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2016
26 – Drôme

Montélimar – Zac de Maubec, les terrasses de Maubec (tranche 1)

Fouille préventive (2016)
Responsable d’opération : Jean-Marc Lurol

Notes de la rédaction

Organisme porteur de l’opération : Inrap

Lurol J.-M. 2021 : Montélimar (Drôme, Auvergne-Rhône-Alpes) Zac de Maubec, les terrasses de Maubec, tranche 1, rapport de fouille, Bron, Inrap, 3 vol.

Texte intégral

1Localisé au sud-est de l’agglomération de Montélimar (Drôme), le lieu-dit Maubec connaît depuis plusieurs décennies un changement de paysage radical, passant d’une zone rurale composée en grande majorité de parcelles agricoles à un secteur périurbain presque entièrement construit. Dans le cadre de ce vaste aménagement, un projet immobilier intitulé Zac de Maubec, les terrasses de Maubec tranche 1, concerne l’emprise foncière de la parcelle ZM 808. Sur ce secteur ont été repérés, antérieurement, les vestiges d’un établissement antique (villa) lors de sondages mécaniques réalisés dans les années 1980 par T. Odiot et lors de prospections aériennes (Monguillan 1981). Cet espace, dès lors mis en réserve archéologique, a fait l’objet d’un diagnostic complémentaire en 2015 (Ferber 2015). Ce dernier est venu confirmer l’importance de ce site et la nécessité de prescrire une fouille sur une surface d’environ 5 500 m2 d’un seul tenant. L’emprise occupe le secteur oriental de la parcelle ZM 808 dans lequel les sondages se sont avérés positifs.

Fig. 1 – Plan du diagnostic et report de l’emprise retenue pour la fouille

Fig. 1 – Plan du diagnostic et report de l’emprise retenue pour la fouille

Échelle : 1/1000.

DAO : P. Rigaud (Inrap)

2Sur l’emprise foncière soumise à la prescription, a été mise au jour la quasi-totalité d’un établissement antique caractérisé par plusieurs bâtiments, des murs de clôture, des cours intérieures, un bassin et aussi divers aménagements localisés à l’extérieur dans un périmètre proche. Cet établissement présente toutes les caractéristiques d’une villa, dont la destination agricole ne laisse aucun doute. De plus, parmi ces caractéristiques, certaines autorisent même à préciser que nous sommes sur un lieu de production vinicole (cuves, fonds de cuves, vaste pièce destinée au stockage...). Cette découverte a constitué une véritable opportunité, car, jusqu’à présent, les autres établissements comparables et réellement attestés dans ce secteur géographique ont été abordés, soit partiellement (villa de la Zac des Portes de Provence (Ferber 2008) ; villa du Molard à Donzère (Dechandol 1982 et 1983 ; Odiot 1984, 1991, 1995 et 1996), villa du Faye à Roussas : Seris 1995 et 1996), soit uniquement par repérage au cours de diagnostic (villa de Fortuneau : Beeching et al. 1994) soit encore dans le cadre de campagnes de fouilles programmées (villa du Bois de Ferrotin à Châteauneuf-du-Rhône).

3L’état de conservation du site de Maubec peut être considéré comme correct, avec toutefois une évolution négative d’est en ouest. Les vestiges retrouvés sont dans l’ensemble de bonne qualité sur la partie est (partie vinicole). Ils se dégradent ensuite assez rapidement vers le centre et encore plus dans le secteur ouest. La préservation orientale est due visiblement à la mise en place rapide d’un recouvrement sédimentaire protecteur (colluvions, allu-colluvions) qui limite ainsi l’érosion naturelle et les opérations d’épierrements des murs qui se sont déroulées au cours du temps, après l’abandon de l’établissement. Ce processus de recouvrement a été beaucoup plus lent et volumineux dans les autres secteurs, notamment à l’ouest, ce qui explique la présence de vestiges moins bien conservés (arasement, épierrement).

4Sur le plan chronologique, deux états d’occupation ont été identifiés dans cet établissement. Le premier état correspond à l’occupation principale, c’est-à-dire la période d’activité agricole/vinicole de la villa, avec, comme première phase, sa construction vers le milieu du ier s. apr. J.-C., et, en seconde phase, l’occupation, qui s’étale entre le milieu du ier s. et la fin du iie-début iiie s. apr. J.-C. Le second état se caractérise par la perte de la vocation agricole initiale de cet établissement et une réoccupation apparemment plus ou moins pérenne des lieux durant tout le iiie s., sans aller au-delà de cette date.

Le contexte géologique et microtopographique

5D’après la carte géologique au 1/50000, ce secteur de Maubec est implanté sur un petit cône de déjection (noté Fy-z) édifié à la bordure est de la terrasse alluviale polygénique à alluvions torrentielles du Würm ancien (notée Jya). Le cône détritique domine cette terrasse d’au maximum 10 m. Le plateau dominant est constitué par des terrasses rhodaniennes plus anciennes (périodes glaciaires quaternaires du Donau -Fu- et du Güntz -Fv-). La villa a été construite à la fois sur le sol d’altération des terrasses et sur le recouvrement colluvial à allu-colluvial issu de ce cône de déjection.

Le contexte archéologique antique du secteur de Maubec

6Dans ce secteur, très peu d’interventions se sont déroulées avant 2015, excepté l’évaluation réalisée au cours des années 1980 par T. Odiot, évaluation qui est à l’origine de la prescription du diagnostic complémentaire de 2015 (Ferber 2015), lui-même à l’origine de la fouille de 2016. En dehors de ce site, sont recensées uniquement des découvertes fortuites, occasionnées par des travaux de voiries et de constructions (Planchon et al. 2010) ou repérées lors de prospections pédestres ou aériennes (Jung 1999 ; Monguillan 2007). Depuis 2015, dans le cadre de la suite de l’extension de la Zac, une surface foncière d’une quarantaine d’hectares a été étudiée au cours de cinq diagnostics (Ferber, Lurol et al. 2015 ; Lurol 2017 (2), 2018 ; Ackx 2019) dans les secteurs du chemin de Ravaly et de la chapelle Saint-André, situés à moins d’un kilomètre au sud-ouest du site de la villa de Maubec. Les résultats de ces interventions ont montré qu’au cours de l’époque antique les parties en zones de plaine ont été investies uniquement en surfaces agricoles (fossés de limites parcellaires et de cadastration) et aucun indice de bâtiment n’a été repéré. En revanche, les sondages ouverts dans les bas de pentes, à proximité de la chapelle Saint-André, ont révélé l’existence d’une vaste zone occupée durant toute l’Antiquité, du ier s. av. J.-C., jusqu’au haut Moyen Âge, et que plusieurs établissements se sont succédé au cours du temps, avec des axes de circulation et un secteur funéraire (Ackx 2019).

7Dans le domaine des axes de communication, il est utile de rappeler que la voie d’Agrippa traverse ce territoire de la moyenne vallée du Rhône du nord au sud. Son tracé reste incertain dans la partie sud de la commune montilienne mais il pourrait, s’il correspond à l’axe actuel de la route de Saint-Paul, être situé à environ 1,2 km à l’est du site de la villa.

Le site d’implantation de la villa

8Cette villa est construite sur l’amorce du bas versant occidental du plateau de Bondonneau, en position légèrement dominante, de quelques mètres, par rapport au niveau de la plaine, laquelle s’étend côté ouest. Cette implantation sur un terrain en pente (pendage entre 6 et 7 %) est une caractéristique notable qui offre à cet établissement une bonne visibilité dans le paysage (« voir et être vu »). En retour, ce choix a imposé d’importants travaux d’adaptation (terrassements, remblaiement), qui n’ont pas conduit à un nivellement général de l’ensemble du site de construction, mais qui ont consisté à créer une succession de surfaces horizontales étagées. Cet étagement est remarquable dans l’aile nord de l’établissement au niveau des sols des pièces de la partie habitat et il a eu vraisemblablement des répercussions dans l’architecture générale avec des adaptations techniques au niveau des toitures. Il se retrouve également dans la partie sud de la pars rustica mais, ici, l’étagement n’est pas uniquement une réponse technique à la topographie du terrain. Il a été imposé surtout par l’activité de vinification qui se déroulait dans ce secteur, et pour laquelle la gravité est une condition importante, destinée à faciliter l’écoulement des liquides.

9Au niveau du lieu d’installation dans la plaine montilienne, l’établissement agricole de Maubec n’est pas aligné sur l’orientation du cadastre B d’Orange (nord-5,5° est), comme c’est le cas pour la villa de la Zac des Portes de Provence (Ferber 2008). En effet, en suivant un axe nord-15/16° est, il s’en écarte d’une dizaine de degrés vers l’est. Cela peut signifier qu’au moment de la fondation de cette villa, au milieu du ier s. apr. J.-C., cette partie de plaine n’est pas encore structurée (ou seulement partiellement) par le cadastre B d’Orange et que l’orientation de l’établissement a été surtout influencée par la topographie du site et, vraisemblablement, par le sens du pendage du terrain.

Le plan général, les dimensions et l’architecture

10La villa de Maubec se présente comme un établissement totalement fermé avec des limites matérialisées, soit par les façades extérieures des bâtiments, soit par des murs de clôture. Sa forme générale est quasi quadrangulaire, de 56 m de long (nord-sud) sur 50 m de large (est-ouest), avec une petite extension dans l’angle sud-est, non mesurable, car en grande partie située hors emprise. La surface totale est estimée à environ 3 000 m2 (surface étudiée 2 800 m2, à laquelle il faut ajouter son extension sud-est). Sur le plan dimensionnel, on peut la comparer à la villa voisine de la Zac des Portes de Provence à Montélimar (Ferber 2008) dont l’emprise se développe sur 2 500 m2. Par contre, elle ne représente que le quart de la villa du Molard à Donzère (Odiot 1996) qui, avec 10 000 m2 de superficie, fait partie des très grands domaines viti-vinicoles.

Fig. 2 – Plan général de la villa

Fig. 2 – Plan général de la villa

Échelle : 1/300.

DAO : P. Rigaud (Inrap).

11À l’intérieur de la villa, 45 % de la surface (1 270 m2) sont occupés par des bâtiments (pièces et galeries), le reste est constitué par des espaces ouverts (cours). La forme générale des parties construites est celle de deux L majuscules (dont un inversé), de dimensions proches, reliés par leur sommet. De manière classique, ces bâtiments se répartissent en deux grands secteurs. L’un est consacré à l’habitation (pars urbana) et représente 40 % de la surface construite. Il compose les trois-quarts de l’aile nord, avec aussi un petit retour vers le sud (côté ouest). L’autre est réservé aux activités agricoles (pars rustica) et occupe toute l’aile est avec un petit retour vers l’ouest (côté sud).

12Son entrée principale est située, côté ouest, dans la moitié sud du mur de clôture. Elle est intéressante sur le plan architectural puisqu’il s’agit visiblement d’un porche qui est en grande partie implanté à l’intérieur de la villa (les quatre cinquièmes de la construction se développent dans la cour), le reste se prolonge à l’extérieur en dépassement de façade.

13À l’extérieur, la villa est desservie par un chemin empierré qui, venant de l’ouest, rejoint l’entrée principale, puis prolonge son tracé vers le sud. Elle est également entourée partiellement par des fossés qui ont joué un rôle de drainage et d’évacuation pour les eaux de ruissellement descendant du plateau dominant et des toitures des différents bâtiments. Ces fossés ont aussi récupéré les eaux provenant de l’intérieur de la villa : eaux pluviales, eaux usées et eaux de vidange du bassin.

14Sous pas mal d’aspects architecturaux, cette villa apparaît comme un établissement plutôt bien conçu. Par exemple, on constate une grande homogénéité et une grande qualité dans le mode de construction de l’ensemble des murs des différents bâtiments (matériaux, dimensions, appareil...). Tout semble avoir été pensé et construit dès l’origine. Il n’y a eu visiblement qu’une seule et même grande phase de construction. Les rénovations et les modifications au cours de l’état principal d’occupation (état 1), qui se déroule sur un siècle et demi, sont rares ou relèvent du détail.

15On observe aussi une démarche logique dans la répartition spatiale des différents corps de bâtiments. La partie habitat (pars urbana), orientée est-ouest, présente une longue façade tournée vers le soleil pour accueillir chaleur et clarté, mais elle est également protégée de ce dernier, lors de la saison chaude, ainsi que des précipitations violentes, par une galerie couverte. Sa façade nord, tournée vers l’extérieur et exposée au vent froid dominant (mistral), doit être, de toute évidence, aveugle. De son côté, le bâtiment agricole, orienté nord-sud, n’offre qu’une façade sur pignon, de dimensions réduites, à l’ensoleillement direct. Sa partie réservée au stockage occupe un espace relativement épargné des effets de la chaleur préjudiciable à la bonne conservation du vin. Ce type de remarque est également valable pour la disposition du bassin, qui permet à cet ensemble de recevoir les effets du soleil pour réchauffer l’eau tout en étant protégé du vent froid dominant par les bâtiments de la pars urbana et par le mur de clôture ouest.

16Parmi les ensembles bâtis, on remarque que certaines constructions, classiques dans une villa, vont au-delà de leur rôle pratique et apportent clairement une touche esthétique : ce sont par exemple les galeries couvertes à colonnade ou le porche de l’entrée principale construit en légère avancée sur la façade extérieure ou encore le bassin monumental équipé d’une exèdre saillante. Il en va de même pour l’intérieur des pièces d’habitat qui, sans atteindre un aspect luxueux, présente des aménagements de qualité (sols construits décorés, revêtements des murs) avec peut-être un espace consacré aux soins du corps (espace thermal).

17Au final, il faut donc reconnaître que nous sommes ici en présence d’un établissement à vocation agricole mais que la partie résidentielle a fait l’objet d’une attention particulière.

18Certains points d’architecture, faute d’arguments matériels, n’obtiennent pas de réponses définitives : ce sont par exemple le mode de construction des parties supérieures des élévations des murs (murs totalement en pierres ou en terre ?) ou l’existence d’un étage pour l’aile nord des bâtiments de la pars urbana et/ou pour la grande aile est de la pars rustica ou peut-être uniquement pour les différents angles de l’établissement. Cette dernière hypothèse, étayée par la présence des contreforts d’angles ou à proximité des angles, donnerait à cet établissement un aspect de maison forte, voire de petit château.

L’activité agricole et économique de la villa

19La partie réservée à l’activité agricole (pars rustica) occupe toute l’aile orientale de l’établissement, avec 550 m2 d’emprise au sol de bâtiments consacrés à la production et au stockage, et 170 m2 de galerie couverte. Compte tenu des infrastructures retrouvées et identifiées dans ces espaces, on peut déduire que l’activité agricole de cette villa est orientée exclusivement vers la viti-viniculture, comme pour beaucoup d’établissements de ce type implantés au cours du Haut-Empire dans la vallée du Rhône qui ont fait le choix de cette monoculture. On ne peut pas totalement exclure d’autres productions mais, sur le plan archéologique, aucune n’est attestée. Il est possible toutefois d’envisager d’une culture vivrière (potager) complémentaire destinée aux habitants de la villa.

20Concernant la partie viticole, celle-ci est restée totalement absente des découvertes. Aucune trace de vigne n’a été relevée, mais il faut dire que l’emprise de la fouille ne va guère au-delà de l’établissement et ses abords immédiats.

21À cela, il faut ajouter que, parmi tous les objets retrouvés sur le site, aucun n’appartient au domaine de l’outillage agricole. On peut envisager, néanmoins, l’existence d’un vignoble autour de l’établissement tant sur l’espace de la plaine à l’ouest que sur les coteaux dominants à l’est.

22La partie vinicole, quant à elle, est attestée par la présence d’infrastructures en rapport direct avec la vinification : cuves de fouloir et de pressoir, cuvettes de décantation. Elle est subdivisée en deux secteurs constitués par les espaces 1 et 38, à l’intérieur desquels se déroulent les différentes étapes de la vinification. Localisé dans la partie sud de l’aile orientale, l’espace 386 couvre une surface de 90 m2 dans laquelle se déroulent les premières étapes de la production, c’est-à-dire la réception de la vendange, l’extraction du jus des raisins (moût) par foulage et certainement par pressurage, puis sa décantation, avant son transfert dans des conteneurs installés dans l’espace 1 pour les étapes suivantes : la fermentation, l’élevage et le stockage.

23Dans cet environnement, dans lequel il est nécessaire de disposer de place et d’utiliser la gravité, l’espace 33 apparaît comme la pièce principale, en étant à la fois la plus vaste (50 m2) et la plus élevée en altitude. Comme cet espace est occupé par des fonds de cuves, matérialisés par des revêtements de sol en mortier de tuileau, on peut envisager, ici, la présence d’un ou deux fouloirs et d’un pressoir.

24Pour des raisons à la fois pratiques et techniques, il paraît plus logique de localiser l’activité de foulage dans la partie nord de l’espace 33 avec un déversement du moût dans les deux petites cuves de décantation Cu.94 et Cu.95 (espaces 31 et 32). Y avait-il un ou deux fouloirs ? Les deux solutions sont envisageables. Les vestiges, mis au jour dans la moitié nord de l’espace 33, laissent entrevoir la présence d’une cuve (6 m sur 4,15 m) mais ils n’interdisent pas la possibilité de deux cuves de taille identique (4,15 m sur 3 m). De plus, cette suggestion est consolidée par l’existence de deux cuvettes de décantation. Cette configuration laisse supposer qu’il y eut peut-être deux circuits de vinification et la production de deux vins différents : par exemple un vin blanc et un vin rouge. Avec un ou deux fouloirs dans la moitié nord, le pressoir ne peut se situer que dans la partie sud, avec un déversement du jus de presse vers l’ouest et en contrebas dans la cuve Cu.96 (espace 29). Cette position spatiale du pressoir reste une proposition spéculative, car aucun indice au sol ne signale l’emplacement de ce type de structure mais il est difficile de concevoir qu’il n’y ait pas eu un pressoir dans cet établissement. Sa présence est essentielle dans la cadre d’une production quantitative de vin.

25La production des fouloirs se déverse donc dans les deux petites cuves, Cu.94 et Cu.95, où le principe de décantation permet de séparer les particules solides les plus lourdes qui se déposent dans le fond, du liquide et des particules solides les plus légères, qui sont progressivement évacués par un système de surverse vers des conteneurs disposés dans l’espace 1. Ces conteneurs ne sont pas conservés en place. Par contre, deux fosses, Fs.119 et Fs.120, localisées contre le parement nord du mur Mr.38 et à l’aplomb des deux cuvettes, sont clairement le témoignage du calage dans le sol de deux conteneurs.

Fig. 3 – Cuve Cu.94 (espace 31)

Fig. 3 – Cuve Cu.94 (espace 31)

Vue générale vers le nord-ouest

Cliché : (Inrap).

26De son côté, la cuve Cu.96 de l’espace 29, qui doit recevoir les jus de presse, doit avoir une fonction particulière. Il est possible que cette cuve ait servi de conteneur destiné à la fermentation alcoolique d’une partie de la production. En revanche, sa localisation dans le chai à l’écart du circuit principal de vinification est curieuse et peu fonctionnelle, car elle impose ensuite le transfert de son contenu (tuyauterie, pompes) vers l’espace de stockage, qui est relativement éloigné.

27La suite de la vinification se déroule dans l’espace 1. Ce vaste espace, de 380 m2 de surface utile, couvre d’un seul tenant pratiquement les quatre cinquièmes de la pars rustica. Il est donc facile d’imaginer qu’un grand volume de production puisse être stocké ici. En plus d’une fonction de stockage, cet espace est également le lieu où se déroulent une partie de la vinification et, plus précisément, les étapes de fermentation et d’élevage.

28En reprenant le cours de la vinification, on constate qu’après un passage dans les deux cuvettes pour une décantation, le moût se déverse dans les deux conteneurs positionnés le long du parement nord du mur Mr.38, identifiés par deux fosses qui ont pu servir à caler deux dolia. À ce stade, il est encore question de jus de raisin et non pas de vin puisque le liquide n’a pas encore fermenté. Ceci permet de déduire que la fermentation alcoolique a dû s’effectuer dans l’espace 1, au moins pour les liquides issus du ou des fouloir(s) qui transitent par les deux cuves Cu.94 et Cu.95.

29À partir de cette étape, le procédé de vinification appliqué dans cet établissement devient plus incertain, car se pose alors la question du type de conteneur dans lesquels se déroulaient la fermentation, l’élevage et le stockage. Sont-ce des dolia ou des conteneurs en matière périssable (cuves bois, barriques, tonneaux...) ? Les deux solutions ont été envisagées puisque aucun indice permettant d’orienter l’identification du type de conteneurs n’a été relevé dans cet espace 1, ni dans les autres parties de l’établissement.

30La solution des dolia est une première hypothèse soutenue par plusieurs arguments. Par exemple, le vaste bâtiment avec ses contreforts rappelle évidemment celui de nombreux chais dans lesquels les dolia occupent l’espace de stockage et sont clairement attestés. De même, on peut prendre en compte la position géographique du site dans le secteur de la moyenne vallée du Rhône, où il apparaît, au regard des découvertes d’établissements comparables, que le dolium est le conteneur privilégié : villa du Molard à Donzère (Odiot 1996), villa du Fayn à Roussas (Seris 1996), villa de Saint-Martin à Chabrillan (Martin 2002), villa de la Maladrerie (état 1) à Saillans (Le Roy et al. 2011). À cette référence géographique, il faut ajouter également des résultats obtenus dans le cadre d’une étude récente (Carrato 2017), qui suggèrent l’hypothèse de l’existence d’une importante zone de production de dolia dans le secteur de la confluence de la Drôme et du Rhône, à environ 30 km au nord du site de la villa de Maubec. Cette proximité doit être considérée comme un avantage en ce qui concerne l’approvisionnement et le transport (la livraison) de ces conteneurs pondéraux.

31Ces arguments recevables reposent uniquement sur un raisonnement analogique ou une approche logique, car, dans le chai/cellier (espace 1) de la villa de Maubec, en dehors des deux fosses localisées au pied du mur Mr.38, aucun indice de ce type de conteneur n’a été relevé. Pour qu’une utilisation de dolia ne soit pas repérable, il faut supposer un aménagement particulier dans l’espace 1 qui a pu consister, non pas à enterrer les dolia dans le sol du bâtiment, mais à les ensevelir partiellement (jusqu’au col) dans un épais remblai de terre rapportée. Cette technique soulève quelques interrogations mais elle a été néanmoins enregistrée dans plusieurs bâtiments de stockage similaires étudiés dans le sud de la France (Exemples : la villa de Saint-Bézard à Aspiran (34) (Mauné 2010), la villa de Près Bas à Loupian (34) (Pellecuer 2000), la villa de Pardigon à Cavalaire-sur-Mer (83) (Brun 1993b), l’entrepôt portuaire de la Bourse à Marseille (Carrato 2017, p. 561-563), l’entrepôt des Poiriers à Fréjus (83) (Carrato 2017, p. 502-506)).

32Dans le cadre de la villa de Maubec, cette solution rencontre plusieurs obstacles. Elle suggère, entre autres, qu’au terme de la période d’activité de la villa, les conteneurs aient fait l’objet dans leur ensemble d’une récupération totale et rigoureuse, avec également l’enlèvement du remblai. Si la récupération des dolia peut se comprendre, car, même d’occasion, ces conteneurs gardent de la valeur et restent très recherchés, par contre, il est surprenant qu’aucune trace du remblai n’ait été perçue dans la stratigraphie.

33Au final, en s’appuyant strictement sur les données de terrain, la démonstration d’une utilisation de dolia dans l’espace de stockage de cette villa manque d’arguments factuels : la question reste posée.

34Il apparaît donc assez logique d’entrevoir la possibilité d’une seconde hypothèse qui s’appuie sur l’utilisation de conteneurs en matières organiques périssables, à savoir les tonneaux, les foudres et/ou les cuves en bois. Pour le chai/cellier de la villa de Maubec, cette solution est plus aisée, la matière périssable ne laissant pas de traces matérielles, des conteneurs en bois ont pu, à long terme, totalement se dégrader. Cette hypothèse offre également l’avantage de ne pas devoir projeter le scenario d’un aménagement volumineux dans le bâtiment de l’espace 1 (remblai et dolia), ni celui de son enlèvement total.

35Néanmoins, sous plusieurs aspects, cette seconde solution reste aventureuse. En effet, au niveau des indices, si les tonneaux peuvent ne pas laisser de traces, en revanche, leur usage nécessite la mise en place d’un aménagement au sol pour les caler et les surélever. Cet aménagement n’a pas été retrouvé. Ensuite, géographiquement, le secteur de Montélimar se situe trop au sud par rapport à la zone d’influence du tonneau, qui couvre surtout le nord de la vallée du Rhône, c’est-à-dire la région de Lyon, de Vienne et jusqu’à Valence. Autour de Montélimar, la seule mention en rapport avec l’usage des tonneaux est celle de la présence de tonneliers attestée par une épitaphe à Rochemaure (Ardèche) à 5 km à l’ouest de Montélimar. En fait, dans ce périmètre géographique de la moyenne vallée du Rhône, les établissements similaires connus ont utilisé les dolia pour la vinification, l’élevage et le stockage de leurs vins. Il serait donc surprenant que la villa de Maubec, qui apparaît comme un établissement important sur le plan productif, au vu de la dimension conséquente du chai/cellier (presque 400 m2), ait choisi un type de conteneur différent.

36Au final, il est difficile de trancher formellement pour l’une des deux solutions et la question du type de conteneurs en service dans la villa de Maubec, reste un sujet à débattre.

Les deux pièces accolées à la pars rustica

37Bien que cela ne concerne qu’indirectement le secteur agricole de cette villa, il faut signaler le prolongement de l’établissement à l’ouest du chai de vinification, représenté par deux pièces. Ces dernières affichent des caractéristiques architecturales qui semblent plus en rapport avec l’ambiance de la pars urbana. Malgré cela, leur situation spatiale conduit à leur attribuer une relation avec l’espace de production. Il peut s’agir alors de l’habitat du maître de chai ou, autre hypothèse, d’un secteur consacré à l’activité commerciale.

Le secteur d’habitat de la villa

38La pars urbana occupe les trois-quarts de l’aile nord de l’établissement ainsi qu’un petit retour côté ouest, ce qui représente une surface totale de 500 m2 comprenant 360 m2 en espaces fermés (huit pièces fermées et trois couloirs) et 140 m2 en galerie couverte. Sur le plan de l’architecture, les six pièces de l’aile nord, alignées est-ouest, suivent un étagement assez remarquable et irrégulier au niveau des sols, atteignant un écart total de hauteur d’environ 1,75 m entre la surface de la pièce 7 à l’ouest et celle de la pièce 2 à l’est. Ce constat de différence de niveau est valable aussi pour la galerie couverte (espace 10), ce qui laisse supposer, pour son sol, un étagement analogue à celui des pièces d’habitat. Cette caractéristique au niveau des sols a eu vraisemblablement des répercussions dans l’architecture générale du bâtiment (aile nord et galerie) avec certainement des adaptations techniques pour les toitures. On peut alors proposer que les toitures aient dû suivre les effets de l’étagement et être subdivisées, elles-aussi, en plusieurs sections de plan horizontal mais séparées entre elles par un décrochement.

39Avec ses onze espaces fermés, la pars urbana se subdivise en trois secteurs qui se distinguent entre eux par leurs caractéristiques architecturales. Les trois pièces des espaces 2, 3, 4 de la partie orientale de l’aile nord, avec leurs éléments de confort (sols construits, enduits muraux), apparaissent comme les pièces principales de l’habitat réservées au maître des lieux et à son entourage familial. Les trois pièces des espaces 5, 6 et 7, ainsi que le petit couloir (espace 19), de la partie occidentale de l’aile nord, à l’aspect plus rudimentaire (sols en terre battue), ont pu être réservés uniquement aux activités domestiques (cuisine, cellier domestique) et aux « personnels ». Quant au troisième secteur, représenté par les deux petits espaces 20 et 21 et l’espace/couloir 16, il associe des éléments de confort (sols maçonnés), d’architecture (pilette) et des traces de thermo-rubéfaction qui évoquent l’existence d’un chauffage, caractéristiques permettant de suggérer prudemment, ici, un espace thermal.

40Le point de découverte le plus intéressant, relevé dans les pièces principales de l’habitat, se situe au niveau de la conception des sols des trois pièces des espaces 2, 3, 4. Il s’agit de sols maçonnés qui présentent, à première vue, une mise en œuvre plutôt classique : radier de pierres recouvert d’une dalle de béton. Toutefois, dans le détail, et notamment dans la partie supérieure des revêtements de surface, on constate que la composition et la conception de ces sols se révèlent plus complexes et aussi beaucoup plus intéressantes. On note par exemple qu’il existe, parmi les granulats des dalles de recouvrements des sols Sl.50 et Sl.51 (respectivement espaces 3 et 4), des éléments inclus dont le rôle principal est d’augmenter la cohésion et la résistance de la chape (rôle mécanique), mais aussi des éléments insérés, qui, tout en conservant le rôle des éléments inclus, servent surtout à créer un décor (rôle esthétique). On remarque également un lissage particulièrement soigné de la surface du sol Sl.49 (espace 2) sur laquelle a été déposé un décor peint dont il ne reste malheureusement que de rares traces de peinture rouge.

41Évidemment, ces revêtements de sols et leur décor n’ont pas les qualités esthétiques, stylistiques, ni même mécaniques, des pavements de mosaïques. Cependant, en ayant chacun son propre style, ils ont dû apporter aux trois pièces de l’habitat du propriétaire un aspect visuel singulier et certainement attrayant, avec, sans doute, un décor peint dans l’espace 2, un rendu plus pointilliste avec un décor à grains polychrome dans l’espace 3 et des figures géométriques « étoilées » dans l’espace 4, composées par des alignements de petites plaquettes de calcaire, gris-bleuté. Sur le plan mécanique, ces sols de circulation sont suffisamment solides pour résister à l’usure provoquée par la circulation des personnes, avec un bémol, toutefois, pour le sol Sl.49 dont la surface a dû être plus fragile en étant recouverte d’un décor peint. Comme exemples comparables au style de ces trois sols, c’est-à-dire une dalle de béton décorée, on peut évoquer un sol en terrazzo mis au jour lors de la fouille du parking Jean Jaurès à Nîmes, dans la pièce PCE 4144 de l’îlot E (Breuil 2017). Ce sol présente en surface un quadrillage orthogonal de croisettes bordé de filets de tesselles noires (Boislève et al. 2011). Un sol en terrazzo a également été retrouvé au cours de la fouille de la domus au Griffon, place Questel, à Nîmes. Il présente un fond blanc avec une organisation de tesselles noires de grand module (Hénique 2011).

42Dans cette partie habitat, on retiendra, en second lieu, le retour de bâtiment dans l’angle sud-ouest, qui possède quelques caractéristiques (sols maçonnés, « pilettes », traces de thermo-rubéfaction) qui permettent de proposer prudemment, ici, un petit secteur thermal. La présence relativement proche du bassin monumental (possible natatio) est un élément en faveur de cette hypothèse.

43La galerie couverte (espace 10), installée au-devant de la façade sud de la pars urbana, forme un couloir de circulation de 32,50 m de long sur environ 4 m de large, à partir duquel les occupants pouvaient accéder aux différentes pièces de l’aile nord et peut-être à celles de la petite aile ouest. Avec sa colonnade, cette galerie a joué un rôle à la fois esthétique, en apportant un style architectural à la partie habitation de la villa, et aussi pratique, en permettant aux occupants de circuler d’un bout à l’autre de la pars urbana tout en étant protégés des précipitations et/ou de l’ensoleillement estival. En revanche, sa présence a pu aussi limiter la clarté du jour dans les pièces d’habitat, d’où l’existence probable d’ouvertures (fenêtres) dans le mur de façade au-dessus du toit de la galerie.

Les cours intérieures et leurs aménagements

44L’espace extérieur dans l’enceinte de la villa occupe toute la partie centrale (espace 13) entre les corps des différents bâtiments et aussi tous les secteurs sud le long du mur de clôture M63/Mr.44 (espaces 24, 30 et 22). Dans cet espace, le niveau d’occupation est, dans l’ensemble, mal conservé. Il a subi des processus d’érosion ou d’accrétion, pendant, et surtout après, l’occupation de la villa, lesquels se sont traduits par un lessivage du sol (pluies) et un glissement progressif des sédiments de la partie haute à l’est vers la partie basse à l’ouest, où l’on constate, à l’inverse, une accumulation et/ou un mélange des couches. Le principal aménagement que l’on retrouve ici est représenté par un bassin monumental (espace 15) installé contre la face interne du mur de clôture ouest Mr.61, au nord de la porte d’entrée principale.

Le bassin

45Ce bassin est un élément important de la villa. Il ne s’agit pas simplement d’une cuve rectangulaire mais d’une pièce d’eau volumineuse, à l’architecture soignée sur le plan pratique, technique et esthétique. Son emprise totale au sol couvre une surface de 76 m2 avec une partie interne utile de 55 m2. Sa hauteur est conservée sur 0,60 m, ce qui permet d’estimer la capacité volumétrique de ce bassin, au minimum, à 33 m3.

Fig. 4 – Vue générale du bassin (espace 15)

Fig. 4 – Vue générale du bassin (espace 15)

Cliché : P. Rigaud (Inrap).

46Les quatre murs qui délimitent ce bassin sont des maçonneries soignées. La principale particularité a été relevée dans le mur Mr.33, avec la présence, dans sa partie centrale, d’une exèdre saillante qui forme une petite niche et apporte un attribut esthétique évident. Sur leur face interne, les murs du bassin sont encore en grande partie recouverts par une couche d’enduit de tuileau dont la fonction d’étanchéifier les parois relève de l’évidence. Du sol de ce bassin, il ne reste en place que la partie fondation. Son revêtement de surface est totalement absent. Cette partie « fondation » est intéressante sur le plan technique, car elle montre bien la mise en place d’un solide niveau de préparation conçu pour résister à la charge de la masse d’eau. Concernant son revêtement de surface, l’hypothèse la plus simple est d’envisager un sol de nature identique à celle du revêtement des murs, c’est-à-dire un béton de tuileau.

47Il existe également dans ce bassin un autre détail architectural, matérialisé par une maçonnerie, M.164, localisée dans l’angle nord-est, en appui contre les parois internes des murs Mr.31 et Mr.32. Sa forme rectangulaire et ses dimensions (1,20 m x 0,85 m x 0,30 m) évoquent la base d’un escalier permettant l’accès à la cuve. Enfin, une pièce importante de cet ensemble a été retrouvée encore en place à l’angle nord-ouest, dans l’épaisseur du mur Mr.33. Il s’agit d’un tronçon de tuyau en plomb de plus d’un mètre de long (1,04 m), qui a servi à l’évacuation des eaux du bassin en direction du fossé Fo.108 qui longe le côté ouest de la villa, à l’extérieur. La présence de ce tuyau en plomb apporte un éclairage sur le système d’évacuation des eaux. En revanche, aucun indice ne peut être mis en relation avec le dispositif d’alimentation, et ce dernier reste malheureusement inconnu. Initialement considérée comme un simple bassin d’agrément, cette pièce d’eau possède en fait tous les attributs d’une natatio, c’est-à-dire une piscine extérieure froide. Elle offre aux nageurs une surface utile de 55 m2, abritée du mistral par les bâtiments formant l’angle nord-ouest de la villa. Ce type de bassin est généralement intégré à un contexte thermal. Or, si l’hypothèse est bien soulevée pour la partie sud-ouest de la pars urbana, elle est loin d’être adoptée du fait de la « grande discrétion » des éléments repérés. Le bassin constitue, en fait, l’élément le plus évocateur de cet éventuel secteur thermal.

Des éléments fondamentaux absents dans cette villa

48Cet établissement a été mis au jour sur sa totalité. L’état de conservation de ce site, tout en étant hétérogène, reste plutôt correct par endroits. Néanmoins, il faut reconnaître que l’absence de certains types de vestiges, relevant de domaines fondamentaux, soulève de grosses interrogations. Il s’agit plus précisément de l’absence de foyers et de celle de témoins de gestion de l’eau.

49Pour les premiers, force est de constater qu’aucune structure foyère ou aucun vestige attribuable à une structure foyère n’a été relevé dans l’ensemble des espaces de cette villa, alors qu’en principe ils sont assez faciles à repérer et à identifier. Dans cet établissement, les seuls indices en rapport avec « le feu » ont été observés dans deux pièces de l’angle nord-ouest (espaces 7 et 20). Ils se résument à une couche sédimentaire très charbonneuse et des traces de chauffe relevées sur des maçonneries (mur et sol), à hauteur d’une ouverture qui semble avoir servi de conduit d’air. L’usage de braseros peut s’envisager pour certaines pièces d’habitat, mais, pour les espaces consacrés, d’une part aux activités culinaires et, d’autre part, aux soins du corps, il est inconcevable de ne pas disposer d’un véritable foyer. Et on pense évidemment au praefurnium si on suppose un secteur thermal. C’est d’ailleurs en grande partie l’absence de celui-ci qui met un frein à l’interprétation.

50Pour le second domaine, qui est l’eau, le manque de témoignages de sa gestion à l’intérieur de l’établissement, tant pour l’alimentation (puits, aqueduc, canalisations...) que pour l’évacuation (caniveaux), est tout aussi surprenant. Pourtant, là encore, les structures hydrauliques en rapport avec l’eau, en étant généralement enfouies, sont en principe relativement bien protégées des destructions ultérieures et donc assez faciles à retrouver. De plus, l’existence du bassin monumental est bien la preuve que la villa a été équipée d’un approvisionnement en eau. D’ailleurs, cet approvisionnement n’a pas dû poser de problème majeur puisque les sources et les petits ruisseaux, attestés pour la période actuelle à proximité du site sur les pentes ouest du plateau de Bondonneau, ont dû être certainement actifs durant la période antique. Envisager une récupération totale des conduits du circuit d’approvisionnement et de rejet n’est pas une réponse satisfaisante. Cette absence reste donc étonnante.

L’apport du mobilier et sa relation avec le contexte de la villa

51En ce qui concerne le mobilier extrait de ce site et attribuable à l’état principal d’occupation (état 1), en dehors de sa valeur de traceur chronologique, il est peu quantitatif (céramique, monnaies, verre) ou assez modeste qualitativement (instrumentum). Ce bilan n’est pas surprenant : la villa était un établissement entretenu, et il n’y a donc pas de raisons qu’il y ait eu des rejets dans la plupart des espaces. Il est possible qu’une zone de rejet ait existé mais certainement à l’extérieur du lieu de vie et d’activité, c’est-à-dire en dehors de l’emprise de la fouille. Une autre explication, qui concerne plus à l’instrumentum, est que la plupart des objets gardent leur valeur et sont généralement récupérés pour leur fonction ou pour une transformation, d’où l’absence quasi-totale d’objets en relation directe ou indirecte avec l’activité vinicole mais aussi avec l’outillage au sens global, avec le domaine personnel et avec les soins du corps. D’ailleurs, un fort pourcentage de l’instrumentum retrouvé sur le site est constitué de fragments d’objets ou d’éléments sans valeur véritable (clous, fragments de plomb...). L’unique objet en rapport avec le contexte de cette villa est constitué par plusieurs fragments métalliques (alliage cuivreux) provenant d’une passoire qui a pu être utilisée pour filtrer du vin.

52Du côté de la céramique, on constate une représentation plutôt modeste des catégories de vases ayant un lien avec le contexte vinicole : le dolium reste rare et la quantité de fragments d’amphores n’est pas significative. Cette présence discrète de ces types de conteneurs est tout de même une information dont il faut tenir compte dans le cadre de l’interprétation du mode de stockage et du transport de la production de vin.

Conclusion

53En étant tournée exclusivement vers une monoculture, sur une durée d’activité d’un siècle et demi, calée entre le milieu du ier s. apr. J.-C. et la fin du iie-début du iiie s., la villa de Maubec entre pleinement dans le schéma des domaines viti-vinicoles qui ont occupé le territoire de la vallée du Rhône au cours de l’Antiquité. Ces domaines ont investi dans une production qui répondait à la demande d’un marché en pleine expansion, très lucratif et dépassant largement la demande locale. Sur la question de la distribution, en étant sur un territoire où existent à la fois des domaines spécialisés dans la production du vin et aussi des corporations tournées vers son commerce ou son transport, on peut supposer une bonne organisation, autant par voie terrestre (voie d’Aggrippa) que par voie fluviale (Rhône). Ainsi, le port naturel d’Alba Helvuorum (Alba-la-Romaine, Ardèche), localisé à proximité de Viviers (07), se trouve à environ 10 km du site de la villa de Maubec. En se recentrant sur l’établissement étudié, on peut affirmer que cette villa a connu vraisemblablement son apogée au cours du iie s.

54Ensuite, à partir du début du iiie s., en raison d’une crise qui touche la viticulture et la production de vin, on assiste, en Gaule Narbonnaise, à une réorganisation profonde de la filière (Brun, Laubenheimer 2001). Un grand nombre d’exploitations de petites tailles disparaissent en tant que domaines viti-vinicoles, et, pour des raisons qui nous échappent, elles n’adoptent pas non plus un nouveau type de production (céréales par exemple...). C’est effectivement ce constat qui est fait pour la villa de Maubec.

55La seconde partie de l’histoire de cet établissement est également très classique. Elle suit un scenario déjà constaté sur des sites analogues avec une réoccupation qui n’a plus de rapport direct avec l’activité agricole initiale. Cette nouvelle période d’occupation, qui s’étale au cours du iiie s. apr. J.-C., apparaît, ici, plus disséminée spatialement et peut-être plus morcelée dans le temps. Elle n’en demeure pas moins manifeste avec des nouvelles constructions, des réaménagements et des modifications d’espaces existants ainsi que des rejets de mobilier, assez conséquents par endroits. Par contre, faute d’indices évocateurs, elle reste bien difficile à identifier. On peut, bien entendu, envisager une ou des campagne(s) de récupération de matériaux, l’absence de tous les seuils des portes étant un bon argument pour soutenir cette hypothèse. Il est possible aussi d’entrevoir une installation plus ou moins pérenne d’une communauté, avec éventuellement du bétail, qui aurait investi certaines parties des bâtiments, l’espace central (la cour) et les abords de l’établissement. Enfin, il apparaît clairement que ce site cesse d’être occupé à partir de la fin du iiie-début du ive s. apr. J.-C., et, cela, jusqu’à nos jours. Les rares indices postérieurs à cette date sont, pour ainsi dire, insignifiants, avec une monnaie de la seconde moitié du ive s. et une autre de la première moitié du xviie s. Il se peut que des travaux d’épierrements de murs se soient également déroulés ponctuellement au cours des siècles qui ont suivi l’abandon de cet établissement. Toutefois, sa position dans la topographie du site, en bas de pente, a favorisé son recouvrement sédimentaire et ainsi, en partie, sa préservation.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Plan du diagnostic et report de l’emprise retenue pour la fouille
Légende Échelle : 1/1000.
Crédits DAO : P. Rigaud (Inrap)
URL http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/122274/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre Fig. 2 – Plan général de la villa
Légende Échelle : 1/300.
Crédits DAO : P. Rigaud (Inrap).
URL http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/122274/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 898k
Titre Fig. 3 – Cuve Cu.94 (espace 31)
Légende Vue générale vers le nord-ouest
Crédits Cliché : (Inrap).
URL http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/122274/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 586k
Titre Fig. 4 – Vue générale du bassin (espace 15)
Crédits Cliché : P. Rigaud (Inrap).
URL http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/122274/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 829k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Marc Lurol, « Montélimar – Zac de Maubec, les terrasses de Maubec (tranche 1) » [notice archéologique], ADLFI. Archéologie de la France - Informations [En ligne], Auvergne-Rhône-Alpes, mis en ligne le 12 mai 2022, consulté le 07 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/adlfi/122274

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Auteur

Jean-Marc Lurol

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