Falaise – Château, front sud
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1Entre les mois d’août 2010 et de mars 2011, l’enceinte castrale du château de Falaise a fait de nouveau l’objet d’un important chantier de restauration sur le front sud. Ces travaux font partie d’un vaste programme de valorisation du site castral destiné à en augmenter la fréquentation touristique et qui comprend en outre la refonte complète de l’offre scénographique aujourd’hui obsolète. Le point primordial de cette tranche de travaux était de restaurer l’ensemble des maçonneries formant l’enceinte à savoir la totalité des courtines et des tours de flanquement du front sud, côté extérieur. L’objectif était de sécuriser et mettre en valeur des maçonneries fortement détériorées par l’érosion, la pollution et la poussée de végétaux déchaussant les parements. L’autre volet important était de modifier le cheminement intérieur le long de l’enceinte du front sud, entre la porte Saint-Nicolas et la porte des Champs. Les plans fournis par le maître d’œuvre impliquaient un décaissement d’une largeur de 5 m sur 0,30 m à environ 1,50 m de profondeur de la porte Saint-Nicolas jusqu’à la grande terrasse, au niveau de la porte des Champs, soit environ 160 m de longueur. Il s’agit ici de redonner à cette zone de l’enceinte son caractère clos et faire apparaître les élévations des maçonneries des courtines du front sud masquées par de nombreuses couches de remblais modernes et contemporains. Le champ d’intervention a cependant été élargi en fonction des modifications apportées au projet ou de demandes spécifiques émanant du maître d’ouvrage. Par exemple, le dernier niveau de la tour L a été dégagé afin d’offrir un nouvel espace scénographique au public. Au revers de la tour K, les vestiges de deux fours ont été mis au jour, ce qui a entraîné également la modification du projet.
2Les résultats de cette opération archéologique combinés à ceux du front est ont permis de proposer 6 grandes phases de construction de l’origine du château jusqu’à nos jours.
Phase 1 : fin xe-2e moitié xie s.
Phase 1a : fin xe-début xie s.
3L’étude des remparts d’origine sur le front sud confirme certains des aspects observés sur le front est : une mise en œuvre similaire ainsi que l’absence de tours flanquantes, qui vient asseoir l’hypothèse d’une enceinte rectiligne à défense passive, essentiellement sommitale. Ces similitudes avec celle du front est (datée par le radiocarbone) et sa position clairement antérieure à toutes les autres maçonneries nous autorisent à reprendre la fourchette chronologique entre la fin du xe s. et le début du xie s. Concernant la hauteur par endroits du rempart primitif du front sud, on peut encore l’observer sur environ 9 m d’élévation. La présente étude augmente les données sur le tracé de cette enceinte. Une information essentielle réside dans la présence sur le front sud de son probable angle sud-ouest. Le rempart primitif formait donc un retour vers le nord juste avant la porte des Champs (construite postérieurement), excluant l’éperon où se dresserait un siècle plus tard la tour résidence d’Henri Ier Beauclerc. Il n’est d’ailleurs pas abusif d’envisager la présence d’une tour primitive sur cet escarpement naturel (des murs antérieurs aux donjons ont été découverts lors de la restauration de ces derniers en 1995), formant ainsi une hiérarchisation horizontale et verticale entre le symbole du pouvoir et l’habitat en contrebas.
Phase 1b : 2e moitié xie s.
4La chronologie relative permet de situer l’extension de la muraille primitive par rapport aux autres campagnes de travaux. Si les différents contacts montrent une immédiate postériorité à la première enceinte, elle est en revanche antérieure à d’autres constructions pouvant être datées autour de 1200, comme la porte des Champs et la tour K qui se plaquent dessus. Une datation par le radiocarbone nous donne une fourchette comprise entre 1031 et 1180.
5Cette extension fit reculer l’ancien front ouest d’environ 20 m et étend ainsi la surface close. Il paraît donc raisonnable de proposer une chronologie correspondant globalement à la deuxième moitié du xie s. Ces réfections interviendraient donc avant le début des travaux du grand donjon. Ces travaux d’affermissement de l’enceinte trouvent un écho dans les sources : Guillaume de Jumièges (vers 1070) et Robert Wace (1100-fin du xiie s.) rapportent en effet que Guillaume le Bâtard (1035-1087) fit renforcer Falisae castellum suite au siège qu’il mena contre Toutain Goz, vicomte d’Hiémois, en 1043. Cette période est, de plus, marquée par l’édification au même moment de la grande enceinte distendue et non flanquée du château de Caen.
Phase 2 : début xiie-fin xiie s.
6Le xiie s. est décisif dans l’histoire architecturale du château. Les travaux entrepris pendant cette période modifieront durablement la physionomie du site, et constitueront la base défensive et résidentielle des modifications ultérieures.
Phase 2a : début xiie s.
7La première campagne concerne essentiellement l’éperon rocheux où est érigée l’imposante tour résidence, la limite nord du plateau clôturée par un rempart, et la construction de la chapelle castrale au centre de la basse-cour (détruite en 1944). Cette phase consistant à monumentaliser les pôles structurants du castrum se déroule vraisemblablement dans le deuxième quart du xiie s. Le front sud ne comporte aucun vestige de cette première campagne.
Phase 2b : fin xiie s.
8La seconde campagne, poursuivant le renforcement du circuit défensif, y est par contre représentée sur le front sud par l’édification de la porte des Champs et de la tour K. La similitude de la mise en œuvre et des volumes entre la tour K et celle de la porte des Champs est un premier argument de leur contemporanéité. L’absence de glacis et de fenêtres de tir est, à notre sens, particulièrement caractéristique. Sur le front est, la porte Saint-Nicolas, comportant le même arc à double rouleau chanfreiné, ainsi que les tours B et D présentent les mêmes traits formels et défensifs. Cette campagne reste cependant la phase majeure du renforcement du circuit défensif de l’ensemble du château : la construction du petit donjon et du châtelet d’entrée sur la haute-cour, la mise en place de flanquement par des tours circulaires aveugles, enfin le renforcement des portes participe d’un véritable programme visant au gommage maximum des points faibles de la topographie. L’absence de défense active autant dans les portes que dans le flanquement constitue, selon nous, un marqueur de non appartenance au courant philippien. Une datation par le radiocarbone donne pour la base de la tour K un intervalle de confiance situé entre 1036 et 1211. Les datations au 14C sur le front est nous fournissent des indices supplémentaires de chronologie : les trois prélèvements de la porte Saint-Nicolas nous donnent des pics de probabilité entre 1156 et 1207 ; la tour B et la courtine BC, entre 1020 et 1162 ; enfin la tour D, entre 1161 et 1265. Il nous semble donc cohérent de placer ce vaste programme militaire sous la houlette de l’autorité des Plantagenêt, maîtres de la place-forte depuis 1138.
Phase 3 : xiiie s.
9Les efforts des Plantagenêt n’auront cependant pas suffi à repousser les armées de Philippe Auguste qui se rendent maîtres de Falaise en 1204.
Phase 3a : début du xiiie s.
10Sur l’ensemble du château, cette première campagne de travaux regroupe les interventions jugées vraisemblablement prioritaires : la tour Talbot, le flanquement avancé sur le front nord (tours et redent), amélioration du fossé et de l’accès à la ville (maçonnerie des versants du fossé, avant-cour pourvue d’un second châtelet). Sur le front sud, la protection du flanc sud-est fait visiblement partie de ces priorités par l’édification de deux tours à archères, les tours L et M.
Phase 3b : vers le milieu du xiiie s.
11Cette phase correspond à une seconde campagne de travaux liée à la conquête du château par le roi de France, et correspondant sur le front est à l’érection de la tour C et sur le front sud à la fermeture du secteur sud-ouest du plateau rocheux, laissé jusqu’ici probablement intact de toute fortification. Cette fermeture comprenant deux flanquements supplémentaires (la tour de la Reine et la tour Ravenel sur le front ouest) fut implantée sur le contour du relief ; partant de l’angle sud-ouest de l’enceinte de la fin du xie s. et se terminant au pied du petit donjon, elle enserrait la haute-cour et créait ainsi une nouvelle zone de basse-cour nommée la « cour de la Reine ». Les travaux de terrassement permirent de mettre en évidence un ensemble culinaire médiéval bâti contre le mur de gorge de la tour K. Cet ensemble est constitué de deux fours partiellement conservés, insérés dans un bloc rectangulaire de maçonnerie disposé sur un axe nord-sud. Nous savons que ces fours ont été bâtis contre l’enceinte datée de la seconde moitié du xie s. qui nous donne un terminus ante quem. En attendant des investigations archéologiques plus approfondies, une datation large au xiiie s. nous paraît raisonnable, même si la présence du fourneau pourrait cependant suggérer une installation au xive s. Cette batterie de fours indique que nous ne sommes pas en présence ici d’un fournil indépendant mais plutôt d’un bâtiment de cuisines. Quant à leur abandon, l’étude montre qu’ils étaient déjà désaffectés lors de l’édification d’un bâtiment daté du bas Moyen Âge. La datation de la fortification du secteur sud-ouest du château se base uniquement sur des données formelles et conceptuelles, prenant pour point de référence la construction de la tour Talbot. Les tours maîtresses édifiées par Philippe-Auguste sont en effet rarement placées à l’intérieur de l’enceinte. Connaissant la rigueur des principes conceptuels développés par les ingénieurs royaux, il est peu probable que la tour Talbot ait été édifiée simultanément à la construction de l’extension sud-ouest qui l’enserre ; cette dernière a donc dû faire l’objet d’une seconde campagne de travaux. Sur le front est, cette phase correspond à la construction de la tour C, dont la sophistication formelle fait écho à celle de la tour de la Reine mais contraste avec la mise en œuvre moins soignée du redent. Faute de datation absolue, nous proposons donc une datation relative post Philippe-Auguste, entre le deuxième quart et la fin du xiiie s.
Phase 4 : xive s.
12Cette période correspond de nouveau à un temps troublé, celui de la guerre de Cent Ans. Le rétrécissement de cette entrée, associé vraisemblablement à un changement de fonction de la porte des Champs, paraît lié à ce contexte. En effet, la transformation de la porte des Champs en simple poterne exclusivement piétonne faisait de la porte Saint-Nicolas l’unique entrée du château pour les véhicules et chevaux. La fermeture d’un des deux accès à la basse-cour apparaît ici comme symptomatique du retour de tensions politiques et militaires. Sur le front est, cette campagne est matérialisée par la construction d’archères dans la tour D qui, jusqu’à maintenant, n’était pas pourvue de meurtrière et d’un aménagement sur la communication verticale entre les deux niveaux de tir de la tour E du redent.
Phase 5 : xve s.
13Cette phase correspond au plein de la guerre de Cent Ans : en moins de cinquante ans, Falaise subit deux sièges. Les recherches archéologiques menées depuis 2010 sur le front sud ont apporté une masse appréciable d’informations sur cette période de troubles politiques mais aussi de dynamisme en termes d’aménagement de l’espace quotidien. Comme sur le front est, le xve s. a été divisé en deux périodes correspondant chacune à des faits spécifiques : la première moitié du siècle, la phase 5a, voit entre autres aménagements l’adaptation de la défense à l’artillerie à poudre ; la phase 5b correspond au temps de la canonnière à la française, à la fin du xve-début du xvie s.
Phase 5a : 1re moitié du xve s.
14La partie occidentale du front sud, de la porte des Champs à la tour de la Reine, fut visiblement celle la plus lourdement touchée par les jets d’artillerie. En effet, de vastes réfections peuvent être observées à plusieurs endroits de la courtine IJ ainsi que sur les tours I et J qui l’encadrent. La typologie des premières canonnières mises en place dans la tour de la Reine correspond à un style primitif permettant l’utilisation des premières armes à feu autant que des armes de trait, encore largement utilisées au xive et au xve s. Il s’agit d’un type de canonnière qui fut rapidement abandonné car il n’offre qu’un angle de tir très restreint et expose trop la bouche du canon aux tirs ennemis. Nous sommes donc ici en présence de la même période d’adaptation à l’artillerie à poudre observée sur le front est, datée du deuxième quart du xve s. De plus, la transformation d’une de ces fenêtres de tir en canonnière à la française, apparaissant à la fin du xve s.-début du xvie s., nous donne un terminus post quem de cette restructuration militaire. Enfin, plusieurs bâtiments à usage résidentiel et probablement fonctionnel peuvent être identifiés comme appartenant à cette phase ; les relations stratigraphiques, la mise en œuvre ainsi que le matériel archéologique associé sont autant d’indices d’une datation au début du xve s. au plus tard.
Phase 5b : 2e moitié du xve-début xvie s.
15La datation de cette phase repose premièrement sur la typologie des canonnières aménagées dans les tours L et I, constituant un critère de datation. Elles appartiennent en effet à un type dit « embrasure à la Française » qui se caractérise par le fait que la partie la plus étroite de l’embrasure (en l’occurrence le trou à canon) n’est plus au nu du mur extérieur comme dans le cas de l’archère-canonnière, mais à mi-distance de l’épaisseur du mur. Les réparations des parties hautes de l’enceinte attestent de l’étendue des dommages sur le front sud causés par la guerre de Cent Ans. Elles furent probablement effectuées après la prise du château par les Français en 1450 qui signe le début d’une stabilité relative jusqu’à la fin du xvie s. Une datation entre la moitié du xve s. et le début du xvie s. peut donc être proposée pour cette phase. Cette période correspond cependant aux derniers temps de l’occupation active du château en tant qu’entité militaire et politique.
Phase 6 : fin xvie-xxe s.
16Le siège de 1589 entraîne le désarmement du château et l’arasement de ses murs. Ceci ne marque pourtant pas la fin de l’occupation de l’enceinte qui continue entre autres à être le lieu de résidence du vicomte. Sa désaffection militaire va pourtant entraîner le basculement de la nature de l’occupation première du site, passant progressivement d’un espace central de la vie publique à un lieu d’agrément de moindre fréquentation.
Phase 6a : fin xvie-fin xviie s.
17L’époque moderne du château, correspondant à la fin du xvie-fin du xviie s., voit une continuité de l’occupation à la fois résidentielle et, dans une moindre mesure, militaire. Résidentielle, car la restauration du mur de rempart soutenant le grand bâtiment dans la haute-cour montre que cette dernière occupe encore une place majeure dans l’enceinte. Militaire, car l’accès aux tours ainsi que leur état est restauré et préservé ; une surveillance était probablement encore en place à cette époque. Cependant, nous pouvons observer que de grandes transformations affectent la basse-cour, tout au moins le front sud. La mise en place de jardins d’agrément scellant les constructions accolées au rempart acheva leur abandon progressif, attestant du délaissement progressif de l’enceinte en tant qu’espace central des échanges.
Phase 6b : xviiie-début du xxe s.
18Cette phase voit la désaffectation définitive du statut militaire du château : l’assèchement définitif du grand vivier et des fossés, caractéristique de la fin du xviiie s., permit l’installation d’habitations dans cette zone. La fermeture d’un des passages à la tour de la Reine est un autre signe de l’abandon du rôle défensif des murs. C’est, enfin, à partir de cette période que les ponctions de pierres de taille démunissent entre autres les fenêtres de tir. Pourtant, l’intérieur de l’enceinte n’est pas déserté pour autant : la mise en place d’un parapet sur les remparts, la réhabilitation du puits en 1798 et la construction du collège en 1803 confirment que le site était encore sollicité et conservait encore un statut symbolique. Sa sauvegarde et sa mise en valeur en tant que concept patrimonial à partir de 1820 constituèrent d’ailleurs le point d’orgue de cette renaissance symbolique. Le rôle culturel du château deviendra ainsi au xxe s. l’unique objectif quant à sa réhabilitation.
Phase 6c : 2e moitié du xxe s.
19La période contemporaine se distingue par d’importants travaux de réhabilitation du site après-guerre et par l’accumulation de remblais tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du front sud.
Conclusion
20L’ensemble des travaux de restaurations menés dans l’enceinte a considérablement précisé le panorama archéologique et historique du site castral. Le front est avait inauguré une première vision d’ensemble, complétée aujourd’hui par l’étude du front sud.
Table des illustrations
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Titre | Fig. 1 – Vue générale du front sud avant restauration |
Crédits | Cliché : J. Mastrolorenzo. |
URL | http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/120953/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 252k |
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Titre | Fig. 2 – Vue générale de la tour L après dégagement |
Crédits | Cliché : J. Mastrolorenzo. |
URL | http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/120953/img-2.jpg |
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Titre | Fig. 3 – Évolution architecturale des éléments visibles du château |
Crédits | DAO : J. Mastrolorenzo. |
URL | http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/120953/img-3.jpg |
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Pour citer cet article
Référence électronique
Joseph Mastrolorenzo, Florence Boisserie, « Falaise – Château, front sud » [notice archéologique], ADLFI. Archéologie de la France - Informations [En ligne], Normandie, mis en ligne le 22 mars 2022, consulté le 19 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/adlfi/120953
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