1Nous rappellerons seulement que ce PCR est le fruit d’un resserrement thématique autour de l’importance de la fonction combustible des forêts dans la mise en place des pratiques territoriales. D’une manière générale, avant la découverte et la généralisation des ressources énergétiques d’origines fossiles, le bois assurait jusqu’au milieu du xix^e s. la fourniture combustible des ménages, de l’artisanat et de l’industrie. On peut donc penser, et c’est là le postulat de ce programme de recherche, qu’au moins depuis l’antiquité la forêt en tant que ressource de combustible a tenu une place de première importance pour les sociétés, en permettant le chauffage des individus, la cuisson de leurs aliments, leur fumage et leur séchage, la production de terres cuites pour les poteries, briques et tuiles, la fonte des métaux et du verre, la transformation du calcaire en chaux, l’extraction des goudrons, la concentration du sel par évaporation des saumures, etc. Qu’inversement ces activités ont fait évoluer les ressources en combustibles et que se sont nouées au fil des siècles des relations de dépendances entres les territoires « sources » de combustibles et les territoires « puys » de consommation de la ressource. Il s’agit donc de faire ressortir ces processus de co-évolutions des différents territoires, chacun sous l’influence de facteurs sociaux, économiques et environnementaux, qui vont dessiner et faire évoluer les pratiques territoriales et leurs paysages.

2Les contributions de ce rapport s’intéressent particulièrement à deux secteurs importants de la consommation combustible de bois :

• l’activité métallurgique directe et indirecte qui consommait essentiellement du charbon de bois ;
• la consommation des pôles urbains, qu’elle concerne les besoins domestiques, artisanaux ou industriels, sous la forme de bûches, fagots ou charbon de bois.

3Pour faciliter la lisibilité de l’avancée des recherches, deux ateliers sont consacrés aux travaux relevant d’une part de l’étude des archives documentaires, scripturales ou iconographiques et d’autre part des travaux menés sur la base des archives archéologiques et archéoenvironnementales.

Atelier 1 : Histoire des forêts combustibles

4L’atelier 1 est composé de trois articles qui concernent essentiellement la consommation et l’approvisionnement en bois de la ville de Limoges entre les xvii^e et xix^e s. Pour cela deux sources documentaires originales sont mises à contribution : un important corpus d’actes notariés et les bordereaux de flottage des bois du Port du Naveix.

5La qualité et la précision de ces archives permettent d’apprécier dans la diachronie et dans l’espace l’aire d’approvisionnement en bois de la ville de Limoges. Le premier panorama présenté ici laisse envisager à terme une cartographie relativement fine des forêts qui fournissaient du bois à la ville de Limoges depuis la fin du xvii^e au début du xix^e s.

6Ces résultats bruts permettent d’entrevoir déjà assez précisément les volumes de bois en jeux et donc les surfaces nécessaires. Quelques communes et forêts reviennent fréquemment dans l’approvisionnement de Limoges et l’on comprend l’importance du flottage sur la Vienne et le Taurion pour faire venir des bois depuis la Montagne limousine et le département de la Creuse. Enfin, l’article extrait de la Statistique générale de la Haute-Vienne de 1808 marque combien l’usage combustible dominait en quantité les autres usages du bois.

L’approvisionnement en bois de Limoges et ses usages sous l’Ancien Régime

Jean-Pierre Delhoume

7Le dépouillement réalisé jusqu’à présent d’un grand nombre d’actes notariés a permis d’étudier en détail les divers modes d’approvisionnement en bois de Limoges durant l’Ancien Régime, les utilisateurs de cette ressource, son commerce et les divers usages qui en sont faits. Ce sont ces différents aspects qui sont présentés dans cet article.

8Avant de parvenir à Limoges, le bois est coupé et façonné dans des dimensions bien précises. Il est ensuite acheminé de deux manières, par voie terrestre ou par flottage sur la Vienne et ses affluents. Jusqu’à la fin du xix^e s., le flottage va constituer un important mode d’approvisionnement de Limoges et le port du Naveix va être le lieu d’arrivée et de stockage du bois flotté sur la Vienne, le Taurion et leurs affluents. Sous l’Ancien régime, le Naveix dépend de la Cité de Limoges, la ville épiscopale dont l’évêque est le seigneur. C’est à ce titre que ce dernier perçoit des droits de péage et de « plaçage » sur tout le bois qui arrive au Naveix.

9Le flottage du bois vers Limoges s’effectue par l’intermédiaire de marchands spécialisés dans cette activité. Ils conviennent avec le vendeur des conditions de l’acheminement jusqu’au port du Naveix du bois acheté. Chaque transaction de ce type fait l’objet d’un contrat passé par-devant un notaire dans lequel sont précisées les clauses de l’opération et les obligations du vendeur et de l’acheteur. Environ 150 de ces actes relatifs au commerce du bois ont été repérés jusqu’à présent et constituent le principal support documentaire. Mais la ville de Limoges n’était pas uniquement approvisionnée en bois par flottage, elle l’était aussi par voie terrestre, le bois y étant conduit par des charrettes à bœufs. Plusieurs autres contrats de ventes de bois provenant de paroisses situées au nord, à l’ouest et au sud-ouest de Limoges attestent de ce commerce.

10Outre son usage domestique – cuisine, chauffage – il existait aussi une demande importante en bois de la part de diverses professions ou activités. L’usage proto-industriel du bois à Limoges concerne quelques fours à porcelaine qui n’apparaissent qu’à la fin du xviii^e s. Les besoins pour cette industrie naissante restent donc très limités jusqu’au début du siècle suivant. Ce sont surtout divers métiers artisanaux qui nécessitent des quantités notables de bois. Au premier rang on peut placer les boulangers qui demandent un approvisionnement continu et régulier tout au long de l’année, ainsi que les teinturiers.

11L’étude de ce corpus permet de mettre en évidence les divers modes d’acheminement du bois à Limoges et les usages de celui-ci, essentiellement pour les trois dernières décennies du xvii^e s.

Forêts et usages du bois en Haute-Vienne : un bilan en 1808

12Jean-Pierre Delhoume

13La première des enquêtes socio-économiques du xix^e s. concernant la Haute-Vienne date de 1808. Les résultats de cette enquête ont été publiés à cette date sous le nom du préfet, d’où l’appellation de cette statistique dite de Texier-Olivier. En réalité, elle a été rédigée par Elie Lefebvre et par Rougier-Chatenet. Si ce travail n’a pas la rigueur des statistiques qui suivront, en particulier celles qui paraissent à partir du milieu du même siècle, il contient de nombreux renseignements relatifs aux forêts, au bois et à ses usages. Sont présentés dans cet article des extraits de ce document qui paraissent les plus significatifs et « informatifs » en ce qui concerne ces thèmes. Les auteurs décrivent d’abord l’état des boisements du département. Ils quantifient ensuite les diverses productions annuelles de bois puis ils examinent de quelle manière et par qui ce bois est utilisé.

14Le constat de l’état des forêts que dresse la Statistique est pessimiste mais sans doute réaliste. Bien que dressé il y a un peu plus de deux siècles, ce constat est « très contemporain » car on y trouve des préoccupations de gestion durable et de conservation :

« En jetant les yeux sur l’état des forêts, on ne peut se défendre d’un sentiment d’effroi pour l’avenir ; la génération actuelle a dévoré les ressources des générations futures ; presque tous les bois sont dégénérés ou détruits. On ne trouve nulle part ces antiques forêts [...] qui firent regarder le Limousin comme un des pays les mieux boisés de France. Le désordre commença longtemps avant la révolution. Le système mal conçu des défrichements fut la première cause de destruction ; il n’existait déjà plus en 1789 de bois de haute futaie, ni de forêts proprement dites »…

15C’est la consommation domestique qui, sous ses diverses formes, est la plus gourmande en bois avec 788 046 stères de bois utilisé sous toutes ses formes : bûches, fagots et émondes. Loin derrière arrive le bois de construction avec 67 292 stères, le bois d’ouvrage avec 67 300 stères et les besoins de l’industrie avec 65 224 stères. Les autres utilisations du bois sont moins importantes : 14 400 stères pour le bois de merrain, 7 883 stères pour la saboterie, 16 600 stères de bois fendu et 740 stères pour la marine. Soit un total de 1 027 485 stères de bois utilisés chaque année, dont les trois quarts sont consommés pour le seul usage domestique. Bien que ces valeurs doivent être manipulées avec précaution car elles sont données par défaut, elles donnent à réfléchir et méritent d’être comparées à la récolte annuelle actuelle qui pour le département est en moyenne de 600 000 m³ (chiffres du SCEES, 2005 ; ministère de l’Agriculture).

L’approvisionnement en bois de Limoges au xix^e s. : le port du Naveix, premiers résultats et éléments de recherche

Pascal Plas

16Au début du xix^e s., le port du Naveix est encore en pleine activité ; celle-ci toutefois reste difficilement quantifiable dans la mesure où l’on ne dispose plus aujourd’hui que de documents d’archive épars. Une source toutefois mérite attention même si elle présente des limites, ce sont les bordereaux d’enregistrement de flottage. Ceux-ci sont relativement bien tenus à partir de l’année 1802 (premier bordereau le 26 mars 1792 mais série perdue de cette date à 1801 compris) même s’il y a des lacunes. Elles constituent une source essentielle dans la mesure où elles fournissent en quelques lignes une multitude de renseignements ; on y trouve une date, précise, le nom du commanditaire, les ruisseaux et rivières qui sont concernés par un flottage, les communes de provenance du bois ainsi que les quantités estimées par convoi.

17Si l’on tente une approche quantitative par décennie, il est clair que le phénomène d’approvisionnement en bois à brûler de la ville de Limoges par le port du Naveix ne cesse de prendre de l’importance et ce dans des proportions considérables. De 1802 à 1810, environ 135 000 stères de bois de chauffe sont entrés au port, de 1811 à 1820, on en compte 267 000 et un sondage dans les sources disponibles à l’heure actuelle pour les années 1821 à 1830 indique 879 000 stères. La montée en puissance de l’entrée des bois en ville, corrélative au développement industriel de la ville, est spectaculaire et mérite que le dossier de recherche se poursuive non plus tant dans l’approvisionnement lui-même que sur la question des prélèvements en amont. Pour ce qui est de la consommation et avant que l’on ne dépouille les registres des fabriques de porcelaines elles-mêmes dans le détail pour avoir une idée précise de leur consommation annuelle, nous disposons d’ores et déjà de quelques ordres de grandeur, soit pour un moment donné (cf. supra les chiffres fournis par Jean-Pierre Delhoume pour l’année 1808) soit pour un secteur spécifique. Les fours des porcelainiers, par exemple, sont de très gros consommateurs de bois au début du xix^e s. Chacun d’eux brûle en moyenne, chaque année, cent abaux de bois [un abal est égal à 16 stères] – calcul résultant d’une expertise demandée par la ville pour exempter de droit d’octroi les bûches destinées aux usines qui s’agrandissent alors et multiplient les fours, créant ainsi des emplois et contribuant au dynamisme industriel de la ville – et on peut estimer alors la consommation totale des usines de porcelaine à 1 200 abaux de bois par an, ce qui est confirmé par une estimation du conseil municipal de la ville en 1830 alors que les édiles s’apprêtent à réduire une nouvelle fois les droits d’octroi.

18Mais tout le bois ne part pas directement vers les grandes fabriques et l’on voudrait terminer sur ce point moins connu. Il existe un flux secondaire de bois vers un marché individuel qui transparaît dans les pièces comptables du port et dans les rapports de police et nous éclaire sur la consommation des particuliers et des artisans. Le bois empilé sur l’aire qui lui est allouée au port est de quatre catégories : les bois dits de « planches », ceux dit de « colonne », les bois de charpente et des bois à brûler. Ces derniers constituent 90 % du tout. Une partie est enlevée dans la nuit et acheminée par des charrettes bouvières vers l’intérieur de la ville. Ces consommateurs domestiques ne sont pas connus pour l’instant ; on peut penser qu’il s’agissait d’habitants venant s’approvisionner en petite quantité en bois de fourneaux et de cheminée. Les commerçants et artisans ont en effet leur propre circuit d’approvisionnement comme les bouchers par exemple qui se procurent du bois lors de grands marchés installés au champ de foire, devant la prison. Ce bois ne vient pas du port du Naveix mais de la périphérie de la ville, il s’agit de longues perches acheminées par des charrettes et vendues probablement en bloc puisque celles-ci ne sont pas déchargées.

Atelier 2 : Archéologie de la forêt combustible

19La forêt de la Braconne a polarisé l’essentiel des efforts de recherche de l’atelier 2, au travers notamment du mémoire de deux étudiants de Master :

• Graziella Rassat, étudiante en Master 2 d’archéologie à l’université de Poitiers, qui réalisait son mémoire sur l’occupation ancienne du massif forestier de la Braconne. Il s’agit essentiellement d’un travail de prospection et de cartographie archéologique dans la continuité de son mémoire de Master 1 et dont les principaux résultats ont été présentés dans le rapport intermédiaire de 2010. En supplément, une partie de son travail a consisté à étudier les prélèvements anthracologiques effectués sur l’un des ferriers sondés par Itxaso Euba en 2010 ;
• Kévin Queuille a effectué son mémoire de Master 1 de Géo-environnement (université de Clermont-Ferrand) sur l’analyse anthracologique des ferriers et plateformes de charbonnage, sondés en 2010 par Itxaso Euba.

20Graziella Rassat est désormais doctorante au sein du laboratoire Géolab, sous la direction de Philippe Allée, Nadine Dieudonné-Glad, et poursuit ses recherches sur la métallurgie directe du fer en Charente et Dordogne et ses implications sur la gestion des forêts. Ainsi, au cours de l’été, Graziella Rassat avait la charge de la fouille d’un nouveau ferrier en forêt de la Braconne.

21L’ensemble de ces efforts de recherche sont ici présentés et composent les bases d’une étude qui prend une importance scientifique certaine. Les premières analyses anthracologiques dressent déjà des pistes de réflexion concernant l’importance du charbonnage sur le maintien du hêtre ou l’apparition du charme dans les sylvofaciès, cela à replacer dans la chronologie de l’histoire combustible du massif.

22On peut confirmer également l’existence d’un potentiel archéométallurgique colossal au vu de la quantité de vestiges encore découverts. Et il semblerait de plus que la fourchette chronologique puisse s’étendre à la période gallo-romaine. Par ailleurs, les témoignages de prospecteurs bénévoles présents sur le secteur laissent penser que ce potentiel archéométallurgique ne se cantonne pas seulement au massif de la Braconne mais également au-delà. Une cartographie à petite échelle des indices archéologiques concernant la métallurgie du fer (directe et indirecte) et le charbonnage est en cours de réalisation pour permettre de spatialiser et quantifier ce potentiel archéo-environnemental qui semble prendre de l’ampleur à mesure de l’avancée des investigations.

Une carte d’inventaire des sites archéométallurgiques et de charbonnage au service de l’étude des forêts combustibles

Sandrine Paradis-Grenouillet, Graziella Rassat

23Depuis maintenant plus de six ans que le PCR effectue des recherches sur l’histoire des forêts combustibles en Périgord et Limousin, la zone d’étude s’est progressivement élargie à mesure que les connaissances s’accumulent. Aujourd’hui, les membres du PCR ont connaissance d’un nombre important de vestiges archéologiques témoignant d’un usage des forêts à fonction énergétique et ce sur une zone particulièrement vaste, près de 150 km de large sur 200 km de long, intégrant ainsi Angoulême, Périgueux, Brive, Limoges et Ussel.

24De nombreux prospecteurs bénévoles, principalement en Dordogne et Charente, connaissent précisément l’existence de nombreux vestiges archéologiques encore jamais recensés dans les cartes archéologiques. Il nous a semblé important de regrouper l’ensemble de ces informations, de faire l’inventaire de ces connaissances afin des produire des cartes d’inventaires en fonction de la nature des structures connues. Il a pour cela été proposé un système de carroyage emboîté à trois niveaux scalaires (20 x 20 km, 10 x 10 km, 5 x 5 km) mais dont le renseignement en nombre et nature de sites se fait à l’échelle la plus fine. Cela correspond à une division par 4 d’une dalle des cartes topographiques numérisées de l’IGN au 1/25000.

Nouvelle lecture archéologique de l’occupation du sol dans la forêt domaniale de la Braconne et ses marges : du travail d’inventaire aux premières interprétations

Graziella Rassat

25L’objectif de cette étude a été de déterminer les dynamiques forestières induites par l’utilisation de la ressource en bois pour le charbonnage et/ou l’activité paléométallurgique, à l’échelle locale. La campagne de prospections menée en 2010 avait permis de confirmer la présence de sites métallurgiques sur le territoire et de révéler l’existence d’un véritable potentiel archéologique. À l’issue de ce travail, 69 sites archéologiques avaient été recensés ; dont 68 étaient inconnus du Service régional de l’archéologie Poitou-Charentes.

26L’effort de prospection a été poursuivi cette année. Pour appuyer les recherches, il a été organisé un stage de prospections systématiques faisant appel aux étudiants en archéologie de l’université de Poitiers. Ainsi, près de 10 parcelles forestières ont pu faire l’objet de prospections systématiques, pour une superficie totale de 136,64 ha. Si l’on ajoute à ces résultats les deux autres parcelles prospectées systématiquement dans le cadre de la campagne annuelle, soit 34,46 ha, on atteint une superficie de plus de 171 ha pour l’année 2011, contre seulement 14,40 ha pour l’année 2010 ! Au total ce sont donc 185,50 ha qui ont été prospectés systématiquement depuis deux ans, soit 5 % de la superficie totale de la forêt de la Braconne.

27La cartographie et l’étude de l’ensemble des sites inventoriés depuis deux ans laissent apparaître une occupation antique depuis le Haut-Empire avec la présence d’établissements ruraux placés en lisière du massif forestier de la Braconne. Cette situation traduit bien une ouverture du paysage pour de possibles mises en culture ou pour le pastoralisme. L’époque médiévale se voit quant à elle marquée par l’implantation de sites sidérurgiques depuis au moins le vii^e s. Dès lors un espace forestier semble se dessiner. Aux xii^e et xiii^e s. de nouveaux témoins – charbonnières et autres ferriers – attestent cette fois de l’existence d’une chênaie-hêtraie. Les sources écrites médiévales contribuent elles aussi à nous renseigner sur sa présence et son étendue ; la foresta de Bracona semble en effet se démarquer dans le paysage par sa superficie.

28Les résultats du sondage archéologique effectué en août 2011 sur un quatrième ferrier situé dans la Braconne, dont les résultats sont encore trop partiels pour être présentés cette année, apporteront sans doute de nouvelles connaissances sur ces sujets.

L’impact de l’activité métallurgique et du charbonnage sur le couvert arboré de la forêt domaniale de la Braconne (Charente)

Kévin Queuille

29L’objectif de cette étude a été de déterminer les dynamiques forestières engendrées par le charbonnage et les activités paléométallurgiques, à l’échelle locale. Par ce travail, il est possible de donner une première hypothèse sur la gestion de la ressource en bois à l’échelle de deux parcelles, les parcelles 119 et 141. Les datations ¹⁴C réalisées sur des charbons de bois permettent d’estimer la période d’utilisation et de transformation de la ressource en bois : deux périodes ont été révélées, l’époque médiévale et l’époque moderne.

30Cette étude a été menée selon une approche régressive en partant d’un inventaire des peuplements actuels autour des sites fouillés pour remonter aux peuplements anciens supposés révélés par l’intermédiaire des analyses anthracologiques.

31De manière générale, les spectres anthracologiques des 4 structures révèlent une même tendance dans les proportions à savoir une dominance du chêne sur le hêtre. Le charme apparaît dans le spectre du niveau supérieur de la charbonnière 2. Les datations radiocarbones effectuées attestent à l’échelle de la parcelle de la présence du chêne et du hêtre au haut Moyen Âge. Le fonctionnement des charbonnières et du ferrier 3 datant du Moyen Âge central révèle une certaine sélection des deux taxons que sont le chêne et le hêtre.

32L’absence dans les spectres anthracologiques d’essences d’accompagnement secondaires à bois tendres ou pionniers, sans grande qualité calorifique, plaide pour une sélection de la part des charbonniers, qui pourrait avoir conduit à une homogénéisation des peuplements. Par ailleurs, grâce aux mesures du diamètre des bois mis au feu on peut suspecter une gestion en taillis, qui aurait eu tendance à favoriser les essences les plus compétitives vis-à-vis de ce mode de gestion, comme le chêne et le hêtre. Cependant, l’énigme du Charme reste posée puisque sa présence est remarquée seulement dans les spectres datés des périodes moderne et contemporaine. Ces analyses dendro-anthracologiques qui ne sont qu’une première réalisation devraient être poursuivies en 2012.

Conclusion générale

33Ce tour d’horizon des travaux conduits dans le cadre de ce projet collectif de recherche montre combien la valeur énergétique des forêts a accompagné sinon permis le développement d’un certain nombre de pratiques territoriales. L’implantation d’industries dépendantes et gourmandes en combustibles aurait-elle été permise si de telles ressources en bois avaient manqué ? La ville de Limoges n’a-t-elle pas profité de sa situation en aval de rivières permettant le flottage des bois de la montagne limousine ? En retour l’exploitation combustible des forêts a façonné, parfois depuis des temps anciens, leur physionomie et leur composition arborée. Le paysage d’aujourd’hui est le résultat de cette complexe construction des territoires dont la valeur énergétique du bois en est un des éléments les plus déterminants.

34Ces travaux démontrent que les forêts combustibles s’inscrivent dans une durée rythmée par les jeux de l’évolution des territoires et la volonté actuelle du gouvernement de renforcer la filière bois-énergie en est une nouvelle illustration. Cependant que le respect du développement durable est un souci majeur de la mise en place de cette politique ambitieuse, cet aboutissement pourra désormais être évalué à la mesure de l’histoire déjà longue des forêts combustibles.