1Les Hauts de l’île de La Réunion regroupent des espaces escarpés et souvent difficiles d’accès. Des études, prospections et fouilles programmées encadrées par la Dac, ont ciblé la recherche de traces du marronnage, thématique bien développée à La Réunion depuis plus de 10 ans (Dijoux 2014).
- 1 Saint-Joseph, Abri HBC13, 2013 ; Saint-Joseph, Piton Colignet, 2014 ; Sainte-Rose, Piton de Coco, 2 (...)
2À la vallée secrète, en 2011, la découverte, aussi extraordinaire que singulière, d’un habitat conservé sans perturbation et pouvant être attribué aux marrons nourrissait l’espoir de développer un véritable axe de recherche. Depuis, les travaux se sont multipliés. Et entre 2013 et 2019, c’est dans le massif du piton de la Fournaise que se concentre la recherche, comptabilisant 8 nouvelles opérations de terrain1 (fig. 1).
Fig. 1 – Localisation des zones et des sites ayant fait l’objet d’investigations dans le massif du piton de la Fournaise
DAO : M. Ferrandis.
- 2 P. Pégoud travaillait pour l’ONF, dans le secteur sud de l’île comprenant le massif du piton de la (...)
3Cet engouement tout particulier pour cette région de l’île est à l’origine d’une collaboration entre le SRA de La Réunion et un agent de l’Office National des Forêts, Patrick Pégoud2. Passionné par la discipline et par l’histoire du marronnage, ce prospecteur forestier a porté un grand intérêt aux nombreuses cavités rocheuses découvertes fortuitement lors des missions de terrain dans le massif du Piton de la Fournaise. La présence de quelques pièces de mobilier sur ces sites tels du silex, de la céramique ou des ossements animaux, présageait d’anciennes occupations anthropiques pouvant être en lien avec le marronnage. Un travail archivistique, iconographique, de même que des enquêtes orales, furent ainsi entamés pour tenter de reconstituer les faits historiques datant des xviiie et xixe s. et afin de documenter ces vestiges. Outre les informations participant à la connaissance des modes de vie et de survie des Marrons dans les Hauts, cette étude a permis de révéler des sites de marronnage ou de mettre en lumière des sites oubliés, et d’orienter la recherche archéologique.
- 3 Abri découvert en 2011 lors de prospections menées dans le rempart donnant sur le Bras de Caron par (...)
- 4 Le terme de « Petit-Blanc » renvoie à une communauté relativement marginale du temps de la colonie (...)
4L’abri HBC13, situé dans la plaine des Remparts, figurait parmi les découvertes de Patrick Pégoud en 2011. Le sondage archéologique qui y a été effectué en 20133, constitua l’amorce des recherches de terrain dans le massif. Les résultats obtenus à l’issue des fouilles suggéraient que cet abri s’apparentait à une occupation temporaire en lien avec une population mobile et modeste (Dijoux 2016b). Cependant, il ne fut point possible de déterminer si ces traces étaient celles des Marrons, des chasseurs de Marrons, des Petits-Blancs4 ou encore d’anciens braconniers. Afin d’apprendre à distinguer la signature archéologique de ces populations, il était donc nécessaire de multiplier les observations archéologiques et de les croiser aux données historiques, mais aussi ethnobotaniques, toponymiques, archivistiques et orales (Jacquot, Motte, Ferrandis 2017). Un programme de recherches systématiques a donc été lancé dans le massif ciblant principalement les lieux potentiels de marronnage. Ainsi, en 2014 et 2016, trois prospections pédestres ont été réalisées, une au Piton Colignet, dans la Rivière des Remparts, et deux au Piton de Coco, dans le Fond de la Rivière de l’Est (Ferrandis 2014a ; Ferrandis 2014b). Entre 2015 et 2019, quatre opérations archéologiques ont été conduites dans les cavernes Lépinay, de Cotte et des Lataniers, toutes trois situées dans la Plaine des Remparts (Ferrandis 2016 ; Ferrandis 2018 ; Motte 2018).
5Les investigations archéologiques conduites à la caverne des Lataniers ont permis au service de l’archéologie de poursuivre la recherche sur cette problématique, élargi à l’étude de la conquête de cet espace entre la fin du xviiie et le xixe s. Développer un programme ambitieux autour d’une équipe pluridisciplinaire, pour nourrir la base d’un projet de valorisation à La Cité du Volcan, telles ont été les motivations liminaires autour de ces thèmes.
6La caverne des Lataniers, au cœur du Parc national de La Réunion, à la limite des communes de Saint-Joseph et du Tampon, se trouve sur le massif du piton de la Fournaise à l’altitude de 2 360 m (fig. 2). Elle est accessible par le GR 2, depuis un parking situé sur la RF 5 (route du volcan). La caverne est située sur un ensemble volcanique de grande taille, à la limite de coulées et de projections volcaniques et sous un niveau de projections soudées. Construction « naturelle », elle a subi l’érosion, creusée progressivement par les intempéries et la gravité, puis par les différents utilisateurs. Aujourd’hui, elle mesure environ 27 m2, pour un volume d’environ 32 m3 (fig. 3).
Fig. 2 – La caverne des Lataniers en 1887-1889
Cliché : Henry Georgi (collection Jean Perrin).
Fig. 3 – Le sondage 5 en 2019
Cliché : J. Vidal (SRA de La Réunion).
7Ces problématiques de marronnage et des premières explorations des hauts, illustrées ici par une collection de pierres gravées laissées par les différents visiteurs dans et autour de la cavité, se devaient d’être enrichies par l’apport de données scientifiques. Ainsi, après une mission conduite en urgence en 2016, a pu être mise en place en 2017 une première opération archéologique, regroupant une équipe pluridisciplinaire, archéologues, géologues, géographes, historiens, archéo-anthracologue, archéozoologue, spécialistes du mobilier, ainsi que des bénévoles passionnés de longue date par le volcan et son histoire.
8L’opération de 2017 avait mis en évidence une stratigraphie complexe très bien conservée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la caverne, composée de plusieurs niveaux de circulation et aménagements, démontrant la grande fréquentation du lieu depuis le xviiie s. Le gîte construit en 1926 au pied de la caverne et connu à travers témoignages et photographies avait été documenté archéologiquement. Enfin elle avait permis d’inventorier, d’étudier et de conserver 72 pierres gravées. Ces pierres disséminées sur le site (en stratigraphie dans les sondages, dans les murs, jonchant le sol à proximité de la caverne ou enchâssée dans le front du toit) sont gravées de nombreux patronymes et dates documentant l’histoire du lieu. Les roches utilisées pour laisser ces « cartes de visite » sont des basaltes trouvés à proximité de la caverne. Ce sont des morceaux de coulées de lave (entre autres des laves cordées provenant de coulées de type pahoehoe) plus ou moins riches en bulles. Ces roches peuvent présenter une certaine fragilité car la surface est chimiquement altérée en raison de leur âge, compris entre 150 000 ans et 65 000 ans. Certaines de ces pierres gravées ont été utilisées pour la construction des murets de protection et ont été plusieurs fois déplacées. Leur fragilité, la difficulté de lecture et leurs reliefs irréguliers nécessitent pour leur étude plusieurs types de relevés sans contact : relevés numériques réalisés sur la base de photographies prises avec différents éclairages et numérisation 3D (fig. 4).
Fig. 4 – Vue comparée de la pierre gravée no 5 brute (à gauche) et du modèle de relief local associé à une analyse de pente (à droite)
Traitements et DAO : J. Vidal (SRA de La Réunion).
- 5 Cette opération a bénéficié des apports de Pascal Arnould, Mélissa Baffert, Léo Baret, Yves Baret, (...)
9L’opération 2019 a permis d’approfondir ces résultats5. En reprenant et en agrandissant les investigations de 2017, une coupe transversale depuis le fond de la caverne jusqu’à la rupture de pente, en bord de parvis, a permis d’établir les liens stratigraphiques et chronologiques entre les niveaux du parvis et ceux découverts à l’intérieur de la caverne (fig. 5). De nouvelles données sur la nature de l’encaissant des niveaux anthropiques ont été acquises grâce à l’expertise des volcanologues de l’IPGP (PVPF) et des comparaisons entre des datations 14C des couches de la caverne et celles, préalablement effectuées, sur d’autres unités volcaniques d’âge variable dans ce secteur du massif. Ces résultats permettent de faire la part entre des encaissants de scories remaniés, dont l’un peut être est daté de 3600 BP, en précisant les processus naturels qui ont contribué à former le début de la cavité des Lataniers et les niveaux anthropisés mêlés de couches cendreuses et de scories, dont les datations les plus fréquentes, tant par le mobilier que par la méthode 14C, varient peu entre les xviiie et xixe s.
Fig. 5 – Coupe stratigraphique du sondage 5
DAO : T. Cornec (Inrap).
- 6 Convention de dépôt provisoire de biens archéologiques entre la Dac et la RMR du 09/09/2020.
10Le rapport de cette opération 2019 comporte une synthèse de l’étude du mobilier collecté en 2016 et mis au jour en 2017 et 2019, une première synthèse des opérations archéologiques conduites sur les cavernes du massif du piton de la Fournaise de même qu’une étude complétée des 90 pierres gravées collectées lors des opérations 2016, 2017 et 2019 (fig. 6). À l’issue de chaque phase de terrain, ces pierres ont été mises en sécurité à la Cité du Volcan, où elles sont aujourd’hui conservées dans le cadre d’une convention6.
Fig. 6 – Répartition des pierres gravées retrouvées entre 2016 et 2019
DAO : F. Lachery (Inrap).
