1Le programme collectif de recherche vise à étudier la nécropole mixte du Haut-Empire, localisée aux Martres-de-Veyre (lieu-dit Le lot, ou Le Laud, ou encore Les Chaumes d’Allios). Explorée en trois temps, 1851, 1893 et 1922-1923, elle a livré des vestiges exceptionnels par leur état de conservation et leur diversité : cercueils et boîtes en bois, textiles, offrandes alimentaires, etc., jusqu’aux cheveux des défunts. Ceux-ci ont été transportés pour partie au Musée Bargoin de Clermont-Ferrand, où ils sont encore conservés et accessibles. L’ensemble de la nécropole est essentiellement documenté par le rapport écrit par Auguste Audollent, directeur du musée et doyen de la Faculté des Lettres, et publié en 1923, mais celui-ci n’a pas pris part aux premières découvertes.
2Le projet a vocation à développer un volet scientifique interdisciplinaire, qui devra alimenter un volet de valorisation, en collaboration étroite avec le musée Bargoin, gestionnaire des collections. Il ne s’agit pas de publier le matériel, mais bien de faire une étude intégrée de la nécropole. Associant différents partenaires au plan local, le musée Bargoin, l’université Clermont Auvergne, la Maison des Sciences de l’Homme et l’Inrap, il a reçu un accueil très favorable de la CTRA compétente en 2017 pour une année probatoire, et a été accepté en 2018 pour trois années.
3L’année 2017 avait vu la constitution de l’équipe de pilotage du projet réunissant les représentants des diverses institutions, l’association des laboratoires partenaires et le démarrage des premières recherches. Celles-ci avaient porté sur la constitution de fonds d’archives inédits, réunissant à la fois des documents collectés aux Archives départementales du Puy-de-Dôme (fonds Audollent), de la bibliothèque du musée Déchelette à Roanne, des inventaires actualisés du mobilier funéraire effectués par les gestionnaires des collections au musée Bargoin de Clermont-métropole, et des archives inédites de l’étude textile effectuées par Sophie Desrosiers en 1996-1997, qui ont fait l’objet d’un don au musée.
4L’année 2018 a permis l’exploitation de ces fonds d’archives.
5Ainsi, nous avons principalement porté l’effort sur les questions historiographiques et sur l’étude textile. Nous avons pu mettre en évidence le fait que le principal fouilleur de la nécropole au xixe s. est Jacques-Émile Kuhn. Personnalité complexe, Kuhn fut à la fois brasseur, homme de lettres, collectionneur avisé d’archéologie et membre de sociétés savantes locales (fig. 1). C’est à ce titre qu’il supervise les fouilles de 1893 aux Martres-de-Veyre, qu’il développe des enquêtes orales sur place et qu’il entreprend un rapport de plus de 400 pages, resté inédit. Ce rapport donne des précisions remarquables sur la localisation de la nécropole, permet la remise en situation de certaines tombes, et offre des précisions sur leur agencement et sur le mobilier associé, notamment les textiles. Pour des raisons inconnues, Kuhn est aujourd’hui oublié, et Audollent lui-même, qui a pourtant puisé largement dans son manuscrit, ne le mentionne que furtivement. Il semble que ce manuscrit ait été en possession de Déchelette à un moment, mais son histoire comporte encore une part d’obscurité. Quoi qu’il en soit, Déchelette apparaît également comme un acteur incontournable, mais resté dans l’ombre des études menées autour de la nécropole des Martres-de-Veyre.
Fig. 1 – Jacques-Émile Kuhn (1834-1905)
Bibliothèque du patrimoine, Clermont-Ferrand.
6Ces archives inédites, articulées aux diverses observations de terrain publiées à la suite de l’ensemble des travaux qui ont porté sur la commune des Martres-de-Veyre dans son ensemble (fouilles d’autres secteurs, prospections thématiques, photographies aériennes), avaient autorisé un premier essai de localisation de la nécropole en 2017. En identifiant les parcelles cadastrales concernées et leurs propriétaires actuels, ce travail avait pour objectif principal de servir de point de départ à des mesures de protection, la nécropole étant en limite d’un lotissement.
7Nous avons pu reprendre ce travail de localisation de façon plus précise. Certaines tombes et certains bûchers funéraires peuvent être positionnés, mais l’ensemble des structures funéraires demeure insuffisamment décrites pour obtenir une image satisfaisante de ce qui a été fouillé. Toutefois, on a pu estimer l’emprise de la nécropole, qui couvre quelque 6 000 m2. Cette observation contribue à faire des Martres-de-Veyre un site majeur de la région à l’époque romaine, ce que les données de fouilles disponibles, souvent partielles et dispersées, ne permettent pas toujours d’apprécier. Cet essai de localisation doit faire l’objet d’un article scientifique, qui sera soumis à la RACF au début de l’année 2019.
8L’étude textile a été conduite au travers de plusieurs opérations conjointes, portant sur deux ensembles funéraires : la tombe A, découverte fortuitement en 1851, qui s’avère paradoxalement très complète, et la tombe I, dont le cercueil fut exposé dans les salles du musée et dont le contenu était encore conservé.
9L’examen des vestiges textiles de la tombe A, arrachés sans grand ménagement à leur contexte au moment de la découverte, a permis la reconstitution d’une deuxième tunique. En effet, le site est mondialement connu pour la découverte de la tunique intacte de la tombe D, associée à divers éléments de costume, chausses et chaussures notamment. La présence de cette seconde tunique, entière, avait été repérée et partiellement reconstituée par Sophie Desrosiers en 1996-1997. La découverte était restée inédite.
10Un essai plus complet de réassemblage des fragments a été réalisé par Fabienne Médard (Anatex) (fig. 2). La tunique est cruciforme, d’un seul tenant, contrairement à l’autre, ornée de deux clavi rouge de part et d’autre de l’encolure. L’observation du revers des fragments montre que la tunique était portée directement sur le corps : on note la présence de restes de peau. L’observation des restes intacts du contenu du cercueil conservés au musée Bargoin permet d’avoir une première idée de la superposition des textiles dans la tombe.
Fig. 2 – Schéma d’assemblage provisoire des fragments de la tunique 997.5.1 de la tombe A
DAO : F. Médard (Anatex).
11L’inventaire des textiles de la tombe I fait apparaître l’existence d’au moins sept textiles différents, alors qu’on n’en avait repéré que quatre lors des investigations précédentes. Ceux-ci, très altérés pour la plupart, sont constitués de bandes molletières, visibles en place sur la photographie de la tombe, enveloppant un autre textile en contact direct avec la jambe, une probable semelle en feutre, un textile très aéré (résille à cheveux ? châle ? voile ?), une probable couverture en sergé, une toile qui pourrait bien constituer les restes d’une troisième tunique, ainsi qu’un fragment d’une toile à trame double présentant des restes de coloration rouge. Les identifications sont encore provisoires, mais semblent cohérentes avec les observations effectuées sur les autres tombes.
12Dans le cadre de ces deux études, une première série d’analyses de fibres textiles a été confiée au laboratoire ArchéoTex (Mme A. Rast-Eicher), qui a mis en évidence de la laine. Les prélèvements ont en outre permis d’observer la présence de produits d’enrobage sur certaines fibres, ainsi que de poils d’animaux parmi les vestiges. Il s’est avéré qu’une probable fourrure tapissait le fond du cercueil de la tombe I.
13Ces premières observations viennent ainsi nourrir les problématiques sur l’environnement du site (espèces ovines locales), ainsi que sur les gestes funéraires. L’analyse de ces produits d’enrobage a été confiée au Laboratoire Nicolas-Garnier et l’étude est en cours.
14Enfin, une première série de datations par le radiocarbone a été lancée sur la tombe I. Celle-ci était jusque-là datée par dendrochronologie (170 apr. J.-C.). Il s’agit d’obtenir des datations croisées effectuées sur divers matériaux (ossements humains, cheveux, textiles, bois du cercueil). Outre l’obtention de dates, ces analyses devraient permettre de cerner le rôle de l’environnement, riche en gaz carbonique, dans la contamination des échantillons.