1Ce nouveau diagnostic archéologique préventif a été réalisé à Menthon-Saint-Bernard (Haute-Savoie), en réponse à une demande de permis de construire portant un projet de maison individuelle de 300 m² de surface au sol, sur deux niveaux plus sous-sol, dans l’ancien hameau des Choseaux.

2L’emprise étudiée concerne une surface de 1 754 m², située entre 482,50 et 488,00 m d’altitude et enserrée entre le ruisseau des Bottières au nord et le ruisseau des Vars au sud, deux émissaires dont les flux sont canalisés en direction de la rive orientale du lac d’Annecy, distante de 630 m. La parcelle se trouve à seulement 40 m à l’ouest de la route principale qui suit cette rive, formant à cet endroit un S artificiel pour contourner les constructions anciennes du hameau des Choseaux.

3Sept tranchées ont été creusées du 20 au 23 février 2023, dans le dernier pré resté non bâti en plein cœur du hameau. Le secteur est connu pour plusieurs points de découverte référencés par Pierre Broise entre les années 1950 et 1980, réputés à proximité immédiate mais jusqu’alors mal localisés en raison d’erreurs, dans la bibliographie (Broise 1984), de transcription des numéros de parcelle portés sur les cadastres successifs. La cartographie précise de ces lieux a pu être rétablie : on constate ainsi que la parcelle est entourée à l’ouest, au nord et à l’est par les découvertes, à quelques dizaines de mètres seulement, de quatre fûts de colonne romains et deux chapiteaux d’ordre toscan. Un mur antique avait également été observé en 1992 lors de la construction par un particulier d’un garage sur une parcelle attenante à l’ouest. Aucun relevé ni aucune photographie de cette maçonnerie n’est disponible dans la littérature, ce qui empêche de confronter ces données aux vestiges mis au jour cette année, mais il apparaît fort probable que le prolongement de ce mur vers l’est ait été identifié.

4Cinq des sept sondages réalisés ont ainsi livré des vestiges antiques. Les témoins de cette occupation d’époque romaine s’étendent sur les trois quarts septentrionaux de l’emprise prescrite, mais l’hypothèse d’une présence de structures excavées plus ponctuelles dans le quart sud, secteur extérieur mais cultivé dès l’Antiquité, ne peut cependant être exclue entre les sondages.

5La stratigraphie du site est complexe. Avant d’être excavée pour les besoins de l’installation de substructions romaines, les différentes couches stratifiées, partiellement conservées, racontent une histoire non évidente. Le sous-sol morainique würmien a subi une pédogenèse, dont on ne retrouve que très partiellement l’horizon BT. Son absence n’est pas uniquement due à l’activité romaine, mais, semble-t-il, à une première phase de ruissellements/colluvionnements. Les dépôts résultants, eux-aussi partiellement conservés, sont à nouveau pédogénéisés, puis fréquentés et cultivés (amendés de matières organiques) dans la partie sud du site, hors structures romaines, mais, semble-t-il, en lien avec celles-ci, d’après les artefacts qu’ils recèlent. Des colluvions postérieures à cette occupation terminent la séquence sous 0,35 m d’épaisseur, sans toutefois recouvrir une bonne partie des vestiges qui apparaissent sous la terre végétale actuelle.

6Le diagnostic a permis de mettre en évidence neuf tronçons de mur, appartenant vraisemblablement à un seul et même complexe architectural. La zone bâtie s’étend sur une longueur de 46 m du nord au sud à travers l’emprise prescrite. L’orientation des principales maçonneries est NL 10,45° O, et celle des murs perpendiculaires NL 74° E. Le mur méridional susceptible de se raccorder au tronçon mis au jour en 1992 sur la parcelle AE-278 semble fermer le bâtiment sur une longueur minimale de 20 m.

7Pour l’instant seules deux pièces sont attestées, par la mise en évidence de parois peintes sur enduit et d’un sol en béton. Les autres espaces ne peuvent être caractérisés en raison des lacunes du plan, dont le diagnostic ne donne qu’une vision très partielle. Il semble que les espaces à l’amont, dans la partie orientale de l’emprise, soient mieux conservés, car probablement en partie excavés, tandis que les espaces construits plus à l’ouest sont installés sur des remblais de nivellement. Le complexe architectural serait ainsi construit selon un système de terrasses suivant la pente naturelle du versant.

8La zone à l’aval, vers le nord-ouest de l’emprise, pourrait correspondre à un espace non bâti, comme une cour ou un jardin, mais ce secteur pourrait aussi avoir fait l’objet de davantage de perturbations, rendant ainsi moins évidente la lecture des vestiges. Il est d’ailleurs probable que le complexe architectural se prolonge vers le nord-ouest, et son extension est certaine vers le nord et l’est.

9Si quelques tessons de céramique peuvent évoquer un horizon du i^er s. apr. J.-C., ils proviennent de lots beaucoup trop indigents pour être représentatifs, et, du reste, la chronologie relative du site tend, en l’état des recherches, à ne cerner qu’une occupation au cours des ii^e et iii^e s. apr. J.-C. Un lot céramique en particulier fournit, pour un niveau d’occupation extérieur, par la présence d’un gobelet Lez. 169, une datation entre 150 et 230 apr. J.-C.

10Les enduits peints, même s’ils évoquent un décor plutôt modeste, associés à la présence de verre de vitre, de fûts et chapiteaux de colonne, ainsi que de placages de « marbre », permettent de restituer un bâtiment d’un certain luxe. La présence, même en quantité modeste, dans certains niveaux d’effondrement et de remblai testés, de restes fauniques, rejets de consommation liés à l’alimentation carnée, peut éventuellement plaider pour l’identification de secteurs d’habitat proches.

11Dès lors, en raison de l’addition de tous ces critères d’interprétation fonctionnelle, l’hypothèse d’une villa paraît crédible. Si on considère l’ensemble de la zone où sont concentrés les vestiges des Choseaux, on constate qu’elle s’étend sur 100 m du nord au sud, et 100 m d’est en ouest. Dans l’hypothèse d’un seul complexe architectural, son emprise couvrirait donc 10 000 m², superficie pouvant tout à fait correspondre à la pars urbana, ou résidence, d’une grande villa. Il s’agirait du seul établissement d’un tel statut implanté sur la rive orientale du lac d’Annecy, entre la villa des Barattes à Annecy-le-Vieux et la villa du Thovey à Faverges. Le complexe de Menthon serait même d’une ampleur plus démesurée si l’établissement des Choseaux peut être associé aux thermes de la Muraz, à la source des Bains et à la pièce chauffée de Bouverat, tous ces sites ayant, en l’état de la recherche (Landry 2023), au minimum fonctionné aux ii^e et iii^e s. apr. J.-C.

12Enfin, un dépotoir daté des années 1920 a été fouillé au cœur d’un espace bâti antique. Il livre des lots de céramique et de verre caractéristiques du répertoire régional de la fin du xix^e et du début du xx^e s.