Claudot-Hawad Hélène, 2021, Habiter le désert. Les Touaregs de l’Ahaggar photographiés par Marceau Gast – 1951-1965
Texte intégral
1Hélène Claudot-Hawad propose un ouvrage richement documenté qui rend hommage au travail photographique mené par Marceau Gast, son directeur de thèse, pendant les années qu’il a passées auprès des Touaregs de l’Ahaggar en tant qu’instituteur, entre 1951 et 1965. Il a occupé ce poste d’abord dans les campements nomades, puis chez les sédentaires à Tamanrasset, dans le sud de l’Algérie. Claudot-Hawad, à l’aide des photographies de Gast, retrace le parcours d’un ethnographe ayant fait l’expérience de la vie dans une autre société comme « une épreuve décapante qui dissout les cloisons et les préjugés de notre culture » (pour citer Gast, p. 15). Les photographies sélectionnées sont thématisées et témoignent concrètement des modes de vie, d’habiter, de s’habiller, d’apparaître et de s’organiser matériellement (p. 35). Une fois terminée cette première partie d’une cinquantaine de pages sur la perception qu’a Gast des mœurs et habitus touaregs, l’autrice propose, dans une seconde partie, l’analyse de 323 clichés dont certains ont été recadrés volontairement afin de rendre perceptibles les détails importants d’un point de vue éditorial (p. 51).
2La seconde partie de l’ouvrage pose quelques problèmes méthodologiques, notamment lorsqu’il s’agit d’en rendre compte, car il s’agit de photographies. L’autrice guide les lecteurs parmi les images en les distribuant en huit thématiques : « L’école française » ; « Les enfants imuhagh dans leur environnement » ; « Les tâches du quotidien » ; « Mobilité nomade » ; « Habiter le désert » ; « Paraître, apparaître » ; « Fêtes et liens sociaux » ; « Les figures de la présence française au Sahara ». Chacun de ces chapitres commence par un dessin offert à Gast par ses interlocuteurs, enfants ou non, qui évoquent sensiblement les titres. Par exemple, le premier chapitre traitant de l’école française est introduit par un dessin représentant un homme à l’entrée d’une tente avec un mot surplombant, mal orthographié et difficilement lisible : « merci la tente de Gast » (p. 57).
3Le chapitre intitulé « l’école française » (p. 57-72) est l’occasion pour l’autrice de rappeler les enjeux de l’école nomade et de la difficulté à faire cohabiter la vie nomade et la scolarité des enfants, qui sont appelés à s’occuper du petit bétail, par exemple, ou dont les parents n’acceptent pas qu’ils soient soustraits à leur autorité éducative. S’ensuivent vingt-trois photographies d’enfants se rendant à l’école, écrivant sur des ardoises, assis ou allongés à même le sable.
4Le chapitre « Les enfants imuhagh dans leur environnement » (p. 73-108) revient sur la manière dont les enfants se familiarisent avec leur milieu en jouant, en fabricant leurs jouets eux-mêmes, en contribuant aux corvées collectives ou en apprenant à s’orienter dans le désert. Ainsi, ils sont très tôt capables d’autonomie. Cinquante-quatre clichés viennent appuyer ce propos. La plupart montrent des enfants juchés sur des dromadaires, puisant de l’eau ou s’occupant du bétail. Quelques-uns présentent des jouets en glaise fabriqués par leur soin.
5Dans le chapitre suivant, l’autrice revient sur « les tâches du quotidien » (p. 109-132). Parmi celles-ci, l’attention portée aux troupeaux est présentée comme centrale, du lever au coucher. D’autres tâches sont aussi évoquées, comme l’exhaure de l’eau au puits, la traite des chamelles laitières, la répartition des céréales, mais aussi les moments de commensalité et les manières de manger sans se dévoiler pour les hommes. Ces différentes situations et activités sont ensuite illustrées par trente-trois photographies.
6Le chapitre « Mobilité nomade » (p.133-152) présente le savoir-faire des Touaregs dans le démontage, le roulage et l’assemblage des éléments de la tente, le transport des matériaux et la répartition des charges sur les animaux. Ce chapitre permet en outre de revenir sur l’organisation sociale qu’implique ce genre de mobilité, avec notamment l’anticipation du déplacement par l’envoi d’éclaireurs pour vérifier la qualité des pâturages, mais aussi l’initiation des jeunes garçons qui devront assumer la tâche du transport caravanier. Trente clichés de détails de caravanes témoignent de ces pratiques.
7Le chapitre suivant, « Habiter le désert » (p. 153-174), présente l’habitat qu’est la tente, pas uniquement comme un objet en soi, mais en tant que lieu de vie dans lequel sont mises en place des stratégies pour se tenir au frais en été, au chaud en hiver, trouver des occupations telles que la confection d’objets utilitaires (sacs, outres, cuillères, etc.), par l’habitant, ou artistiques, par des artisans spécialisés qui se déplacent pour l’occasion (bijoux, sculptures sur bois, etc.). Quarante et une photographies montrent des tentes installées dans divers espaces, selon différentes modalités (avec velum, avec des pierres, adossées à des roches, etc.), ainsi que des objets ouvragés et des instantanés d’activités se déroulant sous la tente ou à proximité.
8Le chapitre « Paraître, apparaître » (p. 175-198) permet à l’autrice de revenir sur les portraits photographiés par Gast. Claudot-Hawad s’attarde notamment sur les tenues et les postures qui changent en fonction de l’âge et du genre, l’instituteur ayant d’abord pris surtout des images d’enfants, puis d’hommes et peu de femmes. Sur la base de cinquante-quatre photographies de tenues enfantines, masculines ou féminines, apparaissent des hommes debout, des femmes assises, des enfants pris sur le vif, et des mains dont les clichés permettent de saisir la gestuelle en rapport avec la manière dont se tiennent les Imuhagh.
9Le chapitre « Fêtes et liens sociaux » (p.199-223), retrace l’expérience qu’a eue Gast de grandes fêtes touarègues, mettant en scène, dans le coin de certains clichés, des képis français pour rappeler le contexte colonial. Les moments festifs sont réincarnés à travers trente-cinq photographies qui présentent l’imzad (violon monocorde), le tende (tambour) joués par des femmes, mais aussi les parades à dos de dromadaires et des chanteuses prises dans un instantané de chant.
10Le dernier chapitre, intitulé « Les figures de la présence française au Sahara » (p. 224-235), fournit l’occasion à l’autrice de revenir, à partir de vingt-deux photographies, sur les images des militaires et administrateurs français, mais aussi sur ces figures moins visibles que sont les instituteurs, touristes ou religieux dans les années 1950.
11Cet ouvrage rend hommage au travail photographique d’un chercheur de terrain qui a su saisir son temps. Cette manière de poser son objectif sur des faits sociaux non seulement témoigne d’une époque, de modes de vie et d’être, mais permet surtout aux personnes qui lui succèdent de s’emparer, à leur tour, d’un objectif pour saisir un autre temps. Aussi, quand cet autre temps est dans un autre lieu, en situation diasporique, par exemple, et que des tentes touarègues sont installées pour l’occasion dans le bocage normand ou dans l’Aveyronnais, que des plats sont partagés, des vêtements d’apparats portés pour des festivités annuelles, cela peut ouvrir des réflexions intéressantes quant à la patrimonialisation immatérielle et matérielle de la culture touarègue.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre Peraldi-Mittelette, « Claudot-Hawad Hélène, 2021, Habiter le désert. Les Touaregs de l’Ahaggar photographiés par Marceau Gast – 1951-1965 », Journal des africanistes, 91-2 | 2021, 337-339.
Référence électronique
Pierre Peraldi-Mittelette, « Claudot-Hawad Hélène, 2021, Habiter le désert. Les Touaregs de l’Ahaggar photographiés par Marceau Gast – 1951-1965 », Journal des africanistes [En ligne], 91-2 | 2021, mis en ligne le 01 novembre 2022, consulté le 13 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/africanistes/11409 ; DOI : https://doi.org/10.4000/africanistes.11409
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