Paloumbas D. 2013 : Turenne (Corrèze), Chapelle des Capucins, Moyen-Âge et Époque Moderne, rapport de sondage, Limoges, SRA Limousin, 2 vol. (154 p. et 237 fig.).
Turenne – Tour de Mauriolles, chapelle des Capucins
Notes de la rédaction
Organisme porteur de l’opération : Hadès
Texte intégral
1Cette opération d’étude archéologique a été réalisée dans le cadre d’un projet de restauration et d’aménagement d’un vaste ensemble architectural situé dans la ville « haute » de Turenne, comprenant une tour de flanquement, dite « de Mauriolles », un logis médiéval dont ne subsiste que l’étage de soubassement voûté, et l’emblématique chapelle des Capucins, qui repose, pour partie, sur le bâtiment médiéval. La commune envisage de faire construire un belvédère sur l’arase restante de la tour de Mauriolles, et prévoit, en parallèle, de réaménager l’espace de circulation à l’est de la chapelle, sur la place. Le SRA a donc prescrit une étude préalable de ces bâtiments et de leurs abords. Ces travaux associent une enquête documentaire, des sondages et une analyse archéologique des élévations.
2L’étude historique, archéologique et monumentale de la tour de Mauriolles et de la chapelle des Capucins a abouti à la mise en évidence de six phases d’occupation principales, réparties en plusieurs séquences plus ou moins bien cernées du point de vue des chronologies relatives. La dispersion temporelle des événements s’étale entre le xiiie s. et le xxe s.
3Les sources écrites font émerger une première séquence d’occupation bâtie à proximité de la porte de Mauriolles, en 1265. Les sondages ont révélé plusieurs structures pouvant se rattacher à cette séquence : une salle voûtée en berceau en anse de panier, dernier vestige d’un bâtiment médiéval de plus grande ampleur ; deux murs layés, construits dans une maçonnerie en pierres de taille de calcaire ; trois remblais noirs contenant du mobilier médiéval.
4La date d’édification du logis sous-jacent à la chapelle des Capucins est incertaine. L’étude de ses maçonneries permet d’envisager une datation relativement haute, en lien avec d’autres logis de Turenne construits selon le même type de mise en œuvre. Celle-ci associe des moellons et des blocs de calcaire oolithique soigneusement dressés, dans une maçonnerie régulière liée par un mortier de terre. La mise au jour d’au moins deux ressauts de fondation laisse entrevoir un bâtiment puissant, a priori non épaulé, ouvert sur la rue par une fente de jour évasée vers l’intérieur, et couverte par une arrière-voussure en plein-cintre réalisée dans un appareil de pierres de taille de calcaire. Nous avons par ailleurs émis l’hypothèse que l’étage de soubassement de ce logis communiquait avec le rez-de-chaussée surélevé par l’intermédiaire d’un escalier en vis. En cela, l’étude de ce bâtiment se rapprocherait de celle conduite en 2010 sur le logis à contreforts de la parcelle 1379 : les deux chantiers mettent en évidence un module de maison noble (?) à vis, distinct du modèle des tours-résidences. Compte-tenu de l’insuffisance des sources, tant écrites qu’archéologiques, la présence des escaliers en vis reste cependant hypothétique dans les deux cas. Il pourrait être intéressant de vérifier ces hypothèses par l’ouverture d’autres sondages, contre le mur gouttereau ouest de la chapelle par exemple. L’identification des commanditaires apporterait également des informations complémentaires sur le statut de ces logis. Enfin, il faut concéder que ni le plan du bâtiment ni son élévation n’ont pu être restitués au terme de cette étude. En particulier, la desserte au nord-est de la salle voûtée est une énigme : accédait-on à un niveau de sol extérieur ? À un logis accolé ? À une place ?
5D’après la typologie de ses maçonneries, la tour de Mauriolles semble avoir été construite avant le xve s. : c’est ce que suggère l’utilisation de la pierre de taille de grès rouge. Les murs layés découverts dans le sondage 2 sont susceptibles d’être associés au chantier primitif de la tour, avec laquelle ils semblent se raccorder. Les éléments d’architecture mis au jour sont toutefois insuffisants pour l’affirmer.
6Le rôle joué par le logis médiéval et la tour de Mauriolles dans l’organisation défensive de la ville reste assez mal cerné, dans la mesure où les vestiges conservés peuvent difficilement être rattachés à un type d’architecture militaire. L’implantation d’un dispositif de défense au niveau de la porte de Mauriolles semble pouvoir être remise en question à l’issue de cette opération archéologique.
7La tour de Mauriolles a manifestement été détruite, à une période indéterminée, que l’on situe après la mise en place de l’escalier en vis, lui aussi détruit (fig. 1). Dans l’hypothèse où l’escalier aurait été logé a posteriori, le dérasement de la tour serait intervenu après les années 1500. La concordance entre les différents éléments associés à cet escalier (le noyau, le mur de cage, la porte en plein-cintre, la baie ouest) et le parement extérieur de la tour suggère, toutefois, que l’escalier a été construit en même temps que la tour. La destruction de cette dernière reste donc imprécise en l’état actuel des connaissances. Il apparaît que le bâtiment qui a servi de support à la chapelle a également subi une importante destruction, qui s’apparenterait à un dérasement complet de ses niveaux supérieurs. On ignore à quelle date eurent lieu ces modifications ; le témoin ad quem le plus fiable reste la construction de la chapelle des Capucins.
8L’étude documentaire n’a pas permis de mettre en évidence un fait historique pouvant expliquer les destructions intervenues à proximité de la porte de Mauriolles. La mise en défense de la ville de Turenne au xvie s. s’est matérialisée par la construction d’un front défensif qui ne paraît pas s’être substitué à l’enceinte médiévale. Cette lecture morphologique n’est qu’une hypothèse de travail toutefois ; il se peut, en effet, que les travaux d’urbanisme de la fin du xvie s. aient prévus le dérasement des bâtiments médiévaux qui étaient situés sur le tracé de la première enceinte médiévale.
9La construction du mur-gouttereau est de la chapelle, bâti sur au moins trois ressauts de fondation sur toute sa longueur, constitue le fait majeur de la deuxième phase d’occupation principale (phase 4). À l’appui des textes, nous avons daté cette séquence des années 1668-1680. D’après les sources écrites, ce chantier aurait été commandité par le vicomte Frédéric-Maurice. La construction de la chapelle semble avoir été précédée d’un nivellement général de la place principale, comme l’attestent les remblais composés de blocs marneux massifs retrouvés dans les sondages 1 et 2. La mise en place de la maçonnerie de comblement semble devoir être associée à cette séquence intermédiaire, qui date peut-être de la fin du Moyen Âge et que semblent dévoiler plusieurs témoins archéologiques a priori mineurs (phase 3).
10Les pavages et les aménagements qui leur sont liés, au sud, constituent le fait majeur de la phase 5. Ces constructions ne peuvent toutefois pas être attribuées à une période précise. Leur positionnement en stratigraphie les situerait juste après l’édification de la chapelle des Capucins, c’est-à-dire à la fin du xviie s. Les liens stratigraphiques ont montré que la section pavée s’appuyait contre le mur-gouttereau est de la chapelle. Néanmoins, nous ne pouvons exclure l’hypothèse que ces pavages correspondent à une chaussée réalisée en même temps que la chapelle. À cette séquence pourrait également être associé l’empierrement indéterminé et, peut-être, le creusement de la galerie dans la salle voûtée médiévale.
11Les différents artefacts recueillis dans les trois sondages ont révélé une occupation du secteur relativement peu importante durant l’époque moderne. Ce hiatus chronologique s’explique peut-être par la présence des moines et par l’arrêt des constructions particulières sur la place entre les années 1680 et la Révolution.
12À la suite des événements révolutionnaires, les bâtiments conventuels sont saisis comme biens nationaux, puis vendus définitivement, par lots, à partir de 1791. Cette vente fut suivie d’une importante phase d’abandon, avant le rachat de la chapelle par la municipalité de Turenne, au cours du xxe s. La stratigraphie générale se trouve ainsi scellée par des remblais et des niveaux de sol contemporains.
13En définitive, l’étude archéologique de la tour de Mauriolles et de la chapelle des Capucins a révélé plusieurs informations susceptibles de faire progresser les connaissances sur la stratigraphie de la chapelle et de ses abords (fig. 2). Ils ont mis en exergue l’absence de structures d’occupation sur le secteur de la place situé entre les deux contreforts médians. Cette donnée reflète probablement le fait que ce secteur a été systématiquement curé, pour des raisons qui restent ignorées (faible enfouissement du substrat ?). Les deux excavations ont également permis la mise au jour de plusieurs maçonneries médiévales, manifestement liées à la tour de Mauriolles. Enfin, ces sondages ont mis en évidence l’irrégularité du substrat calcaire, sur lequel semble reposer la chapelle et contre lequel semblent s’adosser la tour de Mauriolles et le logis préexistant à la chapelle. Malgré l’ampleur de ces résultats, l’étude mériterait d’être poursuivie.
Fig. 2 – Mur-pignon sud

Relevé et DAO : M. Arbelet, D Paloumbas (Hadès) ; fonds de plan : Amis de Turenne.
14Il serait souhaitable, à l’avenir, que les futures interventions sur Turenne prévoient l’étude pétrographique des mortiers anciens mis au jour, afin de déterminer avec plus de précision la chronologie des constructions. En effet, en dépit d’une identification plutôt bonne des unités stratigraphiques, la datation des vestiges et surtout l’établissement d’un phasage cohérent ont été rendus difficiles. Cet état de fait est imputable à la faible emprise des sondages et, manifestement, à l’arasement ou au déplacement des strates médiévales. Il semble en effet que la phase d’occupation médiévale, que suggèrent les sources écrites et le mobilier contenu dans les principaux niveaux organiques, ait été entièrement dénaturée. Nous n’avons reconnu aucune surface de circulation. D’une manière générale, le faible enfouissement du substrat explique probablement que la stratigraphie de cette zone se résume, dans le sondage 1, par exemple, à une accumulation de remblais de démolition, d’un remblai quasi-géologique et d’un remblai d’occupation déplacé.
15Par ailleurs, plusieurs questions sont restées sans réponses au terme de cette étude. Globalement, le niveau de connaissance des techniques de fondation est faible. Ainsi, doit-on considérer que les remblais masquent systématiquement les tranchées de fondation et leur comblement, ou que les constructeurs ont bâti directement sur le rocher ? Par ailleurs, la reconnaissance du rez-de-chaussée du logis antérieur à la chapelle et son lien avec la salle voûtée restent à étayer avec d’autres arguments ; l’étude sommaire du parement intérieur du mur-pignon sud de la chapelle n’est pas significative à ce propos, dans la mesure où la plus ancienne maçonnerie, à laquelle est associée la grande baie à évasement interne, semble se prolonger, vers l’est, au-delà de l’emprise supposée du logis « primitif ». Quant aux percements qui constellent les parements extérieurs, ils restent imprécis sur le plan des fonctionnalités. Enfin, on reste dubitatif sur la fonction initiale et sur la datation de la galerie creusée dans le substrat : le fait que son creusement recoupe le niveau de sol a priori médiéval de la salle voûtée, et qu’il perturbe l’accès à l’emmarchement, en ferait un aménagement plutôt tardif, en tous les cas postérieur au Moyen Âge. Toutes ces données devront être prises en considération dans les futurs projets de terrassements. Nous insisterons sur le potentiel archéologique du secteur ouvert par le sondage 2, et sur l’intérêt majeur que représentent les deux murs layés pour l’étude des constructions médiévales. Compte tenu de l’exposition permanente à l’air extérieur de la baie à évasement interne, l’étude et la sauvegarde des enduits qui lui sont associés s’avèrent aussi primordiales. À un degré moindre, les pavages sont également intéressants, dans la perspective de mieux comprendre les modalités de la circulation à l’est de la chapelle, durant l’Époque moderne.
Table des illustrations
![]() |
|
---|---|
Titre | Fig. 1 – Escalier en vis de la tour de Mauriolles |
Crédits | Cliché : D. Paloumbas (Hadès). |
URL | http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/80308/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 200k |
![]() |
|
Titre | Fig. 2 – Mur-pignon sud |
Crédits | Relevé et DAO : M. Arbelet, D Paloumbas (Hadès) ; fonds de plan : Amis de Turenne. |
URL | http://journals.openedition.org/adlfi/docannexe/image/80308/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 98k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Dimitri Paloumbas-Odile, « Turenne – Tour de Mauriolles, chapelle des Capucins » [notice archéologique], ADLFI. Archéologie de la France - Informations [En ligne], Nouvelle-Aquitaine, mis en ligne le 16 juin 2021, consulté le 27 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/adlfi/80308
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page