1Programmée du 24 octobre au 7 novembre 2014, la seconde campagne sur la Lune, conduite par Michel L’Hour avec les effectifs du Drassm, a bénéficié de conditions météorologiques particulièrement favorables mais des problèmes de positionnement dynamique du navire André-Malraux, support de l’opération, ont réduit le nombre de journées d’intervention. Au bilan, les huit journées effectives d’intervention sur l’épave ont quand même permis de mener à bien le programme prévu. Au cours de ces travaux, les différentes machines testées cette année auront in fine passé 41 h 42 mn sur l’épave. Pour parvenir au même résultat, il aurait été nécessaire de mettre en œuvre 21 plongeurs intervenant chacun 15 mn par jour sur l’épave avec des paliers de décompression de 2 h 7 mn par exemple. Ces chiffres montrent bien que la robotique devient vite la seule alternative possible sauf à renoncer à l’archéologie des épaves profondes.

2Les mobiliers ramenés au jour en 2014 ne se distinguent guère de ceux prélevés en 2012 (L’Hour 2014). Outre que les échantillons prélevés reflètent sans doute le caractère traditionnellement répétitif de plusieurs catégories de mobiliers, leur similitude tient probablement aussi au fait que les prélèvements ont été réalisés au sein de zones très circonscrites du site. La fouille de zones plus diversifiées, espace de cuisine ou lieu de résidence des membres de l’état-major par exemple, devrait en revanche offrir des mobiliers mieux individualisés, notamment la vaisselle personnelle des gentilshommes et officiers de rang présents à bord.

3Au regard des productions céramiques, la campagne 2014 a fourni deux nouvelles bouteilles en terre vernissée dotées de quatre anses de suspension (fig. 1) ainsi que plusieurs albarello en terre vernissée, vert à l’extérieur, jaune à l’intérieur de la panse, de trois tailles différentes ainsi qu’une jatte et une marmite. S’il paraît incontestablement légitime d’attribuer à ces productions une origine provençale, sans doute la vallée de l’Huveaune, la Ligurie est présente avec une petite marmite.

4Mais ce qui ne lasse pas de surprendre est l’étonnante multiplicité de conteneurs en verre qui jonchent le site de la Lune, de la bouteille quadrangulaire à la dame-jeanne.

6L’ensemble de ces partenaires s’est regroupé en 2014 sous une même appellation, le programme Corsaire Concept. La direction et la coordination des recherches robotiques a quant à elle été confiée à Vincent Creuze, enseignant-chercheur au laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm), mis à disposition au CNRS pour superviser le projet.

La Lune : un banc d’essai

7Après la campagne 2012, conduite avec le scaphandre rigide Newtsuit de la Marine nationale et des robots industriels peu aptes à manier des mobiliers archéologiques, puis un bref essai en 2013 d’un robot à chenilles de type crawler, dont le principe n’a pas convaincu, la campagne 2014 a vu l’intervention sur la Lune d’un premier robot équipé d’une main et d’une griffe, la naissance de nouveaux éclairages et l’expérimentation d’un laser 3D.

Les systèmes de préhension

8Au cours des années, de nombreux tests de prélèvements d’objets archéologiques ont été réalisés en utilisant les outils proposés par les sociétés d’ingénierie sous-marine. Mais les systèmes de préhension dévolus aux interventions robotiques traditionnelles ne répondent pas, ou trop imparfaitement, aux exigences des archéologues. Griffes et pinces industrielles sont en effet inadaptées au prélèvement d’artefacts fragiles. Nés de cette préoccupation, ce sont des manipulateurs spécialement conçus pour les mobiliers archéologiques qui ont, pour la première fois cette année, été réalisés puis testés sur la Lune.

Sortir ses griffes…

9Le premier de ces équipements est constitué d’une griffe souple conçue par le Lirmm (fig. 2). Elle se présente sous la forme d’un double peigne métallique, mobile à la demande. Les dents des peignes sont constituées de tiges en acier inoxydable recouvertes de tubes de plastique souple amortissant le contact avec l’objet prélevé. L’un des peignes est droit, vertical et fixe, cependant que le deuxième, plus courbé, est fixé sur un axe pivotant. Ce second peigne peut de ce fait se glisser sous un objet afin de le soulever délicatement sans le comprimer. La griffe peut également servir ponctuellement de pince pour extraire un mobilier partiellement enfoui. Montée sous le ventre d’un ROV, cette griffe permet de prélever très délicatement et sans à-coup des objets situés à la verticale du véhicule porteur. Fruit de réflexions conduites par Vincent Creuze et Olivier Tempier, ingénieurs au sein du Lirmm, ce système, simple dans sa conception mais particulièrement innovant, a permis de prélever cette année, rapidement et en toute sécurité, plusieurs bouteilles de verre très fragiles ainsi que certains mobiliers que l’on jugeait trop aisément accessibles aux plongeurs clandestins qui visitent de temps à autre la Lune. Les essais ont en outre permis de bien appréhender les limites de ce dispositif et d’envisager des voies d’amélioration possibles. La souplesse des tiges et le faible couple mécanique développé ont notamment démontré que l’actuel prototype était sous-dimensionné pour creuser dans le sédiment ou exercer une pression de levage suffisante sur un objet profondément enfoui.

10Une nouvelle griffe, plus grande et d’emport plus important a donc été mise à l’étude par la société Techno Concept, basée à Loupian dans l’Hérault, en partenariat avec le Lirmm pour la partie électronique et le module de commande. Configuré pour travailler jusqu’à 500 m de profondeur, ce nouveau modèle devrait être apte à creuser dans le sédiment et à saisir des mobiliers beaucoup plus lourds. Il fera l’objet des premiers essais en avril 2015 sur des épaves antiques situées entre 300 et 500 m de fond avant de servir en octobre 2015 sur la Lune.

Ou tendre la main…

11Conçue pour travailler jusqu’à 2000 m de fond par Gilles Lopez, de la société Techno Concept, la main pourvue d’un pouce et de deux doigts peut être aisément fixée sur de très petits véhicules. Son innovation majeure réside dans un système de fermeture et de verrouillage inédits exploitant câbles et ressorts de façon très originale au regard des systèmes terrestres existants. Il en résulte une très grande douceur dans la manipulation sans que cette dernière ne soit préjudiciable à la possibilité d’exercer une force très importante. Les phalanges s’adaptent avec souplesse à maintes morphologies puis, une fois les doigts refermés, la main se verrouille dans la position privilégiée par son pilote et assure une prise ferme sans pour autant exercer de pression sur l’objet transporté grâce à l’action de capteurs (fig. 3).

12Afin de donner à la main la meilleure orientation pour la saisie, elle est montée sur un axe pivotant et le ROV porteur peut prendre du tangage et du roulis de façon asservie.

13Si les résultats des essais ont permis de valider le concept de cette main ils ont aussi montré des voies d’amélioration sensible :

• La version d’essai a d’abord semblé trop fragile au point de craindre une rupture des câbles en cas de choc un peu brutal. Le critère de robustesse sera donc mieux pris en compte dans la conception de la prochaine version.
• La prise d’objets s’est avérée notablement plus chronophage qu’avec la griffe. L’une des causes de cette lenteur tient aux carences du véhicule porteur en matière de positionnement. Un système d’aide au pilotage horizontal sera en conséquence inclus par le Lirmm dans le dispositif de commande des prochains Corsaires.
• On a craint parfois que les objets ne glissent de la main. Pour juguler ce risque il a été décidé d’augmenter le nombre de doigts sur la version qui sera disponible à l’automne 2015.
• Enfin, les versions à venir seront équipées d’une interface haptique qui restituera à l’utilisateur le sens du toucher, information essentielle pour un archéologue lorsqu’il est privé, ce qui n’est pas rare en eau très chargée, d’un retour visuel sur l’objet que sa main vient de découvrir. Cette conquête du toucher, plus encore que celle de la vision, est à ce point essentielle qu’elle est sans doute le préalable indispensable à la réalisation d’actes archéologiques téléopérés par grande profondeur.

Le renforcement des dispositifs d’éclairage

14La campagne 2012 sur la Lune, puis plusieurs autres expertises conduites par très grand fond, ont montré l’urgence à disposer pour les travaux les plus minutieux d’un éclairage puissant. Dans l’impossibilité de le trouver sur le marché, le Drassm a décidé de faire réaliser une tête lumineuse spécifique inspirée de principes technologiques mis en œuvre en 2013 avec le concours de la société ROV Développement. C’est la société LDY qui s’est vue confier la conception et la réalisation de cette « douche lumineuse ». Ce premier prototype a d’emblée prouvé son efficience lors de la campagne 2014. Cette nouvelle rampe d’éclairage et de prises de vue pourra travailler jusqu’à des profondeurs de 2 000 m, objectif bathymétrique final du programme Corsaire Concept développé sur la Lune.

Le laser 3D : une piste pour les relevés de précision

15Entre 2012 et 2014, l’équipe du Drassm s’est efforcée d’évaluer conjointement les diverses méthodes existantes de reconstruction optique 2D et 3D. Nous avons vérifié à cette occasion que le temps de calcul nécessaire, souvent plusieurs heures, à la reconstruction de zones même limitées, ne permettait pas d’envisager raisonnablement de procéder à des acquisitions répétitives d’instantané du site au fil du déroulement des travaux, plusieurs fois par jour si nécessaire. En 2014, nous avons donc choisi de tester une autre méthode fondée sur la mise en œuvre d’un scanner laser 3D. Éprouvé dans les milieux aériens, ce type de technologie en est à ses balbutiements dans le milieu sous-marin mais tout laisse à penser qu’il s’agit d’une voie prometteuse.

16Deux chercheurs écossais de la société Marine Sense basée à Aberdeen, Harry Rotsch et Anthony Jakas, se sont donc joints à l’équipe de fouille de la Lune pour mettre en œuvre et expérimenter un appareil constitué d’une tourelle pivotante sur laquelle sont fixés solidairement un plan laser et une caméra noir et blanc munie d’un filtre optique coloré. Lorsque la tourelle pivote, le plan laser balaye la zone à cartographier et la caméra collecte les positions des pixels lumineux ce qui permet de calculer les coordonnées 3D des points correspondants. Les avantages de cette méthode sur les méthodes photogrammétriques classiques sont la quasi-instantanéité du résultat et une précision millimétrique.

17Le système déployé a permis de mener une série de tests et en particulier d’assurer le relevé d’un chaudron de cuivre et d’en restituer une image tridimensionnelle dont l’impressionnante résolution, en deçà du millimètre, offre des perspectives particulièrement encourageantes au regard des relevés archéologiques à grande profondeur (fig. 4).

18En outre, il ressort des expérimentations que la méthode, bien que moins performante, reste opérationnelle même dans des eaux assez chargées, notamment des eaux saturées en particules flottantes. Dans ce cas de figure, les points aberrants ne sont simplement pas connectés les uns aux autres et sont donc aisément filtrables dans l’espace tridimensionnel en faisant usage d’un algorithme de détection et de suppression des points isolés.

19Pour pallier enfin la faible portée du laser, de 1 à 3 m, il conviendra sans doute que la tourelle laser soit installée sur une base mobile, idéalement un ROV. C’est l’une des voies qui sera prospectée en 2015.

20Pour prolonger cette première expérience, une thèse en cotutelle (Onera - Lirmm - Drassm) démarrera en octobre 2015 afin d’approfondir les applications de systèmes optiques actifs ou non.

Un laboratoire pour les fluides subcritiques

21Laboratoire d’expérimentation pour les techniques d’investigation des vestiges d’origine anthropique perdus par très grand fond, le chantier de la Lune a aussi été pensé comme un champ privilégié d’investigation pour les méthodes de conservation et de restauration des mobiliers archéologiques métalliques et composites. Notre espoir dans ce registre de préoccupation est de pouvoir mettre l’opération à profit pour développer en Europe la mise en œuvre des fluides subcritiques pour le traitement des collections issues des milieux immergés. Or les protocoles de traitement que nous envisagions en 2012 de développer ont connu cette année des progrès très significatifs.

22Soutenus par une promesse de mécénat du Groupe Eiffage, le Drassm et la société arlésienne A-Corros ont de fait été en mesure de lancer dès 2013 un programme d’essai préalable à la construction d’un premier accélérateur de stabilisation par les fluides subcritiques. Ce programme a permis de réaliser l’étude fonctionnelle de la machine et de valider des principes et choix technologiques de conception, notamment dans les domaines du type de matériaux à utiliser, du mode de chauffe, des critères de montée en température et du type de fluide à mobiliser.

24Les progrès accomplis depuis deux ans dans l’élaboration de systèmes robotiques adaptés à des actes archéologiques complexes laissent désormais raisonnablement augurer que l’équipe de fouille sera en mesure d’amorcer dès la campagne 2015 l’investigation méthodique de la couche supérieure de l’épave.