1Le site de la caverne des Lataniers, au cœur du Parc national de La Réunion, à la limite des communes de Saint-Joseph et du Tampon, se trouve sur le massif du Piton de la Fournaise à l’altitude de 2 360 m, à 500 m à l’ouest du rempart des Basaltes (fig. 1). Le site est accessible par le GR 2, depuis un parking situé sur la RF 5 (route du volcan). La caverne est située sur un ensemble volcanique de grande taille, à la limite de coulées et de projections volcaniques et sous un niveau de projections soudées. Construction « naturelle », elle a subi l’érosion, creusée progressivement par les intempéries et la gravité, puis par les différents utilisateurs. Aujourd’hui, elle mesure environ 27 m², pour un volume d’environ 32 m³ (fig. 2).

La caverne des Lataniers : halte et gîte20

3Depuis cette époque, le voyage au volcan par les hauts, même s’il est plus confidentiel que celui par les bas (souvent limité au Grand Brûlé), est tenté par d’aventureux voyageurs qui, jusqu’au début des années 1930, utilisent grottes et cavernes comme lieux d’hébergement. Parmi eux, la caverne des Lataniers est assurément l’un des abris les plus fréquentés. Les nombreuses pierres gravées disséminées sur le site ou insérées dans le mur de fermeture de la caverne, témoignent de la volonté des visiteurs de laisser une trace durable de leur passage. Parmi les noms déjà répertoriés, on trouve ceux de personnages illustres, comme Louis Héry ou Paul Hermann, tous deux auteurs d’ouvrages sur La Réunion, aux xix^e et xx^e s. (fig. 3).

4Après 1930, tandis que les guides et les porteurs poursuivent l’utilisation de la caverne considérée, pour un temps encore, comme leur bivouac de prédilection, celle-ci n’est plus le havre escompté des voyageurs qui lui préfèrent le gîte construit à ses côtés sous l’impulsion du Syndicat d’initiative de La Réunion (fig. 4), dont il reste aujourd’hui des vestiges visibles. L’ouverture d’une route menant au piton de la Fournaise dans les années 1960 a signé la fin de cet itinéraire historique utilisé pendant deux siècles et demi. La caverne constitue aussi, malheureusement, un patrimoine vulnérable et menacé. Elle est toujours accessible et utilisée, comme en témoignent les traces récentes de foyer. Les vestiges du gîte visibles au sol, très ténus, sont fragilisés et à la merci de rudes conditions climatiques. Enfin, les murets de fermeture de la caverne ont été déconstruits et reconstruits pour des raisons inconnues et les pierres gravées ont été déplacées, servant parfois de sièges. Certaines ont peut-être disparu.

5Le potentiel archéologique de la caverne, de même que sa fragilité, ont conduit Jean Perrin, érudit et médecin à Petite-Île, amoureux du volcan et passionné des pierres gravées du site, et Patrick Pégoud, agent ONF, à impulser un projet de recherche, lequel a pris naissance en 2016. Aujourd’hui porté par le service de l’archéologie de la Dac de La Réunion, le projet Cavernes-Volcan est fondé sur un partenariat avec l’Inrap, l’Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise, le Parc national de La Réunion (PNR), l’ONF, l’Université de La Réunion, la Cité du Volcan et d’autres partenaires non institutionnels et bénévoles.

Une mission d’urgence en 2016 et des sondages en 2017

7L’opération a respecté les prescriptions énoncées par le PNR au cœur duquel elle se situe. En amont de l’opération, les équipements, neufs, ont été nettoyés pour éviter tout risque de transport d’espèces exotiques. L’implantation des sondages et des zones de stockage des terres et de tamisage, ainsi que l’emplacement de l’abri de chantier ont fait l’objet d’échanges préalables avec le Parc pour limiter l’impact sur la végétation. Sur site, l’accompagnement d’un agent du PNR, a permis d’affiner ces arrangements, en définissant précisément la localisation des sondages en fonction des espèces végétales présentes. Selon la taille de la végétation rencontrée, il a été procédé soit à un démottage et mise en pépinière, soit à une taille limitée. En plus de minimiser l’impact sur la végétation, les abords de la caverne et l’emprise du bâtiment ont pu être remis dans leur état initial à l’issue de l’opération.

8Préalablement à l’ouverture des sondages dans la caverne, et postérieurement à leur rebouchage, le mur sud de pierres sèches locales la protégeant des intempéries a été démonté et remonté avec soin, sous le contrôle scientifique et technique d’Yves Baret, responsable du service d’appui à l’aménagement et développement durable du PNR.

9Deux sondages de 3 et 2 m² ont été creusés dans la caverne et sous son parvis (fig. 5 et 6). Les niveaux archéologiques, particulièrement bien conservés, reflètent une occupation continue, entre le xix^e et le début du xx^e s. À l’intérieur, il s’agit de nombreux niveaux de charbons de bois, dont les composants reflètent pour partie le paysage. En première analyse, il s’agirait de litières d’assainissement séparées par des niveaux de circulation et des apports de cendres volcaniques, témoins de l’activité moderne de la Fournaise, et de scories, témoins des aménagements des parois de la cavité. À l’extérieur, comblant une importante excavation non interprétable dans le cadre de ces investigations contraintes, des surfaces de circulation ont aussi pu être mises en évidence, dont l’une porte les vestiges d’un premier mur de clôture. Des liens, déterminés par l’altimétrie et/ou les composants, ont pu être faits entre l’intérieur et l’extérieur de la caverne, donnant un premier aperçu de la succession des aménagements.

10Cette expertise archéologique, largement complétée par des analyses (charbons de bois, mobiliers, sédiments volcaniques) offre un premier regard sur la caverne des Lataniers et son environnement proche, soit une occupation et des remaniements fréquents, aperçus grâce à une stratigraphie bien conservée. Cependant, même si du mobilier du xviii^e s. a pu être découvert, la fréquentation du site à cette période n’a pu être ni caractérisée ni précisément localisée dans la stratigraphie.

11L’exploration des vestiges du gîte, bâtiment par ailleurs connu grâce à une photo et quelques témoignages, a apporté des éléments nouveaux. La présence de solides fondations, montées à partir d’une plate-forme aménagée, prouve le soin apporté à cette construction, au confort pourtant critiqué, divisée en deux espaces par un mur de refend maçonné. Ces informations recueillies complètent les données acquises en amont et donnent une image suffisamment précise de ce bâtiment récent dans l’histoire du lieu.

12Concernant le travail sur les pierres gravées, à l’issue de la campagne 2017 et en y incluant celles collectées lors de la campagne d’urgence de 2016, 72 pierres ont été prélevées. Deux autres sont venues compléter ce corpus, après leur découverte, début 2018, par Jean Perrin, portant ainsi le nombre de pierres aujourd’hui répertoriées à 74. Dispersées sur le site, elles ont été trouvées en prospection, jonchant le sol, dans ou devant l’entrée de la caverne, dans les murs de clôture nord et sud, dans une niche à l’intérieur de la caverne et en stratigraphie, dans les sondages 2 et 3. Les roches utilisées pour laisser ces « cartes de visite » sont des basaltes trouvés à proximité de la caverne. Ce sont des morceaux de coulées de lave (entre autres des laves cordées provenant de coulées de type pahoehoe) plus ou moins riches en bulles. Ces roches peuvent présenter une certaine fragilité car la surface est chimiquement altérée en raison de leur âge, compris entre 150 000 ans et 65 000 ans. Certaines de ces pierres gravées ont été utilisées pour la construction des murets de protection et ont été plusieurs fois déplacées. À l’issue de la phase terrain, elles ont été mise en sécurité à la Cité du Volcan, où elles sont aujourd’hui conservées. L’année 2018 a permis de dresser un inventaire complet des pierres, de relever leurs gravures et d’entreprendre leur étude. Leur fragilité, la difficulté de lecture et leurs reliefs irréguliers nécessitent plusieurs types de relevés sans contact : relevés numériques réalisés sur la base de photographies prises avec différents éclairages et numérisation 3D.

13Ce projet, initié en 2017, sera poursuivi en 2019 avec de nouvelles interventions de terrain. Ces opérations apporteront les éléments utiles à la valorisation des données scientifiques en collaboration avec la Cité du Volcan.