1Le bois est une ressource indispensable des sociétés de l’Europe tempérée, jusqu’à la révolution industrielle au xix^e s. Comme énergie pour les activités artisanales et industrielles, comme moyen de chauffage, ou encore comme matériau de construction, le bois est utilisé dans quasiment toutes les activités humaines. Si l’industrie et notamment les activités métallurgiques sont souvent rendues responsables de transformations radicales et brutales des espaces forestiers (Boissière 1990 ; Woronoff 1990), le développement urbain ne doit pas être négligé dans cette histoire forestière. Le projet collectif de recherche (PCR) « Du bois pour Limoges » porte un regard attentif sur les relations entre la ville de Limoges et son environnement forestier entre les xv^e et xix^e s., période à laquelle le territoire Limousin a connu son pessimum forestier (Allée et al. 2009).

La ville de Limoges du xv^e au xix^e s., un cas d’étude pertinent

2La ville de Limoges, comme de nombreuses villes européennes, a structuré très tôt ses réseaux d’approvisionnement en bois (mention de flottage dès le xii^e s.) pour répondre à une demande croissante. Le développement du flottage du bois sur les rivières de la Vienne, du Taurion et de certains de leurs affluents en est une belle illustration.

3Avant les travaux dirigés par P. Allée dans le PCR « Géohistoire et géoarchéologie des territoires forestiers Limousins » puis poursuivi par R. Rouaud et S. Paradis-Grenouillet dans le PCR « Géohistoire et géoarchéologie des forêts combustibles en Périgord Limousin Poitou-Charentes », peu d’études avaient été consacrées à l’histoire des paysages et plus particulièrement des espaces forestiers. C’est en archéobotanique (palynologie et anthracologie) qu’elles étaient les plus nombreuses mais, en dehors de la synthèse palynologique de Yannick Miras (2004) pour la Montagne Limousine, les travaux étaient restés en général ponctuels et fragmentaires. La situation n’était pas meilleure sur le plan historiographique puisque rares furent les recherches conduites spécifiquement sur les forêts. Les travaux pluridisciplinaires conduits dans le cadre de ces deux PCR ont permis d’acquérir une vision d’ensemble des territoires forestiers en Limousin et de poser les premiers jalons de l’histoire des relations entre ces espaces de production et le développement socio-économique des territoires. Dans le cadre de ces PCR mais également dans le cadre du projet d’Atlas historique du Limousin (coord. Anne Massoni), l’impact de la ville de Limoges sur les dynamiques forestières a été abordé à travers la prise en compte des usages combustibles et plus particulièrement du flottage du bois (travaux de P. Plas, J.-P. Delhoume ou encore R. Rouaud, S. Paradis-Grenouillet et R. Crouzevialle). Ces recherches ont mis en évidence des besoins considérables en bois à brûler notamment au xix^e s. avec l’explosion de l’industrie porcelainière.

4Ces travaux doivent être approfondis et élargis au bois de construction, afin de prendre aussi la mesure de l’importance du bois dans le développement d’une ville moyenne comme Limoges et d’évaluer les conséquences sur les espaces boisés. Une entrée sur le bois dans le bâti au sein de la ville de Limoges ouvre ainsi un nouveau champ de recherche indispensable à la compréhension des relations hommes/forêts sur le territoire Limousin. Par ailleurs, force est de constater que les travaux sur la place du bois dans la construction des édifices de Limoges sont quasiment inexistants ; seule la référence aux maisons à pans de bois témoigne de cette étroite relation entre le développement urbain et les espaces forestiers. Il semble donc indispensable de faire un réel point sur l’importance de cette ressource dans le développement de la ville de Limoges (type de bois, volume, provenance, etc.).

Quatre ateliers thématiques et un axe transversal

5Cette première année de fonctionnement du projet collectif de recherche du bois pour Limoges a permis d’initier un véritable travail d’équipe et d’amorcer une stratégie de communication vers le grand public dans le but notamment de faciliter l’accès à des édifices à pans de bois pour la suite de nos travaux. Le PCR « Du bois pour Limoges » réunit plus d’une vingtaine de chercheurs (historiens, archéologues, archéobotanistes, paléoenvironnementalistes, généticiens du bois, etc.). La démarche pluridisciplinaire vise à évaluer la place du bois dans la ville de Limoges, de retracer l’évolution des besoins pour ainsi restituer l’évolution des stratégies d’approvisionnement en bois mises en œuvre et évaluer l’emprise de la ville sur les espaces forestiers. Parce que le bois arrive sous différentes formes et pour différents usages dans les villes, il convient d’étudier à la fois le bois employé dans la construction, mais également le bois de feu et le charbon de bois.

6Le projet repose sur 4 ateliers thématiques :

• le bois dans la construction à Limoges ;

• le bois comme combustible à Limoges ;

• les stratégies d’approvisionnement en bois de la ville de Limoges ;

• évolutions/transformations des paysages forestiers et des pratiques sylvicoles et un axe transversal : pour une recherche participative.

Atelier 1 : Le bois dans la construction à Limoges

7Cet atelier a été largement fourni cette année, avec trois contributions. La première contribution conduite par R. Malegol, A. Brahim-Giry et L. Mousnier propose une reprise de l’opération d’inventaire général du patrimoine bâti engagée en 2011 par la ville de Limoges et la région Nouvelle-Aquitaine. Elle met en évidence l’importance du patrimoine bâti à pans de bois, et propose une première chronologie. La seconde contribution, de R. D’Andrea, C. Belingard, R. Crouzevialle, F. Cerbelaud et S. Paradis-Grenouillet, porte sur l’étude de la maison de la Boucherie. La même démarche d’archéologie du bâti et de prélèvements dendrochronolgiques a été conduite au 38 et 40 de la rue de la Boucherie. Suite à un incendie de ces deux édifices, une prescription a été émise par le service régional de l’archéologie pour procéder à un relevé archéologique de ces deux maisons avant les travaux de rénovation. Cette étude a été conduite par P. Bouvard et P. Bessaguet, le rapport est en cours de rédaction.

8Cette année aura été l’occasion de reprendre les travaux conduits dans la rue du pont Saint-Etienne dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive par A. Marty et P. Poulain en 2015. La richesse et la finesse de l’étude historique réalisée sur ce quartier permet ainsi de présenter la démarche qui sera suivie dans le quartier de la Boucherie. De plus, l’association des données archéologiques apporte un éclairage précieux pour notre projet de recherche pour bien identifier les édifices les plus propices pour conduire des analyses dendrochronologiques en 2021.

9Enfin la dernière contribution vient présenter une collecte plus « opportuniste » de bois issus de bâti à pans de bois de Limoges. En effet, grâce à différents signalements de maisons en rénovation, il a été possible de collecter des rondelles de bois issues de poutres et solives démontées et destinées à la déchetterie. Ces prélèvements viendront enrichir le corpus pour appréhender les aires d’approvisionnement en bois.

Atelier 2 : Le bois comme combustible à Limoges

10Cette recherche, réalisée par S. Paradis-Grenouillet et R. Crouzevialle, propose un état des lieux des connaissances sur le flottage du bois à Limoges. Si les recherches historiques sont encore à approfondir sur de nombreux aspects pour retracer l’histoire de ce mode d’approvisionnement en bois, cette contribution met bien en lumière le statut particulier du bois dans la ville de Limoges. Cette ressource fait l’objet d’importantes réglementations, aussi bien sur le mode d’acheminement, le stockage et la vente. Après un cadrage historique s’étendant du xii^e au xix^e s., une étude détaillée des volumes de bois arrivant par flottage est présentée. Cette partie de la contribution repose sur un important travail de saisie des bordereaux de flottage (plus de 1 900) au sein d’une base de données numériques. L’analyse détaillée des bordereaux de flottage confrontée aux registres de l’Octroi met en lumière d’une part les volumes importants de bois consommés par la ville de Limoges au xix^e s. et d’autre part le rôle joué par la pratique du flottage pour répondre aux besoins industriels, artisanaux et domestiques.

11Cette année a également été l’occasion de faire un point sur les aires de charbonnage autour de Limoges. Ce travail étant encore largement en cours, aucune contribution n’a été intégrée à ce rapport, mais nous pouvons toutefois mentionner la découverte de nouvelles plateformes de charbonnage dans une forêt à proximité de Rochechouart et dans les forêts de Saint-Hilaire-les-Places. Les contacts tissés avec des acteurs locaux devraient dans les années à venir nous permettre de dresser une cartographie de ces espaces charbonnés par le passé pour ensuite procéder à des campagnes d’échantillonnages et d’analyses anthracologiques.

Atelier 3 : Les stratégies d’approvisionnement en bois de la ville de Limoges

12Lors des précédents PCR, les arrivées de bois dans la ville de Limoges ont rapidement été évoquées, en mentionnant principalement la voie fluviale via le Taurion et la Vienne et plus rarement les voies terrestres représentées à travers des charrettes de bois visibles sur quelques cartes postales anciennes. On considère dès lors que l’essentiel du bois arrive du nord-nord-est de Limoges par le flottage du bois. Or, hormis les bordereaux de flottage du xix^e s. qui font état des communes d’où proviennent les bois, à ce jour nous ne connaissons aucun document faisant mention de l’origine des bois de construction. C’est pourquoi un important travail a été engagé cette année pour établir des référentiels qui permettront à l’avenir de développer une approche de dendro-provenance (identification des aires d’approvisionnement en bois à partir de l’analyse des bois archéologiques).

14Des feuilles provenant des arbres étudiés ont également été collectées lors de ces campagnes d’échantillonnage pour conduire une analyse génétique régionale. Ce travail réalisé par G. Costa fait l’objet d’une rapide présentation dans le cadre de ce rapport. La troisième contribution de cet atelier, rédigée par C. Belingard, fait état des recherches engagées depuis plusieurs années en dendrochronologie sur notre secteur d’étude. À ce jour, ce sont 17 sites étudiés dans le cadre de son activité professionnelle qui pourront être mobilisés pour constituer un référentiel pour établir la provenance géographique des bois employés dans les bâtiments en pans de bois de Limoges. Pour compléter et affiner ce référentiel dendrochronologique régional, il est nécessaire de rechercher des édifices des xvii^e et xviii^e s., ces derniers étant très peu représentés dans le référentiel actuel. Il semble aussi indispensable de rechercher des bâtiments du xix^e s. sur l’ensemble de notre zone d’étude, ce dernier étant totalement absent du référentiel actuel. C’est dans ce but que de premières prospections ont été réalisées cette année dans le secteur sud de notre étude. Deux bâtiments ont d’ores et déjà été sélectionnés.

Atelier 4 : Évolutions/transformations des paysages forestiers et des pratiques sylvicoles

15En cette première année de fonctionnement, les problématiques de cet atelier ont seulement été abordées de manière très succincte au sein des différentes contributions. Les travaux engagés mettent en évidence combien le bois est une ressource indispensable pour le développement d’une ville comme Limoges, il reste donc à savoir quelles sont les conséquences de ces exploitations pluriséculaires sur les dynamiques / les transformations des espaces forestiers. Ce travail sera abordé de manière plus approfondie ultérieurement.

Axe transversal : Pour une recherche participative

16Parce qu’il semble important à l’équipe de ce PCR que les données récoltées ne restent pas au sein d’un groupe de chercheurs mais soient bien communiquées aux habitants de Limoges, il a semblé pertinent d’ouvrir un nouvel atelier. Ce dernier repose sur la réalisation d’une enquête auprès des habitants, travailleurs et élus de la ville de Limoges, la conception d’outils pédagogiques à destination des jeunes publics et des familles, la création d’outils de communication pour le grand public et la diffusion dans les médias locaux de la progression de nos recherches. Quatre contributions en font trace. La première contribution, réalisée par A.-C. Misme et S. Paradis-Grenouillet, présente la démarche d’enquête engagée. La grille d’entretien y est intégralement présentée. À ce jour, seuls deux élus ont pu être interviewés ; afin d’assurer l’anonymat de ces personnes aucun résultat n’est intégré à ce présent rapport. Ce travail sera largement approfondi en 2021 notamment dans le cadre d’un stage de Master 2. La seconde contribution, également conçue par A.-C. Misme et S. Paradis-Grenouillet, porte sur les ateliers pédagogiques conçus pour présenter à des élèves de 5^e du collège Beaupeyrat deux aspects de notre recherche : l’archéologie du bâti et la dendrochronologie. Initialement cet atelier avait été conçu pour être réalisé au sein même de la maison de la Boucherie, or la crise sanitaire et la mise en place du plan Vigipirate, n’ont pas permis la sortie des élèves de leur établissement. Les supports pédagogiques ont alors été adaptés pour une réalisation dans les salles de classe. Les deux dernières contributions font état des outils de communication que nous avons développés et employés au cours de cette première année pour faire connaître notre projet au plus grand nombre (plaquette papier, site internet, parution dans le journal Vivre à Limoges ou encore reportage sur la télévision locale « 7A Limoges »). Cette démarche est primordiale dans le cadre de nos recherches pour d’une part obtenir un maximum de contacts pour procéder à l’étude des maisons à pans de bois, mais également pour envisager avec les habitants et les élus des stratégies de valorisation/de protection de ces patrimoines qu’ils soient bâtis (les maisons à pans de bois) ou naturels (les espaces forestiers).

17Cette première année de PCR a d’ores et déjà engagé d’importants travaux qui seront poursuivis dans les années à venir. Les campagnes de prélèvements sur bois vivants et dans les maisons à pans de bois de Limoges sont d’ores et déjà programmées tout comme la poursuite des études historiques. L’année 2021 devrait également permettre le lancement des premières publications.