation de Petit, Poète, Clot et Daniellou (2018) à propos de « l’intervention comme unité de compte […] L’idée d’intervention doit être replacée dans une perspective diachronique, avec une idée de longue durée » (p. 25). Cette approche nous permet de préciser un élément mis en avant par Aptel et Hubault (2004) concernant l’évaluation des actions de santé au travail. En effet, notre analyse montre que le caractère potentiellement durable de ces actions doit se mesurer dans la durée, de sorte que chaque action n’est qu’un des éléments qui contribue à rendre durable les démarches de prévention d’une part, mais aussi l’implantation durable d’une solution spécifique d’autre part. Ce n’est ainsi pas tant les caractéristiques d’une action spécifique qui rend durable la prévention, mais davantage son intégration dans une histoire plus globale. Dès lors, c’est bien la succession et l’articulation de ces actions qui peuvent permettre de viser cet objectif que propose Hubault (2004) d’inscrire la prévention de manière durable dans le « quotidien » de l’organisation. Ainsi, tout au long de l’histoire de la relation, en fonction des contextes et des possibilités, les conseillers en prévention seront amenés à tenir plusieurs objectifs (Caroly et al., 2008) et à alterner les rôles qu’ils peuvent avoir auprès des affiliés : inciter, conseiller et faire relais dans une posture d’expert, de coordinateur ou de contrôleur (Hale, 1995). Autant de postures et d’objectifs qui facilitent l’engagement de l’affilié, la durabilité de la relation et la durabilité de la prévention.
89En revanche, force est de constater que les relations de service mises en œuvre ne correspondent pas aux critères d’une prévention durable au regard des critères issus des deux autres champs de la littérature que nous avons pris pour référence : le travail durable, soutenable et décent, et le développement durable. Dès lors, les apports de ces deux approches pourraient ouvrir des perspectives complémentaires pour que les conseillers en prévention promeuvent une prévention durable au sein des entreprises affiliées. Dans cette perspective, les trois dimensions du développement durable et les principes qu’ils prônent pourraient constituer un moyen pour les conseillers en prévention de réinterroger en un même mouvement : 1) leurs pratiques de prévention et de gestion de la relation de service, avec 2) les pratiques de prévention à l’œuvre dans les entreprises affiliées. De même, la notion de « travail soutenable » telle que proposée par le GIS-CREAPT (2019) pourrait également constituer un cadre de réflexion propice pour proposer une approche de la prévention qui vise à construire des systèmes de travail qui favorisent la construction de la santé tout au long de la vie professionnelle.
90Cette étude contribue aux réflexions sur ce qui fait la durabilité de la prévention des risques professionnels à partir de l’analyse du travail de plusieurs conseillers en prévention au sein de quatre caisses de la Mutualité Sociale Agricole (MSA). L’étude enrichit aussi les connaissances disponibles sur le travail des préventeurs. Nos analyses ne prétendent pas rendre compte de toute la complexité du travail des conseillers en prévention, ni avoir un caractère universel. De même, elles n’intègrent pas les autres acteurs des services Santé, Sécurité au Travail des caisses MSA (Médecins du travail, infirmiers), qui pourtant, contribuent également à faire évoluer les pratiques de prévention des entreprises affiliées. Nos analyses permettent de rendre visibles certaines dimensions utiles pour penser le travail de ces préventeurs et la conception de leur formation ; et apportent des éléments de réflexion pour accompagner l’évolution souhaitée de la relation de service de prévention entre le réseau MSA et ses affiliés, dans une perspective de durabilité. Les réflexions de plus en plus présentes dans le monde scientifique et la société civile autour de la « durabilité » nous semblent être une opportunité féconde pour d’une part ressourcer le métier de préventeur vers plus de systémie et, d’autre part, renouveler les ambitions de la prévention des risques professionnels.