La carte archéologique nationale : un thème fort et récurrent

1Il faut le marteler, l’une des premières missions du Drassm, celle qui lui a permis depuis 1966 de construire sa trajectoire scientifique et de démontrer son utilité, réside dans l’inventaire et l’expertise systématique des biens culturels maritimes. D’autant que ces campagnes d’expertise, qui offrent la première opportunité de découvrir une épave et d’en diagnostiquer l’importance archéologique, constituent aussi, bien souvent, un temps privilégié pour rencontrer les inventeurs, sensibiliser les publics et faire passer des messages.

2Publiés dans les Bilans scientifiques, les résultats de ces campagnes de carte archéologique jouent de surcroît un rôle majeur dans le développement de la recherche puisqu’ils révèlent périodiquement des sites archéologiques importants qui fourniront à leur tour l’opportunité à la programmation de fouilles.

3On se réjouira donc de la reprise en 2011 du programme de carte archéologique des littoraux du Ponant après deux années d’interruption. Pénalisée par des conditions météorologiques défavorables, cette opération, qui a permis de mener à bien l’expertise de plusieurs sites d’intérêt variable, a notamment démontré l’intérêt de dresser des constats d’état sur des sites autrefois délaissés, faute de temps ou de problématique spécifique de recherche, mais dont on conçoit mieux avec le recul l’importance potentielle.

4La carte archéologique des frontières maritimes de la Camargue, puis du Rhône et de son embouchure, a cette année encore confirmé la richesse de ces aires marines jalonnées notamment par d’innombrables vestiges du commerce antique. Le catalogue de ces découvertes appelle à l’évidence l’émergence d’un ou plusieurs programmes de recherche et la construction d’une stratégie scientifique de très long terme car les épaves et structures inventoriées transcendent de loin l’horizon d’une seule vie professionnelle.

5La carte archéologique des îles Éparses enfin, dans le canal de Mozambique et autour de Madagascar, a permis de localiser de nouveaux gisements autour des îles Europa et Juan de Nova. L’on sait cependant combien ces territoires souffrent d’une météorologie capricieuse et l’on ne sera donc pas surpris que les anomalies localisées n’aient pas toutes été expertisées. On gardera simplement à l’esprit la nécessité d’y revenir pour poursuivre le travail.

Les côtes du Ponant, une grande diversité des thématiques et des chronologies abordées

6Quelque peu négligés par la grande majorité des archéologues professionnels, les littoraux du Grand Ouest ont néanmoins vu s’épanouir ces dernières années une multitude de thèmes de recherche touchant à l’éventail le plus large des chronologies. En témoignent cette année encore les travaux menés sur nombre de vestiges contemporains, tels ceux du HMS Daffodil, perdu près de Dieppe en 1945, ou du port Mulberry B d’Arromanches, alors même que l’on poursuivait l’analyse de sépultures de la Tène finale à la pointe de Nacqueville, l’expertise d’une épave du xvii^e s. dans la Rance ou l’inventaire en Bretagne de gisements paléolithiques surgis de couches pléistocènes dévorées par la houle. La présence plus marquée du Drassm sur les côtes du Sud-Ouest et l’opiniâtreté manifestée par les chercheurs qui travaillent en Vendée et en Charente-Maritime permettent par ailleurs d’augurer que la qualité et le nombre des projets de recherche vont croître et se développer sur ces littoraux. On ne peut que s’en réjouir !

Les franges nord de la Méditerranée

7Après une première moitié des années 2000 marquée par une lente mais incontestable asthénie, les rivages méditerranéens sont à nouveau porteurs d’une dynamique positive qui se renforcera sans doute ces prochaines années avec l’entrée en service opérationnelle de l’André-Malraux. Il est vrai que, bénéficiaires exclusifs depuis 1967 des interventions de L’Archéonaute, les bordures méditerranéennes ont nécessairement subi plus durement que les autres le ralentissement des activités puis la mise « à la retraite » de ce navire. Passé le contrecoup, il a fallu réagir, innover, se prendre en main et compter un peu plus qu’on ne le faisait auparavant sur ses seules forces.

8Les résultats d’ores et déjà engrangés le prouvent. Avec l’appui d’un Drassm qui a renouvelé et étoffé ses effectifs, le défi a été relevé et de belle manière ! Les succès en effet sont là et la fouille absolument exemplaire de l’épave Arles-Rhône 3 offre sans doute la synthèse la plus aboutie du nouvel état d’esprit que porte l’archéologie immergée des horizons méditerranéens.

9L’association entre des bénévoles expérimentés et de jeunes professionnels pétris de talent a parallèlement permis de développer cette année l’étude architecturale de l’épave de Tiboulen de Maïre, cependant que, plus à l’est, l’analyse des vestiges du vapeur le Prophète a confirmé une fois encore l’importance qu’il convient d’accorder aux épaves contemporaines si injustement et si longtemps négligées sur les bords de la Grande Bleue.

10On se félicitera enfin de voir à nouveau programmées des campagnes de prospection systématiques au large de Cannes ou en baie de Villefranche-sur-Mer. Par bien des aspects, ces opérations rappellent les premiers développements des projets Atlas archéologique des biens culturels maritimes de l’Arc atlantique, lancé en 2005, Atlas Palm-Provence Alpes-Côte d’Azur, amorcé en 2007, et Atlas des biens culturels maritimes de l’Hérault développé en 2008. Or, on sait combien ces programmes se sont révélés formateurs pour les équipes qui les mènent et féconds au regard des résultats qu’ils ont permis d’engranger. Il convient donc d’encourager la poursuite de ces campagnes méthodiques.

La Corse : l’avenir est aux pionniers

11Dès ma nomination en 2006 j’avais dit l’importance que j’accordais à la Corse et le sentiment qu’elle m’inspirait d’avoir été trop longtemps et trop cruellement ignorée. J’avais alors pris l’engagement que le Drassm y serait notablement plus présent et que les premières campagnes de son futur navire lui seraient consacrées. Mais, pour l’heure et en attendant l’André-Malraux, il y avait urgence en Corse de renouer avec le terrain afin de mieux estimer les potentiels, structurer des interventions et y imposer une démarche scientifique mieux étayée.

12Les expertises conduites sur les épaves de la baie de la Girolata répondent à ce triple objectif cependant que les travaux conduits sur l’épave de la flûte la Nourrice comme ceux qui se poursuivent sur l’épave Porticcio 2 confirment combien le patrimoine immergé de l’île de Beauté a d’arguments à faire valoir pour qu’on cesse de le négliger. Le Drassm y poursuivra ses efforts.

Les Outre-Mers

13Pour la première fois en 2011, le Bilan scientifique du Drassm comporte une « entrée » sur chacun des départements français d’outre-mer, à l’exception de Mayotte, qui n’est toutefois devenu un département que le 31 mars 2011. On ne peut que s’en réjouir et souhaiter que cela devienne un constat récurrent. Les prospections conduites sur les infrastructures littorales guadeloupéennes trouvent en tout cas cette année un opportun contrechamp réunionnais dans les recherches associées aux travaux d’établissement de la future « route du littoral », entre Saint-Denis et La Possession, cependant que les investigations conduites à la Martinique, sur la baie martyre de Saint-Pierre, volatilisée, voire vitrifiée, en 1902 par l’éruption de la Montagne Pelée, rencontrent un écho singulier dans les recherches conduites sur le cimetière immergé de Torcy, sur la rive droite du fleuve guyanais Mahury, et dans l’étude du cimetière marin de Saint-Paul à la Réunion. Plus que jamais, les Outre-Mers restent, avec les abysses, notre nouvelle frontière.

Les eaux intérieures : regain d’activité ou sursaut documentaire ?

14Pour les eaux intérieures, l’année 2011 paraît particulièrement « riche » et la quarantaine de notices rassemblées dans ce bilan se démarque nettement des années antérieures. Avant de conclure à un regain de l’activité dans les eaux intérieures, il faut toutefois prendre à nouveau en compte le fait que l’absence de remontée systématique de l’information depuis les services régionaux de l’archéologie est difficilement quantifiable, de sorte que le pic constaté n’est peut-être que la conséquence d’une meilleure circulation de l’information.

15Sur les 22 régions de métropole, onze sont attestées avec, comme précédemment, une certaine mouvance dans leur répartition. Certaines régions, présentes jusqu’à l’an passé, sont absentes en 2011, comme l’Alsace. D’autres font leur apparition comme la Picardie et le Limousin. Comme les années précédentes, environ deux tiers des opérations sont menées par des bénévoles. Il s’agit essentiellement de prospections mais la part des sondages est en nette progression traduisant en quelque sorte une implication plus importante des équipes, ou peut-être une volonté de se rapprocher d’une démarche de fouille sans doute jugée plus « archéologique ». Les institutionnels assurent un tiers des opérations avec nombre des sondages, la plupart des fouilles et une implication forte dans des PCR.

Cours d’eau : diversité des aménagements et anthropisation

16Les différentes opérations de prospection couvrent la quasi-totalité des bassins fluviaux. Leurs résultats illustrent parfaitement la fréquence et la diversité des structures liées aux usages de la rivière :

• occupation du Bronze final, dans l’Hérault ;
• pont et moulin pendu antiques de l’Allier ;
• pêcheries, pont et moulins médiévaux dans le Cher ;
• quais, barrages, canaux d’amenée médiévaux et modernes dans la Garonne et en Ariège.

17Pour la période antique il convient de noter la mise en évidence de statuaire et d’éléments architecturaux à la confluence du Clain et de la Vienne ainsi que sur le Rhône, au niveau de Vienne, de la première attestation formelle d’un pont.

18Les différentes opérations montrent également que les vestiges immergés sont exposés à des risques importants liés en particulier au surcreusement récent de la plupart des lits des cours d’eau. Ainsi, dans l’Allier, des séries de pieux modernes se retrouvent quasiment déchaussées.

19Au-delà du simple repérage de vestiges, certaines opérations prennent en compte, de façon plus ou moins approfondie, un cadre de compréhension élargi avec un volet paléoenvironnemental. Sur la Loire, l’étude de ponts, pêcheries et moulins permet de préciser l’anthropisation d’une courte portion du fleuve du xi^e au xiv^e s.

Cours d’eau : des épaves originales

20Avec quatre interventions, les épaves sont bien mieux représentées en 2011 que les années antérieures.

21Dans les fleuves côtiers, après la fouille de l’épave de Beutin dans la Canche, un nouveau chantier a débuté dans la Somme, à Épagne-Épagnette, sur une embarcation à clin des xvii^e-xviii^e s. Longue de 12 m, elle présente encore un chargement de tuiles à crochet.

22Dans le Doubs, à Saunière, un premier sondage a confirmé le bon état de conservation d’une exceptionnelle épave de moulin flottant dont l’embarcation principale mesure 10,5 m de longueur.

23Dans la Charente, au Priouté, une petite embarcation de 6,6 m par 2,4 m est datée de la période vii^e-ix^e s. Elle vient compléter le corpus particulier des épaves fluviales mérovingiennes.

24Tout comme les divers aménagements fluviaux, les épaves sont exposées à des risques de destruction par l’érosion. Le cas le plus emblématique est celui des pirogues mésolithiques du site du gué de la Guiche dans la Seine où des témoins implantés sur le fond montrent une ablation rapide des sédiments.

Domaine lacustre : des pages sont tournées

25Pour deux plans d’eau, l’année 2011 semble marquer la fin d’une époque.

26En Dauphiné, sur le lac de Paladru, les opérations de terrain sur le site médiéval de Charavines/Colletière, débutées en 1972, sont définitivement arrêtées. Dorénavant s’amorce un long travail d’analyse et d’exploitation de l’abondante documentation réunie avec, à terme, l’objectif d’une nouvelle monographie.

27Dans les Landes, sur le lac de Sanguinet, Bernard Maurin, responsable des opérations depuis 1982 a dirigé sa dernière campagne. Mais il ne s’agit pas pour autant de la fin des interventions de terrain puisqu’un nouveau responsable est d’ores et déjà pressenti pour 2012. Il faut une nouvelle fois souligner la persévérance de cette équipe qui, tout en opérant dans des conditions difficiles de visibilité, apporte une contribution notable à la carte archéologique de ce plan d’eau à la genèse particulière. En 2011, 15 000 m² ont été prospectés jusqu’à une profondeur de 16 m. Si la densité de vestiges s’est avérée moindre que celle observée les années précédentes, deux nouvelles pirogues sont venues s’ajouter à un corpus conséquent.

28Dans le domaine savoyard, trois opérations ont eu lieu dans la vaste baie de Conjux qui marque l’extrémité nord-ouest du lac du Bourget. Pour la Protohistoire, après des observations et des prélèvements complémentaires sur le petit hameau Bronze final du Port 3, les investigations se sont déplacées 150 m plus au sud sur la vaste station de Conjux 1, repérée depuis le xix^e s. mais encore mal connue malgré les premières reconnaissances conduites par des précurseurs dans les années 1950 et 1960. Les premiers relevés des pieux visibles permettent, sur 400 m², de dégager le plan de bâtiments séparés par des ruelles étroites. Un sondage de reconnaissance s’est avéré particulièrement riche avec, sur un seul mètre carré, 20 kg de céramiques et quatre objets en bronze.

29À l’extrémité nord de la baie, une première campagne de prospection s’est déroulée sur le site antique de Pré-Nuaz, La Vacherie. Repéré en 2000, lors de prospections menées dans le cadre de la carte archéologique des lacs, il est daté du ii^e s. de notre ère. Son organisation, avec de très nombreux petits piquets répartis en trois zones à densité variable, et la nature du mobilier, petits gobelets en sigillée, monnaies, etc. amènent à s’interroger sur la fonction du lieu. L’hypothèse cultuelle est à ce jour privilégiée.

Domaine lacustre : un événement majeur mais totalement inaperçu

30En juin 2011, l’Unesco a inscrit au patrimoine mondial de l’humanité un bien sériel regroupant 111 stations palafittiques de l’arc alpin, du Néolithique et de l’âge du Bronze, réparties dans six pays (Suisse, Allemagne, Autriche, France, Italie, Slovénie). Onze sont situées en France, dont deux dans le Jura, en domaine humide, et neuf en Savoie, dans les lacs d’Aiguebelette (1), du Bourget (4), d’Annecy (3) et du Léman (1). Si cette inscription valide la qualité et l’intérêt des sites et des vestiges lacustres, elle implique pour les états concernés d’assurer leur protection, tant juridique que physique, leur suivi et leur médiation. Il en résulte une charge non négligeable pour laquelle il va falloir dégager des moyens. Le silence assourdissant dans lequel l’inscription a été accueillie amène à s’interroger sur la suite qui sera donnée.

Grandes potentialités mais perspectives incertaines

31Le résumé des opérations de 2011 dans les eaux intérieures confirme, si besoin était, la diversité tout comme la qualité des vestiges qu’elles recèlent. La couverture chronologique est très large, du Mésolithique à l’époque actuelle. Assurant une excellente conservation de ces vestiges, tout particulièrement les matériaux organiques, les eaux intérieures offrent de grandes potentialités d’analyse et d’étude. En revanche, les sites sont très fragiles et particulièrement vulnérables aux atteintes tant naturelles qu’anthropiques.

32Ces constats ont largement été développés dans un rapport remis en septembre 2011 à la sous-direction de l’archéologie. Signé par Yves Billaud, avec la collaboration d’Éric Rieth, titré Pour un développement de l’archéologie des eaux intérieures : diagnostic, priorités scientifiques, propositions, il souligne notamment le décalage croissant qu’on peut observer entre les urgences actuelles (archéologie préventive, suivi des palafittes Unesco, etc.) et l’évolution « en peau de chagrin » des effectifs de la cellule eaux intérieures du Drassm. Ce phénomène, qu’on constate au demeurant dans la plupart des services institutionnels, pourrait conduire ici et à moyen terme à un abandon pur et simple de ce domaine de recherche. Le Drassm a maintes fois signalé le danger. En vain ! On en est aujourd’hui réduit à espérer que ce cri d’alarme sera entendu avant qu’il ne soit réellement trop tard !