1Une fouille a été réalisée du 22 janvier au 22 mars 2019 dans la commune de Lezoux (Puy-de-Dôme), connue pour avoir accueilli dans l’Antiquité de nombreux ateliers de potiers. Les parcelles étudiées (122 et 123 de la section AV) sont situées au nord de la ville dans le quartier Le Rincé. L’opération a mis en évidence, sur une emprise de 2 154 m2, des occupations diachroniques qui s’échelonnent entre le Néolithique moyen et la période contemporaine. Ces découvertes amendent les connaissances de ce quartier, grâce aux interventions préventives qui se sont multipliées ces dernières années (fig. 1).
Fig. 1 – Localisation des découvertes réalisées lors des diagnostics de 2014 à 2021
Échelle : 1/1000.
Topographie : S. Couteau, S. Dohr, P. Neury ; DAO : P. Combes, B. Oury, J. Cayrol, L. Lautier (Inrap).
2La microtopographie locale de ce secteur nord de la commune de Lezoux est marquée par une multitude de paléo-dépressions naturelles, aux formes plus ou moins linéaires, à la surface de cette terrasse alluviale quaternaire (formation des Sables de Lezoux). Ces dépressions ont piégé les sédiments sur de puissantes épaisseurs, notamment au cours de l’Holocène. L’étude sédimentaire de la partie inférieure de l’une d’entre elles, présente dans l’emprise, a révélé une sédimentation en eau stagnante (de type mare), sans apport colluvial latéral dans un premier temps. Elle est comblée, dans un second temps, par des colluvions limono-sableuses, au sein desquelles s’est inséré un pseudo-litage de minces lamines humifères ondulées, séparant des niveaux plus sableux homogènes. Ce phénomène est datable de l’Holocène récent et pourrait avoir une origine anthropique (piétinement), accentuant un phénomène naturel conséquent d’une phase d’ouverture du milieu sur un sol podzolique. Le sommet de cette séquence est affecté par une pédogenèse polygénique. Il est surmonté par un autre niveau colluvionnaire, de teinte plus sombre, marqué par la même pédogenèse datant de l’Holocène moyen, traduisant ainsi une stratigraphie inversée.
3C’est en raison de l’existence de cette dépression dans la zone étudiée que les aménagements préhistoriques et protohistoriques ont été conservés.
4L’occupation néolithique est documentée par quelques structures fossoyées et du mobilier piégé dans les colluvions de la paléo-dépression, associés à de nombreux galets (basalte, quartz, quartz filoniens, arkose) déposés afin de stabiliser et drainer un niveau d’occupation dont l’étude micromorphologique a mis en évidence des marqueurs de piétinement et au moins un fragment de torchis.
5Près de 400 tessons de céramique sont potentiellement attribuables aux occupations néolithiques. Le plus grand nombre est attribuable à la période chasséenne récente : marmite ou jarre à col resserré, marmite à paroi ouverte, coupes, disques en terre cuite estampés pour certains de motifs de vannerie ou de végétaux, fragments de panse courbes munis d’un gros bouton allongé à perforation horizontale légèrement sous-cutanée.
6Un fragment de lame retouchée en silex bédoulien de la vallée du Rhône pourrait dater de la même période. D’autres pièces lithiques sont plus ubiquistes, même si elles renvoient au Néolithique. Deux éléments de mouture en arkose (molette va-et-vient) illustrent également la sphère alimentaire domestique du Néolithique moyen.
7Quelques artefacts témoignent d’occupations dont l’attribution chronoculturelle semble plus récente (Néolithique final), telle une esquille en silex du Turonien du Grand-Pressigny, ou des charbons retrouvés dans une fosse qui indiquent, en datation radiocarbone (Lyon 19099 - GrM), deux pics centrés sur les années 2930 à 2847 av. J.-C. (64 %) et 2811 à 2743 av. J.-C. (23,1 %), soit une phase centrale du Néolithique final. Un charbon intrusif, découvert dans une structure protohistorique, témoigne d’une phase un peu plus évoluée du Néolithique final (2696 à 2475 av. J.-C.) à 83,7 % de probabilité (Lyon 19105 - GrM).
8Enfin, parmi les céramiques recueillies, quelques fragments de vases ouverts ou de vases à paroi subverticale ou fermée pourraient s’inscrire dans le Néolithique final ou le Bronze ancien, voire jusqu’au Bronze moyen, période qui est confirmée par la datation radiocarbone d’un autre charbon intrusif, qui donne un intervalle de 1615 à 1452 av. J.-C. (Lyon 19102 - GrM).
9Cette préservation sélective des vestiges préhistoriques dans les secteurs les plus profondément enfouis du quartier du Rincé est de plus en plus attestée dans le cadre des récentes interventions préventives, soulignant ainsi une occupation dense à la période chasséenne. Ces établissements, dont l’ampleur reste à déterminer (s’agit-il d’un seul et même vaste habitat partiellement conservé ou d’un habitat semi-dispersé composé d’un agrégat de cellules domestiques ?), prennent place dans ce secteur de la Limagne au potentiel agropastoral notable. En effet, il a été exploité par de grands habitats de plaine ou de hauteur, très structurés, de plusieurs centaines d’hectares, reconnus aux Martres-d’Artière (Champ Chalatras), à Vertaizon (Puy de Mur, Les Noyeraies, La Roussille), ou à Pont-du-Château (Champ-Lamet), complétés par un semis d’établissements plus réduits (La Pradelle à Pont-du-Château, Champ-Vignard aux Martres-d’Artière, ainsi que chemins du Chambon et du Moulin à Pont-du-Château).
10La période de l’âge du Fer est principalement documentée près de la bordure orientale de la paléo-dépression par deux enclos fossoyés de forme quadrangulaire (fig. 2), éloignés de 5 m, dont l’un a une longueur de 6,60 m de côté et l’autre, partiellement décapé, présente une dimension plus importante (9,80 m de longueur minimale pour une largeur de 6 m). Des analyses granulométriques réalisées sur les sédiments de ces deux fossés prouvent une mise en eau très rapide de ces derniers et une absence de dégradation de leurs bords sableux. La présence de phosphore dans les comblements s’explique, quant à elle, par une accumulation de végétaux après ruissellement, dans une eau stagnante.
Fig. 2 – Vue en plan et relevé photogrammétrique des enclos fossoyés
Relevé et clichés drone : Inrap ; DAO : M. Heppe (Inrap).
11La répartition chronologique des artefacts par siècle et par demi-siècle, fondée sur les céramiques et les monnaies, souligne une éventuelle fréquentation sporadique à la période augustéenne, laquelle peut fonctionner dans une certaine mesure avec les indices de La Tène finale évoqués précédemment. Dans la première moitié du ier s. apr. J.-C., l’occupation est plus marquée, pour réellement s’amplifier dans la première moitié du siècle suivant et perdurer dans la seconde moitié du iie s. Au iiie s., une déprise toute relative s’observe. C’est essentiellement dans la seconde moitié de ce siècle que le nombre de tessons décroît de manière nette (28 tessons), pour n’être plus qu’anecdotique au ive s. (8 tessons). Bien qu’indicatifs, ces chiffres rendent vraisemblablement compte d’un abandon de l’habitat qui se matérialise au Bas-Empire dans la seconde moitié du iiie s.
12De rares vestiges structurés antiques, prennent la forme de deux fossés orthonormés mais lacunaires, dont l’orientation s’inscrit dans la trame du parcellaire actuel, ainsi que de plusieurs trous de poteau. Ces derniers peuvent matérialiser l’emplacement d’un bâtiment (BAT3, 6,50 × 11 m) en partie centrale de la paléo-dépression, au plus fort de la densité des vestiges, et dans un contexte chronologique au plus tôt des années 110-150 apr. J.-C.
13L’aménagement le plus notable pour la période du Haut-Empire est un dépôt secondaire de crémation (DP1253) installé entre les années 140 à 160-170 apr. J.-C. (fig. 3). Il se singularise par le nombre important de céramiques (48 individus). Ce mobilier, accompagnant l’adulte ou le sub-adulte enterré à cet emplacement, dénote l’aisance du défunt à défaut de son statut ou de son métier. La proportion de vaisselle sigillée est largement prédominante. Elle atteint 89 % en NMI du mobilier primaire déposé lors de la crémation du défunt et correspond ainsi à l’un des taux les plus élevés enregistrés dans les sites funéraires de Grande Limagne. La proximité d’une zone d’atelier de potier a pu avoir une influence dans le choix des vases d’accompagnement. Quelques clous retrouvés dans la fosse pourraient être en lien avec la construction du bûcher ou l’assemblage de meuble. Un clou de chaussure est également à citer. Les prélèvements effectués sur cette structure ont livré un fragment de dent de suidé et 139 miettes de galettes carbonisées placés sur le bûcher. Ce dépôt sépulcral enrichit nos connaissances sur la nature des ensembles funéraires dans ce secteur des ateliers de Ligonnes. Ils prennent la forme d’occupations ponctuelles, peu denses, mais probablement multiples.
Fig. 3 – Relevé et vues en coupe du dépôt funéraire DP1253
Clichés : Inrap ; relevé : Z. Chabouzy ; DAO : E. Belay (Inrap).
14Sur le site, un as de Vespasien ou de Titus (69-813), une imitation radiée de Claude II divinisé (268-270), ainsi que quelques objets métalliques (deux fibules, deux poids de pesée en plomb, une clochette, un rivet employé dans l’ameublement, le vêtement ou le harnachement, et un anneau utilisé dans l’ameublement sur les coffres et les coffrets), apportent des compléments d’information sur la période antique.
15Si le brassage du mobilier céramique sur le site rend impossible son analyse fonctionnelle pour chaque structure, quelques pistes de réflexion peuvent être dégagées concernant la fonction de l’établissement antique. Ainsi, la part des récipients de stockage et/ou de transport reste assez marginale en nombre de restes par rapport aux autres catégories. Les dolia atteignent à peine 1 % du corpus, tandis que les amphores d’importation méditerranéenne et les amphorettes régionales regroupent 4,5 à 5 % de l’assemblage. De tels chiffres apparaissent bien en deçà des valeurs obtenues sur plusieurs sites de Limagne proches de Lezoux, dont la vocation est essentiellement tournée vers des activités agropastorales. A contrario, la catégorie « vaisselle de table » tourne autour des deux tiers du mobilier, tandis que la vaisselle culinaire apparaît en retrait. La sigillée joue naturellement un rôle décisif dans la primauté des récipients de table sur les autres types de contenant. À elle seule, elle réunit 70 % de la vaisselle de présentation et 47,5 % du nombre total d’artefacts (si les calculs intègrent le dépôt funéraire).
16Ces données numériques soulèvent une question majeure : faut-il interpréter ces résultats comme le signe d’une occupation à caractère résolument domestique ou comme la conséquence d’une proximité de la zone fouillée avec des aires artisanales vouées principalement à la production de vaisselle fine ? Il est rarissime que les récipients de table atteignent de tels taux sur les sites consommateurs, qu’ils soient ruraux ou urbains, à l’exception des auberges ou relais. Le fort contingent des sigillées, des vases en terra nigra, des gobelets à paroi fine et des cruches à engobe blanc au sein de la vaisselle laisse plutôt pressentir l’influence des ateliers de potiers, disséminés dans les secteurs voisins de Ligonnes et de La Valeyre.
17Ce secteur correspond donc à une zone d’activités diverses et ponctuelles en marge des principaux ateliers, telle une zone d’exploitation secondaire et périphérique ayant accueilli des fosses d’extraction de sable, des fosses-dépotoirs, quelques structures de traitement de l’argile, voire quelques habitations légères en matériaux périssables, d’éventuels bâtiments techniques. Toutefois, une occupation à caractère domestique reste possible, d’autant plus que des aménagements structurés (bâtiments sur poteaux porteurs, fonds de cabanes semi-enterrés) du Haut-Empire ont été reconnus à une centaine de mètres de là.
18Dans le graphique présentant le classement des céramiques et de monnaies par siècle, l’apogée du phénomène de réoccupation intervient au viie s. et se poursuit, avec une certaine déprise du nombre de tessons, au viiie s., suivie d’une réoccupation ponctuelle au bas Moyen Âge. Toutefois, dans cet ensemble, les faciès de certaines céramiques évoquent des formes du vie s., ce que confirment, d’une part, la courbe du graphique qui dénombre plus d’une centaine de tessons susceptibles d’être contemporains de ce siècle, et d’autre part, les résultats des analyses radiocarbones qui placent les fourchettes entre le ve et le début du viie s.
19Se pose dès lors la question de tessons tardo-antiques résiduels provenant de structures hors emprise, ou bien de la possibilité de deux occupations successives, l’une aux alentours du vie s., la seconde aux viie-viiie s. À l’opposé, une datation trop avancée dans le viiie s. peut être écartée, considérant la discrétion de certains profils. Il est probable que, dans le cadre de ces réoccupations, les populations aient bénéficié de l’existence de vestiges toujours visibles dans le paysage, bien qu’en état de ruine probable. L’héritage d’un terroir partiellement anthropisé a pu intervenir dans leur choix de réoccuper le secteur.
20Pour les céramiques, le répertoire observé sur le site Le Rincé se répartit inégalement en faveur des formes fermées (pots avec ou sans anses en panier, pichets) qui représentent 72 % des bords, contre seulement 25 % de formes ouvertes (coupes, jattes, marmites), la plupart étant dédiées aux fonctions culinaires et à la sphère domestique. Ces objets remplissent des fonctions polyvalentes, avec une homogénéisation des formes qui ne comportent plus désormais qu’un panel restreint de récipients. En l’absence de traces d’usage, la fonction et/ou l’utilisation des récipients restent de l’ordre de la supposition, de même que la distinction entre vaisselle de table et vaisselle de cuisine, vase de cuisson et vase de stockage. Au Rincé, aucun indice d’activité artisanale n’a été relevé sur les céramiques (absence de surcuit, notamment).
21L’occupation alto-médiévale prend la forme d’une multitude de structures fossoyées, dont le contingent se compose de trous de poteau associés à des fosses. Les parcelles localisées au sud de la fouille pourraient avoir accueilli des aménagements identiques et contemporains (Lautier 2014 ; 2017 ; 2021).
22Dans l’emprise de fouille, un premier ensemble, niché au niveau de la bordure orientale, délimite les contours d’un bâtiment. Les autres, répartis sur les deux tiers orientaux des parcelles, paraissent soit organisés en alignements répondant à une trame nord-nord-est – sud-sud-ouest, soit disséminés sans ordre apparent. Certains alignements participent très probablement à la délimitation de bâtiments se développant en dehors de l’emprise investiguée.
23Le seul bâtiment reconnu avec certitude (BAT4) est composé de sept à neuf aménagements en creux qui circonscrivent un espace de 35 à 61 m2. Le caractère léger de l’architecture plaiderait en faveur d’une élévation faite en matériaux périssables et d’une couverture légère. Ce bâtiment ainsi que les autres éléments bâtis soupçonnés paraissent correspondre également à des unités domestiques sur poteaux porteurs. De plus rares éléments de solins peuvent venir en complément. Les matériaux rocheux utilisés dans les calages ou murs de solin se composent majoritairement d’arkose, dont les affleurements se trouvent dans une zone géographique proche de Lezoux, et de l’emploi plus ponctuel de blocs de calcaire, calcaire gréseux, grès, grès bariolé, quartz, quartz filonien, basalte et pouzzolane. Ces deux dernières roches révèlent un approvisionnement plus lointain dans des édifices volcaniques de La Comté ou de la Chaîne des Puys. Pour étayer la thématique sur la construction, citons par ailleurs la découverte de quelques clous qui renseignent la catégorie fonctionnelle du gros-œuvre (charpente) ou de l’huisserie (ouvrants), ainsi que plusieurs clous de menuiserie dont le rôle dans l’ameublement intérieur est plurifonctionnel (meubles, coffre, cloisonnement interne des bâtiments, emploi en renfort des clous de construction dans la charpente et sur les ouvrants…). L’observation de la répartition de ces clous est extrêmement intéressante puisqu’elle révèle des organisations linéaires induites très vraisemblablement par des effets de paroi. Enfin, une couche argileuse jaunâtre pourvue de formes anguleuses pouvant faire penser à un vestige de brique en terre crue a été observée dans une fosse.
24Élément structurant de cet habitat, une structure de cuisson (FR1290, fig. 4) localisée dans le quart nord-ouest de l’emprise est parvenue extrêmement arasée et endommagée par les labours. Sur une longueur de 3 m et une largeur de 0,84 à 1,20 m se déploient, d’une part, la fosse de travail de 1 m de longueur, de forme ovale et en cuvette, et d’autre part, la chambre de chauffe quadrangulaire, au profil évasé et à fond plat. Le mobilier céramique découvert valide plutôt dans sa phase finale une fonction de dépotoir. Les nombreux fragments de terre crue altérée appartiennent à une structure légère. Les fragments de sole (pleine) sont majoritaires. De plus rares éléments correspondent à la paroi de laboratoire du four, sans qu’il soit possible de restituer le plan ou la taille de cette partie. Un fragment offre néanmoins un témoignage de l’armature végétale, faite de branches brutes de diamètre important et calibré, tressées de manière aléatoire pour former un support rudimentaire mais solide aux parois du laboratoire. Les niveaux charbonneux prélevés dans le four restituent une vision complète de l’environnement végétal du site, mais ne permettent pas d’attribuer une fonction au traitement des récoltes. Sur la base de ces éléments, cette structure de cuisson paraît s’inscrire de manière privilégiée dans le cadre d’activités domestiques. C’est vraisemblablement dans ce même cadre domestique que s’insèrent les comblements charbonneux associés, pour certains, à des nodules rubéfiés qui ont été distingués dans plusieurs fosses et interprétés comme des vidanges de structures de combustion.
Fig. 4 – Relevé en plan du four FR1290 à partir de la photogrammétrie
DAO : F. Muller (Inrap).
25L’horizon d’installation, qui accueille les vestiges structurés de la période antique et du haut Moyen Âge, est aménagé par des apports de tessons et de terres cuites architecturales épars ou regroupés, des cailloux, des galets centimétriques, des concentrations charbonneuses, des poches sableuses, ou encore des traces d’argile plus ou moins importantes. Ces apports, qui ne se rencontrent pas tous aux mêmes altitudes, sont interprétés comme autant de lambeaux révélateurs de la circulation, de l’occupation et de l’abandon du site. L’étude micromorphologique de ces sols de terre battue révèle des signes de piétinement notables et un remaniement anthropique des sables. Dans l’un des prélèvements, l’analyse des restes siliceux des plantes témoigne d’une concentration d’enveloppes d’orge, qui s’explique peut-être par un apport et un étalement de résidus de traitement de céréales, pour niveler, assécher et drainer le sol. Des analyses physico-chimiques faites sur ce même horizon indiquent étrangement que ce dernier n’est que moyennement enrichi en phosphore, malgré son caractère nettement humifère. Ce résultat suggère soit que les activités de manipulation de matières organiques sont situées à distance du dépôt, soit qu’en raison de la porosité du sédiment sableux les phosphores ont migré dans les colluvions sous-jacentes qui, alors qu’elles ne semblent que moyennement humifères, enregistrent un taux de phosphore très important.
26Plusieurs artefacts et de plus rares structures révèlent la pratique d’activités artisanales sur le site ou dans son proche voisinage.
27L’hypothèse d’activités métallurgiques se fonde sur la découverte de nombreux déchets paléo-sidérurgiques (parois en terre cuite de structures de combustion, culots de fer correspondant à l’unité de travail de post-réduction comprise entre l’allumage et l’extinction du foyer) retrouvés en position secondaire dans les structures fossoyées ou sur l’horizon d’installation.
28L’emploi de ces scories comme élément de calage dans les trous de poteau souligne une récupération opportuniste locale, facilitée sans doute par la présence de structures de traitement proches dont l’une est connue, sans qu’elle soit vraisemblablement unique. En effet, 70 m au sud de l’emprise, a été diagnostiquée en 2017 (Lautier 2017) une forge, datée du deuxième tiers du iie s. apr. J.-C.
29Outre le travail du fer, deux coulures de formes molles en alliage cuivreux, dont l’une correspond probablement à un fragment de moule à cire perdu, révèlent une possible activité de bronzier. La composition chimique (par spectrométrie de fluorescence des rayons X) des échantillons provenant des colluvions post-médiévales et de l’horizon d’installation des vestiges a démontré la présence de fortes concentrations de plomb, qui pourraient être en lien avec cette activité.
30Plusieurs indices d’activités artisanales liées à la production de céramique sont également attestés. Il s’agit de rares vestiges structurés antiques et/ou médiévaux : une aire de préparation d’argile de 3,20 m2 et une pierre d’arkose présentant, dans sa partie centrale, une cupule de 3 cm de diamètre, qui a pu servir de bloc d’ancrage d’un tour de potier.
31Des éléments spécifiques à la production des céramiques antiques (céramiques ou tuiles surcuites, moules de Drag 37), des éléments d’enfournement (joint ou lut), des supports tronconiques et annulaires (colifichet, parois de four, tubulures), ont été retrouvés en position secondaire et témoignent d’une production centrée sur les phases technologiques no 5 (110-150 apr. J.-C.) et no 7 (150-220 apr. J.-C.).
32Sur un fragment de tegula, une estampille de potier inédite, placée au-dessus d’une marque de tâcheron constituée de trois demi-cercles concentriques, est également à signaler. Difficilement déchiffrable, la lecture la plus probable de cette signature serait SILLVIA FECI(t), même si le cognomen au génitif SILVATICI ne peut être écarté (fig. 5).
Fig. 5 – Fragment de tegula estampillée découverte dans le four FR1290 avec signature de potier inédite
Clichés : A. Wittmann (Inrap).
33Ces quelques aménagements et rejets d’activités artisanales pourraient s’intégrer dans le fonctionnement des ateliers de Ligonnes, exploités à la période augustéenne et tout au long du Haut-Empire, comme l’attestent de nombreuses découvertes réalisées depuis le xviiie s. Tous ces éléments témoins d’une production de céramique proviennent-ils des ateliers antiques fouillés une centaine de mètres au nord ou sont-ils révélateurs, dans l’emprise de la fouille, de structures potières antiques détruites par l’occupation alto-médiévale, mais prouvant ainsi l’extension méridionale de ces ateliers ? La question reste en attente dans l’état de nos connaissances. Il est sans doute plus prudent pour l’heure d’interpréter ce secteur comme une zone en marge des ateliers, matérialisée par une implantation moins dense des structures artisanales.
34Si l’évolution du quartier au haut Moyen Âge et au Moyen Âge classique est marquée par la mise en place de bâtiments d’habitation et d’aménagements agraires, les structures artisanales potières sont toujours attestées. Elles prouvent ainsi que la vocation artisanale de ce secteur limitrophe des ateliers antiques de Ligonnes perdure, même si la trame des structures artisanales est peut-être moins dense et qu’elle paraît se déplacer vers le sud.
35Le spectre archéobotanique s’est révélé riche sur ce site, bien qu’inégal selon les périodes. Cette reconstitution du milieu est par ailleurs amendée grâce aux études de phytolithes et de pollens, réalisées sur certains prélèvements. Les périodes du Néolithique et de l’âge du Fer, ont livré peu de restes, mais ces derniers témoignent d’un paysage marqué par l’anthropisation et des cultures conduites au printemps et à l’été. Hêtre et chêne à feuillage caduc sont identifiés dans les fossés des enclos sépulcraux, au sein desquels ont également été reconnus un phytolithe de type orge et trois phytolithes de type blés. Le dépôt de crémation DP1075 a livré deux graines de chénopode blanc (adventice des cultures de printemps et de l’été) et des charbons de chêne à feuillage caduc issus de gros calibres, utilisés pour le bûcher.
36La période du Haut-Empire n’est renseignée que par le dépôt de crémation DP1253, dont l’assemblage carpologique se compose de mauvaises herbes d’aires sarclées et de jardin, ainsi que d’adventices des cultures de printemps et de l’été, associés à plus d’une centaine de fragments de galettes.
37L’horizon d’installation des vestiges antiques et médiévaux livre également un assemblage archéobotanique regroupant des adventices des cultures et des restes de galettes. Dans l’un de ces restes, un grain de millet commun a été reconnu. À cette céréale de printemps se rajoutent deux caryopses de céréales, ainsi qu’un faible taux de phytolithes de type Triticum (blé) et un taux assez important (9,6 %) de phytolithes glumes de Poaceae de type céréales (Hordeum, orge), d’origine domestique. Une ambiance humide vraisemblablement proche de l’emprise est également à noter avec la présence de phytolithes bulliformes de Poaceae (graminées) et des cypéracées, reconnus dans le niveau de sol.
38C’est essentiellement pour la période alto-médiévale que les données archéobotaniques sont les plus complètes. Elles révèlent une polyculture céréalière importante constituée de blé engrain, d’orge, d’amidonnier/épeautre, de millet commun et de seigle. En légumineuses, seule la vesce a été identifiée tandis qu’un pépin de raisin a été reconnu dans l’une des fosses. Parmi les formations paysagères mises en évidence sur la base de ces résultats, sont attestées les cultures de printemps, d’automne, les prairies, les pelouses, les bords des eaux, ainsi que les friches et décombres.
39L’approvisionnement en bois de construction ou de feu s’est pratiqué dans la chênaie ouverte (chêne et Pomoideae) et dans la hêtraie probablement localisée sur les hauteurs.
40Dans la séquence colluvionnaire post-médiévale, l’étude pollinique confirme le voisinage de milieux ouverts avec un spectre fortement dominé par les plantes herbacées et un cortège de plantes rudérales. Certaines prairies ont été très certainement pâturées, puisqu’un nombre très élevé de champignons coprophiles, se développant dans les fèces des herbivores, indique la présence de bétail dans l’environnement proche du lieu de prélèvement. Les taxons arboréens sont principalement représentés par le pin, l’aulne, le saule et le chêne. Ces espaces boisés se résument très certainement à quelques bosquets résiduels et/ou à des boisements plus importants mais éloignés du site d’étude. La présence de l’aulne et du saule renvoie à l’existence de zones humides dans l’environnement du site.
41Enfin, l’occupation du site aux périodes récentes prend d’une part la forme d’un long fossé parcellaire palissadé, qui traverse longitudinalement l’emprise et, d’autre part, d’une vaste fosse polylobée (11 × 8,25 m), façonnée d’une multitude de creusements de taille et de morphologies variées, interprétée comme une fosse d’extraction de sable. Cette dernière s’inscrit dans un semis de structures fossoyées similaires, quoique plus réduites, qui pourraient souligner, pour ces périodes récentes, la poursuite d’une mise en exploitation du secteur pour ses formations sableuses, exploitation qui peut avoir une origine possiblement antique ou médiévale.