1À l’initiative de Jerzy Gawronski, archéologue municipal de la ville d’Amsterdam, professeur à l’université de cette même ville et spécialiste en archéologie maritime et sous-marine, Hollandais et Français se sont associés en 2013 pour élaborer un projet de prospection visant à localiser à la frontière des eaux territoriales de la Guyane française et du Suriname l’épave du Leusden. Le Leusden Project puise son origine dans les recherches conduites de 2006 à 2011 par le Surinamien Leo Balai, dans le cadre d’une thèse de doctorat de l’université d’Amsterdam portant sur le naufrage de ce navire de la Compagnie Hollandaise des Indes Occidentales.

2Le Leusden a péri le 1^er janvier 1738 lors du voyage qui l’amenait d’Elmina, au Ghana, à Paramaribo, au Suriname. Il a heurté un banc de sable et a sombré dans l’estuaire du fleuve Maroni. Des 680 esclaves africains enfermés dans les cales du bâtiment, 664 ont disparu lors du naufrage, de sorte que la perte du Leusden est l’une des plus grandes tragédies maritimes qui aient émaillé l’histoire des échanges négriers à travers l’Atlantique. Le lieu exact de la perte du bâtiment reste imprécis mais les archives montrent qu’il a fait naufrage entre les deux rives du fleuve Maroni, au point de contact entre la France et le Suriname. Cette géographie, le caractère particulièrement sensible du contexte historique et le statut juridique de l’épave expliquent que le projet porté par Jerzy Gawronski et soutenu par le Drassm ait exigé, préalablement à toute recherche, que l’on pose le cadre d’un accord de coopération associant les autorités administratives, scientifiques et culturelles du Suriname, de la Guyane française, des Pays-Bas et de la France.

3Si l’épave du Leusden offre un parfait exemple du caractère international de l’intérêt que peut susciter le patrimoine immergé, elle reste cependant associée en premier lieu à l’histoire du Suriname sur les marchés duquel sa misérable cargaison humaine devait être négociée. Au-delà, elle est surtout une formidable source d’informations potentiellement inédites sur le commerce des esclaves qui, à travers l’Atlantique, a innervé les régions sud-américaine et Caraïbes entre le xvii^e s. et le xix^e s. En effet, s’ils étaient localisés et étudiés, les vestiges du Leusden seraient sans doute à même de produire d’importants renseignements sur la construction du bâtiment et son équipement de bord, sur la réalité quotidienne des transports d’esclaves par voie maritime, sur la culture matérielle du temps et les caractéristiques physiques des populations transportées. Dans l’hypothèse d’une fouille, qui serait nécessairement conduite par une équipe pluridisciplinaire et internationale, on pourrait escompter la production de données originales propres à abonder nos connaissances de l’histoire de l’esclavage. Source évidente de données archéologiques vérifiées, le Leusden pourrait enfin s’imposer comme un lieu de mémoire particulièrement symbolique puisque 664 captifs africains en furent les victimes. L’intérêt que l’on accorde au Leusden est d’autant plus vif que les données maritimes sur la traite négrière restent aujourd’hui très rares. Très peu d’épaves de navires négriers ont été à ce jour localisées et infiniment rares sont celles qui, comme le Fredensborg perdu en 1768, retrouvé en 1974 et étudié en 1998, ont fait l’objet d’analyse archéologique digne de ce nom. Contrairement au Leusden, aucun de ces navires ne transportait par ailleurs d’esclaves à l’heure de son naufrage.

4Si l’enjeu du Leusden Project est donc d’importance, les premières reconnaissances conduites sur zone en août 2013 ont surtout montré la difficulté du projet. Les conditions environnementales en sont la cause principale. D’une part, chacun sait combien les eaux qui baignent la Guyane française sont chargées en apports terrigènes inlassablement drainés vers la haute-mer par les nombreux fleuves qui irriguent le pays. Or, l’embouchure du Maroni n’échappe pas à cette règle et les personnels en charge de la prospection ont vite constaté qu’il leur serait difficile de réaliser une expertise pertinente des quelques cibles localisées à l’aide des sonars et autres magnétomètres mis en œuvre depuis une barque de pêche louée à Paramaribo. D’autre part, le courant, très puissant à l’embouchure du fleuve, pénalise notablement les conditions de plongée. Dans un tel contexte, l’usage d’une caméra acoustique immergée pourrait sans doute offrir une solution pour visualiser les vestiges signalés par les systèmes de détection mais elle ne permettrait pas pour autant de conduire une étude exhaustive de l’épave. Les technologies doivent donc encore évoluer si l’on veut que la fouille du Leusden entre un jour dans une phase opérationnelle. Une seconde campagne de prospection est pour l’heure envisagée mais il est fort possible que cette opération soit finalement ajournée.

5Il n’importe. L’épave du Leusden reste un objectif majeur et il y a fort à parier que l’on y reviendra dès que les conditions logistiques du succès auront été réunies.