1La découverte de deux nucléus se rapportant au Paléolithique supérieur final dans le cadre de prospections pédestres conduites par Monique Oden sur la commune de Lougé-sur-Maire (Orne) avait motivé la conduite de sondages à l’automne 2020, puis l’ouverture d’une fenêtre d’environ 1 200 m², à l’automne 2021.

2Si ces investigations de quelques mètres carrés faites en 2020 avaient permis de faire une évaluation des formations superficielles, elles n’avaient pas permis de circonscrire d’éventuelles zones de concentration de mobilier lithique se rapportant au Paléolithique supérieur final.

3De ce fait, comme pour le site belloisien de Rouvres/Ouilly-le-Tesson (Calvados) qui se caractérisait par de petites concentrations d’objets et une majorité d’artefacts dispersés, nous avons entrepris d’ouvrir une fenêtre autour du sondage 1 qui avait livré en surface le plus de mobilier.

4Contrairement à ce qu’on observe en Normandie orientale (ex Haute-Normandie), où chaque année de nouveaux sites du Paléolithique supérieur sont révélés soit par l’archéologie préventive (Alizay, Louviers « Côte de la Justice », Louviers « rue Franklin Roosevelt », Ivry-la-Bataille), soit par les prospections (Saint-Pierre-de-Bailleul), force est de constater l’extrême pauvreté en vestiges se rapportant au Paléolithique supérieur en Normandie occidentale (ex Basse-Normandie).

5À Lougé-sur-Maire, nous sommes sur un rebord de plateau qui culmine à 236 m et descend en pente relativement douce vers le Ruisseau des vallées, affluent de la Maire, qui coule à 172 m.

6La parcelle de l’Être Mancel qui livre à Monique Oden des artefacts lithiques se rapportant, entre autres au Paléolithique final, se trouve entre 190 et 180 m sur une loupe de limon. Le décapage pratiqué en 2021 et les cinq sondages effectués en 2020 témoignent d’un bilan sédimentaire assez homogène avec un sol de surface d’une vingtaine de centimètres à dominante lœssique recouvrant un limon beige, correspondant au dernier lœss weichsélien de faible épaisseur, sus-jacent à un limon argileux orangé devenant hydromorphe en profondeur et incorporant des lits de cailloutis.

7L’industrie pourrait donc être associée au dernier lœss weichsélien non carbonaté. Elle se rapporte au Paléolithique supérieur final et plus particulièrement au Belloisien.

8Malgré l’importante superficie décapée (1 200 m²), aucune pièce se rapportant au Paléolithique supérieur n’a été trouvée en position primaire et l’essentiel des artefacts collectés se rattache au Néolithique. Il s’agit de nucléus à éclats et laminaires, d’éclats et de lames illustrant l’ensemble des chaînes de débitage mises en œuvre, de percuteurs en silex et de quelques outils : grattoirs, tranchets. Le silex utilisé est issu de plusieurs sources d’approvisionnement : silex gris et brun d’Écouché, plus ou moins « grésé », silex brun à grain fin. Un éclat de gestion de surface du Paléolithique moyen a été aussi collecté, ainsi que cinq enlèvements attribuables au Paléolithique supérieur. Tous ces objets sont issus du sol de surface.

9Paradoxe, Monique Oden a collecté une dizaine d’objets se rapportant au Paléolithique supérieur, en surface, après le labour de la parcelle, donc après notre intervention !

10Même si aucun lambeau de niveau archéologique n’a pu être reconnu, l’assemblage lithique compte maintenant presque une cinquantaine de pièces. Ce mobilier présente une forte ressemblance technique avec des ensembles belloisiens trouvés dans le nord, le centre et le sud du Bassin parisien. Ces ensembles lithiques se caractérisent par des débitages à la pierre tendre, de grandes lames rectilignes, contemporains de la fin du Tardiglaciaire. Les quelques datations obtenues sur les gisements belloisiens, notamment dans le nord de la France attribuent en effet ce groupe au Dryas récent et au début du Préboréal soit aux alentours de 10 000 BP.

11À l’exception du site d’Alizay qui correspond vraisemblablement à une structure d’habitat temporaire, les sites dits belloisiens se caractérisent davantage par des postes de taille de lames où les outils sont particulièrement rares : quelques grattoirs et une lamelle retouchée à Donnemarie-Dontilly (Seine-et-Marne), des grattoirs, de rares burins et des lamelles à troncature oblique sur le site de La Plaisance à Belloy-sur-Somme (Somme), quelques burins et des troncatures à Flixecourt (gisement du Marais, Somme), pointes à troncature oblique associées à quelques pointes de Malaurie, comme à Calleville (Eure) ou au Closeau (Hauts-de-Seine).

12À Lougé-sur-Maire, c’est une cinquantaine d’objets qui a été collectée, comportant des nucléus, des éclats de mise en forme et d’entretien des nucléus et quelques fragments de lames et lamelles. En fait, tous les éléments issus du plein débitage font défaut, comme sur le site de Rouvres (Calvados). En effet, sur ce gisement, ce sont des déchets de la production laminaire et lamellaire qui ont été collectés (nucléus, éclats et lames de mise en forme et d’entretien des convexités, fragments inutilisables de lames et de lamelles de plein débitage). L’outillage n’était représenté que par quelques grattoirs.

13Le faible nombre d’artefacts collectés à Lougé-sur-Maire rappelle aussi ce qui avait été observé à Rouvres, cette faible densité de mobilier pouvant refléter la véritable intensité de l’occupation du gisement, à savoir un séjour court qui n’aurait pas produit beaucoup de déchets.

14Si à Rouvres, il a été possible d’effectuer des remontages d’artefacts, le corpus étant plus important avec 515 objets, aucun raccord ou remontage n’a pu être effectué à Lougé-sur-Maire. Alors qu’à Rouvres les remontages attestaient d’emports d’une partie de la production à l’extérieur du gisement, ou en tout cas de la zone fouillée, mais aussi de la réalisation d’une partie de la mise en forme des blocs à un autre endroit, peut-être directement sur les lieux de collecte des matériaux siliceux, à Lougé-sur-Maire les lames de plein débitage font défaut, rappelant le comportement économique observé dans d’autres gisements belloisiens du Bassin parisien.

15La matière première mise en œuvre à Lougé-sur-Maire comporte à la fois un silex à grain fin relativement homogène et un silex plus « grésé » qui s’apparente au silex d’Écouché ; cependant les gîtes de matières premières ne sont actuellement pas connus dans l’environnement immédiat du site.

16La différence de dureté et d’homogénéité du silex utilisé a nécessité un certain nombre d’adaptations des tailleurs à la matière première : talons linéaires dans certains cas, larges dans d’autres. Cependant le débitage des lames est réalisé à la pierre tendre, les stigmates en sont caractéristiques : bulbe « pointu », esquillement du bulbe, profil rectiligne des supports, parties distales en chanfrein. Néanmoins, aucun artefact « mâchuré » n’a jusqu’alors été collecté. Ces éléments participent à la réfection des percuteurs en pierre tendre.

Pour conclure

17Le décapage pratiqué en 2021 et les sondages effectués en 2020 à Lougé-sur-Maire confirment la diagnose formulée à l’issue des prospections pédestres conduites par Monique Oden, à savoir, la présence de populations de chasseurs-cueilleurs durant le Tardiglaciaire dans le sud du département de l’Orne. Ramassages, sondages et décapages ont montré une certaine récurrence de l’occupation humaine à l’Être Mancel sur la commune de Lougé-sur-Maire depuis le Paléolithique moyen.

18Ce site, qui mérite d’être suivi en prospection, se trouve être le second gisement belloisien sur lequel des activités de production de lames sont avérées pour l’ensemble de la Normandie occidentale.

Tabl. I – Nucléus, tablette et grattoir collectés lors des prospections et du décapage effectués en 2021 (aucun objet n’a été trouvé en position primaire)

Détermination	Nombre
Nucléus à éclats	2
Nucléus à lames	8
Fragment de nucléus	2
Éclat de décorticage	1
Éclat d’aménagement	8
Éclat laminaire d’aménagement	2
Éclat indéterminé	5
Éclat de confection	1
Tablette	1
Lame à crête	2
Lame ou fragment de lame	8
Lamelle ou fragment de lamelle	1
Grattoir sur éclat	1
Esquille	1
Débris	3
Total	46