1L’intervention menée sur le Jeu de Paume de Suze-la-Rousse en mai et juin 2023 s’inscrit dans une suite d’opérations archéologiques initiées depuis 2015.
2Occupant la partie sommitale de la garenne, le château et le Jeu de Paume dominent le village établi sur la rive gauche du Lez. Classé Monument historique depuis 1947, le château a fait l’objet d’un vaste projet, associant l’histoire du site et le patrimoine vitivinicole de la Drôme, sous la forme d’un parcours muséographique, inauguré au printemps 2013. Depuis 1978, le site abrite également l’université du Vin, école de formation œnologique de renommée internationale.
3L’avènement de la famille de La Baume-Suze au xvie s. s’accompagne d’importantes transformations du château médiéval de 1143, délaissant quelque peu son austérité militaire pour se transformer peu à peu en demeure de plaisance. L’évêque d’Orange, Rostaing de La Baume, se charge du suivi des travaux entrepris entre 1543 et 1556, notamment au niveau de la cour d’honneur, dont les façades empruntent l’ordonnance classique, composée de l’ordre toscan au rez-de-chaussée, ionique au premier étage et corinthien (colonnes) au second étage. C’est à cette époque d’effervescence architecturale que l’on prête la construction du Jeu de Paume, construit, selon la légende locale, « en trois jours » seulement, en 1564.
4De plan barlong (33,76 est-ouest × 10,60 nord-sud × 4,64 m hauteur), ce Jeu de Paume appartient à la catégorie des jeux de courte paume, en raison de l’espace clos délimitant l’aire de jeu. Au cours de l’Ancien Régime, cette activité physique suscite un réel engouement auprès de la noblesse européenne et des milieux urbains et cultivés.
5On accédait au jeu depuis l’est, côté château, en passant une porte plein cintre Renaissance recevant une modénature richement sculptée. Au nord, une autre ouverture dépourvue d’ornements permettait également d’y accéder.
6Passée l’entrée, l’aire de jeu demeure presque inchangée avec ses quatre murs, même si les galeries ont disparu et que le sol a été remanié : le « mur de bricole » au sud construit à l’aide d’un appareil très soigné, le « mur de service » au nord, le « mur de dedans » à l’ouest, et le « mur de grille » à l’est. Chaque mur, hormis le mur sud, est divisé en deux parties distinctes : au premier niveau, correspondant aux galeries couvertes, les bâtisseurs ont mis en œuvre un appareil grossier en molasse directement extrait du substrat environnant et recouvert d’un corps d’enduit. Au-dessus, se développe le même type d’appareil calcaire que celui observé sur le mur sud, provenant sans doute de la carrière toute proche de Saint-Restitut.
7Les investigations menées en mai et juin 2023 avaient pour objectifs de mener une étude complémentaire d’archéologie du bâti au niveau du couronnement des murs, l’ouverture d’un sondage à l’intérieur du Jeu de Paume (est), mener une expérimentation archéologique en vue de restituer la galerie disparue (non réalisée), et enfin réaliser une étude typo-chronologique des galeries présentes dans les Jeux de Paume (France).
8Au terme de ces investigations, plusieurs précisions ont pu être apportées sur les galeries basses. Ces dernières, appuyées sur les murs est, nord et sud, étaient couvertes d’une charpente reposant partiellement sur des corbeaux. Leur largeur hors-tout de 2 m a pu être estimée grâce à la présence d’un négatif d’appentis sur le mur sud, proche de celui présent en Écosse (Falkland) daté de 1539 (restauration). L’ouverture du sondage à l’intérieur de l’ancienne galerie a permis de confirmer son emprise et d’attester la présence de dalles de sol (terre cuite architecturale), déjà apparues en 2015, et dont nous connaissons les procédés de fabrication.
Fig. 1 – Cliché du sondage 1
Cliché : Patrimonae.
9La surface totale des trois galeries peut être estimée à 100 m2, offrant une capacité d’accueil évaluée entre 50 et 100 spectateurs, en fonction de l’espace dévolu à chacun. Nous disposons également à ce jour de l’emprise totale de la galerie est, ainsi que des éléments de poutraison constituant la charpente, grâce aux aménagements présents sous forme de réservations/trous de boulin.
Fig. 2 – Clichés et détails (en bas) des deux niches (4041, 4044) situées au-dessus du mur est (4000) de « grille »
Cliché et DAO : Patrimonae.
10Si l’on ignore l’essence de bois retenu pour la construction des éléments de charpente des galeries, il est fort probable que le bois de la garenne, tel le frêne moyennement dur et lourd, offrant d’excellentes résistances mécaniques à la compression, à la traction et à la flexion, ait été largement utilisé. Au-dessus, un platelage de bois devait faire office de couverture, comme en attestent les clous mis au jour.
11Concernant la présence de galerie en encorbellement, l’examen mené sur le couronnement des murs ne nous a pas permis d’identifier formellement sa présence, malgré existence d’une ligne continue de trous de boulin de plan carré, s’égrenant le long de la partie sommitale. Malgré cette absence de relation entre les réservations et un éventuel platelage de bois, ou galerie ouverte, de nombreux exemples issus de l’architecture urbaine, comme à Chinon (Dufour 2022), nous sont livrés. Ces derniers révèlent l’existence de galeries en encorbellement comme au Jeu de Paume de Chinon, contemporain de celui de Suze (Dufour 2022).
12Dans l’hypothèse inverse qu’aucune galerie en encorbellement ait existé, il apparait évident que la capacité d’accueil de spectateurs aurait été grandement limitée, notamment lors de grandes célébrations, comme la venue de Charles IX et de sa mère, Catherine de Médicis, lors du tour de France (1564-1566), même s’il nous est impossible d’attester que le roi se soit adonné à la pratique du jeu de paume, au regard du peu de temps passé à Suze.
Fig. 3 – Sondage 2 illustrant la présence des traces de havage
1, sondage 2, vue zénithale ; 2, schéma d’aménagement du substrat précédent la construction de la voie principale et du Jeu de Paume ; 3, mode d’extraction ; 4, coupe nord-sud du sondage 2 permettant d’observer le havage.
Cliché et DAO 1, 2 et 4 : Patrimonae ; dessin 3 : Abdul Masshi, Bessac 2009.