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La prophylaxie à l’épreuve du roman

Littérature et syphilis. Le roman de prévention antivénérien (1890‑1910)

Literature and syphilis. The preventive novel of venereal disease (1890-1910)
Alexandre Wenger

Résumés

Entre 1890 et 1910, on assiste à l’émergence d’œuvres romanesques qui se donnent spécifiquement pour objectif la lutte contre les maladies vénériennes en général et contre la syphilis en particulier. Le présent article propose une première interprétation de ce corpus peu étudié et qui ne peut être compris en dehors de sa double identité médicale et littéraire. Quelles en sont les caractéristiques structurantes ? Comment, en tant que récit littéraire, ces œuvres tentent-elles d’exercer une action sanitaire dans la sphère sociale ?

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Notes de l’auteur

Article publié dans le cadre du projet Syphilis financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS sinergia 186394).

Texte intégral

Tout n’est que syphilis

  • 1 Joris-Karl Huysmans, À rebours, éd. de Daniel Grojnowski, Paris, GF Flammarion, 1978 [1884], chap. (...)
  • 2 Patrick Wald Lasowski, Syphilis. Essai sur la littérature française du xixe siècle, Paris, Gallimar (...)
  • 3 Huysmans, À rebours, op. cit., p. 137.
  • 4 L’intérêt que l’époque porte aux questions d’hérédité réunit la double crainte d’une dégénérescence (...)
  • 5 Bertrand Marquer, « Syphilis », Dictionnaire des naturalismes, Colette Becker, Pierre-Jean Dufief ( (...)
  • 6 Léo Trézenik, Lutèce, 5e année, n° 244, 4 au 11 juillet 1886, n. p. Fondé en 1835, le Musée Dupuytr (...)
  • 7 Ibid.

1« Tout n’est que syphilis »1, songe des Esseintes dans le chapitre viii d’À Rebours. De fait, de Barbey d’Aurevilly à Maupassant, la syphilis apparaît comme un thème incontournable de la seconde moitié du xixe siècle, au point que d’aucuns y ont même vu un principe fédérateur de toute la littérature de l’époque2. L’immémoriale « Grande Vérole » entraîne l’image « d’une humanité sans cesse travaillée par le virus des anciens âges »3. Elle marque l’écriture fin-de-siècle. Elle est liée aux opinions antisémites4. Elle se présente comme un élément structurel du roman militaire – par exemple Robert Cazes, Femmes à soldats (1884) ou Lucien Descaves, Sous-Offs (1888) –, du roman sur la prostitution – par exemple Paul Adam, Chair molle (1885) ou Charles-Louis Philippe, Bubu de Montparnasse (1901) –, ou encore du roman de filles – par exemple Edmond de Goncourt, La Fille Elisa (1887) ou Huysmans Marthe (1876)5. La saturation est atteinte : dans son compte rendu de Virus d’amour (1886) d’Adolphe Tabarant, une « histoire d’une fille syphilitique, décomposée, en miettes, en bouillie plutôt »6, le journaliste Léo Trézenik conclut, un peu désabusé : « C’est gai comme une visite au Musée Dupuytren. »7

Qu’est-ce que la littérature prophylactique ?

  • 8 André Couvreur, Les Mancenilles, Paris, Plon (série Les Dangers sociaux), 1900.
  • 9 Imbert Nath, Dictionnaire national des contemporains, Paris, Lajeunesse et Vorms, 1936, notice « An (...)

2Dans ce contexte, on assiste entre 1890 et 1910 à l’émergence d’une veine littéraire qui se donne spécifiquement pour objectif la lutte contre les maladies vénériennes en général et contre la syphilis en particulier. On peut prendre pour modèle de cette veine le roman Les Mancenilles qu’André Couvreur fait paraître en 19008. Couvreur (1863-1944), fils de médecin et docteur en médecine lui-même, se tourne progressivement vers la carrière littéraire. Après avoir publié un petit volume de vers chez Vanier, l’éditeur de Symbolistes et de poètes bohèmes, il se fait définitivement romancier et inaugure sa trilogie sur les Dangers sociaux. Le Mal nécessaire (1899) porte sur les dérives de la science moderne, La Source fatale (1901) aborde l’alcoolisme, et Les Mancenilles traite de la syphilis. Ces ouvrages sont qualifiés de « littérature prophylactique »9 dans le Dictionnaire national des contemporains de 1936. Auparavant, l’Album Mariani, que sa vocation publicitaire pousse à prendre avec circonspection, avait dressé un portrait élogieux d’un Couvreur recourant à l’arme romanesque dans une perspective sanitaire :

  • 10 Angelo Mariani, Figures contemporaines tirées de l’Album Mariani, vol. 11, Paris, Henri Floury, 190 (...)

Par une initiative hardie, M. André Couvreur a mis ainsi au service de belles et grandes idées de régénération humaine un art jusque-là trop exclusivement littéraire ; il a indiqué combien étaient passionnants ces problèmes vitaux d’assainissement et de perfectionnement physique et moral dont dépend l’avenir d’une humanité désormais débile et soumise aux lois de la décrépitude. [Cet] auteur-médecin […] voudrait secouer et combattre les préjugés nuisibles à la race.10

3Les Mancenilles raconte l’histoire de Maxime Duprat, jeune homme vigoureux et promis à un bel avenir, qui quitte sa campagne natale pour étudier le droit à Paris. Vite rattrapé par la facilité des aventures occasionnelles offertes par la capitale, il contracte la syphilis. Sous-estimant la gravité de son cas, il ne se soigne pas correctement et contamine sa chaste et innocente épouse. Celle-ci donnera naissance à un nourrisson mort-né, alors que Maxime, désormais rongé par les terribles atteintes tertiaires du mal, sombrera dans une profonde démence. Cette trame est tout à fait classique dans la littérature prophylactique au tournant du xixe au xxe siècle. On la retrouve, moyennant quelques modifications, dans L’Infamant (1891) de Paul Vérola, dans Prostituée (1907) de Victor Margueritte, dans une moindre mesure dans Vénus ou les deux risques (1901) de Michel Corday. Il s’agit là d’un ensemble très limité de textes, mais qui se singularisent par leur vocation sanitaire : le récit de fiction est utilisé comme une arme préventive de lutte contre les maux vénériens. C’est très majoritairement la syphilis qui est concernée, même si quelques romans, comme L’Insexuée (1903) de Paul Bru, abordent la prophylaxie de la blennorragie.

4L’œuvre prophylactique qui a rencontré le plus de succès à sa parution est indéniablement Les Avariés. Écrite sous forme de pièce de théâtre (1901) par Eugène Brieux, elle a ensuite fait l’objet d’une adaptation romanesque substantiellement augmentée (1903) par Maurice Landay. Or Brieux, dans ce qui peut être pris comme une profession de foi de la littérature prophylactique, exprime clairement ce qui le distingue, lui et les autres auteurs de fictions antivénériennes, des romanciers qui, comme les décadentistes, cherchent à transformer la syphilis en un objet d’art :

  • 11 Eugène Brieux, Théâtre complet, Paris, Librairie Stock, 1921, t. I, « Préface », p. vi. Les Remplaç (...)

J’ai toujours envisagé le théâtre non comme un but, mais comme un moyen. J’ai voulu par lui, non seulement provoquer des réflexions, modifier des habitudes et des actes, mais encore (et on a pu me le reprocher vivement sans me le faire regretter), déterminer des arrêtés administratifs qui m’apparaissent désirables. J’ai voulu que, parce que j’aurai vécu, la quantité de souffrances répandue sur la terre fût diminuée d’un peu. J’ai l’immense satisfaction d’y avoir réussi, et je sais que deux de mes pièces : Les Remplaçantes et Les Avariés, ont contribué à sauver des existences humaines, et à rendre d’autres moins douloureuses.11

  • 12 Voir La Chronique médicale, dir. Augustin Cabanès, 8e année, n° 22, numéro spécial du 15 nov. 1901 (...)

5Les œuvres romanesques ou théâtrales ainsi produites ont été diversement appréciées aussi bien des moralistes que des médecins, certains y percevant de l’impudeur, sinon une incitation à la débauche, d’autres au contraire saluant la volonté éclairée d’extraire les jeunes gens de la dangereuse ignorance des choses sexuelles dans laquelle on les avait trop longtemps maintenus. Le débat a été suffisamment vif pour motiver la publication de numéros spéciaux de revues entièrement consacrés à la question de l’efficacité ou non de ce type d’ouvrages12.

6L’objectif ici consiste à identifier – le cas échéant – certaines caractéristiques structurantes de ce corpus de fictions prophylactiques antivénériennes autour de 1900. Quelle proximité nourrissaient-elles avec le savoir véhiculé par les traités médicaux ? Présentent-elles des spécificités formelles récurrentes, des motifs topiques, des stratégies rhétoriques, par lesquels, en tant que récit littéraire, elles tentent d’exercer une action sanitaire dans la sphère sociale ? Notre parcours à travers ce corpus peu travaillé insiste sur la nécessité de le rattacher à sa double identité médicale et littéraire. Ce parcours n’a pas vocation à l’exhaustivité mais se présente comme une première mise en ordre de certaines caractéristiques de ces œuvres et de leurs enjeux.

La littérature et la peur du péril vénérien

  • 13 Virginie De Luca Barrusse, Population en danger ! La lutte contre les fléaux sociaux sous la Troisi (...)
  • 14 Edmond-Jean-Joseph Langlebert, La Syphilis dans ses rapports avec le mariage, Paris, Delahaye, 1873 (...)

7Les dernières décennies du xixe siècle marquent l’entrée dans l’âge du péril vénérien. Au même titre que l’alcoolisme et la tuberculose, la syphilis est désormais perçue comme un fléau qui menace les nations occidentales à la fois de déclin démographique et de dégénérescence de la race13. La syphiligraphie vient tout juste de se constituer en discipline à part entière avec, notamment, la création en 1879 de la toute première chaire de dermatologie et de syphiligraphie à l’hôpital Saint-Louis de Paris, que déjà elle s’organise au niveau international. En 1899 puis en 1902 ont lieu les deux premières Conférences internationales pour la prophylaxie de la syphilis et des maladies vénériennes. La jeune discipline s’avère extrêmement féconde en matière de publications, toutes plus alarmistes les unes que les autres. Ces publications ne circulent pas uniquement au sein d’un aéropage de spécialistes, mais aussi parmi les politiques, les militaires, les éducateurs et, à condition qu’elles ne contreviennent pas à la chatouilleuse pudeur de l’époque, au sein de la population générale. Les rapports entre la maladie et le mariage, la morale et la prostitution sont abondamment traités du point de vue médico-juridique, déontologique et pédagogique14.

  • 15 Charles Poullain, La Prophylaxie antivénérienne au lycée, Paris, 1910, p. 18.
  • 16 Par exemple Jules Grandjouan, « Civilisation et syphilisation », L’Assiette au beurre, 10 janv. 190 (...)

8L’histoire du péril vénérien est avant tout l’histoire d’une grande peur collective. Comme l’indique le titre d’une brochure rédigée par le docteur Léon Bizard, Le Péril vénérien, influence néfaste des maladies vénériennes, blennorragie et syphilis sur la race, dépopulation et déchéance de la race (1906), l’enjeu n’est rien moins que la pérennité de la civilisation, du point de vue à la fois de sa qualité biologique et de sa quantité. Les chiffres cités enflent progressivement : 16% de la population parisienne de 1910 serait syphilitique selon le Dr Poullain, qui reprend les estimations avancées par d’autres syphiligraphes15. Le chiffre grimpera allégrement à 1/5e de la population des grandes villes pendant la Première Guerre mondiale. La prégnance sociale de la syphilis est telle que le calembour qui superpose civilisation et syphilisation se retrouve un peu partout et, en particulier, appliqué par les caricaturistes de l’époque à la soi-disant mission civilisatrice des colons belges et français en Afrique centrale16.

9Mais la peur se ressent également individuellement. Maladie secrète parce que honteuse, la syphilis fait craindre pour leur fertilité et pour leur descendance à des générations de jeunes hommes. La longueur et la douleur du traitement mercuriel s’ajoutent à cette angoisse si précisément décrite par Zweig :

  • 17 Stefan Zweig, Le Monde d’hier, trad. Serge Niémetz, Paris, Librairie Générale Française, « Le Livre (...)

De même que les villes, sous les rues propres, bien balayées […] recèlent des canalisations souterraines dans lesquelles se déverse la fange des cloaques, toute la vie sexuelle de la jeunesse devait se jouer, invisible, sous la surface morale de la société. […] Dans l’ensemble, la prostitution demeurait le fondement de la vie érotique en dehors du mariage, elle représentait en quelque sorte la sombre voûte de la cave au-dessus de laquelle s’élevait le somptueux édifice de la société bourgeoise avec sa façade éblouissante, immaculée. [O]utre l’oppression sociale qui forçait constamment à la prudence et au secret, un autre élément jetait son ombre sur l’esprit, au lendemain et même au cours des plus tendres moments : la crainte de l’infection.17

10La peur de la maladie s’immisce dans les moments les plus intimes, et les médecins ne sont pas les derniers à exploiter cette crainte à des fins prophylactiques, comme l’illustre ce passage issu d’un ouvrage tardif mais absolument représentatif des textes adressés aux jeunes gens depuis le début du siècle, Jeunesse sportive lis‑moi ! Deux fléaux. Blennorragie. Syphilis. Comment les éviter, comment les guérir (1930) :

  • 18 Charles Fouqué, Jeunesse sportive lis-moi ! Deux fléaux. Blennorragie. Syphilis. Comment les éviter (...)

[U]ne femme qui vous raconte avoir eu plusieurs fausses couches est suspecte de syphilis, de même que celle qui accuse de fréquents maux de tête, de même celle dont la voix est enrouée, comme éraillée, de même que celle dont les cheveux présentent de place en place des clairières, de même celle dont le cou se cercle de ce collier brun appelé poétiquement collier de Vénus. Méfiez-vous de celles qui présentent ces glandes du cou […]. Avant de dénouer votre idylle prenez la belle sur vos genoux, caressez-lui doucement la nuque, aventurez même votre main vers des régions plus intimes et tâtez les plis de l’aine. Si vous découvrez ici ou là des glandes dures roulant sous le doigt, allant de la grosseur du pois à celle de la noisette, n’insistez pas.18

  • 19 Maurice Landay, Les Avariés. Roman tiré de la pièce de Brieux, tome I : La Blessure, Paris, Taillan (...)

11L’ambiguïté d’une telle injonction dépasse le seul fait d’investir une caresse érotique d’un sens sanitaire car, un peu comme un roman prophylactique peut servir d’incitatif lubrique à certains lecteurs, elle trouble le geste prophylactique en lui donnant pour motivation une exploration sensuelle. Comme les traités médicaux, les romans prophylactiques apparaissent à la fois comme les acteurs du péril vénérien et comme une réaction pour le juguler. À ce titre, ils se font le véhicule de ces réflexes de détection sanitaire au sein même de l’intimité. Dans Les Avariés de Landay, le héros se souvient : « Un vieil étudiant lui enseigna la manière pour découvrir dans une caresse la présence de la blennorragie. Mais il y avait la grande sœur, la syphilis, dont il était plus malaisé de constater les traces. »19

  • 20 Alain Corbin, « L’Hérédosyphilis ou l’impossible rédemption. Contribution à l’histoire de l’hérédit (...)
  • 21 Voir Eric Lax, The Mold in Dr. Florey’s coat. The story of the penicillin miracle, New York, Henry (...)
  • 22 L’hérédité syphilitique n’est jamais mentionnée explicitement dans le roman, par respect de la pude (...)

12Selon Alain Corbin, la « période qui s’étend de 1885 à la Première Guerre mondiale correspond à l’âge d’or du péril vénérien »20. La crainte qui lui est attachée reste néanmoins vivace dans l’entre-deux-guerres et ne s’estompera qu’avec la diffusion mondiale de la pénicilline21. Parmi les aliments de cette peur figure la conviction angoissée que la syphilis n’est pas seulement de transmission congénitale mais héréditaire. Des Revenants (1889 [1881]) d’Ibsen à La Force du sang (1902) de Couvreur, la transmission pathologique héréditaire offre un ressort dramatique à de nombreux auteurs. L’hérédité syphilitique, abordée par exemple dans le roman L’Épuisé (1888) d’Alexandre Hepp22, va motiver le mythe de l’hérédosyphilitique, cet avorton dégénéré, victime innocente du stupre parental, ou même grand-parental. Certains syphilographes de premier plan, tel Edmond Fournier, consacreront leur carrière à cette idée d’une syphilis amenée à inexorablement s’étendre de génération en génération.

  • 23 Conan Mériadec, Syphilis universelle, origine de toutes nos maladies, Paris, Baillière, 1894.

13À la croyance dans l’hérédité de la syphilis s’ajoute sa non-spécificité. Dès les années 1880, le plus célèbre de tous les syphilographes, le professeur Alfred Fournier (1832-1914), impose la notion de parasyphilis. Autrement dit, la maladie engloberait presque toute la pathologie héréditaire morbide. Le titre que le médecin parisien Conan Mériadec donne à son traité est éloquent : Syphilis universelle, origine de toutes nos maladies23. Dans Vénus ou les deux risques, le bon docteur Reiset, mentor malheureux du héros, tente d’expliquer à ce dernier la variabilité des manifestations de la syphilis, au cours d’un de ces longs discours dont on comprend bien qu’ils s’adressent en réalité au lecteur :

  • 24 Michel Corday, Vénus ou les deux risques, Paris, Arthème Fayard, 1909 [1901], p. 102.

Je te l’ai dit : il [i.e. le mal vénérien] emprunte les formes les plus imprévues, les plus déconcertantes. On dirait qu’il sait la honte stupide qu’il inspire. Alors il tue sous un déguisement. Il fait mourir, par exemple, d’une obstruction intestinale ou d’une jolie maladie de foie. On n’en réchappe pas, mais l’honneur est sauf. […] Voilà pour ses caprices. Mais il a aussi ses habitudes. Il aime se montrer, voir le jour. Et alors c’est tout le jardin des affections cutanées, ces bourgeonnements, ces effroyables floraisons, ces lupus, dont une visite à Saint-Louis, même au Musée, t’offrirait de si beaux exemples. Ou bien il ronge les os : le malade crache ses dents, comme Pangloss, perd le nez, prend cette hideuse tête de mort qu’on rencontre parfois dans les rues, ou bien s’émiette, fond, dissous par la nécrose. […] Mais surtout, vois-tu, le mal s’attaque à la substance nerveuse. C’est son régal, son blanc-manger.24

  • 25 Alain Corbin, « Le péril vénérien au début du siècle : prophylaxie sanitaire et prophylaxie morale  (...)
  • 26 Alain Corbin, « L’Hérédosyphilis… », op. cit., p. 147.

14La crainte du mal en soi et la crainte de ne pas identifier ses manifestations protéiformes sont encore renforcées par celle de la honte et de l’opprobre. Comme dans La Ronde d’amour (Reigen, 1897) d’Arthur Schnitzler, la syphilis révèle une perméabilité sociale scandaleuse que la bonne société fait mine d’ignorer : l’économie du désir relie secrètement le noble, le bourgeois, la grisette et la prostituée. La syphilis est perçue comme une « menace biologique que les classes laborieuses et dangereuses font peser sur l’ensemble du corps social »25. Cette menace se concrétise par le thème du fumier populaire, omniprésent dans les fictions prophylactiques : « [L]a race – et lisons d’abord la famille bourgeoise – se trouve menacée par une pourriture venue de la rue ou du sixième étage »26. « Combien Paris devait être infecté ! », songe Bordier, le personnage du médecin dans Les Mancenilles.

  • 27 André Couvreur, Les Mancenilles, Paris, Plon, 1900, p. 217.

Des classes obscures, le mal gagnait les sphères élevées, les riches trouvant matière à plaisir dans la vénalité des pauvres. La sourde dispersion partait du fumier populaire, entretenue, fortifiée par la misère, les privations, la malpropreté. À leur tour, les puissants la rendaient aux humbles.27

15Dans Vénus ou les deux risques, le docteur Reiset recourt à une image moins brutale mais tout aussi explicite lorsqu’il met le héros Mirat en garde contre un groupe de jeunes femmes dans un restaurant :

– Il ne faudrait pas trop s’y fier, à ces belles filles-là […], beaucoup de ces femmes sont dangereuses. Le plumage est trompeur : souviens-toi des perruches infectieuses.

– Quoi ! des oiseaux de cette envergure, à ces hauteurs ?

  • 28 Michel Corday, Vénus …, op. cit., p. 32.

– Ils n’ont pas toujours volé si haut. Ils sont partis de très bas, à portée du péril. Et beaucoup gardent du plomb dans l’aile. Et, d’ailleurs, même à ces hauteurs, comme tu dis, elles ne sont pas hors d’atteinte.28

  • 29 Jean-Louis Cabanès, « Invention(s) de la syphilis », Romantisme, n° 94, 1996, p. 89-109, ici p. 92.
  • 30 Virginie De Luca Barrusse, « Le genre de l'éducation à la sexualité des jeunes gens (1900-1940) », (...)

16La syphilis est le fantôme qui hante la littérature à partir des années 1880. On ne peut que souscrire au constat de Jean-Louis Cabanès selon lequel « ces années sont essentielles du point de vue de l’histoire littéraire, puisqu’elles sont marquées par l’émergence du décadentisme, du symbolisme, des romanciers psychologues, [et puisqu’elles] constituent également une étape importante dans la vulgarisation des thèses d’Alfred Fournier »29. Néanmoins, la perspective n’est pas complète si l’on n’y intègre pas la littérature prophylactique, qui se distingue par sa volonté d’agir comme un moyen hygiénique et qui se présente comme une première tentative de trouver un médium adapté au public concerné au premier chef par la syphilis, à l’orée des grands débats entre 1900 et 1940 sur l’éducation à la sexualité des jeunes gens30.

L’épineuse question du public

17À une époque où le terme même de syphilis ne peut décemment être prononcé en société, la difficulté à laquelle est confrontée la littérature prophylactique est celle dont héritera le cinéma de propagande antivénérienne à partir des années 1910, à savoir : comment évoquer la maladie de façon suffisamment énergique pour dissuader des pratiques à risque sans tomber dans une complaisance graveleuse ou, pire, éveiller aux plaisirs coupables de la chair ? La logique naissante de la santé publique requiert la diffusion la plus large de l’information et des conseils préventifs, mais le caractère sexuellement transmis de la maladie exige des tournures mesurées, une approche toute en détours de la biologie reproductive et un strict encadrement pédagogique.

  • 31 Charles Burlureaux, Pour nos filles quand elles auront 16 ans. Conseils discrets d’un médecin, dans (...)

18Les médecins s’interrogent sur la nature de l’information à transmettre à l’un et à l’autre sexe, et sur l’âge requis pour le faire. Les débats à ce sujet sont particulièrement nourris au sein de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, fondée par l’énergique Alfred Fournier en 190131. L’éducation des jeunes filles s’avère particulièrement périlleuse et, en l’occurrence, l’immersion fictionnelle dans le roman ou dans le théâtre, fût-ce dans un noble dessein, est aussi vue avec méfiance. Fort de ses convictions, Brieux assortit néanmoins sa pièce de la recommandation suivante :

Mesdames et Messieurs,

L’auteur et le directeur ont l’honneur de vous prévenir que cette pièce a pour sujet l’étude de la syphilis dans ses rapports avec le mariage.

  • 32 Eugène Brieux, Les Avariés. Pièce en trois actes. Interdite par la censure, Paris, Stock, 21e éd, 1 (...)

Elle ne contient aucun sujet de scandale, aucun spectacle répugnant, aucun mot obscène, et elle peut être entendue par tout le monde, si l’on croit que les femmes n’ont pas absolument besoin d’être sottes ou ignorantes pour être vertueuses.32

  • 33 Landay, Les Avariés…, op. cit., « Introduction », p. viii.
  • 34 André Couvreur, Les Mancenilles, op. cit., « Préface », n. n.

19Dans son introduction à la version romanesque des Avariés, Landay se montre plus entreprenant : « Il [le roman] peut être lu par tout le monde. Il doit l’être surtout par les femmes qui, jusqu’ici, ont été trop souvent victimes de leur ignorance. Il n’est pas nécessaire d’être ignorante pour être vertueuse. »33 Couvreur en revanche fait le choix de la prudence dans Les Mancenilles : son roman est « dédié aux jeunes gens de vingt ans, qui y trouveront un salutaire enseignement. De toute façon, il est réservé à la lecture des hommes, car la susceptibilité féminine s’accommoderait mal de cruautés indispensables à la thèse. »34 D’autres enfin éludent le problème, comme Paul Vérola qui ne spécifie aucun lectorat pour L’Infamant, mais qui recouvre certaines scènes de son roman par de pudiques points de suspension. Dans tous les cas, la littérature prophylactique cherche à prévenir les comportements de ses lecteurs en représentant de potentielles conséquences dramatiques de l’activité sexuelle, mais jamais en évoquant directement cette dernière. La sexualité n’est envisagée qu’au prisme de la pathologie.

Raconter la syphilis

20Par-delà leurs visées prophylactiques communes, la cohérence des œuvres relevant de cette veine médico-littéraire est assurée par la proximité de leurs trames, construites autour d’éléments structurels partagés. Parmi ces derniers figurent des personnages-types qui semblent tout droit sortis des traités de syphiligraphie contemporains. C’est le cas des innocents, dont la situation injuste révolte particulièrement à la fin du xixe siècle :

  • 35 Alain Corbin, Les Filles de noce, op. cit., p. 464-465. Voir aussi Joan Sherwood, Infection of the (...)

[L]a “syphilis des innocents” augmente l’horreur du mal. Nouveau-nés syphilitiques, sages-femmes qui les ont accouchés, nourrices contagionnées par le bébé qu’elles allaitent, verriers contaminés au cours de leur travail, patients infectés par des instruments médicaux mal nettoyés, victimes du hasard constituent, selon le professeur A. Fournier, 5% des syphilitiques.35

  • 36 Et cela jusqu’à une date tardive : voir l’illustration reproduite dans La technique moderne de la p (...)

21La syphilis grande meurtrière des enfants est un thème qu’illustrent de nombreuses affiches de prévention36. Dans la littérature prophylactique, le sort des enfants est un argument fréquemment avancé pour mettre les jeunes hommes à bonnes fortunes face aux conséquences possibles de leur légèreté. Dans Les Avariés de Landay, le Dr Fraiser explique :

  • 37 Maurice Landay, Les Avariés…, op. cit., p. 85.

La syphilis est surtout une grande tueuse d’enfants. Hérode règne en France et sur toute la terre et recommence chaque année son massacre d’innocents. […] Visitez les hôpitaux d’enfants. Nous connaissons le type de l’enfant des syphilitiques. Ce type est classique et les médecins les désignent entre tous, ces petits vieux qui ont l’air d’avoir déjà vécu et d’avoir gardé ce stigmate de toutes nos infirmités, de toutes nos déchéances.37

22Le type misérable de l’hérédosyphilitique apparaît dans presque tous les romans, comme ici le petit Jacques, fils de l’inconséquent Dumès dans Prostituée :

  • 38 Victor Margueritte, Prostituée, Paris, Eugène Fasquelle, 1907, p. 265.

L’enfant, après avoir présenté de belles apparences, accusait, de jour en jour, son faciès hérédosyphilitique. […] Bientôt la syphilide polymorphe apparaissait. Tout le visage n’était plus qu’une nappe rouge, comme si on l’eût barbouillé de fraises. Les narines, les lèvres, le menton formaient croûte, fissurée, suintante, d’un jaune brun.38

23En l’occurrence, l’hérédosyphilitique n’est pas juste un spectre agité par un personnage de médecin, comme précédemment sous la plume de Landay. Il est exploité dans son potentiel narratif, inséré dans l’intrigue sous forme de personnage dramatique à part entière.

  • 39 Voir Rachel Mesch, “Housewife or Harlot? Sex and the Married Woman in Nineteenth-Century France”, J (...)

24À noter que le rôle des femmes dans ces fictions est stéréotypé en cela qu’elles n’apparaissent que sous les espèces de la tentatrice, de la prostituée, du véhicule de l’infection, ou au contraire sous celles de l’honnête femme innocente, jeune mariée contaminée par l’époux ou fiancée victime du chaste baiser accordé au promis39.

  • 40 André Couvreur, Les Mancenilles, op. cit., p. 192.
  • 41 Ibid., p. 193.

25Un autre personnage stéréotypé est le jeune héros dont on suit la déchéance. Sa psychologie de syphilitique est l’un des ressorts dramatiques du récit puisque – précisément victime de dégénérescence neurosyphilitique – il s’obstine à ne pas reconnaître son état réel. Le cas de Maxime Duprat, dans Les Mancenilles, est tout à fait révélateur. Dans un premier temps, « [s]on imagination, accrue par des lectures qui aggravaient son ignorance, lui faisait entrevoir des délabrements horribles. Il passait des heures à la bibliothèque de la Faculté de Médecine à parcourir des traités spéciaux qui l’emplissaient d’épouvante. »40 Cette terreur néanmoins sera vaine car « […] à force d’examens négatifs, il en vint à douter de la science de l’interne. N’avait-il pas lu que ce fameux croissant cuivré, observé sur l’épaule de Simone, pouvait appartenir à plusieurs maladies, beaucoup moins graves que celle dont Bordier le menaçait ? »41

  • 42 Eugène Brieux, Les Avariés, op. cit., p. 185.

26L’échec de Bordier, interne à l’hôpital Saint-Louis, n’enlève rien au fait que, dans toutes les fictions prophylactiques, la voix de la raison est toujours portée par un personnage médical, à la fois mentor, ami et protecteur du héros. Ce personnage est aussi, au sein de la fiction, le porte-parole transparent d’opinions préalablement exprimées par des syphilographes dans leurs traités. Par exemple, le billet de santé obligatoire pour tout fiancé avant son mariage, pour lequel plaide le Docteur des Avariés42, est une simple reprise de la proposition d’Henry Cazalis dans La Science et le mariage (1900), auparavant déjà avancée par Louis Jullien dans Blennorragie et mariage (1898). Dans la fiction, le dialogue à bâtons rompus entre le héros syphilitique qui vit dans le déni de sa condition et le médecin toujours prêt à livrer de longs exposés symptomatologiques, est une scène didactique classique, par laquelle le lecteur réel doit trouver des réponses à ses propres questions.

  • 43 Voir à ce sujet la contribution de Laure-Hélène Tron-Ymonet au présent numéro, « De la prophylaxie (...)
  • 44 André Couvreur, Les Mancenilles, op. cit., p. 14.
  • 45 Ambroise Tardieu, Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs, Paris, Baillère, 1859, p. 71-72, (...)

27La lutte contre les préjugés populaires fait également partie des missions que se fixe la littérature prophylactique. Un préjugé particulièrement ignoble et souvent mis en scène veut que si un contaminé couche avec une jeune fille vierge, ou à défaut un enfant, il se débarrassera de sa syphilis en la lui transmettant. Le fait est d’emblée évoqué dans Les Mancenilles43. Un paysan, qui vient de violer une fillette, explique benoîtement « qu’il n’avait point agi par passion, mais seulement pour se débarrasser d’une maladie qu’il avait contractée. C’était un préjugé populaire, en effet, et il l’exposait avec foi, en racontant que la maladie abandonne celui qui en est atteint, lorsqu’il la transmet à une vierge. »44 Là encore, la croyance est avérée par les médecins. Dans une section spécifique intitulée « Est-ce une opinion accréditée que les maladies vénériennes peuvent guérir par le fait d’un rapprochement sexuel avec une petite fille ? » de son Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs (1859), Ambroise Tardieu explique, différentes autres autorités médicales à l’appui, que « cet effroyable préjugé malheureusement trop répandu dans la classe populaire » conduit « tant de petites filles à l’hôpital Lourcines »45.

28L’odieux bourgeois Dumès, dans Prostituée, ne peut pas même pas avancer l’argument de la bêtise crédule, tant il agit avec cynisme :

  • 46 Victor Margueritte, Prostituée, op. cit., p. 100.

Dumès, souvent avait entendu prétendre que le plus radical moyen de se défaire du mal, le remède vraiment efficace, était de déflorer une vierge. Imagination monstrueuse, bourde insane qu’admettait, niaisement, son ignorance crasse… dans le sang répandu s’en allait tout le pernicieux germe. Plus de syphilis ! Passez, muscade !… L’autre, évidemment, l’attrapait. Mais quoi ! on la lui avait bien passée, à lui, Raoul Dumès !… Cette transfusion était encore, en y réfléchissant, le mode de guérison le plus pratique. La nature opérait volontiers ces miracles.46

Littérature ou cours de vénérologie ?

  • 47 Jacques Marx, « Une avarie majeure : images de la syphilis dans la littérature du xixe siècle », Le (...)

29Aucune des œuvres envisagées ici ne possède le génie formel suffisant pour être unanimement acceptée dans le canon littéraire. La mise en récit de la thèse ne va pas sans certaines lourdeurs. Pour autant, le fait de ne voir par exemple dans Les Mancenilles qu’un « roman documentaire qui ressemble à un cours de vénérologie »47 mérite d’être nuancé, faute de tomber une nouvelle fois dans une panthéonisation a posteriori de l’histoire littéraire. Les fictions antivénériennes montrent à quel point la littérature prend naissance dans les turbulences de son époque et, en l’occurrence, dans les vifs débats autour des maladies à transmission sexuelle. Elles offrent l’exemple d’une solidarité de fait entre des représentants du monde scientifique et du monde des Lettres, dans la recherche d’un effet commun.

  • 48 Voir le numéro spécial de Gesnerus coordonné par Christian Bonah, “Screening diseases: Films on Sex (...)
  • 49 Voir Learning with the lights off. Educational film in the United States, Devin Orgeron, Marsha Org (...)

30Chaque lecture est singulière. Mais le livre multiplie les lectures jusqu’à leur donner une portée collective. À ce titre, la littérature prophylactique constitue une ligne de force entre les partisans d’une pédagogie individuelle, assurée par les parents ou des directeurs de conscience (en 1900, il s’agit surtout de catholiques et d’universitaires), et les tenants d’une pédagogie collective, dispensée à l’école (cela concerne de nombreux médecins et diverses organisations féministes). Si la littérature prophylactique est un phénomène limité dans le temps et par le nombre d’œuvres produites, sa postérité est grande. Dès les années 1910 en effet, c’est le cinéma de propagande antivénérienne qui reprendra à son compte les « recettes didactiques » – personnages-types, situations topiques, etc. – préalablement élaborées à l’écrit. Les innocents, les prostituées et les femmes honnêtes, de même que les médecins discoureurs, trouveront là une nouvelle jeunesse et un public démultiplié48. Les Avariés de Brieux connaîtront un succès étonnant aux États-Unis, sous le titre de Damaged Goods, d’abord comme mises en scènes théâtrales, puis sous forme d’adaptations cinématographiques49.

31La littérature prophylactique se trouve donc à l’origine d’un savoir-faire cumulé en matière de santé sexuelle qui véhicule certes un moralisme aujourd’hui éculé, mais qui témoigne d’un niveau de maîtrise dans l’adéquation entre la forme et son public peut-être jamais égalé depuis. Ce savoir, progressivement perdu dès la fin des années 1940 et l’arrivée miraculeuse de la pénicilline, devra être redécouvert lorsque le VIH-sida réactivera la grande peur des maladies sexuellement transmises laissée vacante par la vieille syphilis.

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Notes

1 Joris-Karl Huysmans, À rebours, éd. de Daniel Grojnowski, Paris, GF Flammarion, 1978 [1884], chap. viii, p. 137.

2 Patrick Wald Lasowski, Syphilis. Essai sur la littérature française du xixe siècle, Paris, Gallimard, 1982.

3 Huysmans, À rebours, op. cit., p. 137.

4 L’intérêt que l’époque porte aux questions d’hérédité réunit la double crainte d’une dégénérescence juive et syphilitique ; voir Jay Geller, « Le péché contre le sang : la syphilis et la construction de l’identité juive », Revue germanique internationale, n° 5, 1996, p. 141-164 ; Sandra Gilman, “Salomé, Syphilis, Sarah Bernardt, and the ‘Modern Jewess’”, The Jew in the Text: Modernity and the Construction of Identity, Linda Nochlin, Tamar Garb (dir.), Londres, Thames and Hudson, 1995, p. 97-120.

5 Bertrand Marquer, « Syphilis », Dictionnaire des naturalismes, Colette Becker, Pierre-Jean Dufief (dir.), Paris, Champion, 2017, t. II, p. 912-913.

6 Léo Trézenik, Lutèce, 5e année, n° 244, 4 au 11 juillet 1886, n. p. Fondé en 1835, le Musée Dupuytren est un musée parisien spécialisé dans l’anatomie pathologique.

7 Ibid.

8 André Couvreur, Les Mancenilles, Paris, Plon (série Les Dangers sociaux), 1900.

9 Imbert Nath, Dictionnaire national des contemporains, Paris, Lajeunesse et Vorms, 1936, notice « André Couvreur », p. 54.

10 Angelo Mariani, Figures contemporaines tirées de l’Album Mariani, vol. 11, Paris, Henri Floury, 1908, n. p.

11 Eugène Brieux, Théâtre complet, Paris, Librairie Stock, 1921, t. I, « Préface », p. vi. Les Remplaçantes combat la pratique alors répandue de la mise en nourrice des nouveau-nés.

12 Voir La Chronique médicale, dir. Augustin Cabanès, 8e année, n° 22, numéro spécial du 15 nov. 1901 consacré aux Avariés de Brieux, p. 706-707. Le prof. Alfred Fournier y affirme que la pièce est « éminemment saine et moralisatrice » tandis que le Dr Félix Balzer, pourtant un disciple du précédent, pense qu’aucun « Don Juan syphilitique [ne] laissera échapper une victime parce qu’il aura vu jouer Les Avariés » (p. 707) Pour un point sur l’épineuse question de l’éducation des jeunes gens, voir Jennifer Burek Pierce, What Adolescents Ought to Know: Sexual Health Texts in Early 20th Century America, Amherst, University of Massachusetts Press, 2011.

13 Virginie De Luca Barrusse, Population en danger ! La lutte contre les fléaux sociaux sous la Troisième République, Bern, Peter Lang, 2013 ; Alain Corbin, Les Filles de noce. Misère sexuelle et prostitution (xixe et xxe siècles), Paris, Flammarion, 2015 [1978], p. 486-511.

14 Edmond-Jean-Joseph Langlebert, La Syphilis dans ses rapports avec le mariage, Paris, Delahaye, 1873 ; Alfred Fournier, Syphilis et mariage, Paris, Masson, 1890 ; Hippolyte Mireur, La Syphilis et la prostitution dans leurs rapports avec l’hygiène, la morale et la loi, Paris, Masson, 1875 ; Paul Raymond, La Syphilis dans l’allaitement, hygiène et prophylaxie, Paris, Rueff, 1893.

15 Charles Poullain, La Prophylaxie antivénérienne au lycée, Paris, 1910, p. 18.

16 Par exemple Jules Grandjouan, « Civilisation et syphilisation », L’Assiette au beurre, 10 janv. 1903, p. 1863 (lithographie représentant un marin blanc et une autochtone congolaise) ; « La Syphilisation à Madagascar », Le Père Peinard, 28 nov.-5 déc. 1897.

17 Stefan Zweig, Le Monde d’hier, trad. Serge Niémetz, Paris, Librairie Générale Française, « Le Livre de Poche », 1996 [1941], p. 103-111.

18 Charles Fouqué, Jeunesse sportive lis-moi ! Deux fléaux. Blennorragie. Syphilis. Comment les éviter, comment les guérir, Impr. Théolier, 1930, p. 130.

19 Maurice Landay, Les Avariés. Roman tiré de la pièce de Brieux, tome I : La Blessure, Paris, Taillandier, 1903, p. 22.

20 Alain Corbin, « L’Hérédosyphilis ou l’impossible rédemption. Contribution à l’histoire de l’hérédité morbide », Romantisme, n° 31, 1981, p. 131-150, p. 148.

21 Voir Eric Lax, The Mold in Dr. Florey’s coat. The story of the penicillin miracle, New York, Henry Holt and Co, 2004.

22 L’hérédité syphilitique n’est jamais mentionnée explicitement dans le roman, par respect de la pudeur. La description symptomatologique ne laisse néanmoins aucun doute sur la nature du mal. A. Hepp a accusé Brieux d’avoir plagié son roman à la sortie des Avariés, avant de se réconcilier avec lui.

23 Conan Mériadec, Syphilis universelle, origine de toutes nos maladies, Paris, Baillière, 1894.

24 Michel Corday, Vénus ou les deux risques, Paris, Arthème Fayard, 1909 [1901], p. 102.

25 Alain Corbin, « Le péril vénérien au début du siècle : prophylaxie sanitaire et prophylaxie morale », Recherches. L’haleine des faubourgs : ville, habitat et santé au xixe siècle, 1978, p. 245-283, ici p. 248.

26 Alain Corbin, « L’Hérédosyphilis… », op. cit., p. 147.

27 André Couvreur, Les Mancenilles, Paris, Plon, 1900, p. 217.

28 Michel Corday, Vénus …, op. cit., p. 32.

29 Jean-Louis Cabanès, « Invention(s) de la syphilis », Romantisme, n° 94, 1996, p. 89-109, ici p. 92.

30 Virginie De Luca Barrusse, « Le genre de l'éducation à la sexualité des jeunes gens (1900-1940) », Cahiers du Genre, vol. 49, n° 2, 2010, p. 155-182.

31 Charles Burlureaux, Pour nos filles quand elles auront 16 ans. Conseils discrets d’un médecin, dans Bulletin de la Société française de prophylaxie sanitaire et morale, n° 3, Paris, J. Rueff, 1902, p. 504-524 ; Alfred Fournier, « Projet d’une instruction sur le péril vénérien. Pour nos fils quand ils auront 17 ans », Société de prophylaxie sanitaire et morale, 10 juillet 1901, p. i-xxiv.

32 Eugène Brieux, Les Avariés. Pièce en trois actes. Interdite par la censure, Paris, Stock, 21e éd, 1902 [1901], p. 4-5.

33 Landay, Les Avariés…, op. cit., « Introduction », p. viii.

34 André Couvreur, Les Mancenilles, op. cit., « Préface », n. n.

35 Alain Corbin, Les Filles de noce, op. cit., p. 464-465. Voir aussi Joan Sherwood, Infection of the innocents. Wet Nurses, Infants, and Syphilis in France. 1780-1900, McGill-Queen’s University Press, 2010.

36 Et cela jusqu’à une date tardive : voir l’illustration reproduite dans La technique moderne de la propagande d’hygiène sociale (Paris, Éd. de la vie saine, 1930, p. 169) de Lucien Viborel, sur laquelle on voit, en un raccourci saisissant, un médecin extraire un fœtus du ventre d’une parturiente et le donner à la Mort représentée sous forme de squelette.

37 Maurice Landay, Les Avariés…, op. cit., p. 85.

38 Victor Margueritte, Prostituée, Paris, Eugène Fasquelle, 1907, p. 265.

39 Voir Rachel Mesch, “Housewife or Harlot? Sex and the Married Woman in Nineteenth-Century France”, Journal of the History of Sexuality, vol. 18, n° 1, 2009, p. 65-83 ; Mireille Dottin-Orsini, Cette femme qu'ils disent fatale. Textes et images de la misogynie fin-de-siècle, Paris, Grasset, 1993.

40 André Couvreur, Les Mancenilles, op. cit., p. 192.

41 Ibid., p. 193.

42 Eugène Brieux, Les Avariés, op. cit., p. 185.

43 Voir à ce sujet la contribution de Laure-Hélène Tron-Ymonet au présent numéro, « De la prophylaxie médicale à la prophylaxie idéologique : le cas André Couvreur ».

44 André Couvreur, Les Mancenilles, op. cit., p. 14.

45 Ambroise Tardieu, Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs, Paris, Baillère, 1859, p. 71-72, section « Est-ce une opinion accréditée que les maladies vénériennes peuvent guérir par le fait d’un rapprochement sexuel avec une petite fille ? » Entretenir des relations sexuelles avec une personne saine – donc souvent des enfants – afin de se débarrasser de sa syphilis est une pratique qui a déjà été dénoncée dans certains hôpitaux d’Ancien Régime : voir Linda E. Merians, “The London Lock Hospital and the Lock Asylum for Women”, The Secret Malady. Veneral Disease in Eighteenth-Century Britain and France, Linda E. Merians (dir.), Lexington, The University Press of Kentucky, 1996, p. 128-145, ici p. 135. Le préjugé est déjà avéré au xvie siècle, notamment dans certains traités italiens sur la vérole ; voir Winfried Schleiner, “Infection and Cure through Women : Renaissance Constructions of Syphilis”, The Journal of Medieval and Renaissance Studies, vol. 24/1, 1994, p. 499-517.

46 Victor Margueritte, Prostituée, op. cit., p. 100.

47 Jacques Marx, « Une avarie majeure : images de la syphilis dans la littérature du xixe siècle », Les Grandes peurs, Madeleine Bertaud (dir.), Genève, Droz, 2003, p. 187-205, ici p. 198.

48 Voir le numéro spécial de Gesnerus coordonné par Christian Bonah, “Screening diseases: Films on Sex Hygiene in Germany and France in the First Half of the 20th Century”, 72/1, 2015.

49 Voir Learning with the lights off. Educational film in the United States, Devin Orgeron, Marsha Orgeron, Dan Streible (dir.), Oxford, Oxford University Press, 2012.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexandre Wenger, « Littérature et syphilis. Le roman de prévention antivénérien (1890‑1910) »Arts et Savoirs [En ligne], 18 | 2022, mis en ligne le , consulté le 13 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/aes/5364 ; DOI : https://doi.org/10.4000/aes.5364

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Auteur

Alexandre Wenger

Université de Genève

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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