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2022
73 – Savoie

Franchir la crête : archéologie et ethnohistoire des passages d’altitude en Savoie

Prospection thématique (2022)
Responsable d’opération : Éric Thirault

Notes de la rédaction

Organisme porteur de l’opération : Université Lumière Lyon 2

Thirault É. 2023 : Franchir la crête : archéologie et ethnohistoire des passages d’altitude en Savoie : prospection thématique année 2022, Lyon.

Texte intégral

1La reconnaissance et l’étude des vestiges archéologiques dispersés sur les cols et les zones d’altitude des Alpes, préservés durant des siècles, voire des millénaires, par les neiges et les glaces plus ou moins permanentes, sont aujourd’hui urgentes. En effet, la fonte de ces appareils « conservateurs » est engagée depuis la fin du Petit Âge Glaciaire, vers 1840. L’accélération du réchauffement climatique depuis la fin du xxe s. compromet la préservation des vestiges de passage, d’accidents et d’activités variées, qui témoignent de l’intérêt des sociétés humaines pour ces terres hostiles. Les vestiges les plus fragiles, en bois, textiles, peau, etc., sont voués à disparaître à brève échéance. Les autres (en métal, pierre, etc.) seront définitivement altérés ou oblitérés par les phénomènes météoriques et biologiques à l’œuvre dès leur sortie des glaces.

2Nous avons amorcé un travail de suivi de 2007 à 2009 sur le passage du Colerin à Bessans (3 200 m d’altitude). Depuis 2018, ce travail a été élargi à tous les cols glaciaires de la vallée d’Avérole sur la même commune. Deux autres sites ont été reconnus : au col d’Arnès (3 012 m), et surtout au col de l’Autaret (3 072 m). Depuis 2021, ce travail est élargi à d’autres secteurs de la Savoie.

3La huitième campagne de prospection sur les cols englacés de Savoie a bénéficié de conditions de travail exceptionnelles. Dès le mois de juin, des chaleurs fortes ont succédé à un hiver peu enneigé. De ce fait, les neiges ont totalement fondu jusqu’à très haute altitude (au moins 3 400 m) et les glaciers ont perdu en surface, et surtout en épaisseur. En conséquence, la visibilité des sites archéologiques était exceptionnelle, mais au détriment de la conservation des mobiliers libérés par les neiges et les glaces. C’est donc une véritable situation d’urgence à laquelle nous avons dû faire face. Deux campagnes de terrain ont été programmées : la première, du 21 au 28 août ; la deuxième, du 18 au 24 septembre.

4Au total, huit cols ont été prospectés.

5Le passage du Colerin à Bessans (3 200 m) est le premier site archéologique en contexte englacé découvert par nos soins en 2007. En août, deux journées de prospections à deux jours d’intervalle ont permis de collecter plusieurs centaines de vestiges, en opérant un choix dans les ramassages et en laissant sur place les débris non significatifs. Une troisième journée de travail en septembre a permis de nouvelles découvertes, la glace ayant continué de fondre entre-temps. Le paysage sous le col, versant français, a été bouleversé depuis 2021. Le glacier a perdu toute sa couverture neigeuse et s’est réduit en surface, et surtout en épaisseur : environ 2 m de glace ont disparu depuis 2021. Le lac glaciaire s’est vidangé à travers la moraine frontale. Les surfaces d’observation ont ainsi été très augmentées et les mobiliers libérés des glaces se retrouvent concentrés en surface. La collecte a surtout été importante autour du lac et en remontant sur la glace jusqu’au pied de l’éboulis sous le col. L’inventaire détaillé est en voie de finalisation, et comprend déjà plus de 427 entrées. La plupart des mobiliers sont des bois, avec nombre d’objets façonnés : pointes, copeaux, fragments de récipient, probable « marque à pain », éléments de clayonnages ou liens, etc. Des fragments de lanières en cuir assemblées constituent une nouveauté. Autre nouveauté, un lot de tessons regroupés constituent les restes d’un vase en céramique cannelée du premier âge du Fer, vaisselle de prestige très intrigante en ces lieux (étude de David Bardel et Mafalda Roscio).

6Le col de l’Autaret (3 072 m) à Bessans, au fond de la vallée d’Avérole, est le deuxième site archéologique sur col englacé découvert par nos soins en 2018. En 2022, la prospection menée durant deux journées (temps de marche d’approche et bivouac compris) en septembre a livré 78 nouveaux objets. Le névé englacé sous le col s’est fortement réduit, livrant, entre autres, des éléments en cuir qui pourraient constituer la suite du tour de chausse découvert en 2019 et daté du haut Moyen Âge. La prospection au détecteur de métaux n’a permis de collecter que des clous.

7Le col de la Galise (2 987 m) à Val-d’Isère a été identifié en 2019 par P.-J. Rey. Ce col, prospecté par nos soins en 2021 sur le versant français, a livré 99 nouveaux objets en 2022, dont des lots importants de mobiliers en bois, avec un possible arc. Le concours de trois détectoristes à métaux a permis de collecter des clous en fer ainsi que de menus objets, sans découverte majeure. Il convient de noter aussi les découvertes d’une chaussure à semelle de bois, clous de fer et corps en cuir bien conservée, ainsi que des textiles tissés. Tous ces mobiliers ont été collectés sous le col, dans les dépressions libérées des névés, autour et sur des reliquats de glace en fonte active cet été.

8Le col de la Lose (2 957 m) et surtout le lac sous-jacent (2 880 m) sur le versant français (commune de Val-d’Isère) ont livré 49 nouveaux bois dans le secteur encore recouvert par un névé en 2021, ce qui porte le nombre total d’objets découverts à 104.

9Le col Pers (3 009 m), à cheval sur les communes de Bonneval-sur-Arc et de Val-d’Isère, a été prospecté dans le cadre de la « mise en jambes » de la première session. Versant sud (Bonneval), l’accès est largement modifié par les aménagements des pistes de ski, et ce jusqu’au col. Versant nord (Val-d’Isère), des débris de ces aménagements sont retombés dans les pentes occupées par un petit glacier durant le Petit Âge Glaciaire. De ce fait, nombre de bois, essentiellement des débris de perches à neige parfois encore peintes, jonchent les deux versants. Il est difficile dans ces conditions de discriminer des objets en bois pouvant attester des passages antérieurs à l’ère des loisirs. Un petit lot de quatorze bois a tout de même été collecté, dont plusieurs branches avec départs de branchettes similaires aux découvertes effectuées sur d’autres cols.

10Le col des Fours (2 976 m), qui constitue un passage entre les villages de Val-d’Isère et Bonneval-sur-Arc, a été prospecté sur le versant Bonneval, dans le vallon de l’ancien glacier de la Jave. Malgré une topographie favorable (lac de barrage morainique sous le col, dépressions plus ou moins humides en-dessous), aucun vestige ancien n’a pu être mis au jour.

11Le col de Chavière (2 796 m), dans les communes de Modane et de Pralognan, a été prospecté, car il est placé sur un itinéraire ancien de traversée nord-sud de la Vanoise. Quelques bois détériorés jonchent les éboulis de part et d’autre du col. Néanmoins, les découvertes les plus spectaculaires ont eu lieu sur la retombée nord, dans les délaissées glaciaires subhorizontales du PAG. Là, 275 objets ont été collectés lors de deux journées de travail en août puis en septembre. Parmi les bois remarquables : une raquette à neige, deux fragments d’une probable selle ou système de portage, un probable couvercle monoxyle, un petit bol ou umbo, ainsi que des os de grands ruminants (cheval et vaches) dont un sabot ferré, etc. Le concours d’un détectoriste à métaux, autorisé, bien entendu par le SRA, n’a pas permis de localiser d’objets métalliques. Il s’agit là d’un site exceptionnel par la qualité des objets préservés, mais qui sont voués à disparaître très rapidement. En effet, plus aucune glace ne subsiste en surface et les névés fondent en été, comme il a été constaté en 2022.

12À 3,5 km au nord-est, le col d’Aussois (2 914 m, communes d’Aussois et de Pralognan) a été prospecté en septembre. Il présente un potentiel historique aussi fort que le col de Chavière. Malgré une configuration topographique favorable (grand replat en pente douce vers le sud-ouest, descente abrupte au nord avec reliques de glacier/névé), aucun vestige significatif n’a été découvert.

13En contrebas du col de Chavière, au croisement de deux vallons d’alpage dans la commune de Modane (vallons de Polset et vallon de l’Orgère), un grand effondrement de versant a laissé, sur un replat qui domine le lac de La Partie vers 2 500 m d’altitude, des blocs plurimétriques formant des parois et parfois des abris naturels. Plusieurs blocs sont aménagés au moyen de murs de pierres sèches et de dallages au sol. Au pied de l’un d’eux, un tesson de céramique ramassé en surface est attribué aux iie-iiie s. apr. J.-C. et renvoie à des productions communes en Italie du nord (étude de Cécile Batigne).

14Le bilan de la campagne 2022 est donc très positif sur le terrain, mais le constat est sans appel : la fonte accélérée des névés et des glaciers entraîne, inéluctablement et dans un proche avenir, la disparition des vestiges putrescibles encore préservés sur les cols englacés durant le Petit Âge Glaciaire. Nous avons aussi pris conscience, en prospectant au col de Chavière, que des passages d’altitude assez peu élevée, à partir de 2 800 m, peuvent encore préserver des vestiges en bois en bon état de conservation.

Fig. 1 – Objet en bois no 1028, probable marque à pain

Fig. 1 – Objet en bois no 1028, probable marque à pain

Clichés : É. Thirault (université Lumière Lyon 2).

Fig. 2 – Vue du tesson de céramique en place (objet no 1)

Fig. 2 – Vue du tesson de céramique en place (objet no 1)

Modane, abri sous bloc au sud du col de Chavière.

Cliché : É. Thirault (université Lumière Lyon 2).

Fig. 3 – Planche courbe perforée (objet no 13) : patin de luge ou de traîneau ?

Fig. 3 – Planche courbe perforée (objet no 13) : patin de luge ou de traîneau ?

Commune de Bonneval-sur-Arc, col Pers, versant sud.

Cliché : É. Thirault (université Lumière Lyon 2).

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Bibliographie

Thirault É. 2019 : Franchir la crête : archéologie et ethnohistoire d’un col transalpin, le Colerin à Bessans (3200 m), rapport de prospection (passages du Colerin et de l’Autaret), Lyon.

Thirault É. 2020 : Franchir la crête : archéologie et ethnohistoire des passages transalpins à Bessans (Savoie), 3000-3400 m, prospections thématiques et sondage, Lyon.

Thirault É. 2022 : Franchir la crête : archéologie et ethnohistoire des passages d’altitude en Savoie, prospection thématique année 2021, Lyon.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Objet en bois no 1028, probable marque à pain
Crédits Clichés : É. Thirault (université Lumière Lyon 2).
URL http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/150581/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 709k
Titre Fig. 2 – Vue du tesson de céramique en place (objet no 1)
Légende Modane, abri sous bloc au sud du col de Chavière.
Crédits Cliché : É. Thirault (université Lumière Lyon 2).
URL http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/150581/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 878k
Titre Fig. 3 – Planche courbe perforée (objet no 13) : patin de luge ou de traîneau ?
Légende Commune de Bonneval-sur-Arc, col Pers, versant sud.
Crédits Cliché : É. Thirault (université Lumière Lyon 2).
URL http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/150581/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 753k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Éric Thirault, « Franchir la crête : archéologie et ethnohistoire des passages d’altitude en Savoie » [notice archéologique], ADLFI. Archéologie de la France - Informations [En ligne], Auvergne-Rhône-Alpes, mis en ligne le 07 décembre 2023, consulté le 07 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/adlfi/150581

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Éric Thirault

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