- 1 SRA de Normandie, association FATRA (Fédérations des archéologues du Talou et des régions avoisinan (...)
1Initié en 2018, le projet de recherche collectif (PCR) « Topographie générale et insertion territoriale de la ville antique de Briga » coordonné par Étienne Mantel (Drac-SRA de Normandie) étudie le site archéologique du « Bois-l’Abbé », situé à Eu. Issus de différentes institutions1, les membres de l’équipe actuelle poursuivent un double objectif : comprendre la structuration et l’évolution de la ville de manière dynamique, depuis ses origines protohistoriques jusqu’à son déplacement en fond de vallée à l’emplacement de l’actuelle ville d’Eu, et évaluer l’insertion de Briga dans le territoire (Mantel et al. 2020). Les grandes orientations de recherche et les moyens mis en place pour en optimiser les résultats sont définis en concertation avec le conseil scientifique du PCR composé de Jean-Yves Marc (professeur d’archéologie classique, université de Strasbourg) qui en assure également la présidence, Séverine Blin (chargée de recherches, CNRS-Aoroc), Matthieu Poux (professeur d’archéologie, université Lumière Lyon 2), Thierry Dechezleprêtre (Conservateur du patrimoine, Conseil départemental des Vosges) et Laurent Popovitch (maître de Conférences, université de Bourgogne).
2Les investigations récentes menées au « Bois-l’Abbé » ont considérablement renouvelé les connaissances sur ce site reconnu jusqu’aux années 2000 comme un sanctuaire isolé équipé d’un temple monumental, d’un théâtre et de thermes, avec éventuellement un équipement d’accueil pour répondre aux besoins du calendrier liturgique. Les campagnes successives de fouilles programmées conduites depuis 2006 sous la direction d’Étienne Mantel, et dont ce PCR conforte l’action, ont mis en évidence l’intégration de ce groupement de monuments dans un ensemble bâti beaucoup plus vaste (fig. 1) qui s’étend d’après les prospections pédestres sur une superficie d’au moins 65 ha au début du iiie s. de notre ère. Une telle densité d’indices anthropiques laissait alors supposer la présence d’une véritable ville. Dès 2006, la découverte de l’inscription dédicatoire d’une basilique, fragmentée mais complète, révéla également le nom de cette agglomération – Briga –, un mot celtique désignant une colline ou, par extension, un site fortifié de hauteur, jusqu’alors totalement inconnu des sources littéraires et iconographiques antiques et médiévales (Mantel, Dubois, Devillers 2006). Les découvertes archéologiques effectuées depuis n’ont eu de cesse de confirmer que les édifices reconnus depuis le xixe s. appartenaient en réalité à un ensemble de monuments situés à l’ouest d’une ville dont l’ampleur a été progressivement révélée (Mantel, Dubois, Parétias 2020 ; Mantel, Parétias, Marlin dir. 2020 ; Mantel, Dubois dir. à paraître).
Fig. 1 – Vue vers l’est du complexe monumental et des vestiges fouillés au nord-ouest de la ville
Cliché : O. Morin.
3Conjointement aux trois opérations de fouilles programmées, cette année s’est accompagnée d’un développement croissant de disciplines connexes des sciences de la terre, en vue d’une approche extensive de l’agglomération et de ses abords (Mantel et al. 2022). Les prospections géophysiques menées par Bruno Gavazzi (Institut de Physique du Globe de Strasbourg, UMR 7516 EOST) entre 2017 et 2019 dans l’emprise de la zone classée au titre des Monuments Historiques (15 ha couverts à ce jour) n’ont pu être poursuivies en raison de la situation sanitaire et des retards induits. Néanmoins, les résultats stimulants obtenus lors des trois précédentes campagnes participent à mettre en exergue des concentrations de bâtiments et confirment le caractère dense (et donc urbain) de l’occupation, même si leurs plans ne peuvent pas être précisés dans le détail dans le contexte local (Mantel et al. 2020). Leur reconduction prévue pour la campagne 2021 permettra de couvrir l’ensemble de la clairière et participera à cibler, à terme, les éventuelles actions de terrain sur les quartiers centraux et méridionaux.
4Après une première campagne LiDAR par drone menée par l’entreprise Altamétris sur une surface d’environ 19 ha en 2020, l’acquisition a été poursuivie par le prestataire Aird’eco-Drone sur plus de 200 ha dans les zones boisées situées aux abords de la clairière classée. Ces résultats contribuent à appréhender toutes les anomalies topographiques dans un environnement élargi, même si les traces d’activités anthropiques contemporaines liées à l’exploitation agricole et forestière menées depuis les années 1950 jusqu’à nos jours ont contribué à araser des vestiges archéologiques et en perturbent la lecture (fig. 2).
Fig. 2 – Modèle numérique de terrain ombré acquis en 2019 et 2020 sur le plateau de « Beaumont »
Réalisation : Aird’eco-Drone 2020 et Altamétris 2019.
5Suite aux observations de glissements de terrain caractérisés archéologiquement depuis près d’une décennie en différents secteurs de la ville, et plus particulièrement dans le Quartier Nord, deux interventions complémentaires ont été menées en 2020 afin d’en préciser la nature. L’une (menée par Dominique Schwartz, université de Strasbourg UMR 7362 Live, épaulé par Céline Lu, Licence 3 Géographie, université d’Artois) a consisté à effectuer des sondages mécaniques limités en quatre endroits du site (fig. 3) caractérisés, entre autres, par l’absence de vestiges archéologiques.
Fig. 3 – Emplacement des fosses pédologiques
Cliché : Google Earth.
6Des observations pédologiques et des prélèvements ont été effectués pour caractériser la nature et la composition des sols des zones tests. Des analyses carbones et de la spectroscopie proche infrarouge qualitative (NIRS), dont les résultats seront connus à l’été 2021, viendront compléter ces données. La seconde (en collaboration avec Olivier Maquaire et Stéphane Costa, université de Caen Normandie UMR 6554 LETG) s’intéresse à la mise en place d’un protocole d’étude géomorphologique et à la caractérisation des mouvements de terrain observés en divers endroits de l’étroit plateau de « Beaumont », et plus particulièrement sur son extrémité orientale où est implantée une partie de la ville romaine. Cette opération sera mise en œuvre en avril 2021 dans le cadre d’un stage de fin de licence effectué par Céline Lu au laboratoire de Caen, en vue d’un Master à venir spécifiquement consacré à cette question.
7Ce projet scientifique est complété d’un important volet de valorisation des connaissances acquises ces quinze dernières années à Briga. Différents supports ont été utilisés pour faire connaître et diffuser auprès des citoyens les résultats relatifs à la genèse, au développement et au déclin de cette agglomération encore inconnue jusqu’en 2006. L’année 2020 devait être marquée par la tenue d’une exposition, intitulée
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- 3 Produit par Caroline Chassaing ; coproduction Court-jus Production France Télévision/France 3 Norma (...)
8« Quand la Normandie était romaine : Briga, une ville retrouvée », dans la capitale régionale, une première pour le site du « Bois-l’Abbé »2. Après de multiples reports en 2020 en raison de la situation sanitaire, elle a finalement ouvert ses portes du 19 mai au 20 juin 2021 au Musée des Antiquités de Rouen, avant d’être installée à la chapelle du collège des Jésuites d’Eu du 24 juillet au 31 octobre 2021. Un catalogue richement illustré, articulé autour de chapitres synthétiques présentant l’histoire et l’évolution de la ville romaine, d’encarts thématiques et de notices descriptives des 250 objets sélectionnés a été édité à cette occasion par Silvana Editoriale en novembre 2020 (Mantel, Parétias, Marlin dir. 2020). Enfin, un documentaire intitulé « Briga, la ville oubliée » (52 mn), réalisé par David Geoffroy, revient sur les deux dernières décennies de recherche au « Bois-l’Abbé »3. Tout au long du récit, il expose la manière dont l’archéologue Étienne Mantel et son équipe mettent progressivement au jour cette ville romaine tombée dans l’oubli. Diffusé sur France 3 Normandie en décembre 2020, primé au festival du film d’archéologie de Nyon et aux rencontres d’archéologie de la Narbonnaise en 2021 (prix du public et prix spécial du jury lors des deux évènements), il retrace l’histoire de Briga de son origine à son abandon. Il propose de premières modélisations tridimensionnelles (fig. 4) des principaux bâtiments attestés en plan (complexe monumental, quartier d’habitat, théâtre, petit établissement thermal) et dont une partie de l’ornementation architecturale nous est parvenue. Cette volonté de diffusion et de valorisation des connaissances se poursuivra en 2021 de multiples façons.
Fig. 4 – Modélisation tridimensionnelle du complexe monumental au milieu du iiie s. de notre ère (vue vers le nord-ouest)
Extrait du film « Briga, la ville oubliée » de David Geoffroy.
Réalisation : Court-jus Production, G. Saubestre, P. Dormont, N. Cayré ; conseillers scientifiques : É. Mantel, J. Parétias.