1Le chaînon du Salève est un petit relief (17 km nord-sud et 3 km est-ouest) qui émerge des plaines et collines de l’Avant-Pays savoyard et le domine en moyenne de ses 1 200-1 300 m ( 379 m au Grand Piton). Il constitue un domaine à part dans l’espace du Genevois savoyard, puisque montagne calcaire au cœur d’un territoire fondé sur les dépôts glaciaires et péri ou post-glaciaires, eux-mêmes reposant sur la masse importante des niveaux molassiques essentiellement gréseux. Il tranche aussi d’avec les basses terres par son régime hydrologique karstique. La forêt couvre aujourd’hui environ les trois quarts de la surface du chaînon, surface augmentée récemment (année 1970 et suivantes) des reboisements naturels ou artificiels d’anciennes prairies (info DOCOB Natura 2000).

2La campagne 2016 avait permis la mise en place d’une méthodologie opérationnelle pour aborder le sujet et prendre en compte l’importante surface à couvrir et le nombre indéniablement élevé des sites de charbonnage potentiels. Les images Lidar réalisées en 2014 et désormais à disposition, traitées par Sébastien Perret, ont permis alors une première détermination d’anomalies. Ces éléments géolocalisés furent ensuite recherchés sur le terrain et validés ou non comme plateformes de charbonnage (ou autre : four à chaux, structure indéterminée, fosse, etc.). Dans le cadre de ces opérations de terrain, d’autres plateformes non visibles sur l’image ont pu être repérées, sondées (carottage à la tarière) et validées (GPS). Chaque site a fait l’objet d’une fiche complète. Les informations sont intégrées dans un tableau général. L’ensemble des données intègre un SIG, mis en place et géré par Sébastien Perret, dans lequel nous intégrons aussi désormais les données antérieures (prospections 1997-2003 ; 2013).

3Ce programme de prospection thématique, rattaché au PCR « Écosystèmes montagnards du Moyen Âge à nos jours. Trois cas haut-savoyards : Salève, Glières et Sales », tente d’abord de répondre à la question de l’approvisionnement en combustible des ateliers de sidérurgie primaire qui ont exploité les ressources en minerai de fer du Salève entre le v^e et le xiii^e s. (Mélo 2001 ; Perret et al. 2018). Mais la position géographique du Salève au cœur d’un espace densément peuplé, depuis l’Antiquité au moins, sa localisation entre deux agglomérations anciennes, Annecy au sud et, surtout, Genève au nord, le plaçaient au cœur d’autres enjeux : approvisionnement des habitants des plaines et collines voisines en bois comme en charbon, accroissement des espaces agro-pastoraux, exploitation des ressources minérales autres que le minerai de fer : calcaires (chaux, construction, granulat), blocs erratiques de granite (meules de moulin, construction), sables (verrerie, construction).

4La recherche, bien que focalisée d’abord sur la question du charbonnage, notamment en liaison avec la sidérurgie, mais pas seulement, s’est donc élargie, au moins pour un état des lieux, aux autres formes d’exploitation de l’espace forestier (bois matière, défrichement).

5En 2018, 195 plateformes de charbonnage avaient été repérées et avaient fait l’objet d’une fiche de relevé. La multiplication des observations a permis d’approcher plus finement la typologie et la répartition géographique. Quelques éléments de chronologie relative sont aussi apparus (sédimentation, mensuration, répartition géographique, mobilier archéologique). De ce corpus, ont été sélectionnée vingt plateformes destinées à être sondées pour collecter des charbons pour datations et analyses anthracologiques.

6En 2019, nous avons donc procédé, après accord des propriétaires et/ou des exploitants agricoles ou forestiers, aux sondages dans 18 charbonnières et au collectage de charbons dans des tranchées accidentelles (érosion naturelle des rebords en aval des charbonnières, activité des fouisseurs ou de la grosse faune, travaux forestiers) sur six sites de charbonnage. Cet ensemble de 24 plateformes a fourni 44 sacs contenant de un à plusieurs centaines de charbons. Les datations ont été réalisées par le Centre de datation par le radiocarbone de Lyon.

7Au regard de l’ensemble des observations réalisées sur les charbons de bois par Sandrine Paradis-Grenouillet (Éveha/Geolab), il est possible de retracer deux millénaires de production de charbon de bois sur la montagne du Salève entre le début de notre ère et le milieu du xx^e s.

8Les données de diversité taxonomique et de restitution du diamètre des bois mettent en lumière une collecte des bois sélective qui privilégiait les hêtres de petits et moyens diamètres, gérés en taillis tout au long de ces deux millénaires d’activité. Si quelques indices laissent entrevoir des phases de pression plus fortes sur les ressources forestières, principalement du xiv^e au xviii^e s., les données acquises révèlent un certain maintien des pratiques de charbonnage et, donc, probablement, des paysages forestiers. Le sapin, deuxième taxon employé, est également présent tout au long de la période d’activité, mais il semblerait que son utilisation reste ponctuelle, et se limite principalement à l’emploi des branches ou de très jeunes arbres.

9Le secteur septentrional de la zone d’étude, au-dessus des Esserts, dans la commune de Monnetier-Mornex, présente des particularités. Si les datations sont similaires à celles rencontrées sur le reste de la zone d’étude, une plus grande diversité taxonomique soulève d’autres questions : la pratique était-elle opérée dans des massifs forestiers plus diversifiés ? À quel usage était dédié ce charbon de bois qui ne semble pas répondre aux standards des activités métallurgiques ?

10Le charbonnage, une activité artisanale pourtant ancestrale, laisse peu de traces dans les écrits. Mais la continuité des données anthracologiques évoque une certaine transmission des savoir-faire d’une génération à l’autre. C’est cette transmission qui participe au maintien des sylvofaciès jusqu’à aujourd’hui.

11L’abandon de cette pratique, mais également de l’affouage, a inévitablement conduit, localement, à des transformations des paysages forestiers. Ces forêts anciennes risquent de progressivement disparaître.

12Le croisement plus en profondeur des données anthracologiques avec les données historiques, palynologiques et les données de végétation actuelle devraient permettre de mieux appréhender l’histoire de la pratique du charbonnage sur la montagne du Salève, tout en mesurant le poids de ces activités sur la construction, la transformation et/ou le maintien des paysages forestiers sur la longue durée. Ce travail devrait être prochainement réalisé en étroite collaboration avec les chercheurs ayant conduit ces études.

13En parallèle à l’étude des charbons, des relevés lasergrammétriques et photogrammétriques de trois structures ont été réalisés au printemps 2020 dans le cadre du Programme collectif de recherche : un four à chaux (Le Chênex, commune du Sappey), une minière et une structure circulaire (plateau du Passet, La Thuile, commune de Beaumont).

14Enfin, les travaux de recherches sur le Salève ont été le sujet d’une exposition itinérante dans le cadre de la restitution publique du PCR : « Le Salève : une montagne de ressources ! » présentée une première fois dans la salle des fêtes d’Etrembières en juillet 2021.