Notes de la rédaction
Organisme porteur de l’opération : Université des Antilles et de la Guyane
Texte intégral
1Le site de Vivé au Lorrain est un des sites de référence pour les groupes saladoïdes anciens dans les Petites Antilles. Situé dans le Nord-Atlantique de la Martinique, il a été l’objet d’opérations de terrain et de publications nombreuses depuis les années 1930. Pour notre part, c’est en 1996 que nous avons repris la fouille de ce gisement. À ce moment, le site de Vivé nous semblait compatible avec le questionnement multiple qui était le nôtre. Nous souhaitions, au-delà de la caractérisation précise des artefacts céramiques et lithiques rattachés au Saladoïde ancien, obtenir des informations concernant l’organisation spatiale ‘et le mode de formation d’un tel gisement. Pour cela, il était nécessaire de touiller une grande surface afin d’obtenir une bonne image de l’organisation spatiale des structures en creux. De plus, il fallait conduire une exploration systématique du gisement afin d’être à même de déterminer s’il correspondait à un seul grand village ou à une série d’occupations plus limitées. Ces deux objectifs, ont été le fil directeur de nos travaux depuis 1996. Les deux campagnes de fouille, que nous avons menées sur le site en 2000, nous ont permis d’achever ces deux opérations.
2Un des principaux intérêts du site de Vivé est l’excellent état de conservation du niveau d’occupation inférieur qui a été protégé par les retombées liées à une éruption de la montagne Pelée datée de la fin du iiie s. apr. J.-C.
3La stratigraphie peut être ainsi résumée (fig. 1). Un premier niveau de 40 cm à 50 cm d’épaisseur correspond à la couche de terre arable, il contient les restes remaniés par les travaux agricoles de la phase d’occupation du site la plus récente. Le deuxième niveau de 30 cm à 40 cm d’épaisseur est un niveau à ponce, il s’agit de la retombée plinienne en place. Le niveau 3, épais de quelques millimètres, est une couche de cendres fines liées à un dépôt de type blast. Ces deux dernières couches correspondent à l’éruption de fin du iiie s. de la montagne Pelée. Le niveau 4 dont l’épaisseur varie entre 30 cm et 70 cm correspond à la couche d’occupation liée à la phase saladoïde ancienne. Elle s’est formée aux dépens de matériaux issus d’une retombée plinienne qui constituent la couche 5. Enfin, la couche 6, formée par des blocs arrondis de roches volcaniques dans une matrice sableuse, correspond vraisemblablement à des alluvions torrentielles.
4Un des objectifs de nos travaux était donc d’étudier le mode de formation de cet immense gisement qui s’étend sur environ 15 ha. Une série de 23 sondages a été réalisée. Une première étude a pris en compte la densité du matériel céramique par mètre carré pour chaque sondage. Elle nous a permis de mettre en évidence l’existence de deux zones de concentration séparées par un secteur relativement vide de vestiges (fig. 2).
5Afin d’appréhender le décalage chronologique ayant pu exister concernant la formation de ces deux concentrations, nous avons analysé la position du matériel au sein de la couche d’occupation. Dans la zone de concentration nord-ouest, les vestiges sont situés dans les tout premiers centimètres du haut de la couche et surtout ils sont, au sommet de cette couche, directement couverts par les retombées cendreuses. A contrario dans le secteur sud-est, il n’y a pas ou peu de vestiges dans les premiers centimètres de la couche, l’occupation avait donc cessé depuis un certain temps au moment de l’éruption. Ce possible décalage chronologique semble être confirmé par les premières datations au radiocarbone que nous avons obtenues. En effet, la date réalisée dans un des sondages du secteur sud-est est environ cent ans plus ancienne que celles obtenues dans le secteur nord-ouest (fig. 3).
6Le site de Vivé serait donc formé par les restes de plusieurs occupations légèrement décalées dans le temps et dans l’espace. Ce point est en accord avec ce que nous savons du nomadisme lié à la pratique de l’agriculture sur brûlis dans la forêt amazonienne. En fait après l’épuisement des terres situées à proximité du village, les Amérindiens semblent préférer déplacer celui-ci plutôt que d’être contraints chaque jour de parcourir un long chemin pour aller au jardin. Cependant les emplacements d’anciens villages restent des lieux attirants qui sont souvent réinvestis après une période de jachère. C’est de ce type de pratique que pourrait témoigner le site de Vivé.
7Dans un second temps, nous avons cherché à appréhender l’organisation interne d’une de ces zones de concentration. Pour cela nous avons entrepris une fouille en aire ouverte au sein de la concentration nord-ouest. Malheureusement, la grande richesse du site ne nous a permis que d’excaver 115 m2 ce qui est bien peu au regard de la superficie totale de la zone de concentration (environ 1 ha). Cependant, certaines informations intéressantes ont déjà pu être obtenues grâce entre autre à l’incroyable état de conservation du sommet de la couche d’occupation. L’éruption de la Montagne Pelée semble être la cause de l’abandon précipité du site. Le matériel est directement recouvert par la fine pluie de cendre qui marque le début du phénomène et plusieurs vases complets ont été découverts dans leur contexte d’utilisation. Cette hypothèse d’un abandon précipité du village lié à l’éruption volcanique est compatible avec les résultats des analyses micromorphologiques. Ces exceptionnelles conditions de conservation nous ont permis d’obtenir une bonne image de l’organisation des activités au sein de la zone fouillée (fig. 4).
8Ainsi, du sud au nord, on note tout d’abord une petite concentration de vestiges, située en limite de fouille. Il est difficile de donner un sens à ce regroupement qui n’a été que très partiellement concerné par la fouille. Ensuite, on observe une zone de faible densité correspondant aux bandes 22 à 18. Elle est bordée au nord par un regroupement de pierres brûlées et de charbons centré sur les carrés C/E-16. Cet ensemble qui ne présente aucune organisation interne semble correspondre aux restes de foyers démantelés. La principale concentration des vestiges de la zone 1 est centrée sur le carré F12 et elle s’étend sur plus de 25 m2. On y retrouve une grande quantité de vestiges de tous types associés à un sédiment très sombre. Cette concentration forme une butte de 70 cm d’épaisseur en son centre. Cet ensemble correspond selon toute vraisemblance à un dépotoir. Les bandes 3 à 6 ont livré les restes de quatre structures de combustion. Plusieurs vases entiers, des marmites ainsi qu’une platine à manioc, étaient situés à proximité de ces foyers. Il faut voir là, les traces d’une one d’activités culinaires. Enfin, légèrement en retrait des foyers, différentes structures en creux pourraient témoigner de l’existence d’une superstructure légère. Cependant, seul l’élargissement de la fouille pourrait permettre d’aller plus avant dans l’interprétation.
9Lors de nos travaux, un peu plus de 20 000 tessons ont été mis au jour. Ils servent de base à l’établissement d’une première typologie descriptive de la céramique associée à la phase saladoïde ancienne. Cette céramique de grande qualité, est caractérisée par une importante variété de formes et un vocabulaire décoratif extrêmement riche associant peinture, incision, gravure et modelage. Plus d’un tiers des tessons porte un décor (fig. 5).
10Un des principaux intérêts de nos travaux a été mise en évidence de la corrélation existante entre formes et décors. Cette réalité permet d’associer l grande majorité des tessons à un type ou une famille de types. Ce point est actuellement exploité dans le cadre d’une étude de la répartition des différents types de vases au sein de la zone de fouille et des différents sondages. Ainsi, quelques associations récurrentes à caractère fonctionnel ont déjà pu être mises en évidence.
11Près de 1 500 artefacts lithiques ont été prélevés dans la zone de fouilles auxquels il faut ajouter le millier de pièces découvertes dans les sondages. Les restes de débitage ont fait l’objet d’une étude typo-technologique.
12Une des caractéristiques des industries en pierre taillée d’âge céramique dans la Caraïbe est l’absence quasi totale d’outillage retouché. L’analyse technologique est donc une voie privilégiée pour la compréhension de ces séries. De façon générale, les méthodes de débitage employées sont d’une grande simplicité et très opportunistes. Elles font alterner la percussion dure lancée en main libre avec la percussion posée sur enclume en vue de l’obtention de deux types de produits : de grands éclats (longueur supérieure à 30 mm) et de petits éclats (longueur et largeur inférieures à 20 mm). Ces petits éclats obtenus en fin de chaîne et systématiquement débités par percussion posée sur enclume sont destinés à la fabrication de grages à manioc.
13Les opérations de terrain à Vivé sont pratiquement achevées, cependant le travail concernant ce site se poursuit. L’ensemble des résultats préliminaires que nous venons de présenter sert actuellement de base à un grand nombre d’études. Ces travaux réalisés par une équipe pluridisciplinaire ont pour objectif la publication rapide d’une monographie.
Table des illustrations
Titre | Fig. 1 – Stratigraphie synthétique |
---|---|
Crédits | DAO : B. Bérard (UAG). |
URL | http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/30759/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 391k |
Titre | Fig. 2 – Plan de densité du mobilier céramique |
Crédits | DAO : B. Bérard (UAG). |
URL | http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/30759/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 367k |
Titre | Fig. 3 – Diagramme des datations 14C |
Crédits | DAO : B. Bérard (UAG). |
URL | http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/30759/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 63k |
Titre | Fig. 4 – Organisation de l’habitat sur la surface fouillée |
Crédits | DAO : B. Bérard (UAG). |
URL | http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/30759/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 260k |
Titre | Fig. 5 – Céramique peinte |
Crédits | DAO : F. Honoré. |
URL | http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/30759/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 740k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Benoît Bérard, « Le Lorrain – Vivé » [notice archéologique], ADLFI. Archéologie de la France - Informations [En ligne], Espace Caraïbes, mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/adlfi/30759
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page