Basse-Terre – Céramiques coloniales de quatre sites de la ville
Notes de la rédaction
Organisme porteur de l’opération : Université de Boston
Texte intégral
1Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une thèse conduite à l’université de Boston portant sur la céramique de l’époque coloniale aux Antilles, et en particulier ses usages et son rôle dans la société coloniale antillaise.
2Pour la Guadeloupe, l’analyse a porté sur un échantillonnage de quatre sites de la ville de Basse-Terre représentatifs de l’occupation en milieu urbain, lesquels avaient fait l’objet d’opérations archéologiques et d’études des mobiliers. Il s’agit des sites du Fort Houël (Bonnissent 1995), du 28 rue Amédée-Fengarol (Talour 2000), du Palais de Justice (Paya, Romon 2001) et de la Cathédrale de Basse-Terre (Bonnissent, Romon 2004).
3Le matériel objet de cette étude (au total 1 963 tessons, hors fragments de pipes), a été analysé au dépôt archéologique de la Guadeloupe. L’analyse des résultats étant en cours, cette intervention s’attache à retracer les usages domestiques et les provenances des céramiques de deux des sites.
Site du Palais de Justice
4La fouille du Palais de Justice, qui est celle qui a livré le plus grand nombre de céramiques (64 % des tessons), a porté sur une partie – 15 % de la superficie – du cimetière de l’hôpital de la Charité. Fondé en 1664, il s’agit du plus ancien hôpital de Basse-Terre. Il est confié aux frères de la Charité vers 1685, jusqu’à sa fermeture, en 1788.
5L’exhumation de 109 individus en dépôt primaire nous renseigne non seulement sur l’état sanitaire des patients décédés et les pratiques funéraires coloniales, mais aussi sur le bon fonctionnement de l’hôpital. En effet, le cimetière semble faire l’objet d’une gestion rationnelle de l’espace, qui comprend des épisodes de réaménagement et de remblaiement massifs. Trois phases d’utilisation ont été déterminées.
6Les céramiques proviennent des remblais de comblement des fosses sépulcrales et de l’encaissant, comme l’indique leur faible taux de remontage. Ces objets n’étant pas directement associés aux sépultures, il semble que le cimetière ait servi de dépotoir. L’analyse ci-dessous montre que le contexte très remanié où ces céramiques ont été retrouvées n’est pas un obstacle à leur étude.
7D’un point de vue chronologique, les types de céramiques présents sont révélateurs. Les faïences constituent une part importante de l’assemblage (39,2 % de la totalité des tessons), tandis que les céramiques industrielles anglaises, comme le creamware (1,4 %), inventé dans les années 1760, et le pearlware (0,9 %), inventé dans les années 1780, ainsi que les faïences fines françaises du xixe s. (0,2 %), apparaissent en quantité infime. De plus, les céramiques les plus récentes, tel ce bol de Creil-Montereau datant d’après 1844, proviennent plutôt des couches supérieures.
8Parmi les terres cuites communes, celles issues des ateliers de Vallauris (3,4 %) sont caractéristiques de la deuxième moitié du xviiie s. Les terres cuites vernissées dites terres de Gênes (2 %), les grès allemands dits Bellarmines (2,2 %) et le grès fin blanc anglais (0,5 %) confirment une occupation intense durant cette période.
9Surtout, les inventaires après décès de Basse-Terre montrent la disparition des terres de Gênes à la fin de la décennie 1770, et celle des grès Bellarmines au début des années 1780, décennie qui est celle de la fermeture du lieu. Cet assemblage se révèle parfaitement contemporain du cimetière et de l’hôpital. Les tessons plus récents ont sans doute été rapportés ultérieurement, par des visiteurs. D’après les restes associés d’armement et de tabletterie, il s’agissait souvent de militaires.
10Si des différences chronologiques sont constatées entre les trois phases d’utilisation du cimetière, elles permettront peut-être d’affiner ces datations. Cependant, des tessons de provenances très différentes appartiennent aux mêmes individus, par exemple T 273 venant du décapage, T 93 de la zone intermédiaire et T 156 de la phase 2, ou encore T 141 de la surface et T 222 de la phase 2. À priori donc, les céramiques des différentes phases ne sont pas distinctives, et l’assemblage du site doit être examiné comme un tout.
11Sa composition fonctionnelle n’est pas particulièrement caractéristique. Les formes les plus courantes sont les assiettes et plats (qui représentent ensembles 32 % des objets recensés), puis les jattes et saladiers (8,9 %), les pots à cuire (6,8 %) et enfin, les pots à eau (6,1 %). Ces objets sont fréquents dans les foyers de Basse-Terre. Les céramiques du site sont donc les céramiques domestiques usuelles et ne semblent pas directement reliées au fonctionnement de l’hôpital.
12L’origine de ces objets n’est cependant pas évidente en soi, dans la mesure où le cimetière a pu être utilisé comme dépotoir et être enrichi de remblais extérieurs. Seule une étude plus poussée permettra peut-être de trancher.
Site 28 rue Amédée-Fengarol
13Ce site tient une place unique dans le corpus, car il reflète la consommation céramique à l’échelle de la famille. La maison à étage, qui occupe toute la parcelle en largeur, donne sur la rue. Le matériel céramique a été prélevé à l’arrière de la maison : un sondage près d’un bassin, un autre dans le fond du jardin, le troisième dans une petite structure enchâssée dans la cour pavée.
14Les céramiques prélevées dans les sondages sont similaires. Certains de leurs tessons peuvent même être remontés. Si le matériel est mixte, il comporte beaucoup d’éléments datant de la deuxième moitié du xixe et du début du xxe s. Ces ensembles permettent de caractériser les céramiques coloniales plus récentes.
15On trouve un assemblage plus homogène dans la structure 20. Composé à 77 % de faïences, il comporte également un peu de creamware (3 % au plus), mais aucun pearlware ou autre céramique postérieure. Parmi les marlis de plats ou d’assiettes en faïence décorés, la plupart présentent un motif courant après 1750 en milieu colonial. Il n’y a aucune terre cuite de Vallauris caractéristique du xixe s. Un bol en porcelaine dite « café au lait » en raison de sa glaçure extérieure marron, présente à l’intérieur un motif en pointe. Ce type de porcelaine et ce motif ont cessés d’être populaires dans les années 1780.
16Grâce aux archives notariales, il est possible de reconstituer la liste des propriétaires de la parcelle depuis 1768. Cela permet d’affiner la chronologie du site proposée par Talour.
17La structure 20 s’ouvre dans le pavage de la cour. Elle est peu profonde et sa fonction n’est pas évidente. Il semble cependant qu’elle ait été associée à une petite tonnelle en bois construite dans cette partie de la cour entre 1856 et 1888. Le pavage, bien qu’antérieur, date de la même époque, et non pas du siècle précédent comme le suggérait Talour.
18Toutes les céramiques proviennent d’une couche de sédiment argileux jaune, qui se trouve au moins deux niveaux sous les pavés. Cette couche repose sur de gros blocs qui marquent le fond de la séquence. La petite taille des tessons suggère qu’elle comportait peut-être un sol d’occupation. Elle pourrait aussi être préservée ailleurs sous la cour pavée.
Pour citer cet article
Référence électronique
Myriam Arcangeli, « Basse-Terre – Céramiques coloniales de quatre sites de la ville » [notice archéologique], ADLFI. Archéologie de la France - Informations [En ligne], Espace Caraïbes, mis en ligne le 25 février 2022, consulté le 17 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/adlfi/117229
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