1La campagne archéologique de 2019 fut notre cinquième année de recherche sur le site des Aulnaies et la deuxième d’une fouille programmée triennale 2018-2020. L’expérience aidant, nous avons su adapter notre méthodologie pour la rendre de plus en plus efficace, notre compréhension du site s’en est trouvée accrue.
2Lors de cette campagne, nous avons confirmé et délimité la fin du site dans sa partie aval (fig. 1). Cette certitude acquise, nous avons pu reprendre les fouilles en amont, dans le secteur où nous avions commencé les recherches en 2015. Mieux aguerris, nous avons redégagé puis refouillé en l’élargissant une bande de fouille sur laquelle nous avions été prudents en 2015. Possédant à présent des éléments de datation, une connaissance de la stratigraphie du fond de la rivière et ayant prélevé de nombreux pieux dans leur intégralité, nous étions plus à même de comprendre la complexité des structures présentes.
Fig. 1 – Rivière Epte, plan général de la fouille
Relevés de terrain : S. Regnard, G. Rousselle ; topographie : J.-L. Bernard ; DAO : S. Regnard (Casavo-CRAVF).
3Les fouilles du secteur aval ont permis de confirmer que l’effet de seuil perçu en 2018 était réel. Cela a été confirmé par des relevés et par la coupe transversale de la rivière (fig. 2). Les unités stratigraphiques trouvées en 2017 dans les sondages 1 et 2 y sont fortement érodées. Aucune structure d’origine anthropique n’y a par ailleurs été décelée, hormis un aménagement complexe de la berge francilienne. Sa fouille a montré qu’une première stabilisation de la berge est effectuée durant l’Antiquité, elle consiste en un apport de petits modules de craie, de silex et de calcaire. C’est dans cet apport que des alignements de pieux en arête de poisson ont été identifiés en plusieurs points du site et datés du iiie s., avec une date d’abattage autour de 226-227 apr. J.‑C. Cet aménagement avait vraisemblablement pour but de rendre accessible la berge afin d’en faire un débarcadère ou une zone d’accès stabilisée à la rivière. Cela n’a qu’imparfaitement fonctionné puisque dans la partie aval, plus exposée au flux du courant, une épaisse couche de vase s’est déposée, rendant la zone impraticable. Un second apport de matériaux a donc été effectué avec des dalles en calcaire beaucoup plus massives, lesquelles ont notamment piégé des fragments de tuiles antiques (fig. 3). Plus récemment, au xixe s., voire au xxe s., d’autres apports de calcaire et de silex ont été massivement réalisés pour stabiliser la berge dont le profil, dans la partie aval, est très érodé. L’usage de la rivière aux périodes contemporaines est confirmé par les pièces de bois (fig. 3) découvertes ensablées dans le secteur avec un mécanisme métallique à crémaillère, qui se sont probablement arrachées d’un ouvrage hydraulique positionné sur la rivière (écluse, moulin, lavoir, vanne). La reprise des fouilles a été réalisée en amont afin de prélever les pieux déjà identifiés et de mettre en avant l’organisation de la zone centrale occupée par plusieurs alignements de pieux en chêne. Ces pieux ont révélé à l’étude trois dates d’abattage dans la première moitié du iiie s. apr. J.‑C. (200-221, 226-227 et 239-242 apr. J.‑C.). Les différentes dates d’abattage correspondent soit à un long temps d’entreposage des bois avant utilisation (ou à des réemplois), soit à des réparations et à des renforcements de la structure. Conservés sur plus d’1 m de long, ils étaient calés par l’apport d’une épaisse couche de craie, de silex et de calcaire (US 1004). Au sein de cette couche, des blocs architecturés massifs, potentiellement récupérés sur un bâtiment proche, ont été positionnés afin de maintenir les pieux environnants. Le matériel découvert dans cette zone (tegulae, céramique) confirme une datation antique. L’existence d’une zone argileuse non recouverte par l’apport de craie précisément au centre d’un quadrilatère formé par des alignements de pieux, nous invite à penser que ceux-ci formaient une superstructure comportant un plancher. C’est après la mise en place de cette superstructure – que l’on imagine comme une sorte de ponton – que furent déversés les blocs de craie, de silex et de calcaire, et les blocs architecturés. L’ensemble de la zone située sous la superstructure n’a pas pu être recouverte par l’apport de matériaux, et dessine en négatif un quadrilatère homogène. Par ailleurs, le grand nombre de clous trouvés dans ce secteur et le pendage d’une partie des bois accrédite l’existence d’une structure complexe et lourde qui se serait effondrée vers le centre de la rivière. Dans la zone que nous appelons le « chenal », c’est-à-dire la zone où le fond de la rivière est le plus érodé et où le courant est le plus fort (US 1008). Nous avons découvert les années passées des ensembles de petits piquets en aulne dont certains sont alignés. L’un a pu être daté par 14C entre 21 av. J.‑C. et 125 apr. J.‑C., il n’a pas pour le moment été possible d’affiner la datation par dendrochronologie. De nouveaux piquets de même module ont été repérés en 2019.
Fig. 2 – Plan et coupe du sondage 6 dans la zone aval
Relevés : G. Rousselle, S. Regnard ; DAO : S. Regnard (Casavo-CRAVF).
Fig. 3 – La deuxième phase d’aménagement de la berge francilienne en aval (sondage 6)
Une tegula est intercalée entre les deux blocs.
Cliché : A. Kucab (Casavo-CRAVF).
4Sous l’ensablement normand, une unité stratigraphique composée de blocs de calcaire fortement concrétionnés a été retrouvée en plusieurs endroits, elle pourrait traduire une recherche de stabilisation de la berge normande pour la rendre plus praticable dès l’Antiquité. Il semble aussi que c’est de la rive normande qu’on accédait au centre de la rivière.
5Les résultats de l’étude palynologique conduite par Hervé Richard nous ont appris que les abords de l’Epte, au Mésolithique, étaient bien différents de ce que nous voyons aujourd’hui : les pins étaient présents en grand nombre, on y trouvait des bouleaux et de nombreuses espèces d’herbacées. Dans un horizon chronologique qui a été estimé entre 13500 et 12500 BP, notre zone de fouille ne semblait pas être alors une rivière mais une eau calme avant de devenir, il y a 8 000 ans, une tourbière à proximité d’un cours d’eau : l’Epte. Dans les environs de cette tourbière se trouvaient encore des pins et des bouleaux, mais l’étude a démontré l’apparition d’espèces tempérées tels que le chêne ou le noisetier. L’étude palynologique nous offre ainsi le paysage de l’Epte avant que l’action humaine ne le modifie de manière irréversible à partir du Néolithique. Comme lors des campagnes de fouilles précédentes, le matériel archéologique découvert est varié et diachronique, même s’il existe une surreprésentation du mobilier antique. La campagne de 2019 a permis de mieux comprendre l’évolution et l’organisation du site, les fouilles et les études à venir devraient venir préciser sa fonction et son usage.
Avec la collaboration de J.-L. Bernard, F. Bigot, B. Ceindrial, B. Dorange, F. Fayet, F. Lecam, J. Malherbe, P. Picot, S. Regnard, G. Rousselle, B. Simon, H. Teil et P. Verasdonck.