1Au cours de l’année 2022, le verre de La Réunion a bénéficié de plusieurs approches. Cinq mois de présence sur place ont permis de prendre le temps de lancer la première phase d’analyses archéométriques des verres issus de trois fouilles. Il s’agit des premiers résultats d’un programme de recherches inédit, intitulé « Perles locales et importées à La Réunion ». Ce programme soulève notamment la question d’une production locale par les engagés indiens après 1848. Il est mené en partenariat avec Bernard Gratuze, directeur de recherche au laboratoire Iramat-CEB, UMR 7065 CNRS/université d’Orléans et membre du réseau Afav (Association française pour l’archéologie du verre). Mélissa Baffert (Inrap) participe à ce projet. L’observation des perles à la loupe binoculaire a permis d’apporter de précieuses informations sur les traces d’usure des perles et la façon dont elles ont été portées : en parure ou cousues sur des vêtements.

L’intrigant verre creux à tête de cerf

4Le fragment a tout d’abord été identifié comme l’extrémité d’un flacon à parfum zoomorphe romain. Il peut s’agir d’un objet de collection pouvant provenir d’un cabinet de curiosité d’un savant du xix^e s. qui l’aurait transporté sur l’île. Après analyses, Bernard Gratuze a été formel, il n’est pas antique, car la présence de l’élément chimique bore a été détectée. Il est au minimum daté du xviii^e s. Une datation moderne est toute aussi intéressante et n’enlève rien à son caractère exceptionnel. Le verre est soufflé, les bois sont en verre plein rapporté sur la tête. Il peut alors s’agir d’un flacon de parfum zoomorphe, façon Venise, ou de Venise importé sur l’île Bourbon au xviii^e s. Mais c’est en faisant marcher le réseau Afav, que le petit cerf, surnommé affectueusement Bambi, a pu être identifié. En effet, un exemplaire complet a été récemment retrouvé en fouilles, à Namur, en Belgique (fig. 2).

5Il s’agit d’un « verre à cerf », dit « verre à surprise » composé de deux parties : une paille dont l’extrémité se termine en tête de cerf avec une bouche tubulaire pour aspirer et un verre à boire qui accueille le liquide (fig. 2).

6La datation typologique xviii^e s. vient confirmer les analyses archéométriques. C’est un objet exceptionnel car on en a recensé, à ce jour, seulement 35 en Europe (collections publiques et privées). C’est, par conséquent le 36^e retrouvé à ce jour et, de plus, le premier retrouvé en outre-mer.

7C’est un verre destiné à amuser la galerie appelé aussi « verre à farce », en anglais joke glass. Le liquide était aspiré depuis la coupe jusqu’à la bouche du cerf. La surprise consiste à un brusque reflux éclaboussant le buveur au visage. Au-delà de son caractère taquin, ce verre pouvait faire l’objet de concours, et, lors de telles prestations, le buveur qui éclaboussait ou renversait le vin était tenu de repartir à zéro, avec un verre à nouveau rempli. Cet objet, inédit, atteste d’un acte social vital : se divertir dans la société urbaine de Saint-Denis à la fin du xviii^e s.

Les perles de Saint-Paul « Entrée Est îlot 3 »

Les perles de Saint-Denis « place Charles-de-Gaulle »

11Les modèles olives, bleus et ambres (fig. 4) sont originaires de Bohème. Les olives bleues donnent une datation autour de 1750. Leur composition est identique à celles référencées dans une tombe de Yakoutie au nord de la Sibérie par Laure Dussubieux, responsable du laboratoire d’analyse du Field Museum de Chicago.

12Les autres perles de « Place Charles-de-Gaulle » sont très anciennes. La rouge tubulaire (fig. 4), connue sous l’appellation green hearth, est colorée à l’oxyde d’or ce qui lui confère un caractère luxueux. La blanche tubulaire (fig. 4) est une perle décolorée à l’oxyde d’antimoine. Ces deux perles vénitiennes sont proches dans leur composition : typiquement classique à la cendre de salicorne. C’est le fondant utilisé pour abaisser le point de fusion du four (ce sont des plantes très salines que l’on trouve au bord des étangs méditerranéens). Les deux modèles tubulaires sont fabriqués par étirement, une technique propre à Venise. On remarque également, dans les clichés pris à la loupe binoculaire, que ces perles sont très usées ; les stries extérieures et les effets de bulles d’air intérieures sont le résultat de leur étirement lors de leur fabrication. On peut donc conclure que, par l’emploi d’un fondant très artisanal (la cendre de salicorne utilisée dès le Moyen Âge) et par la décoloration à l’oxyde d’antimoine (utilisé dès l’Antiquité), ces deux perles pourraient être arrivées à Saint-Denis au xvii^e s.

13Toutes les perles de « place Charles-de-Gaulle » sont par conséquent importées. Les modèles sont connus, avec une très large diffusion ; ils se retrouvent dans des contextes archéologiques d’Amérique du Nord, d’Afrique et de l’océan Indien, étudiés par Bernard Gratuze et Laure Dussubieux.

Synthèse et perspectives

14Les analyses de perles vont se poursuivre en 2023 avec notamment celles prélevées sur la fouille du camp de travailleurs de Saint-Philippe, « Puits des Anglais », où des vestiges de fours ont été retrouvés avec des traces de verre fondu. Il s’agira de savoir si les compositions concordent entre les perles et des flacons de même teinte, dans l’hypothèse que des perles aient pu être produites, localement, à partir de flacons recyclés.