- 1 Équipe de terrain et de post-fouille : Marine Ferrandis, Nicolas Biwer, Laurence Serra (étude du ve (...)
1Un diagnostic archéologique a été prescrit dans l’enceinte militaire de la ville de Saint-Denis, sur les parcelles du Quartier Ailleret qui abritent le RSMA-R1. Il fait suite à trois autres diagnostics effectués entre 2012 et 2020 dans le secteur (Romon 2012 ; Cornec 2017 ; Cornec 2020). L’emprise, de 1 400 m2, concerne la superficie des réseaux souterrains sud, qui font l’objet d’une remise en état (Ferrandis 2022) (fig. 1). Cerné par la montagne du Cap Bernard, la rivière Saint-Denis et l’océan, ce site a connu un développement tardif durant la colonisation. C’est en ce lieu, dit Petite-Île, que furent implantés les aménagements que l’on voulait tenir à l’écart de la ville : bâtiments militaires, camp des Noirs, lazaret et cimetières. Le plan du géographe François Chandellier, dressé en 1808, montre que le Quartier Ailleret est installé sur l’ancien cimetière de l’Ouest qui se composait d’une partie réservée aux « Noirs » et une seconde aux « Blancs ». Ces deux parties ont été aménagées respectivement en 1750 et 1774 du fait de l’augmentation de la population et de l’arrivée des épidémies. Leur abandon fut progressif dès 1820 suite à la création du cimetière de l’Est qui répondait à la nouvelle législation quant aux normes d’hygiène relatives aux inhumations (fig. 2).
Fig. 1 – Plan du diagnostic
Relevé : M. Gatineau (OMT) ; DAO : M. Ferrandis (Inrap).
Fig. 2 – Proposition de localisation du cimetière de l’Ouest sur le plan Chandelier, Plan de la ville de St Denis et de ses environs, isle Bonaparte (1808) et sur les photographies aériennes de 1950 et 2017
FR ANOM 23DFC012terA.
Clichés : IGN ; DAO : M. Ferrandis (Inrap).
2L’ouverture de 10 tranchées a permis de mettre au jour, au nord de l’emprise, une portion du cimetière des « Noirs ». 14 tombes ont été repérées. Deux de ces tombes ont fait l’objet d’une fouille minutieuse (fig. 3). Il s’agit de sépultures collectives contenant chacune un dépôt primaire complet associé à des réductions. Les deux sujets primaires avaient probablement plus de 40 ans au moment du décès et l’un d’eux était certainement un homme à en juger par les caractères sexuels de son coxal. La présence de nombreuses caries et abcès dentaires, d’usures prononcées des tables occlusales, ainsi que de probables marqueurs d’anémies sur les crânes révèle un manque certain d’hygiène et de soins et une alimentation déséquilibrée particulièrement corrosive et abrasive. Cela évoque une population ayant vécu avec peu de moyens. L’observation de modifications dentaires sur l’un des squelettes conforte l’hypothèse d’individus issus de l’esclavage (fig. 4).
Fig. 3 – Vue zénithale de la sépulture 1 avec ses réductions
Tranchée 9.
Cliché : M. Ferrandis (Inrap).
Fig. 4 – État des dents des crânes découverts dans la tombe 1
Tranchée 9.
DAO : M. Ferrandis (Inrap).
3La moitié sud de l’emprise a révélé des niveaux d’occupation datés du xixe s. et de la première moitié du xxe s. Un riche mobilier dépotoir, composé de près de 700 artefacts en terre-cuite architecturale, faïence, porcelaine, grès, verre et métal, souligne le caractère domestique des anciennes implantations. Une carte postale datée de 1906, illustre cette occupation, marquée par la présence d’habitations et de hangars. Par moment, ce mobilier relève d’un certain luxe notamment par l’usage de services en faïence fine française et en porcelaine chinoise, de verre à jambe de la verrerie de Portieux, de l’usage de parfums et d’onguents issus des fabriques de Paris et de Grace. La présence de petits pots médicamenteux et de brosses à dent illustre l’attention portée à l’hygiène et aux soins. La découverte d’un bouton d’uniforme de l’Infanterie de Marine ou Coloniale pourrait suggérer que ces habitations appartenaient aux familles des militaires, la Caserne Lambert ayant été implantée non loin du site en 1849 (fig. 5).
Fig. 5 – Aperçu du mobilier de la moitié sud de l’emprise du diagnostic
Clichés : M. Ferrandis (Inrap).
4Le centre de l’emprise conserve une portion de la voie de chemin de fer, qui permettait dès 1882 de relier Saint-Benoît à Saint-Pierre en passant par Saint-Denis. La portion Saint-Denis/La Possession est la dernière à avoir été abandonnée en 1976. Les vestiges de cette voie ferrée s’apparentent à une partie des rails et à un passage inférieur marqué par deux piliers en blocs de basalte équarris supportant un tablier métallique (fig. 6).
Fig. 6 – Vestiges du chemin de fer abandonné en 1976
Cliché : M. Ferrandis (Inrap).
5Au vu des vestiges archéologiques mis au jour, de leur intérêt et de leur nature et suite à cette opération de diagnostic, le SRA de La Réunion et l’aménageur ont travaillé ensemble à la modification de la consistance du projet pour éviter la fouille. Des solutions techniques ont été envisagées permettant la sauvegarde de ce patrimoine. La zone funéraire a ainsi été exclue du projet de rénovation et protégée des travaux par l’installation d’un caisson de blindage vertical en limite nord de la zone.
6La conservation des vestiges est de ce fait assurée. L’échantillon exploré ainsi que l’exhaustivité des études et interprétations menées dans le cadre du rapport de diagnostic permettent d’avoir une image représentative de cette aire funéraire utilisée entre la fin du xviiie s. et la première moitié du xixe s.