1La prospection en 1994 a porté sur 10 563 ha (communes de Peyrat-la-Nonière, Chénérailles, Saint-Julien-le-Châtel, Saint-Dizier-la-Tour et Saint-Chabrais). La zone prospectée est constituée d’un espace homogène, installé sur un plateau granitique (le plateau de Combraille, aux altitudes moyennes d’environ 500 m) et sur un talus (faisant la transition entre le plateau de Combraille et la zone du bassin de Gouzon). Pour cette première année de prospection, Peyrat-la-Nonière (4 122 ha) a été étudiée plus en détail, puisque les informations de la prospection devaient être exploitées dans un travail universitaire (mémoire de maîtrise ayant pour thème l’archéologie des paysages).

2L’époque gallo-romaine se caractérise par des implantations nombreuses sous forme d’habitat dispersé. Comme ailleurs en Limousin, l’occupation gallo-romaine sous forme d’habitat dispersé était assez dense. Les modalités de cette occupation sont très difficiles à préciser en exploitant uniquement les données de la prospection (la superficie actuelle des vestiges reflète plus les conditions de leur conservation que leur taille d’origine). Mais l’implantation des structures semble tenir compte plus de l’existence de bons terroirs agricoles que de l’existence de microclimats favorables.

3Fréquemment sur ces sites, on trouve du charbon mal brûlé ou sa gangue rubéfiée. Au site des « Forges », parmi les débris d’une occupation antique (tegulae, céramiques, débris de forge, etc.) une scorie présentait à la cassure un morceau de charbon enchâssé dans des résidus métalliques. Ici, l’activité métallurgique est indiscutablement en rapport avec l’utilisation du charbon, mais la prospection de surface ne permet pas d’établir un calage chronologique certain (les restes découverts en prospection de surface sont remobilisés à chaque labour ; la couche superficielle peut recéler des artefacts de différentes époques). Cependant la présence de charbon mal brûlé, sur beaucoup de structures antiques, peut difficilement être due au hasard. Mais seule une fouille archéologique permettrait d’acquérir des certitudes sur la chronologie et les modalités de l’activité métallurgique. À défaut de preuve indiscutable, la prospection sur Peyrat-la-Nonière a permis de conforter l’hypothèse de J. Sabourin (1993) sur l’exploitation très probable du charbon du bassin de Lavaveix-les-Mines par les Gallo-Romains. Ce charbon aurait été transporté au moins sur une quinzaine de kilomètres, sur le plateau granitique environnant.

4Au Moyen Âge, on constate une continuité de l’occupation du sol, mais aussi de nombreux abandons et beaucoup de créations d’habitats. Les habitats ruraux du Moyen Âge ne laissant que des traces fugaces, il est difficile d’appréhender cette vaste période chronologique grâce aux méthodes de la prospection de surface. Pourtant des transformations essentielles de l’occupation du sol se sont produites à cette époque, structurant encore, par bien des aspects, l’implantation actuelle des sites d’habitat et fournissant toujours au paysage contemporain certains de ses traits majeurs. L’étude des textes et l’emploi d’autres méthodes (par exemple, celles de la géographie physique, développées par MM. Valadas et Bernard-Allée) sont souvent nécessaires pour tenter de préciser l’occupation de la campagne au Moyen Âge.

5L’abandon des structures antiques semble s’échelonner sur tout le Moyen Âge.

• des sites furent abandonnés précocement (par exemple ceux, où s’installèrent, après l’abandon de l’habitat, des communaux villageois ou des bois appartenant à des seigneurs de l’ancien régime) ;
• d’autres structures furent peut-être abandonnées mais le site fut réoccupé rapidement. Par exemple, à Combort, une datation C14 de charbons de bois prélevés à la base d’une accumulation de terre due à l’érosion anthropique (banquette de culture), montre qu’une occupation carolingienne a pris le relais d’une occupation antique, sur ce site ;
• d’autres structures d’origine antique furent abandonnées très tardivement au bas Moyen Âge (des manses à la toponymie d’origine antique sont attestés dans le cartulaire de Bonlieu – recueil d’actes rédigé aux xii^e et xiii^e s. – alors qu’ils disparaissent à l’époque moderne (par exemple « Les Forges », vestiges antiques, ou « Lopiac »).

6Le haut Moyen Âge étant très mal documenté, bien peu de certitudes peuvent être dégagées pour cette période. Par contre, au Moyen Âge classique, le cartulaire de Bonlieu nous lègue les toponymes de très nombreux manses sur la paroisse de Peyrat (qu’il s’agisse de créations médiévales ou d’habitats d’origine antique). Certains de ces manses n’ont pas pu être localisés précisément, mais presque tous les villages, existant actuellement, sont attestés aux xii^e ou xiii^e s. Ces villages sont fréquemment installés différemment des structures antiques (souvent plus haut sur le versant). La plupart d’entre eux (80 %) ne semblent pas présenter une origine antique directe (leur toponyme semble médiéval et aucun vestige n’a été détecté à proximité immédiate).

7Au bas Moyen Âge, un grand nombre des manses, attestés au Moyen Âge classique, disparaissent. Il semble que le nombre de points habités ait régressé. L’habitat se serait alors concentré autour de quelques noyaux de peuplement (à l’origine des villages actuels), de nombreux sites étant très probablement abandonnés (par exemple, le « village » abandonné des « Bois du Fresse » et les nombreux « mas » et « mazeauxe » implantés à l’écart des habitats actuels, dont la mémoire est conservée dans la microtoponymie de la matrice du cadastre napoléonien).

8Concernant le paysage, l’étude des Coutumes de la Marche a permis de montrer que le bocage (actuellement omniprésent dans la région) n’était pas en place au xvi^e s. Il cohabitait alors avec des champs ouverts qui très certainement encadraient les villages, alors que les fonds de vallon, occupés par des prés de fauche étaient plus souvent entourés de haies. Le xvi^e s. apparaît comme une période de mutation, où le paysage à champs ouverts sur les replats cohabitait avec le bocage principalement installé dans les fonds de vallon et le long des axes de communication.

9Au cours des siècles, plusieurs phases d’extensions et de régressions des points d’habitat (associées à des défrichements et des phases de déprises agricoles) se sont succédé. Les deux derniers cycles sont les plus facilement perceptibles : multiplication des points d’habitat et défrichements aux xii^e et xiii^e s., suivis d’une régression au bas Moyen Âge, puis une phase nette de défrichements à la fin de l’époque moderne (se poursuivant au xix^e s.) relayée par la déprise actuellement en cours.

10La prospection des années à venir en portant sur les autres communes permettra de confirmer, de préciser ou d’infirmer les hypothèses présentées ci-dessus. De plus, l’étude des photographies verticales de l’IGN devrait permettre de préciser certaines modalités de l’occupation du sol, de voir dans quelle mesure certaines formes du paysage sont capables (ou non) de se conserver.