1L’opération d’archéologie préventive portant sur l’église médiévale de l’ancienne chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez, fondée à la toute fin du xiiie s., est intervenue en amont et en accompagnement du projet de restauration et de réhabilitation du bâtiment. Elle a porté sur les soubassements de cette église (nef et sanctuaire) et sur leurs comblements respectifs. Cette opération s’est déroulée en mars-avril 2021 et en juillet 2021 et a résidé dans le suivi archéologique du déblaiement partiel des soubassements du bâtiment et l’étude des élévations basses de l’église. Par le passé, cet édifice a bénéficié de deux interventions archéologiques programmées, en 1996 (sondages dans l’actuelle sacristie), puis en 2019 (étude générale des élévations accessibles du bâtiment). Ces deux opérations ont permis de proposer un phasage, qui est, ici, amendé. Les vestiges étudiés dans le cadre de cette opération se rattachent donc à cinq périodes.
Fig. 1 – Photographie aérienne de l’ancienne chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez
Cliché : A. Chen (Hadès).
2À l’emplacement de l’église, le rocher présente des traces d’extraction du socle schisteux, probablement utilisé pour les besoins du monastère. Un premier bâtiment, orienté nord-est – sud-ouest, est reconnu dans les élévations de l’ancienne église médiévale (période 1). Dérasé, il est conservé sur environ 9 m de long. Ce dernier a conservé ses deux baies et ses deux portes d’origine. La première porte, à l’est, et la seconde, au sud, permettent de restituer un niveau de circulation qui s’adapte aux dénivellations du rocher, qui est alors retravaillé et verticalisé par endroits. L’arasement net et régulier de ce bâtiment démontre que sa destruction a été pensée afin d’intégrer les parties basses de ce dernier dans une nouvelle construction. Pour permettre à ce nouvel ouvrage de disposer d’un appui stable et uniformément nivelé, des poutres en bois ont été disposées sur les arases de ce premier bâtiment. Leur datation livre une fourchette comprise entre la fin du xiiie s. et le premier tiers du xive s. (analyse radiocarbone par le laboratoire Re.S. Artes : 1227-1282 apr. J.-C., probabilité de 95,4 % et analyse dendrochronologique par le laboratoire Cèdre : 1331). Les données archivistiques permettent de resserrer cette fourchette et de situer la construction de ce premier bâtiment avant la fin du xiiie s. (fondation de la chartreuse 1280-1281). Son identification comme église primitive du monastère reste cependant aujourd’hui difficile à prouver.
3Les études précédentes sur le monument ont questionné l’homogénéité architecturale de l’église du xive s. (périodes 2 et 3). Elles ont mis en évidence des différences de volume, de style architectural entre la nef et le sanctuaire et des désaxements de maçonneries (Mordefroid, Bully 1996 ; Duriez 2020). Dans le cadre de cette opération, plusieurs phases de construction cohérentes, avec des relations d’antériorité ou de postériorité bien marquées, ont été datées du xive s. Face à la difficulté de proposer une périodisation nette, nous questionnons également l’homogénéité architecturale de cette église et émettons l’hypothèse de plusieurs phases de chantier, parfois accompagnées de campagnes décoratives, durant ce siècle. Appuyée sur l’arase du premier bâtiment, la nef du xive s. est contemporaine d’un niveau de plancher, lequel fonctionne avec un massif maçonné, reliquat probable d’un escalier. Cet accès, central, est situé à l’aplomb de l’arc triomphal. Attribuées à la troisième période de construction, deux fenêtres monumentales ébrasées couvertes d’un arc brisé sont insérées dans le mur gouttereau nord et sud de la nef. Elles sont ornées par un décor de faux appareil ocre-jaune et rouge, décor qui appartient au vaste programme décoratif de l’église daté du xive s. Deux massifs pouvant être identifiés comme les fondations d’une barrière liturgique permettent de maintenir quatre longrines. Ces dernières devaient supporter une structure en bois, relativement légère, aujourd’hui disparue. Ces pièces de bois ont été datées du xive s. (datations radiocarbones par Re.S Artes : 1300-1398 apr. J.-C., probabilité de 95,4 %, et 1258-1294 apr. J.-C., probabilité de 92,7 %).
4Situé sous le chœur gothique, le soubassement du sanctuaire de l’église du xive s. prend la forme d’une pièce quadrangulaire, semi-excavée de 11,8 m2. Il apparaît donc plus petit que le sanctuaire situé au-dessus. Il a conservé trois structures d’origine dont une baie témoignant d’un dispositif d’éclairage direct depuis le nord, un exutoire maçonné associé à une cuvette ovale permettant de recueillir et d’évacuer l’eau qui percole et suinte du substrat rocheux et une porte mettant en communication les soubassements du chœur gothique avec ceux de la nef. Les fonctions de ce soubassement, situé sous le sanctuaire, restent difficiles à déterminer. Cette pièce permettrait en premier lieu d’atténuer les importantes dénivellations du substrat rocheux et, en parallèle, d’homogénéiser les niveaux de circulation entre la nef et le sanctuaire. Comme le soubassement de la nef, il peut correspondre à un espace technique, un vide sanitaire, pour une aération optimale de l’édifice.
5L’église médiévale est épargnée par les importantes reconstructions de l’époque moderne. Le bâtiment change cependant de fonction puisqu’une nouvelle église est construite à proximité, entre la fin du xviie s. et le milieu du xviiie s. (période 4). Des murs de refend sont construits pour diviser l’ancienne église en plusieurs espaces. D’après les archives, l’ancien sanctuaire est transformé en salle du chapitre (ES 001), tandis que les élévations de la nef sont modifiées pour accueillir la sacristie de la nouvelle église (ES 002).
6La fonction du troisième espace créé à proximité de l’ancienne façade occidentale de l’église (ES 003) demeure inconnue. Chacun de ses espaces va subir respectivement des modifications. Les soubassements de l’ancienne nef sont comblés par une succession de remblais. Ces derniers ont été datés de l’époque moderne par le mobilier céramique (terminus post quem fin xviie-xviiie s.). Ils coïncident avec la construction et la mise en service de la nouvelle église, telle que documentée par les archives (1690-1752). Conséquence du comblement des parties basses de l’édifice, les niveaux de circulation médiévaux (plancher et escalier) sont supprimés et les portes et fenêtres sont bouchées. Deux nouveaux niveaux de plancher sont alors aménagés. Le premier, construit dans la continuité des sols de l’église moderne, permet la création d’une vaste salle quadrangulaire, éclairée grâce à deux nouvelles fenêtres percées dans le mur gouttereau nord de l’ancienne nef. Le second plancher permet la création de combles au-dessus de la sacristie. Le chœur gothique transformé en salle capitulaire subit également plusieurs remaniements. Ses élévations sont retouchées, de même que ses soubassements. L’abaissement du niveau de sol, à la même altitude que le plancher de la sacristie, s’accompagne de la construction d’une voûte en plein cintre. À la différence des soubassements de la sacristie, ceux du chœur restent vides et fonctionnels. On constate cependant l’abandon progressif de l’exutoire à la période moderne (terminus post quem xviie-xviiie s.).
7La cinquième période correspond à des modifications contemporaines, souvent ponctuelles, de l’édifice.
Fig. 2 – Localisation des différentes investigations archéologiques réalisées entre 1990 et 2021 sur l’ancienne chartreuse de Sainte-Croix-en-Jarez
Échelle : 1/1000.
Relevé et DAO : M. Duriez (Hadès).
Fig. 3 – Espace 006, sondage 2, massif maçonné́ MUR 1109
Depuis le nord-ouest.
Cliché : A. Chen (Hadès).