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Prévention construite en agriculture : contribution de l’ergotoxicologie à partir de trois recherches‑actions

Constructed prevention in agriculture: ergotoxicology’s contribution based on three research actions
Louis Galey, Marion Albert, Fabienne Goutille, Julie Fredj, Adélaïde Nascimento, Caroline Jolly et Alain Garrigou

Résumés

Cette contribution propose le développement d’une approche de « prévention construite » comme alternative aux modèles dominants de la sécurité à l’œuvre en milieu agricole. Ce travail s’appuie sur les cadres théoriques de la sécurité en psychologie et en ergonomie (sécurité industrielle, sécurité des patients et résilience), et notamment de la sécurité réglée et gérée, afin d’identifier des conditions du développement d’une prévention construite. Nous avons tenté d’éprouver ce modèle de la prévention construite à partir de l’analyse de situations d’exposition aux pesticides dans trois études de cas en agriculture. Les cas présentés portent sur les perspectives de contributions à la conception de pulvérisateurs viticoles (Albert, 2022), les ressources réelles de protection lors de réalisation de semis dans le cadre d’un projet en collaboration avec la MSA (Mutualité sociale agricole) (Fredj, 2021), ainsi que les limites posées dans l’usage de contenants de pesticides en France et au Québec (Goutille, 2022 ; Jolly, 2022). Il ressort que la prévention construite se traduit par le développement de pratiques individuelles et collectives allant dans le sens d’une préservation de la santé. Le processus s’appuie sur des méthodes participatives d’analyse puis de transformation et de conception de l’activité, qui nécessitent des actions sur des déterminants proches et éloignés de la situation de travail. L’enjeu de cette approche est de renforcer le développement de la prévention à partir d’une compréhension et construction fondée sur le travail humain. Nous proposons par la suite des items à prendre en compte pour un diagnostic et un développement de la prévention à partir de l’activité. Ce travail contribue à élaborer un modèle opérant de la sécurité.

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Texte intégral

Remerciements
Nous remercions l’ensemble des agriculteurs ayant participé tout autour de la terre, les trois conseillères de la MSA, ainsi que Ecophyto, MSA 16-17-40, l’IRSST, l’association des pomiculteurs.

1. Introduction

1La sécurité construite s’est développée depuis les années 2000 comme un nouveau paradigme de la sécurité, que ce soit en milieu industriel, pour la sécurité des patients ou dans des activités maritimes (Morel, Amalberti, & Chauvin, 2008 ; Nascimento et al., 2014 ; Cuvelier & Woods, 2019).

2Nous entendons par « sécurité construite » une sécurité permettant effectivement de préserver la santé des travailleurs, construite collectivement dans et à partir de l’expérience du travail, en dépassant les tensions présentes dans les activités finalisées et en s’appuyant sur des ressources techniques, sociales et organisationnelles. Cette sécurité s’élabore à partir de connaissances des activités de travail et des variabilités relatives à la sécurité gérée, dans le cadre de projets de conception, reposant sur des méthodes réflexives et participatives.

3Malgré ces développements de la sécurité, il n’existe pas de travaux qui relatent l’application de ce modèle en milieu agricole, alors que ses évolutions fréquentes justifient de nouvelles manières d’appréhender les risques pour les agriculteurs, comme le souligne le contexte social actuel. La persistance de modèles classiques de la prévention (Reason, 1990 ; Dekkers et al., 2016 ; Dunn, Eastlake, Story, & Kuempel, 2018) et de leurs limites démontrées lors de l’application aux risques industriels ou aux risques liés à l’utilisation de pesticides est surprenante (Mohammed-Brahim & Garrigou, 2009 ; Galey et al., 2020 ; Garrigou et al., 2020).

4En pleine crise du travail des agriculteurs, l’écriture de cet article se termine alors que le Premier ministre Gabriel Attal vient d’annoncer la suspension du plan Ecophyto qui cherchait à réduire de moitié l’utilisation des pesticides entre 2017 et 2030 (Foucart, 2024). Ce choix se justifie par la volonté de simplifier les multiples prescriptions (dont celles en lien avec la sécurité) auxquelles sont soumis les agriculteurs susceptibles de conduire, par exemple, à des injonctions contradictoires (Beaudouin et al., 2024). Les agriculteurs évoquent un manque de valorisation du métier, avec des charges administratives lourdes, un salaire parfois dérisoire, laissant peu de place à l’erreur et aux initiatives. La question des risques se pose dans ce contexte de manière globale, au-delà des pesticides. Ce phénomène problématique lié à d’autres risques d’ordre financier, productif ou encore institutionnel dans les activités quotidiennes des agriculteurs a déjà été mis en avant (Komarek, De Pinto, & Smith, 2020).

5Les risques liés à l’organisation du travail sont prégnants dans ces conditions (Midler et al., 2020 ; Lenoir, 2023). La totalité des agriculteurs déclare travailler plus de 50 heures par semaine, traduisant une intensité du travail et des difficultés pour concilier vie au travail et vie personnelle. À cela s’ajoutent une organisation du travail contrainte ainsi qu’un sentiment de stigmatisation envers les agriculteurs et une forme de pression sociale (Midler et al., 2020). Les conséquences de ces facteurs organisationnels peuvent conduire à des suicides (Midler et al., 2020). Les agriculteurs sont historiquement parmi les populations les plus touchées par le suicide en France (Baudelot & Establet, 2006 ; Midler et al., 2020 ; Lenoir, 2023), le risque étant jusqu’à deux fois plus élevé que dans la population générale (MSA, 2021). Les discours politiques reprennent souvent le tristement médiatique chiffre suivant : « un agriculteur se suicide tous les deux jours en France » (Campion, 2018 ; Aloute, D., Vallée, C., & Vallée, 2022). Des explications sont les affections longue durée des agriculteurs (MSA, 2021), l’isolement social et géographique possible, les événements au cours de la vie, ainsi que les difficultés économiques rencontrées dans certaines situations (Midler et al., 2020 ; Lerouge, 2023). Les craintes liées à l’exposition aux pesticides ont par ailleurs déjà été mises en avant (Lunner Kolstrup et al., 2013).

6Concernant les pesticides, l’enquête SUMER (2010) indique que 8 % des agriculteurs ont été exposés dans la semaine précédant l’enquête (Heurtaut & Garnier, 2015). Cette proportion s’élève à 25 % au cours des 12 derniers mois. L’exposition aux produits chimiques en général dans le milieu agricole s’élève à 33 % (Heurtaut & Garnier, 2015). Au-delà de ces expositions identifiées, de nouvelles expositions seraient susceptibles d’apparaître. Le domaine agricole est le premier domaine concerné par les nanomatériaux en raison du commerce de semences et d’aliments pour le bétail, selon R-Nano (Ministère de la Transition écologique et solidaire, 2017). Des nanopesticides pourraient aussi faire leur apparition sur le marché en raison des propriétés de ces nouveaux matériaux suscitant des préoccupations pour la santé (Zain et al., 2024). Les contraintes posturales et articulaires concernent par ailleurs plus de 90 % des agriculteurs (Midler et al., 2020) malgré le développement de l’automatisation et du digital ces dernières années.

7Nous chercherons dans cet article à faire le lien avec d’autres risques, comme celui de chute, identifié parmi les principaux risques dans le secteur agricole (Heurtaut & Garnier, 2015). Une des spécificités du travail agricole est qu’il va exposer à une diversité de dangers (Heurtaut & Garnier, 2015). Ces risques sont renforcés par l’apparition de nouvelles technologies en agriculture, mais aussi par les transformations organisationnelles et sociales contemporaines du monde du travail.

8C’est dans ce cadre qu’il nous apparaît pertinent de mettre en discussion les potentiels apports d’une « prévention construite » qui contribuerait à sa manière à une prévention durable dans le monde agricole, notamment en construisant les conditions d’un travail durable (Le Bail et al., 2023 ; Béguin & Pueyo, 2011) ou en s’inscrivant de manière pérenne dans la dynamique d’évolution des systèmes de travail.

9En effet, si de nouvelles formes de sécurité réglées, gérées, voire construites, apparaissent ces dernières années, la prise en compte des risques liés à l’utilisation de produits chimiques reste rare (Aneziris et al., 2017). Bien que ces derniers concepts apportent une contribution considérable à la compréhension de la dynamique de la sécurité dans les organisations, la définition de ces composantes de la sécurité est à préciser, tout comme les perspectives méthodologiques et la nature des données produites pour la recherche et les interventions en milieu agricole pour construire la prévention. De ces approches, nous retenons l’importance de l’analyse de l’activité du travail dans un contexte où la prévention des expositions à des substances toxiques est souvent pensée à partir de modèles seulement hygiénistes de l’exposition (Zartarian, Bahadori, & McKone, 2005) contribuant à une « prévention réglée ». Le sujet des expositions aux dangers dans ces approches de la sécurité est à développer.

10Afin de mener cette réflexion à partir de trois recherches-actions ayant eu lieu entre 2017 et 2022, nous nous sommes modestement inspirés de l’article historique de Catherine Teiger et al. (2006) à qui nous avons emprunté les termes « rétro‑réflexion ».

11Le premier cas, intitulé « Contribution à la conception du matériel de pulvérisation » (Albert, 2022), avait pour objectif de comprendre les situations d’exposition aux pesticides lors de l’utilisation des pulvérisateurs. Afin de préciser l’existence de différents niveaux de prévention et de viser le développement d’une prévention construite, les analyses ont été menées à différents niveaux : l’activité des viticulteurs, l’activité des concepteurs de pulvérisateurs et la réglementation applicable à leur conception.

12Le deuxième cas, « Étude exploratoire de l’activité de semis des agriculteurs » (Fredj, 2021), mené en collaboration avec la Mutualité sociale agricole (MSA) des Charentes et des Landes, avait deux objectifs : découvrir, comprendre et apporter des connaissances sur l’activité de semis traités des maïs des agriculteurs et comprendre comment les agriculteurs utilisent et s’approprient les nouvelles technologies présentes dans leur tracteur en relation avec les fabricants et concessionnaires.

13Le troisième cas, « Comparaison des usages des contenants de pesticides en France et au Québec », est issu de la comparaison de deux recherches construites en France (Goutille, 2022) et au Québec (Jolly, 2022). Les deux études avaient comme objectif commun de caractériser les situations d’exposition aux pesticides et leurs déterminants. Un de ces déterminants fait l’objet de ce présent article, à savoir les contenants de pesticides mis sur le marché par les firmes productrices.

14L’objectif de cet article est de transposer et d’adapter le concept de sécurité construite au monde agricole dans une perspective de « prévention construite » en visant de nouveaux apports théoriques et méthodologiques pour l’ergonomie et la santé au travail. Il nous semblait judicieux de contribuer à éprouver la « validité » de ce modèle dans trois contextes professionnels agricoles. Nous suivons dans cette perspective la proposition de Wisner (1972) concernant le besoin de modèles opérants en proposant une approche découlant de l’ergonomie centrée sur l’activité et la sécurité.

15Ce travail cherche à analyser les conditions permettant de tendre vers une prévention construite. La proposition originale ici faite est en cours de développement. Les pratiques de prévention construites présentées dans cet article constituent en ce sens de premières formalisations à mettre en discussion.

16À noter que ces réflexions sur la prévention construite s’appuient sur un travail collectif initié en 2020 cherchant à préciser ce concept de sécurité construite et le rendre opérationnel à partir d’un cas dans l’industrie aéronautique (Galey et al., 2021). Dans cette continuité, cet article a été développé à partir d’une communication réalisée lors du 56e congrès de la SELF à Genève dans le cadre d’un symposium intitulé « Contribuer à une prévention durable dans le monde agricole » (Le Bail & Boccara, 2022).

2. Rappels théoriques sur la sécurité

17Les changements dans les environnements de travail génèrent des préoccupations de santé et de sécurité toujours fortes lors de déploiement d’innovations technologiques comme les pesticides (Garrigou, 2021). Des situations d’exposition aux pesticides apparaissent dans ce contexte comme un enjeu majeur de santé et de sécurité au travail. Bien que de nombreuses mesures soient en place pour réduire et contrôler ce risque par des recommandations de prévention et de protection, les actions de prévention en milieu de travail promues par les politiques publiques sont encore basées sur un modèle générique et fonctionnaliste dominant (Reason, 1990). Les stratégies de prévention déployées en milieu agricole pourraient reproduire ce modèle traditionnel dont les limites sont démontrées (Garrigou et al., 2020, 2021).

18Des approches méthodologiques alternatives ont depuis été proposées, révélant des caractéristiques des activités et organisations du travail humain (Morel, Amalberti, & Chauvin, 2008) qui permettent de favoriser des entreprises résilientes (Cuvelier & Woods, 2019) face au risque (Hollnagel et al., 2007). Sur la base de ces travaux, la « sécurité gérée » (pratiques réelles de sécurité) en complément de la « sécurité réglée » (pratiques formelles de sécurité) est devenue un objet de recherche à part entière intégrant la dichotomie entre le « travail prescrit » et le « travail réel » comme ressource pour la compréhension et la transformation du travail dans le champ de la recherche sur la sécurité. Cette dichotomie fait référence à la « sécurité intégrée » (Johansen, Almklov, & Mohammad, 2016) dépassant les dimensions réglementaires et basées sur les procédures. Elle considère en complément des approches formelles les ajustements nécessaires en situation réelle de travail. D’autres travaux se sont intéressés à la « sécurité en action » pour comprendre comment les travailleurs effectuent un travail sûr en ajustant les exigences de sécurité aux situations de travail (de Terssac, Boissières, & Gaillard, 2009). Cette approche qualitative du développement de la sécurité basée sur l’analyse du travail réel (Delgoulet et al., 2012 ; Dul et al., 2012) en relation avec les exigences de sécurité constitue une approche intégrative et constructive de la sécurité (Nascimento et al., 2014).

19Afin de préciser ces notions, nous allons aborder la littérature sur la sécurité réglée, gérée et construite. Ces trois catégories de pratiques de sécurité alimenteront ensuite la grille d’analyse des pratiques de prévention dans les recherches-actions en agriculture présentées, avant d’engager une discussion sur ces sécurités.

2.1. Approches fonctionnalistes et culturalistes de la sécurité

20Habituellement, deux paradigmes principaux de la sécurité coexistent (Nascimento, 2011). Le paradigme fonctionnaliste décrit la sécurité comme descendante, résultant de la transmission de règles à appliquer élaborées par l’encadrement (Hale & Borys, 2013). Dans cette approche, les règles doivent permettre de cadrer la réalisation du travail afin de prémunir des risques (Baram & Schoebel, 2007). Dans ce cas, atteindre la sécurité nécessite de contrôler le comportement des travailleurs à partir de connaissances sur les situations à risque et des règles définies par l’encadrement. Ces règles doivent prévenir des éventuelles prises de risque tout en restant support à l’activité de protection. Le second paradigme culturaliste de la sécurité décrit la sécurité comme ascendante, où les travailleurs sont experts du travail et ainsi capables de gérer la variabilité des situations de travail en adaptant les règles préétablies (Hale & Borys, 2013). Ces deux approches ont été décrites comme parallèles, voire contradictoires dans certains cas, comme le rappellent Nascimento et al. (2014). Pourtant, cette approche culturaliste de la sécurité dépasse la vision de la sécurité comme structure articulant différentes ressources davantage formalisées (approche fonctionnaliste) : normes, dispositifs de retour d’expérience, systèmes de management des risques, dispositifs d’évaluation (Nascimento, 2011) des résultats du travail par exemple. Une critique de dérives de l’approche fonctionnaliste est présentée par Vicente (1999) à partir de l’analyse du travail par des méthodes de la psychologie cognitive. L’auteur soulève la difficulté de développer des approches normatives focalisées sur le « one best way » dans des systèmes socio-écologiques, sujets aux événements inattendus.

2.2. Définition et repères théoriques de la sécurité réglée

Définition

21La sécurité réglée, similaire à la dimension fonctionnaliste de la sécurité, résulte du besoin de maîtrise des risques inhérents au fonctionnement de certaines organisations. En fonction des résultats de l’évaluation des risques, des pratiques de sécurité réglée vont être élaborées, se traduisant par l’élaboration de règles et dispositifs de sécurité (Morel, Amalberti, & Chauvin, 2008 ; Daniellou et al., 2011).

Repères théoriques

22Ce type de pratiques de sécurité va s’organiser autour des risques identifiables et prévisibles par les acteurs et de stratégies formelles déployées pour y faire face, dans une approche proactive et corrective. De cette façon, la sécurité réglée ne peut s’appliquer qu’au fonctionnement normal ou dysfonctionnement normal (Daniellou, Simard, & Boissières, 2011). Le statut et l’activité de la structure vont également permettre d’identifier un ensemble de prescriptions (directives, code du travail, etc.) qui seront applicables et déterminantes des pratiques de sécurité réglée. Le dispositif de retour d’expérience formel va aussi être une ressource permettant de prendre de nouvelles mesures en fonction de problèmes analysés et jugés non acceptables. Les risques chimiques et liés aux pesticides sont concernés par la sécurité réglée en raison de l’ensemble des dispositifs réglementaires et de préventions nécessaires coexistant.

2.3. Définition et repères théoriques de la sécurité gérée

Définition

23La sécurité gérée est élaborée au cours de la réalisation du travail. Elle résulte de l’adaptation des règles prescrites (sécurité réglée) remodelées pour être opérationnelles en fonction des situations rencontrées (Morel, Amalberti, & Chauvin, 2008 ; Daniellou, Simard, & Boissières, 2011). Le terme « sécurité gérée » fait référence à la sécurité effectivement mise en œuvre par les travailleurs dans une vision dynamique et diachronique (Rocha, 2014).

Repères théoriques

24Nous aurions pu parler de « sécurité effective » (de Terssac, Boissières, & Gaillard, 2009) ou encore de « sécurité en action » (de Terssac & Mignard, 2011). Une nuance existe entre ces trois manières de qualifier la sécurité, comme le soulignent Nascimento et al. (2014). La « sécurité effective » ou « en action » (Gaillard, 2011) intègre la traduction opérationnelle des règles au cours de l’action alors que la sécurité « gérée » apparaît en complément et dans la continuité des règles prescrites.

25L’application intelligente des règles décrite par Dien (1998) est assimilable à une forme de sécurité gérée. Dans d’autres situations, la sécurité gérée est élaborée au cours de la réalisation des tâches pour faire face à l’absence de règles. La mobilisation des ressources issues de l’expérience des travailleurs et de l’organisation va ainsi contribuer à faire face aux situations non anticipées et imprévisibles (Daniellou, Simard, & Boissières, 2011). La sécurité gérée peut être influencée par des facteurs internes, comme l’expérience acquise dans la réalisation du travail, les constructions sociales des risques (Duclos, 1987, 1991), les métiers et sous-mondes de l’entreprise (Savioja et al., 2014), ainsi que les relations de confiance à l’œuvre (Barcellini, Grosse, & Karsenty, 2013). La sécurité gérée appliquée à l’exposition aux poussières a déjà pu être appliquée dans une usine de fabrication de peintures routières (Garrigou et al., 2015). Les situations d’exposition vécues par les travailleurs appartiennent dans ce cas à la sécurité gérée.

2.4. Articuler la sécurité réglée et la sécurité gérée

26La vision dans les années 2010 de la sécurité comme une simple addition de pratiques de sécurité réglées et gérées reste discutable, quand plusieurs auteurs soulignent que celle-ci se débat, s’ajuste, résulte de compromis, se négocie et s’accorde (Rocha et al., 2015 ; Cuvelier & Falzon, 2015). Les termes de sécurité totale par l’addition (Nascimento, 2011 ; Daniellou, Simard, & Boissières, 2011) ou l’articulation des pratiques de sécurité réglée et gérée sont davantage utilisés (Nascimento et al., 2014 ; Morel, Amalberti, & Chauvin, 2008 ; Thellier, 2017 ; Besnard, Boissières, Daniellou, & Villena, 2017). La Figure 1 illustre cette représentation de la sécurité totale comme addition ou articulation de la sécurité réglée et gérée (Besnard, Boissières, Daniellou, & Villena, 2017).

Figure 1 : La sécurité industrielle comme articulation de la sécurité réglée et gérée (Besnard, Boissières, Daniellou, & Villena, 2017). 
Figure 1: Industrial safety as an articulation of regulated and managed safety (Besnard, Boissières, Daniellou, & Villena, 2017)

Figure 1 : La sécurité industrielle comme articulation de la sécurité réglée et gérée (Besnard, Boissières, Daniellou, & Villena, 2017).  Figure 1: Industrial safety as an articulation of regulated and managed safety (Besnard, Boissières, Daniellou, & Villena, 2017)

27Pour faire face au besoin de compréhension du développement de la sécurité et des interactions entre ses composantes décrites ci-dessus, une nouvelle approche construite de la sécurité s’est constituée depuis les années 2010.

2.5. Vers une sécurité construite

28Une troisième dimension construite de la sécurité (Nascimento et al., 2014) est peu abordée dans la littérature. De cette capacité à articuler la sécurité réglée et gérée résulterait la résilience pour Cuvelier & Woods (2019). La proximité entre ce que l’on pourrait appeler « sécurité construite » et résilience est donc certaine. Daniellou, Simard et Boissières (2011) intègrent cette dimension construite, proche de la résilience, par les ressources mobilisables par les acteurs pour faire face aux risques, à la sécurité gérée.

29Ce paradigme nécessite d’identifier les situations à risque réel et les pratiques opérationnelles effectivement mises en œuvre pour y faire face (niveau micro) et de le mettre en discussion à un niveau où les acteurs (à l’origine des règles par exemple) peuvent réaliser des ajustements dans les organisations hiérarchisées. Cette observation est vraie aussi dans les organisations plus modernes ou dans des entreprises de taille plus restreinte, le débat sur les règles et leur conflictualité étant intrinsèque au travail humain.

30Des enjeux résident dans la capacité des organisations de travail à se saisir de la façon dont la sécurité est effectivement traduite et rendue opérationnelle (Nascimento et al., 2014) pour ensuite la réinjecter dans des pratiques formelles comme l’évaluation des risques (Woltjer et al., 2015) ou encore des procédures de sécurité, le dimensionnement des équipements de protection, ou des choix stratégiques au niveau de l’encadrement.

2.6. Proposition d’une définition de la sécurité construite et d’un cadre d’analyse

Définition

31Nous entendons par sécurité construite toute activité finalisée élaborée par un ou des travailleurs à partir de prescriptions, contribuant à réaliser un travail tout en préservant sa santé sur le long terme. Cette sécurité se constitue collectivement, de manière dialogique et diachronique, en reposant sur des acteurs des systèmes de travail. La sécurité construite demande des conditions organisationnelles favorisant ces approches constructives (Nascimento et al., 2014).

Discussion du modèle de la sécurité construite

32Un des enjeux de ces travaux sur la sécurité est de redonner la place au travail humain dans les modèles de gouvernance des risques. La traduction d’une règle afin de la rendre opérationnelle par les travailleurs pourrait ainsi être décrite comme une pratique de sécurité construite. Dans ce cas, il y aurait deux niveaux de sécurité construite : celle construite de manière autonome par les travailleurs à partir du prescrit et celle co-construite par des acteurs de l’organisation ayant le pouvoir de transformer les prescriptions des situations actuelles à partir des pratiques réelles. Ce type d’adaptation peut rappeler les régulations chaudes et les régulations froides décrites par Lompré et de Terssac (1996) en sociologie des organisations, toujours dans la continuité de la dichotomie entre le travail prescrit et le travail réel. Dans ce cas, la sécurité gérée se manifesterait dans l’écart à la sécurité réglée prévue (ou inexistante), alors que la sécurité construite réélaborée par les travailleurs serait le résultat de l’adaptation de la règle par l’expérience et les compétences des travailleurs. Dans notre cas, nous préférons appréhender la sécurité gérée par les pratiques effectivement mises en œuvre par les travailleurs, se traduisant notamment par leur activité et l’exposition en découlant. La sécurité construite résulte alors d’une transformation des règles formelles établies par la sécurité réglée, en une nouvelle règle plus opérationnelle, résultante d’une construction entre les sécurités réglées et gérées par l’action d’acteurs ayant la possibilité d’agir sur les règles.

33Il est ainsi possible de distinguer la sécurité réglée au travers des prescriptions et des dispositifs formels de sécurité, la sécurité gérée par l’activité de travail et les stratégies effectivement mises en œuvre allant dans le sens d’atteinte ou de préservation de la santé, et la sécurité construite par des formes de mobilisation des acteurs dans un objectif d’agir sur les règles, les dispositifs de sécurité, le déroulement de leur travail et les expositions à des dangers afin de développer des activités et une organisation du travail contribuant à éviter les atteintes à la santé.

34Dans cette configuration, il reste a priori possible d’identifier la prépondérance de la sécurité réglée sur la sécurité gérée, comme nous devrions l’observer dans les activités en agriculture, ou encore de reconnaître l’importance de la sécurité gérée par rapport à la sécurité réglée, au travers des savoir-faire et modes opératoires construits par le ou les agriculteurs face au déficit de sécurité réglée. Finalement, la sécurité construite pourrait se manifester par la capacité des acteurs à adapter ou élaborer de nouvelles règles, afin de générer et prendre en compte les connaissances sur les risques dans une logique préventive. La sécurité construite serait aussi la reconnaissance par les travailleurs de ce développement de leur activité, constituant un objet matériel ou immatériel médiateur de la sécurité. Cette vision de la sécurité est ancrée dans un paradigme historico-culturel constructiviste (Rabardel, 1995 ; Clot, 2008 ; Rochex, 2017 ; Engeström & Sannino, 2020 ; Boudra, Lémonie, Grosstephan, & Nascimento, 2023).

35Habituellement, la mise à l’épreuve du modèle de la sécurité réglée et gérée cible les manifestations d’événements non souhaités susceptibles de générer des effets aigus. Pourtant, ce modèle apparaît opérant pour la prévention des risques liés à l’exposition aux pesticides. Appliqué au milieu agricole, ce modèle devrait susciter d’autant plus d’intérêt pour décrire la manière dont les acteurs de la prévention se saisissent des expositions aux pesticides, tout en interrogeant les pratiques de prévention élaborées dans ce contexte. La littérature reste discrète sur ce type d’analyse compréhensive. Quelle que soit l’approche de la sécurité retenue, la littérature actuelle demande que l’application de ce modèle à des questions de santé au travail soit davantage discutée (Garrigou et al., 2015 ; Galey et al., 2017 ; Mohammed-Brahim et al., 2018 ; Galey, Albert, Fredj et al., 2022 ; Goutille, 2022 ; Goutille & Garrigou, 2021a). Ces auteurs soulignent la ressource opérationnelle du modèle de la sécurité réglée et gérée dans des contextes d’expositions professionnelles aux produits chimiques. Cette opérationnalisation du modèle s’articule à partir de la mise en parallèle de la sécurité réglée et des expositions réelles, pour finalement débattre au sein des milieux professionnels des actions à développer. L’enjeu de tenir compte de la sécurité réglée, gérée et construite dans l’analyse des expositions est de permettre d’orienter les recherches et interventions sur la compréhension et la transformation des expositions au sein des milieux professionnels, en sollicitant des dimensions de la gestion des risques souvent oubliées. Les analyses, la mobilisation des acteurs de l’entreprise et les échanges produits pourraient se centrer sur les expositions réelles.

Proposition d’un cadre d’analyse de la sécurité construite

36L’analyse des pratiques de sécurité doit aussi bien s’intéresser à des dimensions politiques et organisationnelles (acteurs clés, rôle de l’encadrement, retour d’expérience, organisation prévue du travail, etc.), formelles (évaluation des risques, procédures, formations, etc.) et techniques (protections, environnement de travail, etc.) dans lesquelles s’insère l’activité ciblée par le dispositif de sécurité. Les croyances, perceptions, représentations, valeurs, formes de déni, pratiques réelles, vécus des expositions, toute la subjectivité des travailleurs en somme, cristallisés dans l’activité de travail sont également importants à prendre en compte. Il peut y avoir des tensions, des incohérences et des arbitrages entre ces différentes formes de sécurité. La Figure 2 synthétise les composantes de la sécurité réglée, gérée et construite, à partir de notre compréhension de la littérature.

Figure 2 : Proposition de modélisation d’une sécurité construite. 
Figure 2: Proposed modelling of constructed safety

Figure 2 : Proposition de modélisation d’une sécurité construite.  Figure 2: Proposed modelling of constructed safety

37Il apparaît un manque dans cette littérature en termes de définition des périmètres de ces sécurités, ainsi que dans les méthodes à mettre en œuvre, pour comprendre et agir sur le développement des activités de travail qui permettent de construire la sécurité auquel nous proposons de remédier en partie. Plus spécifiquement, l’application de ce modèle à l’agriculture nous interroge sur ce qui constitue la sécurité construite dans ce contexte professionnel.

38Dans la suite de ce texte, le terme « sécurité » aurait pu être utilisé en référence au résultat global des actions de prévention et usage des protections en milieu professionnel. L’utilisation du terme est influencée par la notion de sécurité du travail ou encore des recherches en sécurité en milieu industriel et hospitalier (Mollo & Falzon, 2008 ; Nascimento & Falzon, 2012 ; Cuvelier & Falzon, 2015 ; de Terssac, Boissières, & Gaillard, 2009). Ce terme « sécurité » désigne un travail « sûr » sans atteintes à la santé (Department of Defense, 2010 ; Thellier, 2017), dans une perspective durable et développementale. Ainsi, si nous avons décidé de parler de « prévention construite », le terme « sécurité construite » est également juste bien que la particularité des risques en agriculture mérite une considération spécifique.

39Cette particularité des risques liés à l’utilisation de pesticides se traduit par des effets chroniques (Mias et al., 2013) par opposition aux risques aigus accidentels technologiques en industrie par exemple. Le risque en milieu agricole a aussi des caractéristiques diffuses (Mias et al., 2013) : il est imperceptible, omniprésent et les effets sont incertains pour les agriculteurs. Enfin, les dispositifs de prévention, les réglementations et les parties prenantes vont être variés, comme le rapport au risque des agriculteurs en situation.

40La suite de cet article s’appuie sur trois recherches-actions en agriculture afin de discerner et comprendre ce qui fonde la prévention construite.

3. Méthode de recherche-action pour le développement d’une prévention construite

41Cet article analyse trois cas de recherche-action en mettant en évidence ce qui constitue une prévention réglée et gérée, ainsi qu’un renforcement d’une prévention construite. L’étude de cas est utilisée dans un large éventail de disciplines dans le domaine des sciences sociales et en ergonomie (Leplat, 2002) pour étudier différents phénomènes liés aux individus, aux groupes et aux organisations (Vidal-Gomel & Delgoulet, 2022).

42Le Tableau 1 suivant résume les méthodes et données recueillies en fonction des cas.

Tableau 1 : Méthodes mises en œuvre en fonction des trois recherches‑actions. 
Table 1: Methods used for the three action research projects

Tableau 1 : Méthodes mises en œuvre en fonction des trois recherches‑actions.  Table 1: Methods used for the three action research projects

43L’analyse qualitative des données s’est orientée en fonction des objectifs de chaque méthode décrits dans le Tableau 1 ci-dessus. Une analyse thématique des verbatims a été menée avec Nvivo. En complément, l’analyse quantitative s’est appuyée sur un codage d’observables avec les logiciels The Observer XT et Captiv. Dans les premier et dernier cas, une analyse en laboratoire des prélèvements (eau de lavage de mains et lingettes) a été menée (chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse en tandem, GC-MS/MS, ainsi que par chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem, HPLC-MS/MS). Un dernier niveau d’analyse a consisté à organiser ces résultats qualitatifs afin de décrire ce qui constitue une prévention gérée au travers des activités finalisées des agriculteurs, une prévention réglée, ainsi que des perspectives de prévention construite, comme précisé dans la partie 2.5.

44Cet article s’appuie sur trois exemples pour illustrer notre propos sur la prévention gérée, réglée et construite, en établissant des liens entre ces composantes. L’enjeu de cette focalisation est de permettre de détailler ces exemples.

45Les résultats sont présentés pour chaque cas en analysant dans un premier temps la prévention réglée. Les activités finalisées des agriculteurs (prévention gérée) sont ensuite comparées à la prévention réglée. Nous analysons finalement les développements assimilables à une prévention construite.

4. Contribution à la conception du matériel de pulvérisation

46Ce premier cas s’appuie sur une recherche-action portant sur la compréhension de situations d’exposition aux pesticides lors de l’utilisation de pulvérisateurs viticoles en France (Albert, 2022). Au cours des activités de traitement, ces matériels se révèlent être des déterminants de ces situations en raison de leur conception. En effet, les viticulteurs rencontrent de nombreuses difficultés lors de l’utilisation du pulvérisateur en raison de la conception, de l’emplacement et du fonctionnement de ses différents organes (filtres, buses, écran, cuve, vannes, etc.). Ces difficultés – aussi associées à des pannes et des incidents – entraînent dans une majeure partie des cas des situations d’exposition aux pesticides, ainsi que divers risques en interaction dans l’activité des agriculteurs. Pour autant, en matière de santé et de sécurité, la conception des pulvérisateurs relève d’une diversité d’exigences réglementaires dont les fabricants doivent tenir compte. Cela nous amène alors à nous questionner sur la capacité des processus de conception et de la réglementation qui s’y applique – en tant que prévention réglée – à offrir une protection adéquate.

4.1. Prévention réglée : réglementation pour la conception des pulvérisateurs

47En matière de santé et de sécurité, les règles pour la conception et l’utilisation des pulvérisateurs résultent de deux niveaux principaux : la conception et la réglementation qui s’y appliquent. Aujourd’hui, la conception des pulvérisateurs est encadrée à l’échelle européenne par le règlement 2023/1230 (Règlement [UE] 2023/1230 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2023 sur les machines, abrogeant la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 73/361/CEE du Conseil). Ce règlement définit des exigences essentielles en matière de santé et de sécurité que les fabricants doivent respecter pour commercialiser leurs machines. Pour respecter ces exigences et se voir obtenir une présomption de conformité à la directive, les fabricants peuvent avoir recours à des normes techniques harmonisées. Dans un contexte juridique et normatif relativement dense (Albert, 2020, 2022), les activités de conception sont, de fait, déterminées par une diversité de prescriptions qui visent la conception et l’utilisation de machines « sûres ». Ces prescriptions reposent avant tout sur des principes généraux dans une logique d’intégration de la sécurité dans la conception.

48Néanmoins, qu’il s’agisse des activités de conception, du contenu de la réglementation ou des activités de son élaboration, les analyses menées dans le cadre de cette recherche-action à ces différents niveaux mettent en évidence une faible prise en compte de l’activité des agriculteurs. Les règles de conception et d’utilisation des pulvérisateurs ont tendance à être élaborées à distance des situations réelles de travail, ne permettant pas de prévenir efficacement les difficultés rencontrées par les agriculteurs et les situations d’exposition aux pesticides qui en découlent. Par exemple, au cours des processus de conception, les fabricants ne mettent pas en place de techniques spécifiques d’analyse des usages et des risques de contamination. L’analyse du contenu de la réglementation et de ses activités d’élaboration révèle les mêmes lacunes (Albert et al., 2023a, 2023b). Les phénomènes dangereux identifiés se limitent à des conditions de travail nominales occultant la complexité des situations de travail, leurs variabilités et les incidents rencontrés quotidiennement par les agriculteurs. Dans ce contexte, les usages réels des pulvérisateurs en situation de travail s’écartent des usages prescrits et souhaités par les concepteurs et la réglementation.

49Si la prévention réglée présente des avantages en raison de l’intégration évidente de critères de santé et de sécurité dans la conception des pulvérisateurs (principes d’intégration de la sécurité dans la conception en partie similaires aux principes de prévention de la directive-cadre de 1989), elle présente aussi des limites. En effet, les différentes règles ne sont pas suffisantes pour prévenir efficacement les difficultés rencontrées par les agriculteurs et les situations d’exposition aux pesticides qui en découlent. Pour autant, les stratégies mises en place par les agriculteurs pour y faire face se présentent comme des indices de leur contribution à la construction de la prévention.

4.2. Prévention gérée : stratégies opératoires et genèses dans les activités d’épandage

50Pour faire face aux difficultés rencontrées dans leurs activités, les viticulteurs sont amenés à développer des stratégies en apportant, par exemple, directement des modifications à leur matériel de façon à convenir à l’utilisation qu’ils en font (Albert et al., 2021). Ces processus – autrement appelés genèses instrumentales (Rabardel, 1995) – constituent des indices de la contribution des utilisateurs à la conception. De ce fait, les genèses instrumentales peuvent résulter de pratiques de prévention gérée en raison de leur capacité à prévenir des situations d’exposition aux pesticides. Par exemple, au cours des traitements, il arrive que les bâches blanches supérieures accrochées aux panneaux récupérateurs viennent heurter un piquet ou un arbre, entraînant leur déchirement. Cela demande alors au viticulteur d’intervenir sur le matériel pour remplacer ces bâches, ce qui entraîne des situations d’exposition aux pesticides en raison de la proximité des voies respiratoires avec les produits et les contacts avec le matériel (voir Figure 3).

Figure 3 : Réparation des bâches lors d’un épandage amenant l’agriculteur à circuler entre les balais. 
Figure 3: Repairing tarpaulins during spraying, causing the farmer to move between the brooms

Figure 3 : Réparation des bâches lors d’un épandage amenant l’agriculteur à circuler entre les balais.  Figure 3: Repairing tarpaulins during spraying, causing the farmer to move between the brooms

« Lorsque le pulvé est en action, il y a possibilité que cette bâche vienne percuter ou un piquet ou une branche. Le dispositif franchement n’est pas solide du tout. Il est relié avec des petits tendeurs qui ont tendance à s’user, à se déchirer […] on peut les changer, mais c’est très, très difficile à replacer en fait. […] C’est complètement galère. […] et puis en termes d’expo, c’est une horreur. J’en ai plein les cheveux parce que ça engrange une énorme quantité de produits en fait ces bâches, elles sont extrêmement difficiles à nettoyer depuis l’intérieur de la cellule. […] elles restent gorgées de produits et dès qu’on s’en approche, on est en contact. » (Viticulteur)

51Pour pallier ces difficultés, le viticulteur a pris la décision de retirer des bâches sur les panneaux récupérateurs. En réalisant cette action, il tâche d’éviter les incidents qui lui demanderaient d’intervenir à l’intérieur des panneaux récupérateurs et prévient des situations d’exposition aux pesticides qui découleraient de cette intervention.

« Là, je les ai enlevées. […] c’est une vraie galère, moi j’en ai enlevé deux à la fin. » (Viticulteur)

52La modification apportée au matériel relève d’une stratégie effectivement mise en œuvre permettant de prévenir de futures situations d’exposition aux pesticides. L’analyse et la compréhension des activités de traitement sont alors essentielles à l’identification de ces stratégies pour rendre compte des pratiques de prévention gérée. Si ces stratégies ne permettent pas toujours de hiérarchiser des critères de protection (Albert et al., 2021), elles constituent néanmoins des objets de discussion indispensables pour viser le développement d’une prévention construite.

53Comme pour d’autres situations de travail agricole, il est constaté une proximité entre les risques liés à l’utilisation de pesticides et les risques de chute par exemple. L’intervention de l’agriculteur pour vérifier le fonctionnement de la pulvérisation, ou pour nettoyer le tracteur, l’amène à monter sur la cabine du tracteur lors d’une observation. L’apport de l’analyse de l’activité, pour appréhender la sécurité gérée, est de rétablir les liens entre ces risques dans le travail. L’intervention de l’agriculteur en haut du pulvérisateur génère de nouvelles expositions potentielles par contact avec les surfaces souillées du matériel à la suite de la pulvérisation. La prise en compte de ces risques est essentielle pour les projets de conceptions visant à intégrer les limites de la conception du matériel agricole. La Figure 4 illustre deux situations à risque de chute de hauteur et de contact avec les pesticides.

Figure 4 : Intervention de l’agriculteur sur la cabine du tracteur susceptible de générer une chute et une exposition aux pesticides. 
Figure 4: Intervention by the farmer on the tractor cab likely to result in a fall and exposure to pesticides

Figure 4 : Intervention de l’agriculteur sur la cabine du tracteur susceptible de générer une chute et une exposition aux pesticides.  Figure 4: Intervention by the farmer on the tractor cab likely to result in a fall and exposure to pesticides

54Un lien avec la surcharge cognitive de l’agriculteur peut être fait, au regard des pressions temporelles pour réaliser le traitement. En effet, la réalisation des traitements se fait dans des cadres temporels particulièrement contraints pour les agriculteurs. Des impacts sur les dimensions psychiques et cognitives apparaissent. Les difficultés liées à la conception du matériel agricole deviennent des facteurs clés à prendre en compte.

4.3. Prévention construite : développement de repères pour la conception du matériel, des règles et de l’activité

55Pour contribuer au développement d’une prévention construite dans ce contexte, il est nécessaire de réfléchir aux conditions à réunir pour que l’élaboration des règles susmentionnées se fasse à proximité du travail réel des agriculteurs et des stratégies de prévention qu’ils mettent en place en situation. Les règles émanant des pratiques de prévention réglée (normes juridiques et techniques, choix de conception) ont tendance à être élaborées à distance de l’activité de travail réelle des agriculteurs. Alors que ces règles pourraient constituer des ressources quant à l’intégration de critères de santé et de sécurité dans la conception et pour l’utilisation des pulvérisateurs, elles jouent un rôle dans l’apparition des difficultés rencontrées par les agriculteurs et des situations d’exposition aux pesticides qui en découlent. Pour agir sur les difficultés générées par les règles, la création d’espaces d’échanges (groupes de travail) entre la diversité des acteurs concernés (agriculteurs, concepteurs, acteurs de la réglementation) s’avère pertinente pour permettre le développement d’une prévention construite. Ces espaces d’échanges doivent permettre – au moyen des connaissances produites et à partir des stratégies concrètes mises en œuvre par les agriculteurs au cours de leur activité – de faire évoluer les règles afin que celles-ci deviennent une ressource pour l’activité des agriculteurs et pour la prévention des situations d’exposition aux pesticides.

56Au cours de la recherche-action, les restitutions des connaissances produites auprès des fabricants (réunions et transmission de documents) ont permis de faire évoluer la conception des pulvérisateurs. En effet, sur le développement d’une nouvelle gamme, les concepteurs ont intégré de nouveaux repères de conception tenant compte des enjeux de santé et de sécurité pour les agriculteurs (évolution du cahier des charges). De plus, afin de faire évoluer le contenu même des règles, des discussions (réunions et participation au sein de la commission U26A) sont en cours avec des acteurs chargés de l’élaboration des normes techniques (ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, AFNOR) afin d’intégrer de nouvelles exigences visant à davantage prévenir les situations d’exposition aux pesticides au sein de la norme EN ISO 4254-6 (Matériel agricole – Sécurité – Partie 6 : Pulvérisateurs et distributeurs d’engrais liquides). Enfin, afin de poursuivre le développement de cette prévention construite, nous menons actuellement le projet PulvERGO. Ce projet a pour objectif de développer une plateforme de simulation qui doit permettre aux concepteurs, aux agriculteurs et aux acteurs de la réglementation d’anticiper au mieux et le plus en amont possible les difficultés et les situations d’exposition aux pesticides rencontrées par les agriculteurs à l’utilisation d’une future machine. Sur la base d’un environnement virtuel, cette plateforme représentera une occasion d’agir sur la conception et la réglementation à partir des simulations réalisées. En effet, ces simulations devront permettre d’évaluer les avantages et les inconvénients des pratiques de prévention réglée à partir des stratégies mises en place par les agriculteurs et ainsi favoriser le développement d’une prévention construite.

5. Développement de la prévention des risques lors de la réalisation de semis

57Cette deuxième recherche-action s’appuie sur une étude exploratoire portant sur l’activité de semis des agriculteurs (Fredj, 2021). À la demande de trois conseillères en prévention des MSA de Charente et des Landes, cette étude porte, d’une part, sur une meilleure connaissance des activités de semis et, d’autre part, sur les usages que font les agriculteurs des nouvelles technologies (Goutille et al., 2023). Afin de répondre à ces objectifs, la méthodologie mise en place se divise en deux parties : une analyse qualitative faite grâce à des observations de terrain, une analyse des vidéos et des entretiens, et une analyse quantitative, réalisée par codage avec le logiciel Captiv.

58Pour mener à bien leur activité, les agriculteurs travaillent avec : des engins agricoles (tracteur, semoir, distributeur d’engrais), de nouvelles technologies (tablette écran, tablette de semis, contrôleur d’engrais, etc.), de la semence (maïs) et des produits phytosanitaires. Les produits phytosanitaires sont utilisés sous différentes formes (poudre, liquide ou en enrobage sur les graines). Ces différents déterminants de l’activité font ressources pour les agriculteurs (amélioration des conditions de travail et augmentation d’une production qualitative et quantitative), mais occasionnent aussi des difficultés qui génèrent des risques pour les agriculteurs.

5.1. Prévention réglée : nouvelles technologies et prescriptions

59Diverses formes de prescriptions sont adressées aux agriculteurs tant par les coopératives, les fabricants, que les concessionnaires.

60Les fabricants rédigent et transmettent des manuels d’utilisation aux agriculteurs lors de l’achat des engins ou des nouvelles technologies. Ces manuels fournissent des indications sur la façon d’utiliser les engins et peuvent même indiquer comment résoudre des difficultés. Ils sont ressources pour les agriculteurs qui peuvent aussi avoir des difficultés à s’en saisir sur le terrain. En effet, chaque déterminant technique de l’activité est accompagné de son manuel (un manuel pour le tracteur, le semoir, la tablette semoir, le GPS, etc.). Il y a donc non seulement un nombre important de manuels, mais en plus, avec un nombre important de pages (parfois plus de cent), ce qui rend difficile la recherche d’informations et de solutions et peut exposer les agriculteurs à différents dangers, dont les produits phytosanitaires. Au-delà des manuels, il manque des consignes de sécurité propres à l’usage des machines dangereuses : cardan, semoir.

61Il existe également des prescriptions des concessionnaires pour guider les agriculteurs en cas de dysfonctionnement et limiter les sollicitations des agriculteurs vers les concessionnaires.

62À ces prescriptions s’ajoutent les prescriptions rédigées par la coopérative concernant la production attendue sous forme de documents, de calendriers pour les semis et d’objectifs. On y retrouve les obligations de semer, mais aussi la façon de traiter les maladies propres au maïs dans notre cas.

5.2. Prévention gérée : expositions potentielles, régulations et mobilisations de ressources externes

63Sur le terrain, les agriculteurs développent des stratégies pour tenter de faire face aux difficultés qu’ils rencontrent, et prévenir les situations d’exposition aux dangers.

64Par exemple, le semoir est une machine agricole qui se compose d’éléments semoir (les agriculteurs y déversent la semence) et d’éléments pesticides (les agriculteurs rajoutent s’ils le souhaitent des produits phytosanitaires). Il arrive que ces éléments ne soient pas fabriqués par les concepteurs du semoir, mais par des concepteurs d’une autre marque. Ce sont alors les concessionnaires qui assemblent les éléments pesticides et le semoir. Cela peut mettre en difficulté l’agriculteur. En effet, lors du déversement du produit phytosanitaire, le visage de l’agriculteur se retrouve face aux éléments pesticides. Pour s’exposer le moins possible aux produits phytosanitaires, les agriculteurs se mettent dos au vent ou montent sur un bloc de béton pour se surélever (ce qui permet aussi de prévenir les risques liés à de la manutention manuelle).

65Lors de nos observations, un agriculteur était en train de semer lorsque les éléments du semoir se sont verrouillés. Sur la tablette apparaît un cadenas qu’il n’arrive pas à enlever ; le semoir est bloqué. L’agriculteur sort, se rapproche du semoir, ouvre les éléments du semoir, et donc s’expose aux semences enrobées de pesticides pour tenter de trouver une solution. Les informations pour déverrouiller le cadenas étaient indiquées dans le manuel, mais ne sachant pas quel manuel utiliser et dans quel chapitre chercher, l’agriculteur n’a pas pu se saisir de cette ressource.

66Lors de la rédaction de ces manuels, les fabricants ne prennent pas assez en compte le travail réel des agriculteurs ainsi que leurs différentes manières de faire et d’agir. De plus, la prescription n’est pas pensée pour limiter l’exposition des agriculteurs aux différents dangers. Certains fabricants essaient d’avoir un retour d’expérience des agriculteurs en utilisant des questionnaires. Cependant, ces questionnaires ne semblent pas permettre d’évoquer le travail réel des agriculteurs.

67Concernant les autres risques, le nettoyage du semoir par l’agriculteur à l’aide d’une soufflette a été observé. Ce nettoyage a lieu une à deux fois par an. La situation génère à la fois un risque lié aux expositions aux pesticides par la remise en suspension d’aérosols présents sur les semis, ainsi qu’un risque de chute. Ce cas souligne encore l’enjeu de passer par les activités pour comprendre l’interaction entre les risques. Les limites de la sécurité gérée apparaissent alors, le mode opératoire développé par l’agriculteur contribuant à la persistance de risques. Nous imaginons l’enjeu d’actions collectives à différentes échelles pour pallier ces situations. La Figure 5 montre l’agriculteur lors du nettoyage du semoir.

Figure 5 : Nettoyage du semoir à l’aide d’une soufflette par l’agriculteur, source de risques. 
Figure 5: Farmer’s use of a blower to clean the seed drill is a source of  risks

Figure 5 : Nettoyage du semoir à l’aide d’une soufflette par l’agriculteur, source de risques.  Figure 5: Farmer’s use of a blower to clean the seed drill is a source of  risks

68Comme dans le cas précédent, les incidents techniques liés à l’utilisation du matériel agricole peuvent entraîner des situations de surcharge cognitive au regard des caractéristiques organisationnelles contraintes de ce travail. Ce constat ouvre sur la possible prise en compte des risques psychosociaux dans cette approche de la prévention.

5.3. Prévention construite : connaissances de la terre, des activités, et collaborations pour éviter les expositions

69Ce travail met en avant l’enjeu de diffuser ces connaissances sur les activités de semis dans ce système pluri-acteurs afin de contribuer à tenir compte de ces activités, de leurs ressources et de leurs difficultés, dans les prescriptions élaborées.

70Les manuels d’utilisation élaborés par les fabricants ne prennent pas assez en compte le travail réel des agriculteurs. De plus, il semblerait y avoir un manque d’échanges entre l’ensemble des fabricants (fabricant de tracteurs, de semoirs, de nouvelles technologies, etc.) impliqués dans l’activité de semis des agriculteurs. Ces deux faits peuvent occasionner des difficultés pour les agriculteurs et des risques en découlent.

71Dans notre exemple du semoir verrouillé, les agriculteurs mobilisent d’autres ressources que le manuel pour contourner ces difficultés. Par exemple, l’agriculteur décide d’appeler le concessionnaire qui lui donne directement la solution lorsqu’il s’expose à des pesticides parce que les éléments de son semoir se sont verrouillés. Le concessionnaire est ressource et permet à l’agriculteur de gagner du temps et de réduire son exposition.

72Pour faire face à ces difficultés, il faudrait que les concepteurs échangent entre eux et prennent en compte les spécificités du travail des agriculteurs, leurs connaissances des expositions et les stratégies qu’ils mettent en place. Aussi, les connaissances de la « terre » par les agriculteurs sont présentées comme une ressource élaborée dans l’expérience comme un facteur essentiel dans la prise de décision et l’organisation du travail des agriculteurs. Le rôle des préventeurs de la MSA comme trait d’union entre concessionnaires et agriculteurs est aussi souligné.

73En effet, l’une des hypothèses de ce travail repose sur le fait que les agriculteurs feraient évoluer leurs pratiques et remettraient en question les connaissances qu’ils ont de la terre. Cette dernière est de plus en plus au centre des attentions des agriculteurs. Prendre soin de la terre permettrait d’avoir un meilleur rendement, d’assurer sa pérennité, mais aussi de s’inscrire dans le sens de la prévention. Par exemple, en fonction de la terre, de ses caractéristiques et de son potentiel, l’agriculteur va choisir les quantités de pesticides, d’azote ou d’herbicide à mettre. De ce fait, il limite l’utilisation de produits en fonction des besoins de la terre.

74Une restitution auprès des préventeurs de la MSA et la production d’un rapport ont permis de rendre visible cette activité essentielle aux agriculteurs, de retracer les ressources et les difficultés qu’ils pouvaient rencontrer, mais aussi de mettre en évidence l’importance de la terre. Cette restitution a aussi donné l’occasion aux préventeurs de se questionner sur le rôle qu’ils pouvaient avoir afin que les agriculteurs rencontrent moins de difficultés. Ce travail de prévention construite incomplet mérite d’être poursuivi.

6. Comparaison des usages des contenants de pesticides en France et au Québec

75Ce troisième cas est issu d’une analyse croisée des travaux de thèse de Caroline Jolly (2022) et Fabienne Goutille (2022). Les deux recherches menées visaient à caractériser et agir sur les déterminants des situations à risque pesticides en France (Goutille, 2022) et au Québec (Jolly, 2022). Au cours des activités de traitement, les contenants de pesticides, les équipements de protection mais aussi les règles liées aux traitements se révèlent être des déterminants des situations critiques rencontrées par les agriculteurs dans le travail réel. Dans ces deux recherches, les contraintes techniques, sociales et humaines, associées aux contenants de pesticides des viticulteurs et des pomiculteurs, ont pu être établies comme déterminants sur lesquels agir pour transformer les situations d’exposition aux pesticides et construire la prévention.

6.1. Prévention réglée : réglementations et obligations relatives à la conception et à l’usage des produits dangereux en agriculture européenne et québécoise

76Les produits toxiques proposés aux agriculteurs européens et québécois pour le traitement des cultures font l’objet de nombreuses réglementations. Les obligations concernent notamment la conception et l’usage des contenants, deux points que nous allons traiter ici.

77Le fabricant de produits classés dangereux a le devoir, aussi bien en Europe qu’au Québec, de fournir des emballages sécuritaires : « Tout emballage doit être fabriqué de manière à permettre […] le prélèvement d’une partie ou de la totalité du contenu en toute sécurité » (DORS/2006-124 [Gaz. Can. II], art. 33). Ceux-ci doivent être conçus et scellés « de manière à empêcher toute déperdition du contenu » ([CE] n° 1272/2008). Les contenants ou emballages doivent être en matériaux assez solides pour ne pas être attaqués par les produits chimiques et « exclure tout relâchement » ([CE] n° 1272/2008). Les fermetures doivent être sécurisées pour les enfants tout en devant être résistantes de manière à « répondre en toute sécurité aux tensions et efforts normaux de manutention » ([CE] n° 1272/2008). Précisons que les agences d’homologation, notamment au Québec, rendent prioritaires certains types d’emballages dans l’objectif de réduire l’exposition des utilisateurs, par exemple le sachet hydrosoluble en lieu et place des granulés ou de poudre mouillable pour le captane (principale matière active utilisée en pomiculture) (Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, 2018 : RVD2018-12 – captane et préparations commerciales connexes).

78L’obligation des fabricants concerne également l’étiquetage des produits de traitement. Tout emballage doit porter de manière lisible et indélébile certaines indications spécifiques. Au-delà du nom commercial de la préparation, et des coordonnées du responsable de sa mise sur le marché, le fabricant doit indiquer le nom chimique de la substance ou des substances présentes (qui ont donné lieu au classement de la préparation en ce qui concerne les dangers pour la santé) ainsi que les symboles et les indications de danger, les phrases de risques et les conseils de prudence. La Figure 6 représente l’étiquette d’un produit homologué pour le traitement de la tavelure du pommier. Entre les diverses informations agronomiques et sécuritaires (dosage par hectare, fréquence de traitement, équipements de protection, etc.), l’utilisateur peut retrouver les recommandations concernant l’usage des produits sous forme hydrosoluble, ceux-ci doivent être insérés « non ouverts, directement dans le réservoir de pulvérisation ».

Figure 6 : Extrait de l’étiquette du fongicide SUPRA CAPTAN 80 WSP©
Figure 6: Extract from the SUPRA CAPTAN 80 WSP© fungicide label

Figure 6 : Extrait de l’étiquette du fongicide SUPRA CAPTAN 80 WSP©.  Figure 6: Extract from the SUPRA CAPTAN 80 WSP© fungicide label

79En France comme au Québec, les utilisateurs ont l’obligation de respecter les instructions rapportées par le fabricant sur l’étiquette du produit. C’est à l’agriculteur employeur de mettre en place les mesures de protection adaptées à la sécurisation de l’accès aux produits et à leur usage effectif conformément aux instructions d’utilisation de l’étiquette. En Europe, les utilisateurs doivent aussi se référer à la fiche de données de sécurité (FDS) qui contient des informations complémentaires relatives à la sécurité et à la protection des travailleurs impliqués dans le traitement des cultures.

6.2. Prévention gérée : usages des produits de traitement et préservation de soi

80Au cours d’une saison de traitement, les deux populations d’agriculteurs étudiées utilisent chacune plus d’une dizaine de produits différents. Ces populations manipulent des contenants très variables, en termes de dimensions (poids, taille, volume) et de conception (matériaux papier ou plastique, emballage en carton, bidon, sachet, etc.). Ceux-ci peuvent aller d’un kilogramme à plusieurs dizaines de litres.

81Qu’il s’agisse de sacs (poudres ou granules) ou de bidons (liquide), les contenants apparaissent difficiles à manipuler du fait de leur gabarit (ratio hauteur, largeur et épaisseur) et de leur poids. La Figure 7 illustre le matériel et les contenants nécessaires pour préparer un épandage sur une exploitation viticole.

Figure 7 : Exemple de contenants nécessaires à une préparation sur une exploitation viticole. 
Figure 7: Example of the containers needed for a preparation on a vineyard

Figure 7 : Exemple de contenants nécessaires à une préparation sur une exploitation viticole.  Figure 7: Example of the containers needed for a preparation on a vineyard

« Je pense que vraiment le gros critère de travailler avec un bidon, c’est la grosseur du goulot pour pas que ça fasse poploc poploc quand qu’on verse, pis aussi le poids. Tu sais quand tu mets un engrais, que sa densité est de beaucoup supérieure à l’eau, c’est pas long qu’il devient pesant, le bidon là. » (Viticulteur)

82Ainsi, les agriculteurs maintiennent les contenants proches de leur corps pour faciliter le contrôle du débit lors du transvasement. Nous constatons que cette pratique occasionne des contacts avec les aérosols ou les éclaboussures ainsi que les résidus présents sur l’emballage (voir Figure 8).

Figure 8 : Trace d’écoulement du produit liée à la difficulté d’ouverture d’un bouchon scellé. 
Figure 8: Trace of product dripping due to difficulty in opening a sealed cap

Figure 8 : Trace d’écoulement du produit liée à la difficulté d’ouverture d’un bouchon scellé.  Figure 8: Trace of product dripping due to difficulty in opening a sealed cap

83Pour se protéger des aérosols, les agriculteurs développent diverses pratiques. Ils vont se placer à l’extérieur et dos au vent pour verser la quantité de produits nécessaire, d’autres ont installé un système de ventilation pour agir sur le flux d’air.

84Pour éviter les éclaboussures, lors du dosage des liquides, certains penchent le bidon de sorte à favoriser l’entrée d’air et éviter une perte de produits.

85Pour limiter les contacts avec le sac, réduire les aérosols et contrôler la quantité extraite, certains utilisent une petite pelle leur permettant de prélever directement dans le sac, surtout lorsqu’il est plein.

86Qu’il s’agisse de sacs ou de bidons, les agriculteurs utilisent fréquemment des contenants intermédiaires pour incorporer. Ils déposent le produit de manière à ce que la hauteur de chute soit réduite ou place le contenant au sol pour réduire l’effort de manipulation.

87Lors de l’incorporation, plusieurs agriculteurs choisissent de ne pas suivre les instructions inscrites sur l’étiquette. Ils vont par exemple maintenir en place le tamis contrairement aux recommandations afin de favoriser le contrôle de la qualité de la dissolution et prévenir des situations d’obstruction du filtre de la pompe. Cela permet de limiter des situations d’exposition ultérieures.

88Concernant les produits conditionnés en sachet hydrosoluble. Les pomiculteurs rapportent que ceux-ci sont longs à dissoudre, et que cela rallonge la durée de la préparation. Un des inconvénients majeurs concerne le nuage de poussière qui se forme au-dessus de la cuve, dans l’environnement de travail et sur la personne qui réalise la préparation :

« Parce que les contenants solubles dans l’eau, les Solupack qu’ils appellent là, en tout cas s’ils continuent de faire ça de même là, ç’a pas d’avenir. C’est mal fait. C’est pas vrai que ça se dilue, c’est pas vrai que ça fait pas de nuage là. Tu sais quand tu le mets dans l’eau un moment donné là la poche elle pff pis là tu vois le nuage pareil là. » (Pomiculteur)

89Ainsi, les pomiculteurs développent des pratiques pour réduire cette exposition aux aérosols. Certains vont effectuer une pré-dispersion dans un seau leur permettant également de bien contrôler la qualité de la dissolution avant de verser le contenu dans le pulvérisateur. D’autres vont mettre les sachets dans le tamis en prenant soin de tenir fermé le couvercle de l’ouverture pendant la dissolution « C’est ben important de fermer le couvert parce que ça fait toujours, quand les sacs ils vont s’éclater là, on devrait voir de la fumée sortir là ». Contrairement aux instructions, certains pomiculteurs ouvrent les sachets hydrosolubles afin de réduire le temps de dispersion et de s’assurer que le sachet ne vient pas coller ou bloquer le filtre de la pompe du pulvérisateur qu’il faudrait alors nettoyer. Cette pratique vise elle aussi à se préserver.

6.3. Prévention construite : générer et valoriser une expérience collective pour agir sur la conception des usages des pesticides et de leurs contenants

90Les exemples présentés dans la partie 6.2. démontrent des problèmes d’usage des différents types de contenants. Ces difficultés renforcées par des matériels agricoles non conçus pour fonctionner ensemble (par exemple pulvérisateurs et contenants) (Goutille, 2022 ; Jolly, 2022) obligent certains agriculteurs à agir à l’encontre des instructions rapportées par le fabricant.

91L’étude comparée du travail des agriculteurs québécois et français montre qu’ils cherchent à favoriser la qualité de leur travail tout en devant agir dans un temps restreint au sein d’un environnement dynamique. Cet environnement de travail dynamique demande des adaptations spécifiques des agriculteurs aux aléas météorologiques, aux technologies toujours plus nouvelles qu’il s’agit de s’approprier ou aux acteurs de différents niveaux qui conditionnent et « interpénètrent l’activité » (Goutille & Garrigou, 2021a) dans ses différentes dimensions techniques, sociales et organisationnelles. C’est dans ce contexte que les agriculteurs mettent en place des pratiques pour limiter leur exposition et se préserver (Jolly, 2022). Nos observations montrent que ces pratiques pourraient être utilisées pour repenser les contenants en réunissant des communautés d’agriculteurs et de concepteurs tels que les fabricants de pesticides et les concepteurs des règles de mise sur le marché de ces produits.

92Par exemple, alors que les viticulteurs pouvaient imaginer les sachets hydrosolubles comme une solution pour réduire l’exposition, les pomiculteurs qui avaient déjà éprouvé cette technologie soulevaient des problèmes dans l’usage.

« Il faudrait même pour te dire… Ça, ça a été fait à un moment, mais ils ne le font plus. Il faudrait déjà que tous les produits soient solubles, et que tous les produits soient dans des sachets micro qui fondent à l’eau […] Et puis tu ne touches plus rien… Tu prends ton… Et puis il n’y a pas de poussière, et puis il n’y a pas d’éclaboussure. Tu prends ton sachet, tu le mets dans la cuve, tu fermes la cuve [le viticulteur claque des mains], et terminé… » (Pomiculteur)

93D’après un des viticulteurs, ce type de technologie existerait déjà sans avoir été généralisé dans tous les secteurs agricoles, ni pour tous les produits nécessaires aux traitements des vignes :

« Mais ça existe… Des produits en poudre dans des sacs hydrosolubles. T’as ton produit, tu as ta dose pour l’hectare, tu mets ta dose à l’hectare dedans et terminé… Et là il n’y a pas de poussières, il n’y a rien […]. Le problème c’est que ça existe que pour très peu de choses… Ce n’est pas assez diffusé ou fabriqué ou généralisé. » (Viticulteur)

94Dans le cadre des ateliers multi-acteurs menés en France et au Québec, les acteurs de la prévention (au Québec) et les chercheurs en santé publique (en France) ont pu directement échanger avec les agriculteurs participants au projet, ceci à partir du travail réel et des expositions réelles enregistrées par les chercheuses ergonomes (vidéo de l’activité et métrologie des pesticides). Plusieurs acteurs ont mentionné devant le groupe leur satisfaction d’être tous ensemble pour échanger autour de la santé et de la sécurité des agriculteurs, sujet rarement discuté collectivement au Québec. Les acteurs ont également reconnu leur manque de connaissance sur le travail réel des agriculteurs et la nécessité de collaborer pour leur offrir des outils limitant leur exposition (Jolly, 2022). Les échanges, basés sur des objets intermédiaires (Judon, 2017), ont permis aux acteurs en présence de visionner des extraits de situations de travail, de saisir la complexité du travail et des expositions et de constater les contraintes rencontrées par les agriculteurs lors du travail avec les contenants actuels. Par exemple, lors de la présentation de photos illustrant l’utilisation d’un pesticide en sachet hydrosoluble au Québec, un acteur de la prévention a mentionné en voyant la présence d’aérosols dispersés dans l’environnement lorsque le sachet hydrosoluble perce que cela « vient annuler l’effet » souhaité de protéger l’opérateur. Dans les deux recherches, ce type d’échanges construits sur le réel a permis de cibler des limites des moyens actuels de prévention et de réglementation des pesticides prescrits en France et au Québec, mais également de dégager des pistes de solution (Jolly, 2022) et de promotion de la santé (Goutille & Garrigou, 2021b). Ces ateliers ont ainsi donné la possibilité aux acteurs de construire leur connaissance sur les situations d’exposition et leurs déterminants, et de changer leur regard sur la prévention des risques, se détachant des équipements de protection individuelle (EPI) trop souvent priorisés comme moyens de prévention, pour aller vers de nouvelles règles plus opérationnelles.

95Réunir et confronter les points de vue de chacun autour de situations concrètes de travail permet d’avancer à plusieurs pour trouver comment contourner les contraintes inhérentes à l’usage des produits. Dans la continuité des travaux de Jolly (2022) et de Goutille (2022), la réunion d’agriculteurs et de concepteurs, tels que des fabricants et des concepteurs des règles de mise sur le marché et du retrait des pesticides, pourrait permettre de développer des produits de traitement (contenants, équipement de protection, etc.) correspondant aux besoins réels des agriculteurs, ceci au-delà de la logique marketing sur laquelle repose actuellement la mise sur le marché des produits en termes de diversité de contenants et de composition.

7. Discussion

7.1. Des conflits dans les situations d’exposition à la construction des activités des agriculteurs

96Cette évolution méthodologique de la prévention réglée, gérée à construite permet une caractérisation globale et approfondie des pratiques de sécurité, et la possibilité d’agir sur le développement de situations de travail sûres. Cependant, sa mise en œuvre nécessite des ressources importantes pour la mesure et l’analyse des pratiques de sécurité. De plus, les analyses des pratiques de sécurité réalisées sont focalisées sur une situation de travail, limitant la variabilité et les possibilités d’ajustement continu du système dans le temps. Des études complémentaires sont nécessaires pour tester la méthode dans d’autres environnements professionnels et assurer son transfert. Il semble central dans cette approche d’analyser les activités réelles de travail pour réexaminer les exigences de sécurité et les perspectives de développement.

97À propos de la méthode, l’analyse en trois temps de la prévention réglée, gérée, puis construite apparaît comme un processus de développement de la prévention. Ces dimensions de la prévention constituent en même temps les étapes de mise en œuvre de son processus de développement.

98Cette approche de la prévention construite questionne les approches traditionnelles de la sécurité réglée et gérée, voire de la sécurité intégrée, décrite comme l’articulation ou l’intégration des pratiques de sécurité gérées et réglées. En effet, il apparaît que les pratiques de prévention construite peuvent à la fois résulter de l’élaboration de prescriptions de prévention fondées sur une connaissance des pratiques de prévention gérées, mais aussi se construire au niveau des sujets dans l’exercice de leur travail, en mobilisant des connaissances déduites ou traduites de la prévention réglée en fonction des situations de travail et des variabilités rencontrées, afin de développer des pratiques de prévention construites individuelles ou collectives. En ce sens, la perspective que nous adoptons sur la prévention construite tend vers la description de la sécurité en action (de Terssac, Boissières, & Gaillard, 2009). La notion de temporalité et de culture est essentielle dans cette acception de la prévention construite, renvoyant aux origines des théories de l’activité.

99Une contribution de ce travail réside dans la caractérisation de « métaméthodes » jouant un rôle déterminant dans la conception de la sécurité construite. Nous entendons par métaméthodes toutes les actions menées par les intervenants pour développer des méthodes et assurer leur mise en œuvre avec des retombées efficaces. Ces métaméthodes, souvent occultées des méthodes classiques de l’ergonomie, se sont par exemple traduites par la transmission de documents en amont d’une réunion, des échanges téléphoniques, la production d’un rapport, la restitution aux préventeurs de la MSA, ou encore le développement de protocoles d’analyse de prélèvements de pesticides.

100Il apparaît dans ces recherches-actions que la prévention réglée s’élabore à différents niveaux des organisations de travail, des territoires, et des systèmes sociotechniques. Cet aspect peut contribuer à avoir une représentation partielle du système en place et limiter les transformations envisagées. La diversité d’acteurs et de leurs intérêts se traduit par des réglementations spécialisées, imbriquées, issues de différentes sources devenant parfois contradictoires au niveau de la situation de travail. L’éloignement spatiotemporel de ces acteurs par rapport aux situations de travail est également une limite. Dans l’autre sens, les « macro-règles » peuvent être difficilement atteignables, résultant de processus externes aux activités des agriculteurs, stimulant le renouvellement de méthodes d’intervention.

101La mise en œuvre de la méthode montre des possibilités pour tendre vers une prévention construite bien que celle-ci soit difficilement caractérisable, évaluable et se structure dans des espaces et temps parfois éloignés de la situation de travail concernée. Les difficultés à mesurer cette prévention construite sont aussi inhérentes à son élaboration sur un temps long qui dépasse celui des recherches-actions. Ce constat suscite selon nous le besoin de continuer les recherches et interventions dans cette direction.

102La prévention gérée relève aussi de nombreux compromis. L’arbitrage entre les critères de production et de protection peut parfois sembler acceptable pour le travailleur lorsque les expositions ou leurs effets sont indirectement perceptibles (Albert et al., 2024). En revanche, lorsque les effets des expositions sont indirectement perceptibles ou bien se produisent sur le long terme avec des effets différés, l’efficacité des compromis pour protéger la santé doit être interrogée. Les compromis au sein de la sécurité gérée sont dans ces cas un support d’analyse et de développement. Il s’agit alors de se saisir des situations conflictuelles dans les activités des agriculteurs pour rentrer dans ces zones potentielles de développement de l’activité (Engeström & Sannino, 2020) et de la prévention. Les tensions peuvent être relatives à l’activité, dialogiques par nature, en lien avec les valeurs des individus, ou entre l’activité et la prévention réglée (contradictions entre les règles par exemple). Le développement peut dans ce cas s’appréhender comme un dépassement des conflits liés à la prévention et à l’exposition dans l’activité.

103Les approches réflexives comme la confrontation à l’activité ont en ce sens un rôle essentiel à jouer dans les dispositifs d’intervention. Pour reprendre Clot (2008), ce développement de l’activité orienté vers la prévention, s’opère lorsque l’opérateur a « une tête au-dessus de lui-même » (Vygotski, 1978) par l’expérimentation d’un travail déjà réalisé avec les autres, permettant de reconstruire autrement. Au-delà du dépassement de l’activité initiale (de prévention), c’est sa métamorphose qui constitue le développement (Clot, 2008). Cette transformation des fonctions initiales dépend du pouvoir d’être affecté de chacun, de la manière dont les individus vont reconstruire à partir d’expériences préalables (Clot, 2008).

104À partir de ces trois cas, il est observé que les activités développées par les agriculteurs ne permettent pas toujours de se protéger de certains risques. La prévention gérée peut alors conduire à des situations où les travailleurs ne se protègent pas efficacement (lorsque l’opérateur se met dos au semoir pour limiter son exposition, intervient sur les bâches ou monte sur le pulvérisateur ou le semoir par exemple). Le dépassement de ces risques nécessite de construire de nouvelles modalités d’action. La dimension collective de ces actions apparaît pertinente dans les trois cas. L’identification et la mise en discussion des situations de conflit au sein des compromis entre activité de protection et activité de production sont des perspectives à développer (Albert et al., 2024). L’étude de logiques d’action mises en tension est à poursuivre.

105Chaque cas s’est concentré sur certaines sources de prescription traduisant la prévention réglée. Leur diversité s’aperçoit à partir des trois cas. En réalité, ces différentes sources rentrent en interaction dans le travail des agriculteurs.

7.2. Caractéristiques de la prévention construite

106Dans les trois recherches-actions, nous remarquons que la prévention construite est dynamique, résultante d’équilibres et de dépassements de tensions dans la réalisation du travail. C’est toute la difficulté de saisir cette prévention qui se concrétise en dynamique plutôt qu’en état. La prévention se construit dans l’action. Il est dans ce cas davantage aisé d’analyser les conditions de production de cette sécurité.

107Ensuite, même si l’activité des agriculteurs peut être individuelle, les dynamiques de développement de la prévention s’opèrent collectivement, entre des acteurs de mondes hétérogènes (Béguin, 2004) (préventeurs de MSA, législateur, politique, ergonome, etc.). Chacun de ces acteurs va être porteur de connaissances et rôles complémentaires. La prévention construite est en ce sens distribuée.

108Nous rejoignons Nascimento et al. (2014), soulignant que ces dimensions construites de la sécurité (prévention dans cet article) dépendent des conditions organisationnelles suivantes :

  • Le travail est une activité collective ;

  • Le management doit être orienté vers des pratiques constructives ;

  • Des pratiques réflexives sont déployées ;

  • La conception de la prévention réglée doit être continue (ce qui dépasse l’idée d’une prévention élaborée itérativement).

109La prévention construite est intrinsèquement liée aux développements des sujets dans le dépassement des tensions. Ces développements s’appuient sur des déterminants allant d’échelles locale à globale. Les activités finalisées sont le moyen premier pour le développement de formes construites de la prévention. C’est leur compréhension puis leur partage et leur mise en débat et en réflexivité dans des méthodes structurées que les développements deviennent possibles.

110La Figure 9 cherche à résumer les composantes de la prévention construite, inspirée de Nascimento et al. (2014), à partir de sa mise à l’épreuve dans les trois cas de cet article. Cette représentation se nourrit aussi de l’application du modèle de la sécurité construite présenté en Figure 2. Dans l’activité, ces différentes dimensions gérée, réglée et construite vont rentrer en interrelation.

Figure 9 : Caractéristiques et genèse de la prévention construite. 
Figure 9: Characteristics and origins of constructed prevention

Figure 9 : Caractéristiques et genèse de la prévention construite.  Figure 9: Characteristics and origins of constructed prevention

7.3. Les situations d’exposition pour développer des pratiques vertueuses

111Dans ces expériences, rendre visible une exposition à un danger permet de développer de nouvelles activités, pratiques ou solutions de prévention. Il devient nécessaire de prendre en compte les expositions qui contribueraient à un développement dans le temps. Nous pourrions imaginer un exposome constructif ou « constructosome », en référence à un ensemble de ressources pour le développement de la santé par opposition aux expositions préjudiciables favorisant un déclin.

112L’intérêt de cette notion d’exposition réside dans sa nature intégrative, transdisciplinaire et transprofessionnelle (Mohammed-Brahim et al., 2018), pouvant se constituer en « objet intermédiaire de prévention » (Judon, 2017). En ce sens, l’analyse de l’activité, intégrative par nature, est un support pour la compréhension et la transformation des situations de polyexpositions en santé au travail (INRS, 2021) et de l’exposome dans une perspective de santé publique (Wild, 2005). Cette analyse collective des situations d’exposition, et activités exposantes les constituant, devient une ressource pour la prévention. La prise en compte des polyexpositions, essentielle pour comprendre les interactions entre plusieurs facteurs sources de renforcement ou dégradation de la santé, doit à terme contribuer à renforcer les différentes possibilités de construire la santé.

113Dans le cadre de cet article, les polyexpositions concernées sont par exemple relatives à l’utilisation de pesticides, au travail en hauteur, à un travail avec des contraintes organisationnelles et psychosociales favorisant une perte de sens et une forte intensité dans la réalisation des tâches (Gollac & Bodier, 2010 ; Bolis, Sigahi, & Morioka, 2024 ; Spoljar, Dupré, & Depoudent, 2024). Le rapport singulier des agriculteurs à leur travail en fonction des contextes de vie contemporains est aussi à prendre en compte pour une conception du travail et de la prévention ajustée (Spoljar & Valléry, 2021). La prévention construite ouvre des voies pour l’analyse située de la diversité de ces expositions et leurs transformations. L’action des travailleurs dans la co-conception de leur sécurité par la prévention construite ouvre aussi des voies nouvelles pour réduire les risques psychosociaux et contribuer à un développement de la santé mentale.

7.4. Diagnostic et développement de la prévention

114Plusieurs items à prendre en compte pour un diagnostic de la prévention ressortent. Ces items sont proposés pour équiper les préventeurs et ergonomes concernés par le développement d’une prévention construite dans le cadre d’intervention ou de recherche. Nous nous appuyons sur les composantes de la prévention réglée, gérée et construite à partir des cas présentés dans cet article ainsi que d’un retour d’expérience dans l’industrie (Galey et al., 2021). Des recommandations de l’INRS sur l’organisation de la prévention (grille GPSST) ont aussi pu être prises en compte (Rossignol, Drais, & Favaro, 2016 ; Drais et al., 2019), ainsi que des recommandations pour un diagnostic du dialogue social permettant de développer la culture de sécurité (Dugué, Vaugier, & Berrocal, 2023).

  • La prévention réglée : réglementation, normes, politiques de prévention, consignes, procédures, objectifs, horaires et rythmes de travail, fiches de poste, organisation prescrite, formations et démarches de prévention, diversité des approches de prévention, prévention basée sur des approches compréhensives/coercitives plutôt que répressives/sanctions, prévention faisant appel à des moyens techniques, mais aussi organisationnels et humains, prégnance de la prévention primaire par rapport à la prévention secondaire et tertiaire, adéquation des outils de travail et technologies, équipements de protection collective ou individuelle, cartographie des acteurs concernés comme étant à l’origine de l’élaboration de ces règles ;

  • La prévention gérée : savoir-faire, représentations et modalités de perception, connaissances sur les expositions, stratégies individuelles et collectives, compromis, expositions réelles prises en compte, mesures couplées à une description des activités de travail, genèses instrumentales des utilisateurs comme potentielle contribution à la conception dans des systèmes sociotechniques présentant des risques ;

  • La prévention construite : approches réflexives, document unique d’évaluation des risques (comme instrument de la prévention, à jour et basé sur l’activité), participation des salariés et des agriculteurs chefs d’exploitation dans les actions de prévention, projets de conception et de transformation anthropocentrées, développements de pratiques individuelles ou collectives (action, savoir-faire, stratégies opératoires), connaissances et représentations, mobilisation des instances représentatives du personnel (CSE, CSSCT) et des syndicats des agriculteurs, construction avec acteurs internes et externes (politiques, concepteurs de matériels, conseillers en prévention de la MSA, médecins du travail, coopératives agricoles, organismes professionnels, fabricants et concessionnaires notamment).

115Au-delà de ces paramètres, ces méthodes doivent s’élaborer en s’appuyant sur des constructions sociales robustes avec les acteurs de l’entreprise (syndicats, travailleurs, responsables, etc.) et externes (préventeurs, médecins du travail, etc.) parties prenantes.

116Des recherches et interventions sur le sujet des expositions aux substances chimiques ont mobilisé des méthodes pouvant alimenter la prévention construite (Judon et al., 2019), en milieu hospitalier sur le sujet des expositions potentielles aux traitements anti-cancéreux (Lamarque et al. 2023 ; Lamarque et al., 2024), dans un contexte d’exposition aux nanoparticules (Galey et al., 2017) ou de prévention des expositions aux pesticides avec la mise en place de communautés scientifiques élargies (Goutille & Garrigou, 2021a), dans le domaine de l’industrie du futur utilisant la fabrication additive métallique susceptible de générer des expositions aux poudres (Galey, Albert, Brossard et al., 2022). Ce modèle et la méthode en découlant ont été récemment appliqués dans des milieux professionnels variés (hospitalier, industrie 4.0, industrie de la chimie) avec des valorisations scientifiques en cours, toujours dans l’objectif d’éprouver et de consolider un modèle opérant au sens de Wisner (1972).

117Le besoin s’est fait ressentir par les auteurs de cet article de projeter ce modèle dans le contexte des transitions agricoles et écologiques. Ce que produisent les transitions écologiques comme transformation du et dans le travail des agriculteurs est insuffisamment pensé. Ces transitions sont rendues compliquées par les politiques actuelles qui démultiplient les normes. Le travail de traduction de ces normes dans les contextes professionnels et dans les activités de travail quotidiennes reste à prendre en compte. Un risque pour la prévention construite est de traiter des risques visibles seulement. Des orientations futures doivent faire l’objet de développements spécifiques pour permettre de prendre en compte les risques psychosociaux par exemple. Les questions de charge cognitive, de perte de sens du travail ou d’atteintes psychiques apparaissent dans nos deux premiers cas en ouvrant sur des actions de prévention pour agir sur ces risques. C’est pourquoi nous avons cherché dans cet article à montrer des interactions entre certains risques (pesticides, chutes, psychosociaux). D’autres cas agricoles complémentaires permettraient d’approfondir et d’élargir le périmètre de cette méthode.

7.5. Des modèles de la prévention et la santé coexistant

118Une telle perspective nécessite aussi de questionner les modèles de la santé qui sont en arrière-plan de la doctrine de prévention et donc de la sécurité (Chambel, 2024). Dans la mobilisation des modèles de prévention réglée, gérée et construite et de leurs interactions, il va s’agir de dépasser les modèles de la santé centrés sur les altérations du corps pour intégrer des modèles de la santé davantage constructivistes. En effet, lors de l’analyse de la prévention gérée et de la mise en œuvre de la prévention construite, il va être important de rendre compte de l’activité de travail non pas en tant que source de risques, mais bien en tant qu’opérateur de santé. Ceci est d’autant plus important en agriculture où les questions du sens du travail, de pratiques plus respectueuses du vivant et de la reconnaissance donnée par la société deviennent essentielles.

119Les travaux sur la prévention durable rejoignent ces enjeux de prévention construite pour lesquelles les complémentarités sont à explorer. Ces préventions se rejoignent dans leur rapport à l’activité, au temps long, à la construction collective, à la compréhension durable du risque (Aptel & Hubault, 2004), comme l’illustre un travail récent mené avec les préventeurs en agriculture (Poley, Le Bail, & Boccara, 2023). Une différence essentielle vient de leurs origines : la sécurité industrielle ou le développement durable (Le Bail et al., 2023).

8. Conclusion : apport d’une prévention construite

120En ergonomie de l’activité, l’analyse de l’activité de travail est un point de départ pour comprendre les situations à risque. Il s’agit d’une distinction essentielle aux approches traditionnelles de l’hygiène industrielle et d’évaluation de l’exposition à un danger (Zartarian, Bahadori, & McKone, 2005) qui se concentrent sur le développement de pratiques de prévention réglée à partir de la caractérisation de produits chimiques, souvent sous la forme d’approches de prévention descendantes expertes. Ces pratiques de prévention réglées influencent la réglementation sur les pesticides, les EPI utilisés dans les exploitations agricoles, ou encore les normes juridiques et techniques élaborées pour concevoir le matériel et l’ensemble des instruments agricoles.

121En parallèle, les agriculteurs confrontés aux risques vont développer des pratiques pour faire face aux exigences de leur travail. Même si dans la prévention gérée les travailleurs développent des stratégies de protection, d’évitement ou de compromis, cela ne veut pas dire qu’elles sont toujours efficaces : les travailleurs peuvent être exposés et éprouver des effets sur leur santé. C’est dans ce double constat qu’apparaît la nécessité d’un déplacement vers une prévention construite.

122Bien que des évolutions récentes sur ces sujets sont observées (Albert et al., 2021 ; Garrigou et al., 2020 ; Goutille, 2022 ; Jolly, 2022), permettant de réinterroger les pratiques de prévention réglée élaborées pour faire face à l’utilisation de produits dangereux en agriculture, nous remarquons qu’elles s’inscrivent dans des temps longs (travaux initiés dans les années 2000). Il y a donc des enjeux à poursuivre des travaux mobilisant l’analyse de l’activité de travail sur ces sujets d’exposition en agriculture afin de contribuer à maintenir une visibilité du travail réel en parallèle des pratiques de prévention réglée. Cette dynamique nous apparaît comme une condition au développement d’une prévention et d’un travail durable en agriculture. Elle cherche aussi à répondre à des besoins exprimés par les préventeurs du monde agricole identifiés dès le milieu des années 2000 (Garrigou & Peissel-Cottenaz, 2008). Ces questionnements ont été remis en perspective par une étude récente (Laurent et al., 2023) qui montre que différentes conceptions de la prévention traversent les actions au sein de la MSA, ce qui peut être contre-productif en termes d’efficacité et de perception chez les agriculteurs.

123Ces transformations pour une prévention construite demandent nécessairement des évolutions de pratiques et de représentations des risques notamment (Judon, 2017 ; Garrigou et al., 2017), renvoyant à des actions sur les dimensions culturelles (Nascimento, 2020) et organisationnelles de la prévention. Le déplacement de représentations sur l’exposition et ses facteurs est ici important ; en remettant en cause la part de responsabilité des agriculteurs dans la production de leurs expositions, ce déplacement vient ouvrir une voie vers l’analyse des facteurs systémiques de l’usage des produits phytopharmaceutiques (Goutille, 2022 ; Jolly, 2022).

124Dans ce sens, une condition d’une prévention construite est une pérennisation de ces recherches-actions et interventions dans le temps, en réinterrogeant aussi les systèmes d’activité à une échelle macroscopique dans laquelle l’activité et la prévention s’inscrivent. Pour synthétiser, la prévention construite considère que les opérateurs sont acteurs de leur prévention (Mohammed-Brahim & Garrigou, 2009 ; Galey et al., 2019), cherche à produire des activités sûres et soutenables ainsi qu’un développement des sujets. Cette prévention construite est dynamique et dialogique, nourrie par les contradictions au sein de la prévention gérée, ou entre la prévention réglée et la prévention gérée. Le développement de cette prévention s’appuie sur des méthodes participatives et réflexives dans une perspective systémique et historico-culturelle, l’activité souvent collective constituant la ressource pour concevoir et nourrir le processus de prévention. Enfin, le développement de cette prévention située dans des environnements dynamiques à plusieurs échelles nécessite d’agir sur des déterminants locaux (situation de travail), intermédiaires (exploitation agricole ou régional) et globaux (national et international).

125À ce niveau global, nous observons un enjeu à ce qu’une action soit rendue possible par des collaborations avec les concepteurs de pulvérisateurs et de produits phytopharmaceutiques, les institutions de prévention (MSA en France et Commission de normalisation, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) au Québec), des agences sanitaires comme l’agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), ou encore les acteurs en charge de l’élaboration des normes juridiques et techniques. Ces conditions pour une prévention construite s’appuient donc sur la mobilisation d’un réseau d’acteurs porteurs de la santé au travail ou pouvant avoir une influence sur les réglementations (chercheurs, préventeurs institutionnels, ANSES, agriculteurs, etc.).

126Cette quête de la prévention construite par un développement des activités de travail contribue à la recherche d’un travail soutenable (Volkoff & Gaudart, 2015). En effet, cette prévention rejoint la nécessité d’un « travail exempt de contraintes ou nuisances susceptibles de provoquer, à terme, des pathologies durables », tolérant une « large diversité entre les individus », tout en favorisant le « libre jeu des activités humaines » (Volkoff & Gaudart, 2015). Cette définition pose clairement la question de la conception des marges de manœuvre et des conditions de l’activité qui permettent aux personnes en activité de créer leurs propres marges de manœuvre (Coutarel et al., 2024). En ce sens, l’expérience apparaît déterminante, soulignée par les connaissances « de la terre » des agriculteurs dans notre deuxième cas.

127Dans cette perspective, des actions réglementaires, organisationnelles, sociales et technologiques nous semblent urgentes. La crise actuelle du travail des agriculteurs montre la nécessité d’agir dans ce domaine professionnel. Un travail décent est une première condition pour élaborer les conditions de développement de la santé. Ces réflexions sur les conditions du développement de la sécurité renvoient selon les auteurs aux enjeux adressés à l’ergonomie. Nous pouvons faire le lien entre ce besoin de développement de la sécurité et celui de transformation cher aux ergonomes. Ainsi, cette proposition de sécurité construite apporte une perspective méthodologique et théorique pour contribuer aux conceptions et transformations du travail. Les renouvellements de nos concepts et méthodes sont les conditions de la vitalité de l’ergonomie et de la santé au travail.

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Table des illustrations

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URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/9842/img-1.jpg
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Titre Figure 2 : Proposition de modélisation d’une sécurité construite.  Figure 2: Proposed modelling of constructed safety
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/9842/img-2.jpg
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Titre Tableau 1 : Méthodes mises en œuvre en fonction des trois recherches‑actions.  Table 1: Methods used for the three action research projects
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Titre Figure 3 : Réparation des bâches lors d’un épandage amenant l’agriculteur à circuler entre les balais.  Figure 3: Repairing tarpaulins during spraying, causing the farmer to move between the brooms
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/9842/img-4.jpg
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Titre Figure 4 : Intervention de l’agriculteur sur la cabine du tracteur susceptible de générer une chute et une exposition aux pesticides.  Figure 4: Intervention by the farmer on the tractor cab likely to result in a fall and exposure to pesticides
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/9842/img-5.jpg
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Titre Figure 5 : Nettoyage du semoir à l’aide d’une soufflette par l’agriculteur, source de risques.  Figure 5: Farmer’s use of a blower to clean the seed drill is a source of  risks
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/9842/img-6.jpg
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Titre Figure 6 : Extrait de l’étiquette du fongicide SUPRA CAPTAN 80 WSP©Figure 6: Extract from the SUPRA CAPTAN 80 WSP© fungicide label
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/9842/img-7.jpg
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Titre Figure 7 : Exemple de contenants nécessaires à une préparation sur une exploitation viticole.  Figure 7: Example of the containers needed for a preparation on a vineyard
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/9842/img-8.jpg
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Titre Figure 8 : Trace d’écoulement du produit liée à la difficulté d’ouverture d’un bouchon scellé.  Figure 8: Trace of product dripping due to difficulty in opening a sealed cap
URL http://journals.openedition.org/activites/docannexe/image/9842/img-9.jpg
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Titre Figure 9 : Caractéristiques et genèse de la prévention construite.  Figure 9: Characteristics and origins of constructed prevention
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Pour citer cet article

Référence électronique

Louis Galey, Marion Albert, Fabienne Goutille, Julie Fredj, Adélaïde Nascimento, Caroline Jolly et Alain Garrigou, « Prévention construite en agriculture : contribution de l’ergotoxicologie à partir de trois recherches‑actions »Activités [En ligne], 21-2 | 2024, mis en ligne le 15 octobre 2024, consulté le 13 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/activites/9842 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12hug

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Auteurs

Louis Galey

Université Paris Nanterre, Département de Psychologie, LAPPS, Équipe TE2O, 200 avenue de la République, 92001 Nanterre Cedex, France. louis.galey@parisnanterre.fr

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Marion Albert

Université Bretagne Sud, Lab-STICC, Équipe FHOOX, UMR CNRS 6285, Rue de Saint-Maudé, 56100 Lorient, France marion.albert@univ-ubs.fr

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