1Cette année la mission de carte archéologique a été partagée en trois phases distinctes de terrain. La première phase en février était dédiée à la recherche et à la vérification de trois épaves à grande profondeur sur le versant oriental de la Corse. La seconde, plus longue, en avril, était une campagne visant à explorer, à inventorier et à documenter une sélection de sites sous-marins initialement répartis sur l’ensemble du littoral corse, mais qui a été finalement limitée à la zone entre Calvi et Aléria. La troisième phase, très courte, a été de nouveau dédiée à des épaves à grande profondeur localisées au Cap Corse. L’ensemble de la mission de carte archéologique était sous la responsabilité scientifique de Franca Cibecchini et a été prise en charge par le ministère de la Culture et de la Communication. Dans le cas des phases 1 et 3, les opérations sur certains sites contemporains et modernes, notamment dans celles liées à la recherche du sous-marin Saracen, ont été dirigées avec Michel L’Hour. L’opération sur l’épave Cap Corse 2 a été dirigée avec Souen Fontaine. Les trois phases ont bénéficié du support du navire de recherche André-Malraux.

2Nous nous limitons ici à présenter les principaux résultats, regroupés par périodes et nous remercions vivement Franck Allegrini Simonetti pour sa collaboration fondamentale dans l’identification de la plupart de bâtiments coulés pendant la seconde guerre mondiale.

Les épaves à grande profondeur

3Toutes les recherches et la documentation ont été effectuées avec le ROV Perseo GTV/Ageotech de la société Copetech depuis le navire André-Malraux à l’exception des cinq sites expertisés à la fin de la phase 2 de la carte archéologique qui ont été réalisées avec le ROV Plutopalla de la Gay Marine depuis le catamaran Daedalus de l’ingénieur Guido Gay.

La recherche du HMS Saracen (1943) et les épaves contemporaines (Haute-Corse), phase 1-3

F. Cibecchini, M. L’Hour

4La recherche du HMS Saracen a été un des objectifs des premières missions dans les grandes profondeurs en Corse en 2013 et elle a été également à l’origine de toute une série d’importantes découvertes. Ce sous-marin anglais a eu un rôle très important pendant la deuxième guerre mondiale et notamment dans la création du réseau de la résistance en Corse et, partant, de la libération de l’occupation italoallemande (Hodgkinson 2007). Le HMS Saracen s’est sabordé le 14 août 1943 suite à une longue chasse par les corvettes italiennes Minerva et Euterpe. La perte du paquebot Francesco Crispi le 19 avril 1943 avec ses 945 victimes avait sans doute déclenché une chasse acharnée au Saracen de la part des forces italiennes. Nous avions contacté l’Archive Historique de la Marine italienne à Rome, qui nous avait fourni un point assez précis du lieu de naufrage du Saracen avec une reconstitution de la chasse au sous-marin effectuée par les officiers italiens de la Minerva quelques années après la fin de la guerre (fig. 1). Toutefois, malgré les prospections effectuées (multifaisceaux et sonar) dans une zone de plus de deux milles nautiques autour du point fourni par la marine italienne, le Saracen n’a pas été trouvé lors de cette campagne ni pendant les quelques jours de recherches avec le catamaran de Guido Gay dans la phase 2. En revanche une série de six épaves contemporaines ont été détectées et expertisées : l’une est probablement à attribuer à la première guerre ou à une période encore plus ancienne, deux appartiennent à la période de la seconde guerre mondiale et trois sont très récentes.

Pseudo Saracen ou possible HMS Alberto Guglielmotti, plus de 400 m, phases 2 et 3 (EA 3099)

F. Cibecchini, M. L’Hour

5Selon le système sonar de Guido Gay, l’épave correspond à un navire d’environ 60 m de longueur, avec une coque assez fuselée et étroite qui pourrait bien correspondre à celle d’un sous-marin. Un élément bien visible de l’épave presque au centre de la coque peut rappeler la tourelle d’un sous-marin. Toutefois les structures sont en très mauvais état de conservation et toute la partie extérieure du bâtiment semble avoir disparu. Il est impossible que ce soit un navire coulé en 1943. La visibilité était assez mauvaise pendant les deux expertises effectuées sur l’épave mais grâce au ROV Perseo nous avons repéré, et partiellement récupéré, une série d’objets appartenant à la dotation de bord du navire : une lampe de marine en laiton, alliage (?) cuivreux et verre (fig. 2) avec la marque « Augustin Santi, opticien Marseille » encore lisible, une des deux cuvettes de toilette en faïence (ou en verre opalin) (fig. 3), un fragment d’assiette en verre opalin blanc. Une recherche rapide a permis de dater de manière approximative l’activité principale d’Augustin Santi dans la seconde moitié du xix^e s. Pour la cuvette nous avons identifié un type de mobilier assez semblable dans le catalogue des productions d’Aubagne du tout début xx^e s. sous le nom de « cuvette anglaise ».

6Si nous voulons garder l’hypothèse qu’il s’agisse d’une épave de sous-marin, le seul qui pourrait correspondre à notre site serait le sous-marin italien Alberto Guglielmotti, coulé par erreur par le dragueur de mines anglais Cyclamen le 10 mars 1917 au large de l’île de Capraia pendant son déplacement vers l’Adriatique. Le Guglielmotti faisait partie de la classe de sous-marins italiens Pacinotti, composée par seulement deux unités, l’Antonio Pacinotti et l’Alberto Guglielmotti, tous les deux construits par la Fiat dans les chantiers Fiat à San-Giorgio de La-Spezia en 1914 et lancés en 1916. Les mauvaises prestations des deux sous-marins auraient découragé la marine italienne de construire d’autres unités au-delà de ceux-ci.

7Toutefois de nombreux éléments nous incitent à être très prudents dans l’identification de ce site, notamment l’absence du revêtement externe du bâtiment et la présence d’éléments en bois, même s’ils sont peu visibles. De plus, nous avons du mal à justifier la présence d’une vieille lanterne marine de production marseillaise à bord d’un sous-marin de la Marine nationale italienne. Des recherches plus approfondies sont évidemment nécessaires pour identifier avec certitude cette épave.

Probable UJ-2203/Austral, nord de Pietracorbara, -170 m, phase 2 (EA 4772)

F. Cibecchini

8Il s’agit d’un navire, probablement un patrouilleur, coulé pendant la deuxième guerre. En 1943 dans cette zone, plusieurs batailles ont eu lieu. Malgré une visibilité réduite et une qualité d’image assez modeste, nous avons pu remarquer une série de détails tels une ancre très particulière, un canon à l’avant et à l’arrière des tubes lance-torpilles, qui sont bien visibles sur le pont (fig. 4 et 5).

9L’épave pourrait correspondre à l’unité anti sous-marins UJ-2203 allemande « ex trawler français Austral » coulé le 9 septembre 1943 par le torpilleur italien Aliseo, et gisant de manière non précisée en face de la partie médiane du cap Corse. Ce navire faisait 60 m de longueur, avec un canon à l’avant et était armé d’équipements anti sous-marins sur la plage arrière.

Probable épave de L’Humanitas, au large de Capo Sagro, -260 -270 m, phase 2 (EA 4773)

F. Cibecchini

10L’anomalie était très marquée et bien nette, indiquant ainsi qu’il s’agissait d’une probable épave métallique. Au début Guido Gay l’avait évalué à 40 m de longueur mais en reportant l’image acoustique à des dimensions plus réelles, le navire semble atteindre les 60 m environ. Il s’agit en réalité d’une épave de navire encore plus grande. La mauvaise visibilité et la présence de plusieurs filets de pêche très dangereux pour le ROV ont rendu les conditions de l’expertise particulièrement difficiles.

11Nous avons remarqué la présence d’un trou dans la coque, signe que le navire a été torpillé, et deux grands mâts en métal (?), à une distance d’environ 20 m l’un de l’autre.

12Il pourrait s’agir de l’épave de L’Humanitas, un cargo d’environ 70 m de longueur, torpillé par les Allemands en septembre 1943 à quatre milles nautiques au nord du port de Bastia pendant qu’il voyageait en convoi avec le Sassari, escorté par des corvettes italiennes. Le bâtiment aurait été remorqué en un premier temps et puis coulé.

Trois épaves très récentes : la plate-forme (?) de Macinaggio, -300 m ; le navire à briques, 415 m (EA 4778) et le Vetor Quarto, -304 m (EA 4776), phase 2

F. Cibecchini

13Trois des anomalies détectées correspondent à des épaves plus récentes. La première, de dimensions très réduites (env. 5 m par 2 m de haut), n’a pas été identifiée avec certitude mais il pourrait s’agir d’un morceau de bateau de pêche ou similaire ou, à la rigueur, d’une petite plateforme. Seul un amas de métal, des câbles et une structure qui rappelle la partie supérieure (la cabine) d’un petit bateau de pêche sont visibles. Un objet blanc, qui rappelle une coque de radeau contemporain, porte l’inscription « Magnifique » qui pourrait être le nom du bateau. Tout autour, d’autres objets sont visibles mais la présence des câbles et le faible intérêt du site ne nous poussent pas à prendre le risque de faire approcher le ROV.

14Un second site, dont l’anomalie sonar laissait penser à une probable épave de navire brisée en deux ou trois morceaux, a été vérifié très au large de Marina-de-Luri. Il s’agit d’un amas de briques (fig. 6) et de tuiles, probablement assez récentes (années 1950 au plus tard) mêlées à des pièces métalliques. Ce pourrait être une épave contemporaine d’un navire de transports de matériaux qui s’est brisé en plusieurs parties. Aucune structure cohérente n’est toutefois visible.

15Enfin, une anomalie au sud de Pietracorbara a été très rapidement vérifiée et identifiée grâce à la présence du nom, encore lisible sur le côté : Vetor Quarto. Il s’agit d’un navire construit par les chantiers Ansaldo en 1946, dénommé initialement Luna Nuova et transformé en pinardier en 1954 sous le nom de Vetor Quarto. Il a coulé le 15 janvier 1980.

Meria Sud 1, épave moderne ou contemporaine, -115 m, phase 3 (EA 4775)

F. Cibecchini

16Le site avait été signalé au Drassm par Guido Gay comme une zone de rejet de munitions. Nous avons effectué une rapide expertise sur ce site avec le ROV Perseo. Il s’agit en réalité d’une véritable épave dont la cargaison semble composée par des objets en métal, très concrétionnés, d’une longueur d’environ 50 cm, non encore identifiés avec certitude. Nous pensons à des lingots d’époque moderne (fig. 7), mais il faudrait en récupérer un exemplaire pour pouvoir l’analyser. Nous avons pu récupérer un pichet avec bec verseur qui peut être rattaché aux productions provençales du xix^e s., le seul élément archéologique visible en surface, à l’exclusion des objets métalliques (fig. 8). La localisation du pichet, à plus de 6-7 m à la marge du gisement nous invite à la prudence quant à l’attribution de cet objet à l’épave. Le site, comme les autres épaves expertisées, est parsemé de poubelles plus ou moins récentes. Il faudra revenir sur cette épave pour délimiter sa surface, relever la cargaison visible et essayer d’en prélever au moins une pièce.

Quatre épaves antiques : Alistro 1, Aléria 1, Macinaggio 1 et Cap Corse 2

F. Cibecchini

17Ces quatre épaves ont été déclarées par Guido Gay en 2012 (Alistro 1 et Aléria 1) et en 2013 (Macinaggio 1 et Cap Corse 2) et elles se trouvent toutes à une profondeur comprise entre 300 et 900 m au large de la côte est.

18L’objectif de l’expertise était d’évaluer avec plus de précisions la composition de leur cargaison, la distribution du mobilier et la dimension des tumuli ainsi que de préciser la datation de chaque site.

19Grâce au système de positionnement du ROV, nous avons effectué un relevé du périmètre de chaque tumulus ou, dans le cas d’Aléria 1, de la zone de principale concentration du mobilier ainsi que du positionnement de certains objets particuliers ou très significatifs. Ce système assez simple nous a permis de connaître les dimensions approximatives de la partie visible de deux sites et de nous créer des repères sur le fond. Nous avons également réalisé deux courtes couvertures vidéo sur une zone très circonscrite des épaves Aléria 1 et Alistro 1, pour essayer une restitution photogrammétrique. Nous avons procédé à la récupération d’échantillons de mobilier surtout sur les épaves Aléria 1 et Macinaggio 1. Dans le cas d’Aléria 1, presque cinq heures ont été nécessaires pour récupérer onze objets, qui ont été avant tout positionnés et ensuite remontés à l’aide d’une cage métallique et de deux paniers en plastique pour les objets plus petits.

Alistro 1, phase 1 (EA 3196)

20L’expertise de cette épave, qui se trouve sur la pente d’un canyon, a été très rapide, limitée à une demi-journée sur site (Cibecchini 2015, p. 9-10). Aucun objet n’a été prélevé.

21L’épave de ce navire de commerce se présente sous la forme d’un tumulus d’une longueur de 18-19 m environ pour 10 à 11 m de largeur, et une hauteur d’environ 2 m, apparemment intacte (fig. 9). Deux groupes de deux jas d’ancre en plomb, légèrement décalés, nous permettent de positionner l’avant du navire au nord-est et d’en visualiser l’axe longitudinal dans le sens sud-ouest – nord-est.

22La cargaison est composée presque exclusivement d’amphores gréco-italiques, au moins dans la partie visible du tumulus. Il s’agit de gréco-italiques datables du premier quart du ii^e s. av. J.-C., plus précisément vers 190-175 av. J.-C. Elles sont comparables aux amphores de l’épave de la baie de Briande (Var), qui sont presque identiques. Nous avons pu observer également quelques amphores gréco-italiques de module réduit, mélangées à celles de module standard, très largement dominant.

23Seules quelques pièces semblent sortir du lot des gréco-italiques. Une amphore très probablement de type tubular amphora (fig. 10) est bien visible dans la limite sud-ouest du tumulus. Du même côté ouest, à proximité d’un des jas d’ancre, est présente une amphore probablement de type Ramon 7-3.2.1.2., mais sans anses visibles. Enfin, une panse de probable Maña C2 et une grande olla se trouvent presque à la moitié du flanc est du tumulus. On peut reconnaître aisément deux couches d’amphores superposées, la présence d’une troisième couche n’est pas à exclure et demande à être confirmée.

24La présence d’une tubular amphora est d’un grand intérêt : il s’agit d’une production de tradition punique de la Sicile occidentale destinée à l’exportation du thon qui semble débuter autour du milieu du ii^e s. av. J.-C. (Botte 2012). Au-delà de la prudence nécessaire pour l’identification de cette amphore, établie uniquement à partir d’images vidéo, l’attestation d’une tubular amphora dans l’épave Alistro 1 permettrait de remonter le début de cette production d’au moins un quart de siècle. De plus, sa présence étayerait l’identification d’une amphore de tradition punique T. 7-3.2.1.2., une forme produite à Carthage et très probablement en Sicile occidentale (Ramon 1995, p. 183, fig. 33).

Aléria 1, phase 1 (EA 3197)

25La récolte d’informations scientifiques sur Aléria 1 était assez urgente vu que le site avait déjà subi au moins une action de chalutage, bien visible depuis les images prises par son inventeur. Pour cette raison, cette épave a fait l’objet d’une expertise plus poussée, répartie en deux longues plongées. Sur la base des images disponibles, la cargaison du navire apparaissait très riche en céramiques fines, lampes à huile et amphores de différentes origines même si les produits de Bétique et de Tarraconaise semblaient nettement dominer. Pour cette raisons nous avions avancé l’hypothèse d’un navire provenant de la Péninsule Ibérique, avec une cargaison principale composée d’amphores Dr. 2-4 et Dr. 20, complétée par un lot important de parois fines et lampes espagnoles. L’expertise de 2013 et le prélèvement d’un échantillon de la cargaison nous a mené à changer radicalement cette première hypothèse (Cibecchini 2015, p. 10-15).

26Nous avons récupéré onze pièces au total : trois cols d’amphores, deux vases à parois fines, une lampe, deux vases en plombifère, un brûle-parfum en céramique commune, un fût de candélabre en bronze, une broche en bronze.

27L’épave a été partiellement dispersée par le passage d’au moins un trait de chalut, bien visible par la trace profonde laissée au milieu de la cargaison de céramiques fines et de lampes à huile. La zone de dispersion du mobilier est d’environ 21-22 m par 10-11 m.

28Dans la zone centrale du gisement, une partie de la cargaison des lampes est encore en place et elles sont encore clairement disposées sur plusieurs rangs (fig. 11). Les lampes, omniprésentes sur le site, semblent appartenir pour la plupart au type à bec rond et médaillon rond simple, avec anse comme l’exemplaire qui a été prélevé (fig. 12). Au centre de ce lot de lampes, le fût d’un candélabre en bronze d’environ 1 m de longueur et d’un type bien connu sur plusieurs épaves (par exemple Planier 3 ou Madhia) a été observé et récupéré (fig. 11). L’imposante cargaison de céramique fine et de lampes semble avoir été disposée au centre du navire. Les amphores se trouvent surtout dans la zone est et nord-est. Dans cette zone on remarque en particulier des amphores Dr 20 et des Dr. 2-4, probablement tarraconaises, même si leur identification est rendue difficile en raison de la présence de milliers de crevettes (fig. 13). Des Dr. 2-4 (tarraconaises ?) sont visibles également dans la zone sud-ouest, avec au moins une Beltran IIB. Dans la partie sud-est on peut reconnaître des amphores de Rhodes de la période impériale ou Camulodunum 184 (dont un col a été récupéré), des Cnossos 19, quelques Dr. 14 (lusitaniennes ?) et au moins trois amphores africaines. Une de ces amphores est sans doute une Hammamet 1, comme le col qui a été prélevé, pendant que les autres semblent appartenir au type Bonifay 17/Pupput T.700.5, produit probablement à Leptis Minor et très rare en Occident, de même que les amphores Hammamet 1, qui sont toutefois attestées à Mariana, en Corse.

29À l’extrémité sud-est sont visibles plusieurs grands pelvis avec bec verseur du type 2 de l’épave Dramont D et plusieurs casseroles, certaines encore empilées, des marmites et des pots divers. On peut également voir des fragments de vaisselle en verre ainsi qu’un col qui a été prélevé, et des fonds d’amphores gauloises 4, très rares dans cette cargaison et qui sont probablement à rattacher à la dotation de bord. Certains types d’amphores n’ont pas encore été identifiés avec certitude.

30Le chalut a clairement détruit une partie de la coque: le profond sillon s’arrête au niveau d’une membrure et on voit bien le début des planches cassées appartenant certainement au plancher de cale. Certaines pièces montrent des systèmes d’assemblages par tenons et mortaises et/ou des clous en alliage cuivreux. Une broche en bronze appartenant à la charpente navale a également été récupérée.

31Une fois le dessalage terminée, l’étude du mobilier nous a permis de faire toute une série d’observations d’importance cruciale et qui nous aident à préciser certaines classes de céramique, leur origine et leur datation, et par conséquent nous donnent des pistes pour déterminer la provenance de l’épave.

32Un des élément le plus déterminant a été la lampe, de type Deneauve VIIA, qui porte le timbre L(ucius) MVN(atius) PHILE(mo ?). Ce type et ce timbre renvoient à une probable production d’Italie centrale, plus précisément romaine, celle d’un des affranchis des Lucii Munatii, et à une chronologie entre 90 et 120-130 apr. J.-C. (Anselmino Balducci 1994, p. 453). Un grand vase cratériforme et un gobelet à une anse décoré d’écailles de pommes de pin, qui ont été reconnus comme appartenant aux céramiques plombifères, présentent la même pâte que la lampe et ils trouvent leurs meilleures comparaisons dans certaines pièces trouvées à Ostie. Il s’agit du seul témoignage direct, à ma connaissance, du commerce maritime de cette production.

33Les céramiques à parois fines (des coupes Mayet 32A et des gobelets à une anse proches de la forme Marabaini 1975/Cosa 31) appartiennent elles aussi très probablement à une production d’Italie centrale, peut-être à une production de Rome comme celle de La Celsa. Tous les éléments recueillis sur la cargaison convergent vers la datation proposée par le fabricant de la lampe, entre 90 et 130 apr. J.-C.

34Il s’agit très vraisemblablement d’une cargaison composée à Ostie ou dans le port fluvial de Rome, deux ports qui pouvaient réunir sans difficulté toutes ces marchandises provenant de toute la Méditerranée, en l’associant à une importante cargaison de céramiques fines et lampes de production locale. L’attestation d’une lampe de la production de Lucius Munatius Philemo, avec plusieurs exemplaires d’autres fabricants des Lucii Munatii, comme le plus connu Lucius Munatius Adiectus, à Aléria et l’attestation de types d’amphores africaines assez rares dans la colonie de Mariana nous suggèrent que notre navire a fait naufrage sur une route de redistribution et que, en partant de Rome il s’était probablement dirigé vers les provinces occidentales, la Gaule in primis, en servant aussi des escales commerciales en Corse (Cibecchini 2015, p. 13-15).

35Cette épave nous permet de réévaluer le rôle de Rome dans la redistribution, et même dans la distribution de ses propres productions, à côté de celui de grand centre de consommation si souvent souligné. De plus, il pourra permettre de dater avec précision certaines classes de mobilier dont la datation est encore difficile, notamment les productions de céramique plombifère du haut Empire, encore très peu connue. Le travail scientifique sur ce site exceptionnel vient seulement de débuter : il faudra prévoir de nouvelles missions pour pouvoir non seulement acquérir une documentation vidéo et photographique plus détaillée de certaines zones mais, surtout, effectuer un relevé de détail de l’épave par photogrammétrie et organiser d’autres prélèvements ciblés de la cargaison.

Macinaggio 1, phase 3 (EA 3375)

36L’épave a été très endommagée par les passages de chaluts, sans aucun doute répétés. La plupart des amphores en surface sont cassées. La plupart des cassures semblent vieilles de quelques années, probablement une dizaine. De très nombreux déchets (cagettes et bâches en plastique, batteries, canettes, filets, câbles, etc.) sont disséminés sur l’épave qui est sans doute l’un des rares obstacles présents dans ces fonds vaseux. Le gisement couvre une surface de 18-19 m par 8-9 m. La cargaison ne semble pas avoir été très dispersée malgré le chalutage et la cassure d’une grand partie des amphores. Il s’agit d’une cargaison très homogène d’amphores gauloises 4, qui semblent présentes avec au moins deux variantes, différenciables par le profil de la lèvre et du fond. Seulement quatre amphores de celles visibles appartiennent à des formes différentes, dont une Dr. 2-4 et deux Dr. 7-11 qui sont facilement reconnaissables. Un grand amas de métal (du fer ?) concrétionné, avec une cavité évidente au milieu, est bien visible presque au centre du site. Nous avons pensé initialement à des lingots de fer empilés, mais nous ne pouvons pas l’affirmer avec certitude. Un col et une amphore entière de gauloise 4 ont été prélevés (fig. 14). Une fois que le dessalage sera terminé, nous pourrons procéder à des analyses des pâtes et à la documentation graphique de ce mobilier, dans l’objectif d’en préciser l’atelier d’origine et la datation.

37Elles sont comparables de manière générale à des exemplaires de la phase flavienne du dépotoir d’Arles, récemment publiés (Bigot, Djaoui 2013, p. 378-379, fig. 4, n^os 1 et 4). On trouve une comparaison morphologique assez précise avec un col attribué aux variantes produites par les ateliers marseillais (ex Bertucchi 7b), daté de la fin du i^er s. (Bertucchi 1992, p. 116, fig. 56, n^o 6).

38Les amphores présentes, en particulier les Dressel 7-11, nous incitent à privilégier l’hypothèse d’une datation dans la seconde moitié du i^er s. apr. J.-C.

39De fait, Macinaggio 1 est la première véritable cargaison homogène d’une certaine ampleur de vin gaulois transporté dans des Gauloises 4 que nous connaissions. Une seule autre épave, celle de Bagaud 3 largement pillée et dispersée, a restitué une cargaison homogène, constituée presque exclusivement de Gauloises 4, datées génériquement dans le ii^e s. (Long, Volpe 1998 et 1999).

40L’hypothèse d’une route un peu plus hauturière et plus directe en direction de Rome, qui serait empruntée de manière plus systématique par les navires chargés de vin gaulois, semble aujourd’hui de plus en plus vraisemblable.

41La présence probable d’une cargaison complémentaire de barres de fer accroît l’intérêt de cette épave et nous oriente selon toute vraisemblance vers deux possibles ports de départ, Narbonne ou Arles, avec peut-être une préférence pour ce dernier si nous retenons l’hypothèse d’une production d’amphores à localiser entre la vallée du Rhône et Marseille.

42Cette épave mérite sans aucun doute une étude plus approfondie. Un relevé par photogrammétrie et des nouveaux prélèvements de mobilier seront à prévoir pour les prochaines campagnes.

Cap Corse 2, phase 3 (EA 3419)

F. Cibecchini, S. Fontaine

43Cette épave est caractérisée par un imposant chargement de blocs de verre brut que l’inventeur avait cru pouvoir identifier comme un amas de cailloux (Fontaine, Cibecchini 2014). L’épave, qui est intacte, couvre en apparence une superficie d’environ 16 m de longueur sur 6 m de largeur mais ces dimensions devront être vérifiées car les limites de la cargaison ne sont pas faciles à cerner. Si le tumulus semblait à première vue se composer essentiellement de blocs de verre brut de dimensions variées (fig. 15), une analyse plus attentive a révélé une très importante cargaison de vaisselle en verre dissimulée sous une légère couche de vase (fig. 16). Dans certains secteurs on peut deviner, sous le sédiment, des piles d’assiettes, de coupes et de gobelets. On peut y reconnaître des assiettes Isings 48 et 49, des coupes Isings 42 et des bouteilles Isings 50 et 51. L’expertise a révélé la présence d’au moins deux amphores de type carrot amphora, un col sans doute de Gauloise 5 et deux autres amphores complètes mais partiellement envasées, et de fait difficiles à identifier. Les amphores ne sont pas présentes en grand nombre et la plupart d’entre elles proviennent très probablement de Méditerranée orientale.

44Cette configuration se retrouve sur d’autres épaves chargées de verre, telles notamment celle de Ouest-Embiez 1, de la Tradelière et de Grado. L’épave Cap Corse 2 semblerait être la seule cargaison de verre brut et de vaisselle connue pour la seconde moitié du i^er–début du ii^e s. apr. J.-C., mais cette datation demande à être confirmée. La présence des carrot amphoras, très répandues à cette période, est un indice important dans ce sens. De même, le premier examen des formes de vaisselles lisibles à la surface du sédiment et la teinte des blocs de verre brut laisse penser à une datation ancrée dans la période flavienne ou le début du siècle suivant.

45Un bloc de verre a été prélevé (fig. 17) et un échantillon a été confié pour analyse à l’Institut de recherche sur les archéomatériaux (B. Gratuze, CNRS, UMR 5060, Orléans).

46L’importance de cette épave justifie pleinement une mission pour y réaliser un relevé photogrammétrique et procéder à une analyse de détail des différents types d’amphores. Il conviendra aussi d’opérer des prélèvements ciblés de la vaisselle et, si possible, de certains types d’amphores.

Résultats principaux de la carte archéologique dans la bathymétrie 0-50 m, phase 2

Le port de Calvi

F. Cibecchini

47Nous avons consacré quatre jours à l’étude du bassin portuaire de Calvi, avec une équipe de 7-8 plongeurs et en collaboration avec Franck Allegrini Simonetti (archéologue à la Collectivité territoriale de Corse-APAUC), qui avait dirigé les trois précédentes campagnes de prospections et sondages.

48Le Port de Calvi est connu pour son riche dépotoir relatif vraisemblablement à une zone de mouillage correspondant à l’actuel port de commerce de la ville. Des prélèvements de sauvetage avaient été effectués à deux occasions successives : suite à des pillages en 1993 et suite à des travaux de dragages en 1996-1997. L’abondant mobilier récupéré a fait l’objet d’une étude dans le cadre d’une thèse doctorale (Franck Allegrini-Simonetti, université de Corte, 2001) et d’un inventaire systématique effectué par le Drassm.

49Les dernières campagnes ont permis d’évaluer le potentiel archéologique de la partie de la zone portuaire étudiée, ainsi que sa délimitation et sa topographie.

50La campagne 2011 en particulier avait mis en lumière deux contextes forts intéressants. Un contexte homogène dans la zone plus à l’ouest (zone A), mis au jour par le mouvement des ferries, avec plus d’une dizaine d’amphores chronologiquement très homogènes, appartenant surtout au type de transition entre les dernières gréco-italiques et les Dr. 1A, accompagnées par des amphores puniques de type Maña C2 et de la vaisselle campanienne, dans une surface qui reste limitée, constitue un indice sérieux de la présence d’une épave. L’autre contexte était moins clair, mais la présence d’un col d’amphore étrusque dans une zone plus à l’est (zone B) qui avait déjà restitué du mobilier grec archaïque était de grand intérêt. Il semblait vraisemblable que les niveaux d’époque archaïque du dépôt soient atteints dans cette zone, apparemment une des plus profondes du port. En raison de l’importance de ce contexte portuaire, spécialement du contexte archaïque, il était souhaitable de procéder rapidement à des sondages stratigraphiques dans cette zone, raison pour laquelle nous avons répondu favorablement aux sollicitations de Franck Allegrini Simonetti.

51Nous avons effectué quatre sondages dans la zone B et six dans la zone A, tous dans de la matte assez compacte et presque stérile, surtout dans la zone B. Un résultat qui, bien que très décevant, a été très clair et nous a permis de connaître la réelle situation actuelle du bassin portuaire. Les observations effectuées sur la stratigraphie et les quelques fragments trouvés dans les deux zones montrent que les campagnes précédentes ont exploité le dernier résidu du riche dépotoir, qui comprenait probablement au moins une épave antique en plus de l’épave Calvi 1. Le port de commerce a été clairement dragué à plusieurs reprises, comme en témoignent les cartes des premiers dragages du port de commerce, effectués dans les années 1930. Ces dragages anciens expliquent le chaos stratigraphique observé et la création dans certaines zones d’une pseudo-stratigraphie avec une accumulation de mobilier. Ils expliquent également le fait que certains fragments de céramiques étrusques et grecques ont été retrouvés partiellement recouverts par du sédiment végétal compact, caractéristique du fond naturel et qui laissaient penser qu’il y avait encore des zones intactes.

Repositionnement et expertise d’épaves historiques entre plongée classique et nouvelles technologies

L’épave Tour Sainte Marie 1 (EA 2017)

F. Cibecchini

52L’épave Tour Sainte Marie 1 (vers 60 apr. J.-C., -55 m) au Cap Corse est celle d’un des rares navires provenant de Bétique qui aurait parcouru une route alternative à celle passant par les Bouches de Bonifacio. En 1967 cette épave a fait l’objet d’une des premières campagnes de fouilles scientifiques, sous la direction de Fanette Laubenheimer, ce qui ne l’a toutefois pas épargnée d’un fort pillage qui a perduré jusqu’aux années 1990.

53Nous avons eu du mal pour retrouver le site, connu également comme épave Drago, malgré l’existence dans les archives du Drassm d’une dizaine de points GPS, dont ceux des dernières prospections dirigées par Gilles de La Brière, mais aucun n’était correct.

54Le gisement est reconnaissable aujourd’hui par la présence en surface de quelques corps d’amphores, dont des Haltern 70 et, peut-être, des Dr. 12 et des Dr. 8. Des petits corps-morts entourent le site. Probablement ce qui reste de la campagne de fouille de 1967. Nous avons effectués trois sondages pour évaluer le potentiel archéologique du site.

55Nous avons appliqué la même technique au blaster que sur Tour d’Agnello 1, sans toutefois pouvoir recourir à des plongeurs, l’épave étant désormais hors la loi même pour les plongeurs classés IIB. Deux de ces sondages ont montré que sous environ 30 cm de sédiment, nous rencontrons encore de nombreux fragments de parois et quelques amphores (fig. 18). Nous nous sommes arrêtés rapidement pour éviter de mettre en lumière trop de mobilier sans être sûr d’arriver ensuite à recouvrir les sondages.

56L’épave Tour Sainte-Marie 1 semble mieux conservée que ce que l’on pensait et nous avons bon espoir que la coque soit encore en bon état. Vu ce qui reste après une fouille et plus de 40 ans de pillage, le tonnage du navire devait être important, dans le même ordre que celui du navire bétique naufragé à Chiessi (île d’Elba), dénommé dans les années 1960 « la cathédrale ». Il serait intéressant de pouvoir effectuer des couvertures sonar de détail et aussi d’effectuer des passages avec le pénétrateur de sédiment.

L’épave Tour d’Agnello 1 (EA 544)

F. Cibecchini, C. de Juan

57Nous avons consacré trois jours à l’évaluation de l’épave Tour d’Agnello 1 (fin iii^e s. av. J.-C., -44 m), que nous avions repositionnée en 2012. L’objectif était de vérifier l’état de conservation de la coque et l’importance de la couche archéologique encore en place. De fait, cette épave est un des très rares sites qui pourraient nous renseigner sur l’architecture navale et peut-être, sur le tonnage des navires commerciaux du iii^e s. av. J-C.

58Nous n’avons à disposition que la portion de coque de la Tour-Fondue (250-225 av. J.-C.) et celle de Marsala (seconde moitié du iii^e s. av. J.-C.) pour le iii^e s. av. J.-C. Nous avons effectué deux sondages rapprochés, à environ 2,50 m dans un axe nord-sud, d’environ 1,60 x 1,60 m, par une profondeur de 55 cm (S1) et d’environ 2 x 1,70 m par une profondeur de 40 cm (S2). La première partie des sondages a été effectuée avec l’aide du blaster muni d’une caméra go-pro, en contrôlant attentivement sa puissance et en procédant par étapes de 30 s à 1 mn maximum. Depuis le ROV nous pouvions aussi contrôler le travail tout en enregistrant des vidéos. De cette façon nous avons pu enlever presque toute la couche superficielle rapidement et sans endommager le bois. La partie en plongée humaine a été en conséquence réduite, ce qui était un de nos objectifs. Le nettoyage final de la coque a été effectué avec deux suceuses. L’étude d’architecture navale, effectué sous la direction de Carlos de Juan, a été ciblé sur S1 ; pour S2 nous nous sommes limité à un croquis et à une documentation photographique avant de récupérer les pièces les plus remarquables. Les deux sondages ont été ensuite protégés avec du géotextile et recouverts avec du sable à l’aide de « bigs-bags » industriels, positionnés sur les sondages directement par l’André-Malraux et ouverts sur le fond par les plongeurs. Ce système, élaboré sur place, s’est avéré particulièrement efficace et rapide.

59Les résultats de cette expertise ont dépassé nos attentes : la coque est très bien conservée sous une cinquantaine de centimètres de sédiment et la couche archéologique semble plus riche que prévue. Nous avons récupéré une amphore gréco-italique entière, mais pas intacte et deux autres moitiés inférieures, toutes appartenant au type Gr.-Ita. Via (Cibecchini, Capelli 2013, p. 440-441).

60Pour ce qui concerne l’architecture navale, dans la petite zone étudiée nous avons pu noter un plan particulier de la charpente transversale qui se traduit par une maille importante entre les couples, sans aucun autre renfort sur le bordé (fig. 19). Les membrures, hautes de 7,5 à 8 cm, présentent une section quadrangulaire et des dimensions très homogènes. L’assemblage de cette charpente transversale au bordé s’effectue par le biais de gournables d’un diamètre de 1,6 cm traversées par des clous de fer à pointe rabattue sur le dos de la membrure, qui ont tous été retrouvés pointant en direction ouest du gisement. Sur le dos de la membrure, les pointes de clous rabattues présentent une longueur de 4,5 à 6 cm pour une section de 0,5 cm. D’après les observations effectuées sur le couple M51, il semblerait que les clous sont insérés selon un rythme de un clou par virure.

61Concernant le bordé, les détériorations dues au vers xylophages (Teredo navalis) ont permis d’effectuer des observations sur l’épaisseur de celui-ci. Dans la maille, zone de moindre renfort, on a ainsi pu mesurer une épaisseur du bordé de 6 cm, ce que l’on peut considérer comme une mesure peu fréquente.

62Malgré l’aspect très préliminaire de ces données nous croyons que certaines des caractéristiques observées sont comparables avec celles connues pour les épaves de Kyrenia, de Marsala et de la baie de Briande, comme la technique d’assemblage de la charpente transversale au bordé à l’aide de gournables de bois qui guident les clous à pointe rabattue.

63Très intéressante est la comparaison avec le navire de la baie de Briande, chargé lui aussi de vin italique transporté en amphores gréco-italiques, même si légèrement plus récentes (vers 185-170 av. J.-C.). Dans ce cas il a été remarqué un plan de disposition de la charpente transversale peu habituel, dans lequel les varangues poursuivent leur tracé transversal avec des allonges mais curieusement avec une interruption entre ces dernières de 45-70 cm (Pomey 2002, p. 15). D’après ce qu’on a pu observer dans le petit sondage, on pourrait retrouver cette même caractéristique sur l’épave Tour d’Agnello 1.

64Nous envisageons de poursuivre la récolte d’informations sur l’épave en 2014. Nous voudrions notamment arriver à délimiter les dimensions précises de l’épave, le nombre et l’emplacement des sondages effectués par Gilles de La Brière en 2006 et 2007, ainsi qu’évaluer l’importance stratigraphique de l’ensemble du site, avant de procéder à d’autres sondages. Pour ces raisons nous nous dirigeons vers des solutions plus techniques, comme des couvertures avec le sonar, le pénétrateur de sédiments et le magnétomètre. Nous avons contacté l’équipe de George Papatheodouro de l’université de Patras, qui a une longue expérience dans ce domaine.

Un grand bateau métallique au nord de l’embouchure du Golo, épave Golo 2 (EA 4774)

F. Cibecchini

65Cette épave est visible depuis les avions qui atterrissent à l’aéroport de Porretta quand l’eau est claire ou, plus simplement sur les images de Géoportail (fig. 20). Elle se localise immédiatement au nord de l’embouchure du Golo, à -3 m de profondeur et à environ 150 m de la plage. Elle fait environ 60 m de longueur pour 20 m de largeur. Nous avons procédé à une rapide expertise afin de recueillir de la documentation vidéo et photo de l’épave (fig. 21). Les structures sont très ensablées et l’épave était beaucoup moins lisible directement sur le fond que depuis les images du Géoportail.

66Ce navire a fait naufrage sans aucun doute entre 1937 et 1948, car l’épave n’est pas présente dans les photos aériennes de 1937 alors qu’elle est bien visible dans celles de 1948 (source Géoportail).

La balance en bronze d’Aléria : récupération d’une pièce unique (EA 3195)

F. Cibecchini

67La déclaration et la récupération d’une pièce assez exceptionnelle mérite d’être soulignée de manière particulière. Suite à l’intérêt de Jean Claude Ottaviani, conservateur du musée d’Aléria, nous avons reçu une déclaration de découverte d’une balance romaine en bronze, complète et extrêmement bien conservée. La découverte, effectuée par un ancien plongeur, Marcel Rol, remontait aux années 1970 et son inventeur avait précieusement conservé l’objet après un nettoyage un peu sommaire. Ayant pris conscience de son importance et de l’existence d’un service dédié à l’archéologie sous-marine il a décidé, en 2013, de remettre l’objet et de déclarer l’épave. Nous avons récupéré l’objet pendant la mission de carte archéologique de Corse 2013, en essayant aussi de repérer avec l’inventeur le point où la balance avait été trouvée. L’inventeur était en effet convaincu d’avoir vu une épave à côté de la balance, qui avait été trouvée dans « un amalgame de cailloux et sable » qui recouvrait également la coque d’un navire. Cette description pourrait en effet correspondre à une concrétion provoquée par la présence de métal, comme par exemple les coques avec beaucoup de clous en fer typique de l’antiquité tardive. La trentaine d’années passées depuis la découverte n’ont pas permis à l’inventeur de repérer la zone avec certitude, d’autant plus que son souvenir des amers, des distances et des profondeurs ne semble pas correspondre à la situation actuelle de la côte et des fonds marins.

68Cette balance romaine (libra) est certainement une pièce exceptionnelle et elle est pratiquement intacte. La seule autre pièce complète et comparable à celle-ci est la balance trouvée sur l’épave de Yassi Ada (Bass, Van Doorninck 1982, p. 212-219). Sont conservés le fléau gradué complet, avec les chaines et les crochets, en bronze, plus deux contrepoids à figure humaine (qui devaient être identiques) dont un en parfait état de conservation, en plomb revêtu de bronze. Un troisième contrepoids, piriforme, trouve une comparaison avec celui de Yassi Ada et pourrait indiquer la présence d’une deuxième balance à bord, plus petite, comme dans l’épave byzantine. Le premier contrepoids (fig. 22) appartient à une série connue, qui représente l’impératrice Licinia Eudoxia (422–462 apr. J.-C.), fille de Théodose II et femme de Valentinian III.

69De toute la série de poids connus, celui d’Aléria est sans aucun doute le plus remarquable d’un point de vue artistique (Thomas 2001, p. 204-206).

70En raison de l’importance de la découverte nous avons l’intention de poursuivre la recherche de cette épave, malgré les contradictions entre la version de l’inventeur et la géographie actuelle du lieu de découverte. La balance a été mise en dépôt au musée d’Aléria.

71À l’occasion de cette expertise, M. Marcel Rol nous a montré également trois ancres en fer qu’il aurait récupérées, plus ou moins à la même période, entre l’embouchure de l’étang de Diana et l’embouchure du Tavignano. Leur analyse et datation ont été réalisées par Marine Sadania. Deux ancres en fer datent probablement du xix^e s. Une à jas mobile coudé (il se replie le long de la verge, pour gagner de la place à bord), en très mauvais état de conservation, se trouve dans le terrain d’un ostréiculteur au bord de l’étang de Diana; la seconde, qui se trouve chez un pompier, est une ancre à jas en bois, manille et câble-chaîne. Elle semble plutôt datée du milieu du xix^e s., sans grande précision. L’apparition de la manille est datée de 1820. La troisième, en très mauvais état, se trouve dans le village, à côté d’un local appartenant au musée. C’est une ancre à jas en bois (disparu). Elle présente vraiment un aspect longiligne, avec des sections très faibles. La tête de culasse semble en forme de pointe (difficile à voir clairement compte tenu de l’état de conservation).Tous ces aspects mènent à une datation probablement du xvi^e ou du xvii^e s.

Les jetons médiévaux de Saint Cyprien, Lecci (EA 3877)

F. Cibecchini, J. Labrot

72Suite à la déclaration et à la remise d’un lot de 38 méreaux identiques par Philippe Sivet en 2011, nous avons effectué plusieurs expertise dans la baie de Saint-Cyprien. Une première expertise de deux jours en 2011, avec détecteur de métaux et avec des sondages avec une suceuse et une seconde expertise d’un jour en 2012, lors de la mission de carte archéologique, toutes les deux totalement négatives. Nous avons par conséquent demandé à l’inventeur de nous accompagner sur le site pour une troisième expertise en 2013, mais encore une fois le résultat a été totalement négatif.

73Dans la zone indiqué par l’inventeur, à moins de 50 m du rivage au fond de la baie, nous n’avons trouvé aucun indice qui puisse expliquer la présence de ces 38 pièces, ni aucun indice de la présence d’un vase en céramique en fragment, comme indiqué par l’inventeur.

74Deux des pièces ont été expertisées par A-Corros. Les jetons sont en alliage de laiton, majoritaire, et en plomb. Ils ont été très probablement nettoyés avec des produits chimiques. Les pièces sont exceptionnellement conservées pour des méreaux qui ont séjourné en eau de mer pendant plusieurs siècles, mais leur authenticité ne semble pas mise en doute (fig. 23).

75L’étude de ces pièces a été confiée à M. Labrot du Centre national de recherche sur les jetons et les méreaux du Moyen Âge (CNRJMMA) (Labrot, Dupont 2016).

76De fait, la faible corrosion et l’absence d’usure semblent indiquer un bref séjour accidentel dans l’eau de mer après une longue conservation dans un récipient étanche. Le style décoratif permet de les situer dans une fourchette chronologique fin xiii^e-xiv^e s. Des éléments décoratifs en apparence contradictoires peuvent indiquer des influences multiples anglaises, italiennes, aragonaises ou provençales non décisives en l’état des données. Les thèmes décoratifs ludiques semblent évoluer dans un contexte littéraire héroïque lié à l’empereur Alexandre le Grand et aux voeux sur le paon à la mode dans les cours princières d’Angleterre, de Provence, Naples, Sicile, Aragon depuis au moins 1306. L’avers à la tête chevelue et barbue circulaire d’aspect léonin fait pendant au revers au paon surmonté d’un G (Genoa ? Gaête ?). Le mot OIXELLA/ALLEXIO semble composé pour une lecture ludique à double sens (rétrograde) renvoyant à la fois à la tête héroïque d’avers et à l’ocella (paon) du revers (jeu autour d’Alexandre le Grand et de son paon). Le contexte historique et culturel des cours méditerranéennes en conflits chroniques militaires maritimes, économiques et marchands à cette époque, diplomatiquement et commercialement liées à l’Angleterre par échanges maritimes, permet de penser que nos plombs ne sont pas de tradition corse insulaire, mais témoignent d’apports extérieurs accidentels (incursions, échanges commerciaux, dérive d’épaves depuis la côte ou le large). La similitude des décors peut évoquer le contenu répétitif d’une bourse de comptes, mais plus encore, une série de plombs de contrôle donnant l’accès privilégié à des cérémonies festives de type banquet des vœux sur le paon. Moins évident, le commerce méditerranéen d’oiseaux exotiques (paons) destinés à orner les parcs et oiselleries des riches domaines patriciens, a pu donner lieu à émissions de bons d’achats en plomb.