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Regards d’un ouvrier rebelle : Gabriel Gauny et l’emprisonnement cellulaire

View from a rebel worker: Gabriel Gauny and cellular imprisonment
Marion Croisy

Résumés

Écrit dans les années 1840 par l’ouvrier Gabriel Gauny, « Aux ouvriers constructeurs de prisons cellulaires » fournit un témoignage inédit sur l’adoption du régime cellulaire en France. Dans ce texte qui tient à la fois de l’enquête – l’ouvrier a visité le chantier quasi achevé d’une prison cellulaire à Paris – et du pamphlet, Gauny rejoint les voix qui, de façon contemporaine à l’adoption du système cellulaire, ont dénoncé le caractère barbare de ce nouveau régime. Mais, sous la plume du « rebelle », l’analyse polémique est indissociable d’une réflexion sur la condition ouvrière et sur le scandale moral que représente la participation directe des ouvriers, en tant que « constructeurs », à l’actualisation d’un système qui n’a de moderne que le nom.

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Texte intégral

  • 1 Gabriel Gauny, menuisier parqueteur, est né à Paris en 1806 où il a vécu jusqu’à sa mort, en 1889. (...)
  • 2 Gabriel Gauny, « Le travail à la tâche », dans Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires, Archives (...)
  • 3 Ibid.
  • 4 Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle. Le Livre des passages, Paris, Éditions du Cerf, 19 (...)
  • 5 Gabriel Gauny, « Le travail à la tâche », op. cit., p. 95.
  • 6 Jacques Rancière, Et tant pis pour les gens fatigués, Paris, Éditions Amsterdam, 2009, p. 659. Pour (...)
  • 7 Deux prisons cellulaires sont construites à Paris au XIXe siècle : la Petite Roquette en 1836 et Ma (...)
  • 8 Gabriel Gauny, « Aux ouvriers constructeurs de prisons cellulaires », Le philosophe plébéien, op. c (...)

1La ville de Paris, Gabriel Gauny1 l’a parcourue en long, en large et en travers. L’ouvrier parqueteur se définit lui-même comme un marcheur frénétique, qui « fouille tous les coins possibles, parcourt les rues, les ruelles, les carrefours »2. Le statut de tâcheron, choisi par Gauny pour la possibilité qu’il offre de travailler sans maître, requiert le déplacement d’un chantier à l’autre mais ne suffit pas à rendre compte du sens de cette expérience singulière du corps dans la ville. C’est justement lorsque Gauny est libéré des contraintes du travail manuel et qu’il n’est plus guidé par la nécessité de trouver de nouveaux ouvrages qu’il s’y consacre pleinement : « quand, dans une indépendance absolue, on dispose soi-même, il faut marcher du matin au soir »3, écrit-il. Pour autant, Gauny n’a rien d’un flâneur. Contrairement à cette figure emblématique du promeneur, dont Walter Benjamin a montré le caractère essentiel dans la représentation moderne de l’espace urbain au XIXe siècle4, Gauny n’a pas le temps pour les lentes promenades sans but. Sa marche est plutôt celle d’un chasseur en alerte, guidé par un regard dont l’« acuité » est comparable à celle « d’un oiseau de proie sans pâture »5. Animé d’une insatiable curiosité, qui n’est pas seulement attention extrême mais « déplacements du regard », pour reprendre la formule de Jacques Rancière, Gauny regarde « des lieux et des questions qui ne sont pas supposés être les [siens] »6. Parmi ces lieux, figurent les prisons. Gauny a observé les édifices carcéraux, encore nombreux dans le Paris du XIXe siècle et il est même parvenu à s’introduire dans le chantier quasi achevé d’une des nouvelles prisons construites à Paris au XIXe siècle, probablement la Petite Roquette7. De ces observations et de cette visite, est né un texte, « Aux ouvriers constructeurs de prisons cellulaires »8, rédigé dans les années 1840 – La Petite Roquette accueille les premiers détenus en 1836 – qui est consacré, comme le titre l’indique, à la question toute récente de l’emprisonnement cellulaire.

  • 9 Patricia O’Brien, Correction ou châtiment. Histoire des prisons en France au XIXe siècle, Paris, Pr (...)
  • 10 Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.
  • 11 Martine Lefeuvre Déotte, « Foucault : le corps, le pouvoir, la prison », Appareil, n° 4, 2010, p. 3 (...)
  • 12 Cette position est soutenue par la plupart des hygiénistes. Voir notamment Louis René Villermé, Des (...)
  • 13 Louis-Mathurin Moreau-Christophe, « Détenus », Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie mora (...)
  • 14 Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires, Archives du rêve ouvrier, op. cit, p. 97.

2Rappelons, à cet égard, que l’introduction de la prison cellulaire en France dans les années 1830 compte parmi les grands changements qui touchent le système pénal depuis la Révolution. À la rationalisation des peines – modulables et effectuées dans des lieux d’enfermement différents selon le type de délit et la durée de la condamnation – succède la réforme pénitentiaire à proprement parler, qui se caractérise principalement par l’adoption de l’isolement pénal9. Rationalisation, donc, mais aussi « adoucissement des peines », selon les analyses bien connues de Michel Foucault : au corps supplicié de l’Ancien régime se substitue l’« âme » à corriger10. La sociologue Martine Lefeuvre Déotte reformule ainsi la thèse foucaldienne : « le corps s’efface en partie pour ne devenir dans l’esprit des réformateurs, qu’un simple intermédiaire, un instrument dans cette entreprise de rééducation des “âmes” »11 qu’est la pénalité moderne. La place grandissante de la prison dans l’échelle des peines, et a fortiori celle de l’isolement du détenu supposé favoriser l’amendement moral, rend compte de cette évolution dans la conception du châtiment. Porté par une vision commune à bon nombre de spécialistes de la question pénitentiaire, juristes et administrateurs, d’hygiénistes mais aussi d’écrivains, le régime cellulaire est ainsi l’image du progrès, l’aboutissement des efforts poursuivis depuis des décennies en matière d’humanisation pénale. Sans revenir en détail sur les arguments des partisans de l’emprisonnement cellulaire, on peut rappeler que certains avancent des raisons relatives à l’hygiène physique, dans le but d’éviter la promiscuité et l’entassement des détenus qui favoriseraient la contagion des maladies12, quand d’autres mettent l’accent sur la contamination morale, celle du vice13, engendrée par le régime de l’emprisonnement en commun. Des voix, comme celle de Gauny dans « Aux ouvriers constructeurs de prisons cellulaires », se sont toutefois rapidement élevées contre ce nouveau régime, essentiellement dans les milieux médicaux et religieux. Cependant, sous la plume du « rebelle »14, l’analyse polémique du régime carcéral est indissociable d’une réflexion sur la condition ouvrière. L’étude de ce texte qui a toute sa place dans les débats sur l’adoption du régime cellulaire nous a paru importante : il offre en effet un témoignage inédit, dont l’analyse permet d’aborder l’évolution du système carcéral par le biais d’un point de vue généralement absent des débats sur cette question.

De l’enquête au pamphlet : un témoignage impersonnel

  • 15 Gabriel Gauny. Le philosophe plébéien, op. cit, p. 85.
  • 16 Ibid., p. 86.
  • 17 Ibid.
  • 18 Ibid.
  • 19 Ibid.
  • 20 Ibid.
  • 21 Ibid., p. 87.
  • 22 Éléonore Reverzy, « L’Écriture de la généralité », Les Goncourt moralistes, Cahiers Edmond et Jules (...)

3« Aux ouvriers constructeurs de prisons cellulaires » se présente comme un texte hybride, tout à la fois enquête et pamphlet. La première page révèle d’emblée le caractère actif d’un regard en mouvement : la contemplation des paysages qui s’offrent à l’ouvrier « rôd[ant] sur les sommets qui souvent environnent une grande ville » laisse en effet rapidement place à « l’investigation »15. Après s’être posé sur les différents bâtiments urbains, le regard s’arrête sur ce qui ne peut laisser indifférent, les « murailles doubles » des « prisons nouvelles »16 avoisinant les faubourgs. Gauny n’ira pas plus loin dans la description de la ville, et la description des bâtiments des prisons nouvelles – qui avaient pourtant de quoi étonner si on songe au plan hexagonal de la Petite Roquette – est elle aussi fort succincte : « [d]evant ce nombre de cellules régulièrement abominables, l’horizon disparaît »17, écrit Gauny. Dès les premières pages du texte, le témoignage apparaît comme intimement lié au discours de la généralité. L’ouvrier ne mentionne en effet aucun nom de ville et de prison. Pour désigner les lieux, le pluriel est privilégié – « prisons nouvelles »18, « horribles lieux »19, « en longeant les murs des prisons »20 – et quand le terme « prison » est employé au singulier, il renvoie à l’indéfini d’une prison « quelconque »21. Comme l’a souligné Éléonore Reverzy, « le recours au pluriel tend à abstraire une donnée factuelle en la multipliant »22.

  • 23 C’est un trait caractéristique de l’écriture de Gauny.
  • 24 Gabriel Gauny. Le philosophe plébéien, op. cit, p. 95.
  • 25 Ibid., p. 86.
  • 26 Ibid., p. 104.

4Si la forme du témoignage ancre la réflexion sur la prison moderne dans une expérience sensible, il est également frappant de constater que cette expérience n’est jamais rapportée à la première personne du singulier. L’identité de l’ouvrier s’efface au profit de l’indéfini, celle du pronom « on », du groupe nominal « un ouvrier » et du pronom personnel « il », par lesquels Gauny se met en scène tout au long du texte23, que ce soit pour rapporter ses impressions sensorielles et les mouvements de son corps (« on sent là », « on y marche », « on n’a qu’à tourner sur soi-même »24) ou ses réactions émotionnelles, particulièrement fortes et nombreuses dans le texte (« En remarquant la foule moutonner autour de certaines enceintes sans frémir, on s’indigne contre elle, car son indifférence tue son cœur »25 ; « En tremblant de rage impuissante, on voyait disparaître dans les ombres ces voitures atroces, et l’on s’en désolait pour toujours, comme emporté dans cet aménagement de tortures et mis en réclusion dans les prisons spirituelles de la solidarité »26). C’est lorsque Gauny raconte comment il est parvenu à se faire ouvrir les portes de la prison qu’il livre le plus de détails sur sa propre démarche :

  • 27 Ibid., p. 94-95.

un ouvrier ayant le poignant désir de visiter une de ces prisons crut qu’il ne fallait qu’en réclamer l’autorisation par écrit au ministère des Travaux publics pour l’obtenir […] Ne se rebutant pas, il vit des ingénieurs, des amis d’ingénieurs et des gens qui connaissaient d’autres gens, ayant, croyait-on, quelques rares rapports avec des fonctionnaires de préfecture. Ses démarches furent infructueuses. Alors sa curiosité prit la dimension d’une idée fixe ; il rôda autour d’une de ces prisons modèles, achevée au complet, moins quelques raccords de maçonnerie et de peinture. Sous le porche il considéra la première cour, les portes de fer, et surtout la face d’un vieux gardien qu’il interrogea sur sa consigne et si l’on pouvait visiter les lieux ; mais le cerbère, inexorable comme la prison, refusa en refoulant le curieux, qui s’en alla au cabaret attendre l’heure où les ouvriers de la prison y prenaient leur repas. L’heure venue, il avisa un maître compagnon maçon au front étroit, au nez concupiscent, aux joues avachies, à la bouche goulue, type d’animal gourmand cédant à la séduction. L’investigateur l’accosta en le priant de le renseigner sur un camarade imaginaire que l’autre ne put signaler ; cet échange de paroles engagea la conversation entre les deux hommes qui finirent par vider un verre de vin de bon accord. L’un exprima son désir de connaître le nouveau système de détention, l’autre, se carrant dans la vanité de son pouvoir, prit le devant et lui fit l’offre de le conduire dans l’intérieur de la prison comme nouveau embauché. L’un voulait rendre sa complaisance profitable à son ventre, mais ne savait comment déclarer sa spéculation d’une manière acceptable ; l’autre, devinant la chose, ménagea l’embarras du matérialisme, en l’invitant à dîner après la douloureuse exploration, ce qui fut accepté.27

  • 28 Victor Hugo, « Visite à la Conciergerie », Choses vues, Paris, Robert Laffont, 2002, p. 703-710.

5Cet extrait est remarquable par le nombre d’informations qu’il donne sur les modalités de cette visite souterraine de la prison. Car, contre toute attente, c’est sa position d’ouvrier aidée de sa ruse qui ouvrent à Gauny les portes d’une institution que l’on croit impénétrable. S’amusant de sa propre naïveté quant à la possibilité de visiter la prison en recourant aux démarches officielles, Gauny laisse voir une figure de visiteur en tous points opposée à celle de Victor Hugo : dans son récit de visite de la Conciergerie, Hugo évoque la gratuité de sa démarche, le hasard l’ayant conduit devant les portes de cette prison, et insiste sur le fait que c’est sa médaille de pair qui lui a permis d’y entrer28. S’il n’avait été écrit quelques années plus tôt, le texte de Gauny aurait pu être lu comme une réécriture parodique de celui de Victor Hugo. La visée critique du texte explique que la parole pamphlétaire prend souvent le pas sur l’enquête à proprement parler :

  • 29 Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien, op. cit, p. 86.

avant tout, c’est aux ouvriers qui construisent ces horribles lieux que s’adresse l’accusation que l’on placarde ici, afin que ces instruments d’esclavage puissent se réveiller dans l’angoisse d’avoir creusé des cercueils pour enterrer vivants des réprouvés de leur race dont la culpabilité ou la criminalité même subissent des châtiments plus odieux que leurs attaques au droit.29

  • 30 Jérôme Lamy, « Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critiq (...)
  • 31 Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien, op. cit, p. 86.
  • 32 Ibid.
  • 33 Ibid., p. 88.
  • 34 Ibid., p. 92.
  • 35 Ibid., p. 93.
  • 36 Ibid., p. 91.

6L’originalité du texte ne tient pas au fait que Gauny prenne position contre l’emprisonnement cellulaire – bien que cette position soit minoritaire dans les années 1840 – mais se manifeste dans la dénonciation de l’absence de réflexion des ouvriers sur leur propre travail, de leur aveuglement quant à leur participation à l’édification de ces maisons de torture. L’enquête révèle ainsi les « ambiguïtés morales » d’une classe ouvrière qui, réduite au statut d’instruments, contribue « à l’élaboration des structures collectives d’asservissement »30, pour reprendre l’heureuse formule de Jérôme Lamy. Si Gauny blâme les ouvriers c’est parce qu’ils trahissent leurs semblables, « les réprouvés de leur race »31, et qu’ils construisent sans le savoir leurs propres tombeaux : pour reprendre la formule terrifiante citée précédemment, les « prisons nouvelles » sont des « tombes fortifiées et muettes bâties par la plèbe et pour la plèbe !... »32, ou encore « [les travailleurs] bâtissent contre eux-mêmes ces cellules affreuses, car c’est leur race qui repaît le monstre »33. La dénonciation de cette situation paradoxale et scandaleuse anime de bout en bout l’écriture vindicative de l’auteur et les nombreuses caractérisations péjoratives des ouvriers manifestent toute sa colère : « les ouvriers qui se font les manœuvres des ergastules cellulaires »34, « les ouvriers qui se font les auxiliaires des emprisonneurs »35, ou encore les périphrases du type « ces aides geôliers sans entrailles »36.

  • 37 La façon dont Hugo décrit le travail dans la prison des jeunes détenus est particulièrement éclaira (...)
  • 38 Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien, op. cit, p. 86.

7Gauny peut encore mieux que n’importe quel écrivain ou visiteur officiel des prisons souligner les paradoxes de la modernité carcérale. Le visiteur ouvrier se sent directement concerné par ce qu’il voit car le risque de se retrouver en prison pèse sur lui plus lourdement que sur l’écrivain bourgeois37. À cet égard, l’enjeu de son écriture est tout autant empathique que polémique. Gauny écrit en effet : « en longeant les murs des prisons, on reçoit dans son âme les âmes des victimes qu’elles renferment ; on les entend se lamenter et vociférer contre les bourreaux qui leur défigurent la vie. L’esprit pénètre auprès de chaque prisonnier pour se gorger de ses tourments. »38 Dans cette tension vers l’impersonnel, le témoin dépasse l’ici et le maintenant de ses perceptions sensorielles pour n’en faire qu’un avec les détenus souffrants. Derrière le caractère unique de ce texte, s’amorce ainsi une réflexion sur la légitimité des discours dans ce domaine. Contre tous ceux qui émanent des diverses instances, de l’État et de ses différentes administrations, mais aussi de juristes, de médecins, d’hygiénistes, d’écrivains, la voix « d’en bas » se réapproprie une question que l’élite s’était jusqu’à présent, et indûment, accaparée et s’adresse prioritairement à une classe sociale oubliée de la réflexion.

L’individu face au dispositif : maux du corps et maux de l’âme

  • 39 Ibid., p. 90.

8Or, la prison n’est pas seulement une idée mais un bâtiment que l’on construit, rappelle Gauny : « ils [les législateurs] ont bien en eux la conception de leur œuvre, mais, pour l’exécuter, il leur faut des complices qui s’adjoignent pour le matériel de leur besogne effroyable »39 . Imaginant une rébellion de ses semblables, Gauny développe une vision où éclate l’impuissance des architectes qui s’en suivrait :

  • 40 Jacques Rancière note à propos de ce mot : « il faut sans doute comprendre “asticotées” » (Ibid, p. (...)
  • 41 Ibid., p. 91-92

Il eût été bon pour tous de les voir gratter le sol, voiturer les matériaux et maçonner gauchement, mais au moins avec un diabolique amour, leur forteresse ennemie. Il eût été curieux de les surprendre, atteints par les sarcasmes des passants, dans leur impossible apprentissage et d’étudier les efforts de leurs bras énervés. Les ampoules et les durillons, en épatant leurs mains, les eussent fait réfléchir peut-être aux douleurs plébéiennes […]. N’en pouvant plus de fatigue et de sommeil, mais mangeant d’abord d’un grand appétit, les houppes nerveuses de leur palais blasé se fussent trouvées astiquées40 par l’agitation des membres. Leur délicatesse princière se fut compromise jusqu’à dormir, malgré les regards moqueurs de la foule, auprès du mortier. Au réveil, retournant au travail en maudissant la rébellion paisible, les moellons, mal croisés, auraient croulé et la chaîne eût rompu ses mailles mal soudées dans l’épreuve de sa force.41

  • 42 Ibid., p. 90.
  • 43 Ibid., p. 107.
  • 44 Ibid., p. 89.

9L’évocation des gestes besogneux et des maux physiques qui en résultent donne à la réflexion sur l’emprisonnement cellulaire une dimension concrète, qu’elle n’a pas sous la plume des spécialistes de cette question, désignés dans le texte par les termes de « législateurs »42, « hauts fonctionnaires »43, mais aussi d’« architectes » – auxquels Gauny, en tant qu’ouvrier, est inévitablement confronté –. C’est en effet l’abstraction d’une pensée du système que fustige Gauny, celle des « hypocrites avocats de l’emprisonnement cellulaire, qu’ils ont systématisé du fond de leur pensée lugubre »44. Et, d’une façon contradictoire, ce sont les ouvriers qui actualisent cette abstraction. La rationalité dont la prison cellulaire est l’incarnation est celle de la classe aisée, qui a construit ce modèle selon sa propre logique, et qui ne prend pas en compte la variété des conflits sociaux, politiques, idéologiques, en somme, les rationalités individuelles.

  • 45 Ibid., p. 99, p. 100, p. 101, p. 106, p. 107.

10La visite de la prison est alors confrontation de l’individu et du « système »45. Si Gauny emploie souvent ce terme, c’est sans doute pour rappeler que la prison cellulaire est d’abord une construction de l’esprit. Dans cette perspective d’idée, il est important de revenir sur le fait que ce n’est pas une prison en fonction que Gauny visite mais le chantier, quasi achevé, d’une prison. Sans les détenus et le personnel pénitentiaire, celle-ci apparaît comme une sorte d’incarnation désincarnée du modèle cellulaire ; sans ces derniers, le bâtiment conserve quelque chose de l’abstraction théorique dont il est l’actualisation. La visite fait ainsi de cette prison une représentation paradigmatique de la prison moderne, qui n’est pas à proprement parler prison mais dispositif.

  • 46 Ibid., p. 95.
  • 47 Id..
  • 48 Ibid., p. 91.
  • 49 Ibid., p. 101.
  • 50 Ibid., p. 97.

11Dans une longue et minutieuse description de l’intérieur de la prison construite sur le modèle « panoptique »46, Gauny montre en effet que le moindre élément participe du supplice à grande échelle de la surveillance totale et continue, car tout doit permettre « au regard de la surveillance » de glisser « sans obstacle du centre à ses extrémités » : « avant les geôliers les choses font signe de se taire et commandent de souffrir »47, ou encore, « l’inquisition […] prend vie dans la pierre, dans le fer, dans le bois qui cachent et surveillent les tourments des détenus »48. L’architecture incarne les discours sur la peine en participant insidieusement à la discipline : cellule, parloir, couloirs, promenade, le moindre espace est pensé dans sa fonction contraignante. La perfection de ce « monstre »49 se manifeste dans sa capacité à révéler ses propres dysfonctionnements car, écrit Gauny, « les parois de la cellule sont enduites d’un stuc d’une dureté inexorable et d’un poli dénonciateur qui ne souffrent ni fissure, ni caractère sans les signaler »50.

  • 51 Ibid., p. 99.
  • 52 Ibid., p. 97.
  • 53 Ibid., p. 98.
  • 54 Ibid., p. 97.

12La présence des détenus n’est donc pas nécessaire pour saisir la souffrance physique et morale engendrée par la moderne architecture du panoptique : « l’ouvrier démocrate » a « vu et promptement compris le plus important de cet enfer »51, écrit Gauny. Pour le détenu, le bouleversement sensoriel est extrême : ce système impose de vivre dans « l’étroitesse » d’une cellule, « boîte étouffante [qui] a 3,50 m de longueur, 1,90 m de largeur et 3 mètres de haut »52, de marcher dans des « cases » – promenoirs séparés où les détenus voient « un peu de ciel seulement »53. Un monde de solitude, mais aussi de silence où tout est pensé pour empêcher la communication : le dispositif assurant la circulation de l’oxygène « égare la voix du détenu s’il tente une communication dans son orifice » et « le siège latrinal que chaque cellule possède est aussi construit sur cette méthode de surdité qui enterre la voix et la vie sans les tuer »54. C’est dire la perfidie de cette architecture qui intègre à la peine les éléments matériels répondant aux besoins physiques le plus élémentaires.

  • 55 Ibid., p. 95.
  • 56 Pour les termes empruntant à la représentation judéo-chrétien de l’Enfer, on peut se référer encore (...)

13La souffrance est partout : « au centre panoptique du gouffre se déploie un mirage de tourment. On n’a qu’à tourner sur soi-même pour apercevoir tous les rayons de cette roue de supplice »55. Il suffit à Gauny d’une métaphore, « la roue de supplice », qui désigne les ailes du bâtiment partant de la tour centrale, pour renverser l’idée communément admise selon laquelle le châtiment moderne s’oppose à la pratique ancienne des supplices. Par cette rencontre des images dantesques – la prison est « gouffre », « tourment »56 – et de la technicité du langage architectural, Gauny anéantit toute représentation progressiste du châtiment nouveau.

  • 57 Ibid., p. 97.
  • 58 Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires, op. cit., p. 99.

14Dans cet « enfer »57, l’âme aussi tombe dans un abîme de souffrance, du fait de la surveillance continue. Comme l’explique Jacques Rancière, » le dispositif panoptique n’a pas tant pour effet d’assurer la prise de savoir de l’appareil pénitentiaire sur les faits et gestes du détenu que de les dépouiller de ce qui échappe au savoir »58. En ce sens,

  • 59 Ibid.

[l]’architecture cellulaire réalise cette torture nouvelle : une prison dont les recoins ne présentent pas d’ombres, dont aucune obscurité ne permet à la méditation de s’évader, où aucune complicité ne s’échange ou ne s’achète, où aucun aléa ne laisse la jouissance – même vaine – de l’espérance : monde sans fissures, sans interstices par où la liberté ou simplement son rêve puisse passer59.

  • 60 Ibid.
  • 61 Jacques Berchtold, « Énergie des ”récits d’évasion” au xviiie siècle. L’abbé de Bucquoy, le bar (...)

15La configuration architecturale est telle qu’elle brise tout espoir d’évasion. Or, cela aussi est nouveau, comme le souligne Jacques Rancière : la plupart des prisons sont d’anciens bâtiments adaptés « aux formes modernes de la détention »60 et dont les insuffisances en matière carcérale rendent possibles les évasions. Exposé en permanence dans la prison cellulaire, le détenu sait qu’il est inutile de déployer les ressources de son esprit comme celles de son corps – adjuvant indispensable dans toute entreprise d’évasion61. Contre le dispositif, il ne peut plus rien.

  • 62 Le médecin Auguste Bonnet dénonce « l’influence fâcheuse que l’isolement exerce sur le physique et (...)
  • 63 Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien, op. cit, p. 103.
  • 64 Ibid., p. 101-102.
  • 65 Ibid., p. 89
  • 66 Ibid., p. 97.
  • 67 Émile Souvestre, « Les Penseurs inconnus », Revue de Paris, Au Bureau de la revue de Paris, Paris, (...)
  • 68 Jacques Rancière, Gabriel Gauny. Le philosophe plébéien, op. cit., p. 275.

16Comme les médecins qui dénoncent à la même période les effets pernicieux du régime cellulaire62, Gauny signale, en plus des stigmates du corps, le risque encouru par le détenu de sombrer dans la folie63. Pour caractériser les maux de l’âme, Gauny ne recourt certes pas au même langage que celui des médecins, mais il convoque souvent un lexique dont le sens premier renvoie aux phénomènes organiques. Ainsi, le système cellulaire « inflige à ses victimes de ces tourments dont s’angoisse l’âme en mutilant la vie »64, « […] la captivité ulcère l’âme du détenu », « les possesseurs […] dénaturent le délinquant par des supplices intellectuels qui livrent le corps à des contorsions de torturé »65, le détenu « convulsionné d’ennui et d’inquiétude, se sent entortillé par la chaîne de ce regard »66. Par cette alliance de l’abstrait et du concret, qui est aussi « confusion du propre et du figuré »67 comme l’a montré Émile Souvestre dans sa brève analyse du style de Gauny, l’ouvrier ne cherche pas seulement à rendre sensible la souffrance morale des détenus. Selon Jacques Rancière, cette confusion est « le style même d’une pensée pour laquelle tout état des corps représente une certaine incarnation et toute pensée doit se manifester en modifications lisibles sur les corps »68.

« Le plan d’une prison d’avenir » : penser autrement la prison

  • 69 Gabriel Gauny, Ibid., p. 89.
  • 70 Id..
  • 71 Ibid., p. 108.
  • 72 Id..
  • 73 Id..

17De cette dépendance de l’âme et du corps, résulte l’impossibilité de penser une peine qui ne tiendrait pas compte du corps. Le redressement de l’âme délinquante, enjeu central de la pénalité moderne, ne pourra se faire qu’à condition « que la peine ne dépasse point la faute »69, en d’autres termes, qu’un maximum de confort matériel soit assuré au détenu. Ainsi, seulement, le lieu de détention sera « une retraite forcée d’hygiène morale »70 . En effet, Gauny ne se contente pas de critiquer le système carcéral actuel, il propose « le plan d’une prison d’avenir »71, « qui suppose une société puissamment réformée »72. Gauny n’est pas un utopiste, et s’il fait référence à La Ville des expiations de Ballanche73, c’est pour s’en détacher puisqu’il n’imagine pas que la peine puisse s’accomplir autrement que dans une prison, qu’il décrit en ces termes :

  • 74 Ibid., p. 109. Voir aussi : « Le peuple, dans l’investiture de sa puissance, devrait visiter les pr (...)

La prison étant faite pour les détenus et non pour leurs gardiens, on doit surtout la pourvoir d’un bien-être équitable qui, les calmant, les purifie pour les rendre à la société, sans craindre d’augmenter l’occupation des surveillants. La prison doit être vaste et salubre, chaque captif doit y posséder une chambre à l’air respirable et la porte ouverte, la fenêtre libre à la vue ; y sceller une trémie qui bouche sa perspective est un vol fait au prisonnier par un outrage fait à la nature ! Dans toute prison, une promenade plantée d’arbres est indispensable à l’hygiène de l’âme et du corps ; une nourriture suffisante et saine est un devoir sous les verrous […].74

  • 75 Ibid., p. 109.
  • 76 Gauny écrit à ce propos : « ce métier voûte cet homme sous des fatigues violentes que l’on ne peut (...)

18Gauny met l’accent sur les éléments matériels de la vie carcérale, énumérant les règles nécessaires à la bonne santé des détenus : air, alimentation, promenade, autant d’aspects que l’on trouve développés dans les écrits des hygiénistes sur les prisons. Mais l’importance que Gauny accorde au confort du corps nous semble insuffisante à expliquer les aménagements préconisés par l’ouvrier du point de vue strictement médical ou hygiéniste. L’éloge de l’ouverture plus particulièrement – ouverture de la porte et dégagement de la fenêtre dans la cellule – renvoie à une vision de l’existence, dont Gauny rappelle que l’essence même est la liberté75. Ainsi, le fait de regarder par la fenêtre peut être vu comme une analogie de la propre condition de Gauny. L’ouvrier parqueteur est en effet obligé de passer la plupart de son temps, et il y consacrera la majeure partie de sa vie, à réaliser des besognes douloureuses et aliénantes, quand bien même ces dernières aient été choisies par lui. Gauny, travailleur ouvrier le jour et écrivain la nuit, vit incessamment les contradictions inhérentes à son statut d’ouvrier émancipé et expérimente la liberté dans les contraintes mêmes d’un travail asservissant et fatiguant pour le corps76. La fenêtre, qui toujours l’attire, offre alors la possibilité de s’évader :

  • 77 Ibid., p. 91.

si la fenêtre s’ouvre sur un jardin ou domine un horizon pittoresque, un instant il arrête ses bras et plane en idée vers la spacieuse perspective pour en jouir mieux que les possesseurs des habitations voisines.77

  • 78 Pour Rancière, « ce qui définit l’être-ouvrier, c’est simplement l’absence de temps » (Ibid., p. 10 (...)

19La fenêtre ouverte à la vue, c’est la possibilité d’être oisif, de voler des instants au temps du travail78, notamment par l’esthétique, comme l’est aussi l’écriture pour Gauny. Regarder par la fenêtre symbolise alors l’auto-émancipation dont les ouvriers sont capables : non pas une émancipation effective et complète mais une condition de possibilité pour un ouvrier d’être considéré comme un être pensant, et pas seulement comme un corps travailleur. Dans la prison, obstruer la fenêtre, c’est ôter à l’homme ces instants de liberté que le regard et la pensée peuvent permettre. La condition de vie de Gauny lui montre que la liberté absolue n’est pas possible et que les instants de la liberté, si partiels soient-ils, font toute l’importance dans cette question. Ainsi, le détenu qui est déjà privé de sa liberté ne peut pas être doublement puni et les conditions de détention, que l’on qualifierait aujourd’hui d’humaines, doivent être respectées :

  • 79 Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien, op. cit., p. 108-109.

La captivité étant une usurpation sur la vie, que justifie malheureusement la sauvegarde de tous, ce châtiment est assez terrible en lui-même pour qu’on n’y ajoute point des sévérités souvent arbitraires, toujours inutiles. Le prisonnier en proie à la turbulence de ses désirs, éloigné de sa famille, écarté de la vie commune, inquiet sur le futur, est assez puni. Il doit donc jouir des droits qui lui restent à la condition de ne point les satisfaire aux dépens des autres79.

20Pouvoir regarder par la fenêtre, détourner son regard de l’intérieur de la prison, ne désigne pas la simple possibilité de rêver, mais de retrouver l’émancipation.

  • 80 La question de l’aménagement des espaces carcéraux, qui vise à dissocier l’espace de la peine, est (...)

21La présence du corps dans le texte de Gauny, corps de l’ouvrier-visiteur, corps des ouvriers bâtisseurs de prisons cellulaires, corps des détenus subissant les supplices de l’isolement, contribue à forger une représentation sensible de la prison au sens où la prison n’y est pas abordée du point de vue du concept mais comme une expérience vécue. Gauny s’attaque à l’abstraction d’un système pensé pour un homme théorique, qui oublie les existences singulières. Dans une écriture qui mêle le particulier et le général, le concret et l’abstrait, le menuisier rend ainsi sensible le dispositif abstrait de l’emprisonnement cellulaire. Gauny n’est certes pas spécialiste de la question pénitentiaire, ni médecin, hygiéniste, ou architecte, mais il conduit ainsi une analyse novatrice de l’emprisonnement cellulaire, qui trouvera un écho aux XXe et XXIe dans la réflexion, toujours vive, sur l’humanisation des prisons80.

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Notes

1 Gabriel Gauny, menuisier parqueteur, est né à Paris en 1806 où il a vécu jusqu’à sa mort, en 1889. Il est l’auteur d’une importante œuvre littéraire et philosophique, écrite entre les années 1830 et les années 1880. C’est à Jacques Rancière que l’on doit la publication d’une grande partie des écrits de Gauny, extraits d’un fonds conservé à la bibliothèque municipale de Saint-Denis : Gabriel Gauny. Le philosophe plébéien, textes rassemblés et présentés par Jacques Rancière, Paris, La fabrique éditions, 2017.

2 Gabriel Gauny, « Le travail à la tâche », dans Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires, Archives du rêve ouvrier, Paris, Arthème Fayard, 2012, coll. « Pluriel », p. 95.

3 Ibid.

4 Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle. Le Livre des passages, Paris, Éditions du Cerf, 1997, coll. « Passages ».

5 Gabriel Gauny, « Le travail à la tâche », op. cit., p. 95.

6 Jacques Rancière, Et tant pis pour les gens fatigués, Paris, Éditions Amsterdam, 2009, p. 659. Pour Jacques Rancière, la « curiosité » est « transgression ». Il explique ainsi : « […] dans la relation que Gauny fait de sa journée de travail, il y a, à un certain moment, une disjonction entre les bras et le regard qui s’en va de côté. On regarde par la fenêtre de la maison où on travaille, on entre en possession de l’espace environnant. C’est une possession imaginaire, mais c’est aussi quelque chose de réel. Vous n’êtes pas simplement un travailleur qui travaille avec ses mains, vos yeux embrassent quelque chose d’autre que le travail de vos mains », p. 660.

7 Deux prisons cellulaires sont construites à Paris au XIXe siècle : la Petite Roquette en 1836 et Mazas entre 1845 et 1850. Le régime cellulaire est expérimenté en 1839 pour séparer les jeunes détenus des adultes, avant d’être appliqué dans les nouvelles prisons de La Roquette puis de Mazas (1841). On peut se rapporter à l’exposition virtuelle « Histoire des prisons de Paris, De la Bastille à Fresnes », Criminocorpus, 20 avril 2010.

8 Gabriel Gauny, « Aux ouvriers constructeurs de prisons cellulaires », Le philosophe plébéien, op. cit, p. 85-110.

9 Patricia O’Brien, Correction ou châtiment. Histoire des prisons en France au XIXe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1988, p. 21-35.

10 Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.

11 Martine Lefeuvre Déotte, « Foucault : le corps, le pouvoir, la prison », Appareil, n° 4, 2010, p. 3, en ligne : https://journals.openedition.org/appareil/901.

12 Cette position est soutenue par la plupart des hygiénistes. Voir notamment Louis René Villermé, Des prisons telles qu’elles sont et telles qu’elles devraient être ; ouvrage dans lequel on les considère par rapport à l’Hygiène, à la Morale et à l’Économie politique, Paris, Méquignon-Marvis, 1820) ou Octave Du Mesnil, Les jeunes détenus à La Roquette et dans les colonies agricoles, hygiène, moralisation et mortalité, modifications que réclame le régime actuel, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1866.

13 Louis-Mathurin Moreau-Christophe, « Détenus », Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du XIXe siècle, Paris, L. Curmer, t. IV, 1841.

14 Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires, Archives du rêve ouvrier, op. cit, p. 97.

15 Gabriel Gauny. Le philosophe plébéien, op. cit, p. 85.

16 Ibid., p. 86.

17 Ibid.

18 Ibid.

19 Ibid.

20 Ibid.

21 Ibid., p. 87.

22 Éléonore Reverzy, « L’Écriture de la généralité », Les Goncourt moralistes, Cahiers Edmond et Jules de Goncourt, n° 15, 2008, p. 71-83, ici p 74.

23 C’est un trait caractéristique de l’écriture de Gauny.

24 Gabriel Gauny. Le philosophe plébéien, op. cit, p. 95.

25 Ibid., p. 86.

26 Ibid., p. 104.

27 Ibid., p. 94-95.

28 Victor Hugo, « Visite à la Conciergerie », Choses vues, Paris, Robert Laffont, 2002, p. 703-710.

29 Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien, op. cit, p. 86.

30 Jérôme Lamy, « Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 143, 2019, en ligne : https://journals.openedition.org/chrhc/12438?lang=fr.

31 Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien, op. cit, p. 86.

32 Ibid.

33 Ibid., p. 88.

34 Ibid., p. 92.

35 Ibid., p. 93.

36 Ibid., p. 91.

37 La façon dont Hugo décrit le travail dans la prison des jeunes détenus est particulièrement éclairante de ce point de vue : « Tel enfant joueur, qui haïssait toute occupation, devient un ouvrier acharné. C’est que peu de travail ennuie et que beaucoup de travail amuse », écrit-il. Dans “[La prison des condamnés à mort]”, Choses Vues, 1847, Librairie Générale Française, Paris, 2013. Pour l’écrivain, ces enfants peuvent certes s’éduquer, mais uniquement en tant que travailleur. Pour Gauny, le travail en prison doit rester libre.

38 Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien, op. cit, p. 86.

39 Ibid., p. 90.

40 Jacques Rancière note à propos de ce mot : « il faut sans doute comprendre “asticotées” » (Ibid, p. 92).

41 Ibid., p. 91-92

42 Ibid., p. 90.

43 Ibid., p. 107.

44 Ibid., p. 89.

45 Ibid., p. 99, p. 100, p. 101, p. 106, p. 107.

46 Ibid., p. 95.

47 Id..

48 Ibid., p. 91.

49 Ibid., p. 101.

50 Ibid., p. 97.

51 Ibid., p. 99.

52 Ibid., p. 97.

53 Ibid., p. 98.

54 Ibid., p. 97.

55 Ibid., p. 95.

56 Pour les termes empruntant à la représentation judéo-chrétien de l’Enfer, on peut se référer encore au passage suivant : « La nuit, un bec de gaz éclaire le damné qui, troublé dans son sommeil par cette flamme de supplice, maudit encore plus son destin et, sans pouvoir s’acclimater à son enfer, parcourt sa loge du regard en appréhendant d’y rencontrer l’œil traître du geôlier qui remue dans le trou de la porte comme une bête hideuse et méchante, ne quittant pas sa place, mais se traînant au fond des pensées pour la piquer au cœur ! » (Ibid., p. 98).

57 Ibid., p. 97.

58 Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires, op. cit., p. 99.

59 Ibid.

60 Ibid.

61 Jacques Berchtold, « Énergie des ”récits d’évasion” au xviiie siècle. L’abbé de Bucquoy, le baron de Trenck, l’ingénieur Latude », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, « Écriture et prison au début de l’âge moderne », n° 39, 2007, p. 183-203, en ligne : https://journals.openedition.org/ccrh/3367.

62 Le médecin Auguste Bonnet dénonce « l’influence fâcheuse que l’isolement exerce sur le physique et le moral des détenus ». Le texte offre des descriptions médicales très précises des effets de l’isolement : « L’expérience a prouvé depuis longtemps que […] au fur et à mesure que leur détention se prolonge, la décoloration de la peau augmente, des engorgements glanduleux se manifestent, et les sujets les plus robustes finissent souvent par être atteints de scrofules, de tubercules, de scorbut, de diarrhées, d’hydropisie, etc. ». (Hygiène physique et morale des prisons, ou de l’influence que les systèmes pénitentiaires exercent sur le physique et le moral des prisonniers, et des modifications qu’il y aurait à apporter au régime actuel de nos prisons, Paris, Just Rouvier, 1847, p. 13).

63 Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien, op. cit, p. 103.

64 Ibid., p. 101-102.

65 Ibid., p. 89

66 Ibid., p. 97.

67 Émile Souvestre, « Les Penseurs inconnus », Revue de Paris, Au Bureau de la revue de Paris, Paris, 1839, p. 249.

68 Jacques Rancière, Gabriel Gauny. Le philosophe plébéien, op. cit., p. 275.

69 Gabriel Gauny, Ibid., p. 89.

70 Id..

71 Ibid., p. 108.

72 Id..

73 Id..

74 Ibid., p. 109. Voir aussi : « Le peuple, dans l’investiture de sa puissance, devrait visiter les prisonniers, feuilleter leurs écrous, demander compte aux agents de leur gérance, appeler l’architecte afin qu’il rendit salubres l’espace et les ouvertures en les élargissant et qu’ils comblât les cellules ténébreuses en attendant qu’on démolisse la prison. Il faudrait qu’il exigeât du directeur l’établissement d’une cantine fournies de toutes choses […]. » (p. 105)

75 Ibid., p. 109.

76 Gauny écrit à ce propos : « ce métier voûte cet homme sous des fatigues violentes que l’on ne peut comprendre qu’en les expérimentant, car c’est en se traînant sur les genoux qu’il pose ce parquet dont le travail le harcèle, dont la liberté l’enchante ! Il mortifie son corps pour donner la volée à son âme ; à son insu, ce tâcheron s’apparente par ses renoncements aux pères du désert ! » (dans Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires, op. cit., p. 90).

77 Ibid., p. 91.

78 Pour Rancière, « ce qui définit l’être-ouvrier, c’est simplement l’absence de temps » (Ibid., p. 10).

79 Gabriel Gauny, Le philosophe plébéien, op. cit., p. 108-109.

80 La question de l’aménagement des espaces carcéraux, qui vise à dissocier l’espace de la peine, est un enjeu majeur de cette réflexion. On peut songer, à cet égard, à la Maison d’arrêt de Brest, construite entre 1985 et 1990, dont les fenêtres aux larges dimensions et aux barreaux disposés à l’horizontal offrent une meilleure vue sur l’extérieur et contribuent, ainsi, à l’amélioration des conditions de détention.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marion Croisy, « Regards d’un ouvrier rebelle : Gabriel Gauny et l’emprisonnement cellulaire »Arts et Savoirs [En ligne], 16 | 2021, mis en ligne le 15 décembre 2021, consulté le 06 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/aes/4217 ; DOI : https://doi.org/10.4000/aes.4217

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Auteur

Marion Croisy

CRP19, Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3.

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Droits d’auteur

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