1Le trésor monétaire d’Oissel a été trouvé dans le secteur de la gare, à l’occasion de travaux de jardinage. Cette découverte fortuite a été immédiatement signalée au Service régional de l’archéologie. Les monnaies avaient déjà été recueillies et passées à l’eau, lorsque ce dernier s’est rendu sur place. L’ensemble a été retrouvé groupé dans le sol, à faible profondeur ; il n’a pas été possible de déterminer la nature d’un probable contenant. Aucune autre découverte associée, mobilière ou immobilière, n’est à signaler.

2Cette trouvaille a été réalisée dans un contexte archéologique vierge. Aucune découverte n’a en effet été rapportée au cours des deux derniers siècles, dans ce secteur de l’agglomération. Seul, J.-M. Thaurin a signalé, en 1865, la mise au jour de faune préhistorique dans de vastes fosses d’extraction de sable ou de tout-venant, réalisées par la Compagnie des Chemins de Fer de l’Ouest « non loin de la gare actuelle ».

3Il faut se porter plus à l’ouest, pour trouver des traces physiques du passé médiéval d’Oissel. Rue Saint-Wandrille, à peu de distance de l’église dédiée à Saint-Martin, des travaux ont rencontré à plusieurs reprises, entre 1854 et 1971, des sarcophages de pierre. L’existence, à Oissel, d’une résidence des ducs de Normandie, est attestée par les textes ; on en retrouve la trace dans divers documents du xv^e s. Sa localisation est incertaine.

4Dans l’état actuel de nos connaissances, le trésor d’Oissel doit être considéré comme une découverte isolée, qui n’apporte pas d’éclairage particulier sur le passé médiéval de l’agglomération.

D.P.

Étude des monnaies

5Le trésor d’Oissel est datable de la guerre de Cent Ans et consiste en 2 monnaies en or et 941 en argent ainsi que 4 bagues d’argent et un probable contenant. En novembre 2013, l’Atelier Bell assura le nettoyage et la documentation intégrale par photographie du trésor avant sa restitution à l’inventeur. Grâce au soutien de la Fondation Grosserer Emil Schous Fond, les monnaies ont pu être étudiées en février 2014 au Musée National du Danemark d’après les photographies.

6La date d’enfouissement du trésor peut être déterminée avec précision. Les monnaies les plus récentes sont 2 agnels d’or, 2 florettes (pièces valant 20 deniers) et 38 guénars (pièces valant 10 deniers) d’argent conformes à l’émission ordonnée le 10 mai 1417. Les pièces de l’émission ordonnée le 21 octobre de la même année font complètement défaut. Le trésor est donc datable de l’été ou de l’automne 1417. C’était en pleine guerre de Cent Ans. Les Anglais tenaient Harfleur depuis 1415. En juin 1417, ils gagnèrent une bataille navale au large du Chef-de-Caux (Sainte-Adresse). Le 1^er août, Henri V d’Angleterre débarqua à Touques et entreprit la conquête de la Basse-Normandie. Les hostilités ne touchèrent pas la région rouennaise avant l’été de l’année suivante, mais ces événements ont pu provoquer la peur et entraîner la dissimulation du trésor. Cependant, une autre hypothèse s’offre pour expliquer son existence. Comparé à d’autres trésors contemporains, la part des monnaies relativement anciennes y est assez élevée. Pas moins de 64 % des pièces du trésor d’Oissel sont antérieures à octobre 1411, et 5 % ont été fabriquées avant septembre 1389, c’est-à-dire presque 30 ans avant son enfouissement. Les chiffres correspondants pour celui d’Ivry-la-Bataille (Eure), datable de la même époque, sont de 37 et 2 %, et pour le trésor d’origine inconnue conservé au Musée d’Évreux, ils sont de 33 et 3 %. Si ces deux derniers trésors constituent de toute évidence des ponctions sur la circulation monétaire courante, celui d’Oissel doit être le fruit d’une longue thésaurisation. L’absence de petites dénominations, notamment le demi-guénar, mais également les doubles, les deniers et les oboles, confirme cette interprétation. Dans une société dépourvue de banques, les gens gardaient leurs économies chez eux, que cela soit en temps de paix ou en temps de guerre ; c’est vraisemblablement le cas ici. Les raisons pour lesquelles le trésor n’a pas été récupéré et remis en circulation par son propriétaire nous échappent : fuite ? Mort accidentelle, violente ou maladie ? Simple oubli ?

7Le trésor ne comprend aucune monnaie antérieure à 1385. Ceci est conforme aux témoignages des textes et à l’étude d’autres ensembles qui révèlent la disparition des pièces anciennes au cours des quelques années qui ont suivi la réforme monétaire du 11 mars 1385. En revanche, le trésor contient 21 blancs frappés par le duc de Bourgogne dans ses terres d’Empire (la Franche-Comté), imitant le type du guénar du roi de France. Le but était de mettre les imitations en circulation dans le royaume, et l’étude des trésors montre que ce but fut atteint. Ainsi le duc de Bourgogne put se procurer une partie des recettes monétaires, car les monnaies étaient mises en circulation à un cours légèrement supérieur à leur valeur métallique, assurant un profit à l’émetteur. La présence d’un blanc frappé au nom du duc de Bretagne à Rennes n’est pas non plus inhabituelle.

8La période d’insécurité – la folie du roi, la guerre civile entre Bourguignons et Armagnacs, les invasions anglaises – pendant les années 1410, a provoqué une vague d’enfouissements de trésors. Nous connaissons plus de 100 trésors en France, dont une bonne trentaine suffisamment documentés pour connaître la répartition entre émissions et ateliers de frappe. En effet, des marques secrètes sous forme de points, annelets et autres permettaient aux officiers du roi d’en déterminer la date et le lieu de frappe. Ces marques nous sont connues par les documents internes de l’administration monétaire royale. Une bonne vingtaine d’ateliers étaient actifs dans le royaume.

9Habituellement dans les trésors, les produits des ateliers proches dominent largement parmi les monnaies les plus récentes. Ainsi, sur les 42 monnaies dans le trésor d’Oissel datables de l’émission du 10 mai 1417, 34 sont rouennaises. En revanche, les monnaies anciennes ont eu le temps de se mélanger dans la circulation. La comparaison entre les trésors révèle une répartition entre ateliers à peu près identique pour les guénars émis entre 1385 et 1411, indépendamment du lieu d’enfouissement. On est donc en droit de croire que cette répartition reflète approximativement la part relative tenue par chaque atelier dans la production monétaire nationale. On constate que l’atelier de Tournai compte pour un tiers de la production, ce qui s’explique par sa proximité de la Flandre qui était un centre du commerce des métaux précieux. De même, les ateliers bourguignons et dauphinois profitent de leur situation limitrophe de l’Empire et de l’Italie. Au contraire, des villes par ailleurs importantes comme Toulouse, Montpellier, Angers et Poitiers n’assurent qu’une production monétaire limitée.

10Il y a beaucoup de lacunes dans les comptes concernant les chiffres de frappes et les trésors peuvent nous aider à compléter les documents. Nous disposons de séries complètes de documents pour cinq ateliers seulement (Crémieu, Romans, Mirabel/Embrun, Troyes et Saint-Lô). En partant de leur production et en multipliant au prorata, nous arrivons à une estimation de la fabrication globale. Ce travail est en cours au Musée National du Danemark, grâce à une dotation du ministère de la Culture/Loto Sportif danois. Avec ses 536 guénars de l’émission du 11 septembre 1389, le trésor d’Oissel constitue un apport considérable au corpus de 4 309 pièces qui forme la base de l’étude.

11Le résultat n’est pas encore définitif, mais il est clair que la fabrication est au moins 5 fois plus élevée que les chiffres documentés par les sources écrites, chiffres qui ont formé la base de l’hypothèse, formulée il y a une génération par John Day et Harry Miskimin entre autres, d’une grave pénurie d’argent en Europe au bas Moyen Âge. Cette hypothèse avait été contestée par Nathan Sussman et David Sorenson, et le présent travail leur donne raison.

J. C. M.

Tabl. I – Répartition chronologique des 919 guénars, florettes et grossi du trésor

Numéro	Date	Nb	%
3-49	1385 mars	47	5
50-585	1389 sept.	536	58
586	1405 avril	1	>1
587-880	1411 oct.	294	32
919	1413 nov.	1	>1
881-918, 920-921	1417 mai	40	4
		919	100

Tabl. II – Répartition sur types, émissions et ateliers des 943 monnaies du trésor

Numéro	Type	Date	Atelier	Nb
1-2	Agnel d’or	1417 mai	Tournai	2
3-49	Guénar	1385 mars	–	47
50		1389 sept.	?	1
51-119			Paris	69
120-151			Crémieu	32
152-192			Romans	41
193-194			Mirabel	2
195-200			Montpellier	6
201-210			Toulouse	10
211-219			Tours	9
220-233			Angers	14
234-239			Poitiers	6
240-249			La Rochelle	10
250-252			Limoges	3
253-260			Saint-Pourçain	8
261-274			Mâcon	14
275-288			Dijon	14
289-296			Troyes	8
297-315			Rouen	19
316-548			Tournai	233
549-562			Saint-Quentin	14
563-568			Saint-Lô	6
569-575			Saint-André	7
576-585			Sainte-Menehould	10
586		1405 avril	Tournai	1
587-633		1411 oct.	Paris	47
634-644			Crémieu	11
645-647			Romans	3
648-651			Embrun	4
652-658			Tours	7
659-661			Angers	3
662-663			Poitiers	2
664-671			Saint-Pourçain	8
672-677			Mâcon	6
678			Dijon	1
679-714			Rouen	36
715-842			Tournai	128
843-864			Saint-Quentin	22
865-869			Saint-Lô	5
870-871			Saint-André	2
872-880			Sainte-Menehould	9
881-883		1417 mai	Paris	3
884-915			Rouen	32
916			Tournai	1
917			Saint-Lô	1
918			Lyon	1
919	Grossus	1413 nov.	–	1
920-921	Florette	1417 mai	Rouen	2
922	Bourgogne, blanc	1403 août		1
923-927		1404 avril		5
928		1411 fin		1
929-932		1412 mars		4
933-42		1417 avril		10
943	Bretagne, blanc	–	–	1

Étude des bagues

12Quatre bagues ont été découvertes en association avec le trésor précédemment décrit. Les dimensions des anneaux sont homogènes et correspondent à une taille de bague d’homme (environ 20 mm de diamètre interne). Elles sont en argent.

13L’étude a été réalisée en collaboration avec Gilles Laisné, artisan bijoutier à Portbail (50).

Bague numéro 1

14Elle est constituée de trois brins en fil rond, torsadés ensemble et soudés à leur extrémité. L’aspect torsadé a été repris à la lime sur la soudure. Les fils font 1,1 mm de diamètre chacun, ce qui donne une torsade de 2,5 mm de diamètre. Elle pèse 3,05 g. Les fils semblent tirés à la filière.

Bague numéro 2

15Elle est constituée d’une bande moulée à plat, fermée par enroulement et soudure. Elle est large de 4,2 mm et épaisse de 1 mm et pèse 1,95 g. Le décor est constitué de segments hexagonaux, alternativement damier et groupe de lettres. Le départ est indiqué par un double quadrilobe. Les segments ont été soulignés sur la tranche par une incision en V, faite à la lime, dont on voit les traces. Les segments portant des lettres sont bordés de pointillés, mais pas les damiers : on y lit la succession suivante : CE-ST-TO-UT. L’expérimentation réalisée par Gilles Laisné a montré la faisabilité d’une réalisation par moulage à l’os de seiche, dont des traces sont visibles à l’intérieur de l’anneau. Le modèle est une bande plate, portant le décor et sans les incisions en V.

Bagues numéro 3 et 4

16Elles sont similaires et la bague 4 est dorée. Elles sont constituées d’un anneau surmonté d’un caisson portant une pierre sertie clos. L’anneau est de section ronde, de diamètre 2,2 mm (3) et 1,6 mm (4). Les granules font 2 mm (3) et 1,4 mm (4) de diamètre. Elles pèsent 6,44 g (3) et 3,75 g (4). La pierre sertie est un cristal (de roche?) doublet.

17La bague est réalisée en plusieurs morceaux assemblés. Une première bande est formée autour de la pierre pour en épouser les contours. Cette bande est ligaturée et soudée une fois séparée de la pierre. Le cône est formé dans un plané découpé en croix pattée, de dimension supérieure à celui fini. Les pattes sont pliées et la bande déjà prête est appliquée dans l’intérieur du cône, où elle vient se plaquer. L’ensemble est maintenu par ligature et des paillons de soudure sont disposés à l’intérieur avant chauffage.

18L’anneau est enroulé et ses extrémités sont forgées pour les aplanir. Des trous sont forés dans la partie conique du caisson et l’anneau vient s’y encastrer avant d’être soudé.

19Les granules sont formées par fusion d’un paillon de métal. Elles sont disposées sur l’anneau avec un paillon de soudure après avoir probablement été soudées ensemble. Le chauffage ponctuel au chalumeau à bouche permet de fusionner les diverses parties. La pierre est sertie sur un fond de ciment de bijoutier, afin de rigidifier les parois du caisson.

Intervention de restauration

20Le très bon état de conservation n’a nécessité qu’une intervention à visée esthétique : nettoyage des produits de corrosion du cuivre par bain d’acide formique dilué à 5 %, avant neutralisation au bicarbonate de soude, rinçage et séchage à l’éthanol, et élimination des sulfures noirs par abrasion fine avec du tripoli appliqué avec un coton. Deux cassures ont été recollées à l’époxy (Araldite AW106 + HV953U).

B. B.